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Full text of "La Campagne de 1796 en Italie"

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I 




U CAMPAGNE DE 1796 

EN ITALIE 



I 



TKâ.DTTIT £> S r. ' A. X, r. s: M À N Z> 



fcvec une carte 



PARTS 

LIBRAIRIE MILITAIRE DE L. BAUDOIN 

lUPRlMBUR-BDITEUR 

SO, Rne et Paasage Daapblne, 30 



•4. 



OLAXJSEWITZ 



LA CAMPAGNE DE 1796 



EN ITALIE 



nu 



PREFACE DU TBADUCTBCR. 



resteront en présence dans FeDgagement final. Ce dernier 
n'estplus, très souvent, qa'nne formalité. 

Il a semblé qoe ces quelques observations étaient néces- 
saires pour ne pas laisser le lecteur sous Tinfluence exclu- 
sive des critiques formulées par Tillustre écrivain, quand 
elles sont contraires aux fidts établis par la Correspondance 
même de Napoléon. 



OUAtJSEA^iXZ 



LA CAMPAGNE DE 1796 



EN ITALIE 



» t 



Les événements de cette campagne de 1796 en Italie' ont 
un caractère de grandeur qui nous séduit ; mais autant nous 
désirons en connaître l'exacte filiation, découvrir les causes 
qui ont conduit chaque crise à son dénouement, autant, en 
revanche, leur histoire nous laisse peu satisfaits, et' la tâche 
est ingrate d'en essayer un aperçu, si superficiel qu'il soit. 

Jomini a exposé cette campagne dans la deuxième édition 
de son Histoire des guerres de la Révolution^ mais, comme il 
le pouvait, avec des sources insuffisantes ; aussi bien son récit 
est-il lui-même insuffisant, incomplet, obscur, plein de contra- 
dictions, bref, tout ce que ne doit pas être un exposé logique 
des faits et de leur enchaînement. Au moins nous donne-t-il 
les chiffres les plus véridiques que nous ayions concernant les 
Français, ainsi que les motifs de leurs résolutions les plus 
importantes. 

Les Autrichiens, au contraire, ont publié bien peu de chose 
dans leur journal militaire (1), concernant les emplacements 
de leurs troupes, les objets qu'ils ont poursuivis ou les raisons 
gui les ont fait agir, c'est-à-dire tout ce qui a quelque impor- 
tance ; et ils nous laissent encore dans une telle ignorance, 
niie telle confusion, que leur relation est tout bonnement, à 
Dotre avis, un ramassis de morceaux incohérents. 



^^^^ 



(i) Œsterreiehisché'MiUtar'Zeitschrift. 



i 



2 LA CAMPAGNE DE 1796 EN ITALIE. 

Les mémoires de Napoléon, dont od était endroit d'attendre 
la lumière sur Tensemble de la campagne, ont déçu toute 
espérance. Les événements du temps passé n'apparaissent au 
prisonnier de Sainte-Hélène que comme un rêve, et que 
peut-on moins demander a un rêve que la précision? Du 
reste, Tabsence complète de sincérité enlève toute valeur à ses 
souvenirs, dès qu'il est question d'eOectifs. Les motifs même 
de ses résolutions et les considérations qui auraient dû donner 
à ces mémoires une valeur toute particulière, sont gâtés, sont 
perdus par cette fausseté systématique (i). 

Pour voir combien Bonaparte était peu au courant des dé- 
tails, jetez un coup d'œil sur les pièces justificatives de son 
ouvrage, lesquelles sont simplement les réponses de ses géné- 
raux aux questions qu'il leur posait ; il commence par demander 
au général Ménard sous les ordres de qui il était à Monte- 
notte (2) ! Le reste est à l'avenant (3). 

Voilà où l'on en est ; et l'aperçu suivant de cette remar- 
quable campagne, au lieu des données positives qu'on pour- 
rait lui demander, ne peut fournir que quelque chose de beau- 
coup plus vague ; au lieu d'explications vraiment historiques, 
on n'y trouvera que des présomptions. 



(1) Les rapports de Bonaparte au Directoire ont été publiés à diverses 
reprises, et notamment dans la Campagne du général Buonaparte en Italie 
pendant tes années rr et \j par un officier général^ que possédait Clause- 
witz ; ils ne sont obscurs qu'en ce qui concerne les combats de Lonato, 
qui pouvaient être élucidés d'une part au moyen de certaines pièces de la 
Correspondance inédite^ d'autre part grâce aux relations autrichiennes. 

Les Mémoires de Napoléon n'étaient inexacts qu'au point de vue des 
effectifs, que Jomini fournit avec assez d'approximation. Si Clausewitz 
s'en était donné la peine, il aurait pu reconstituer très suffisamment cette 
campagne, et il commet des erreurs matérielles qu'il devait éviter. 

(%) Ces questions n'ont pas été posées par Napoléon, mais par Mon* 
tholon lui-même, sans doute après son retour de Sainte Hélène. Leur ton 
^ul indique qu'elles n'émanent pas d'un supérieur. Gomment Clausewitz 
s'y est-il trompé ? 

(3) L'histoire de cette campagne par le major général Decker, parue 
pluaiapd 4)ue toutes les autres, n'est pas plus utilisable que le reste et ne 
mérite pas plus de confiance. (Note de fauteur.) 



CHAPITRE PREMIER 



Forces et emplacements des troupes françaises. 



La fin de la campagne de 179S avait laissé les Français en 
possession de la rivière de Gènes, ainsi que de ]a crête de 
I^Âpennin, qui en forme la ceinture. Les Autrichiens occu- 
paient les pentes orientales de cette chaîne. 

La force et les emplacements des troupes françaises étaient, 
à la fin de mars, les suivants : 

Armée dltalie. — Elle se composait des divisions : 

Laharpe 8,000 hommes. 

Hasséna 9,000 — 

Augereau 8,000 — 

Sérurier 7,000 — 

Macquard 3,700 — 

Ganiier 3,300 — 

Cavalerie 4,000 — 

Total 43,000 hommes, 

qui ne disposaient pas de plus de 60 canons (1). 



(1) Le 10 avril, Tarmée d'Italie comprend ; 

Avant-garde commandée par Masséna 
(divisions Laharpe et Meynier) 18,000 hommes. 

Division Augereau (moins la brigade 
Rusca, détachée avec la division Séru- 
rier) 7,300 — 

Division Sérurier (y compris la brigade 
Rusca) 12,000 — 

1» division de cavalerie (Loano) 3,000 — 

Artillerie, etc ; 1,700 — 

Total (à reporter) 42,000 hommes. 



4 CHAPITRE PREMIER. 

Au commencement d'avril» les trois premières divisions 
étaient dans la Rivière, de Savone à Loano. Laharpe avait 
poussé jusqu'à Voltri une brigade commandée par le général 
Cervoni, dont le mouvement menaçait les Génois de manière 
à appuyer une demande d'emprunt que le Directoire faisait en 
ce moment à leur gouvernement. Cette brigade ne comptait 
donc pas, à vrai dii^e, dans le rassemblement principal des 
forces françaises. Ces trois divisions avaient, d'autre part, 
occupé la crête de l'Apennin, entre les différentes sources dé 
la Bormida, par de petits postes qui s'y étaient retranchés en 
partie. On ne découvre l'existence de ces postes qu'au cours 
des événements, de sorte qu'on reste dans l'ignorance sur leur 
nature, le jeu de leurs soutiens, aussi bien que sur Timpor- 
tance attribuée à cette défense des montagnes (1). 

La division Sérurier était placée vers les sources du Tanaro 



Report 42,000 hommes. 

Division Macquard 3.700 — 

— Garnier. 3,100' — 

2« divisioc de cavalerie (Oneille) i ,800 — 

Total de Tarmée d'opérations. . . 50,600 hommes. 
Divisions de la côte 10,400 — 

Total GÉNfiRAL 61,000 hommes. 

(1) On ne comprend pas cette observation de Clausewitz quand on sait 
qu*il avait entre les mains la Correspondance inédite de Napoléon Bona- 
partey où il y a 12 lettres de Masséna, 2 de -Marmont, 9 de Rusca et de 
Sérurier, relatives aux avant-postes. En particulier, la lettre de Masséna 
du 30 mars (page 26) énumère les positions occupées par ses deux divi- 
sions, et ses autres lettres (pages 23, 26, 30, 31, 37, 38, 39, 40, 41» 
50, 51) montrent les reconnaissances et les perfectionnements incessafnts 
dont il s'occupait, ainsi que les modifications apportées chaque jour 
d'après les mouvements de Tennemi. 

On remarquera que Bonaparte n'avait pas organisé une ligne d'avant- 
postes au sens propre jdu mot : chacun des postes occupés dans la mon- 
tagne (Stella, Monte-Legino, etc:) était gardé par plusieurs bataillons 
(1500 à 4,000 hommes), et il n'y avait pas en seconde ligne, de Savone à 
Loano, le tiers de Tavant-garde; Augereau avait 7^000 hommes sur la 
côte, mais Rusca et Sérurier avaient leurs 12,000 hommes en première 
ligne. L'armée était déployée et non concentrée derrière une ligne d'avant- 
postes.. Son front 'était de 80 .kilomètres. . > 



1 > 



FORCES ET EMPLACEBCENTS DES TROUPES FRANÇAISES. 5 

et dans la vallée supérieure de cette rivière, La cavalerie can- 
tonnait sur la côte en arrière de Tinfanterie. 

Les deux divisions Macquard et Garnier étaient cantonnées 
dans les vallées qui conduisent aux cols de Tende et de Cerise ; 
on peut les considérer comme un corps détaché en vue de 
relier Tarmée d'Italie a Tarmée des Alpes. 

Cette armée des Alpes, aux ordres de Kellermann, était 
forte de 20,000 hommes, et occupait les débouchés de la Sa- 
voie et du Dauphiné. 

En outre, les Français avaient encore deux divisions de ré- 
serve, comprenant 20,000 hommes, dans le comté de Nice et 
la Prqvence. Elles servaient de dépôts et de garnisons dans 
les ports menacés par les Anglais et assuraient le maintien de 
la paix à Tintérieur. 

Bonaparte fut mis à la tête de Tarmée d'Italie proprement 
dite, dont les deux autres étaient indépendantes (1). 

L'armée française était dans le dénuement le plus complet 
au point de vue de Talimentation et de l'équipement. C'est 
cette situation même que sut exploiter un général de 28 ans, 
entreprenant au plus haut degré, et dont il se servit pour 
obtenir l'offensive d'une suprême énergie par laquelle il 
ouvrit la campagne. 



(i) Les divisions de la côte, au nombre de trois et non de deux, avaient 
été réduites par Bonaparte à l'efiectif de 10,400 hommes, y compris une 
demi-brigade (16* légère) en route pour rejoindre Tarmée d'opérations. 
Ces divisions faisaient partie de l*armée d'Italie et ne constituaient pas 
une armée indépendante comme celle des Alpes. Le mouvement de troupes 
opéré du 4 au 10 avril, de Tarrière à Tavant, à la faveur de Tamalgame 
et par des opérations peu apparentes, est une des parties les plus remar- 
quables de la manœuvre. 



CHAPITRE II 



Les Alliés. 



La . principale armée autrichienne, sous 
le commandement personnel de Beau- 
lieu, comprenait 32,000 hommes. 

(Dont 1500 cavaliers napolitains.) 

Le corps de liaison autrichien, sous le 
général Colli 5,000 — 

Les troupes sardes, également sous Colli. 20,000 — 

Total 57,000 hommes, 

avec i48 pièces, sous le commandement supérieur de Beaulieu. 

La principale armée autrichienne était divisée en aile droite 
et aile gauche. 
L'aile droite, sous Argenteau, se composait des brigades : 

Liptay é bataillons. 

Ruccavina 4 — 

Pittoni 7 — 

Sullich 5 — et 2 escadrons. 

Total 20 bataillons et 2 escadrons. 

L'aile gauche, sous Sebottendorff, comprenait les brigades : 

Kerpen 5 bataillons. 

Nicolletti 6 — 

Rosselmino 4 — 

Schubirks » — 18 escadrons. 

Napolitains »i — i5 — 

Total 15 bataillons et 33 escadrons. 

Comme le tout, formant 35 bataillons et 33 escadrons. 



.LES ALLIES. 7 

comptait 27,000 hommes d'infiinlerië et 3,000 cavaliers, l'ef* 
fectif moyen du bataillon devait être de 700 à 800 hommes; 
de sorte qu'Argenteau avait de 15,000 à 16,000 hommes, 
Sebottendorff, i 6,000 a i 7,000. 

Seulement ce n^étaient pas les effectifs réels : Tarmée autri^- 
chienne avait, à la fin de mars, environ 7,000 malades, soit 
un cinquième de l'effectif ; de sorte que le corps de CoUi n'avait 
pas plus de 20,000 hommes ; l'aile droite du corps principal, 
12,000 ; l'aile gauche, 14,000, et le tout ne faisait pas plus de 
46,000 hommes. 

Pour trouver quelque chose de précis à dire sur la situation 
des Autrichiens, nous sommes déjà très embarrassés quand il 
ne s'agit que du fait matériel ; c'est bien pis s'il nous faut 
parler de leurs intentions et de leur caractère. Force est alors 
de nous contenter d'une ébauche des plus vagues. 

Colii s'était établi d'abord sur les contreforts septentrionaux 
des Apennins, comme une sorte d'avant-garde (i), tandis que 
les troupes autrichiennes prenaient leurs quartiers d'hiver sur 
le Pô et jusque sur l'Adda. On en était encore là à la fin de 
mars. 

Au commencement d'avril, Argenteau, qui se trouvait avec 
2 brigades du côté d'Acqui, fut poussé plus en avant, et Colli 
appuya à droite. Ce dernier prit alors position près de Ceva 
avec le gros de ses forces, soit 8 bataillons, laissant 4 batail- 
lons à Millesimo, avec Provera,.pour se relier avec Argen- 



(1) L'armée sarde était absolument distincte et indépendante de Karmée 
autrichienne ; celte division organique des forces alliées explique, pour 
beaucoup, la conduite de leurs chefs et le succès de Bonaparte. Les 
ayant -postes austro-sardes formaient non pas une ligne continue, mais 
en quelque sorte deux cercles ayant leurs centres à Ceva et Acqui, et se 
coupant sous un angle très aigu à De{;o. L'armée sarde ne pouvait pas 
être assimilée à une avant-garde de Tarmée autrichienne ; elle avait sa 
mission propre : défendre le Piémont pied à pied et couvrir Turin jus- 
qu'au jour où il plairait au Roi de traiter avec la France. L'armée autri- 
chienne, ne pouvant se ravitailler ni recevoir de renforts par Turin, devait 
garder sa communication avec Milan. Il était donc impossible de réunir 
ces deux armées et de leur faire prendre une ligne d^opërations unique. 



8 CHAPITRE II. 

teau, 2 bataillons à Murialto, des avant-postes vers Garessio, 
et ayant encore deux détachements de flanqueiirs : Tan i 
droite, vers Mondovi ; l'autre à gauche, vers Pedagera. 

Argenteau s'établit entre Ovado, dans la vallée de l'Orba, 
et Cairo, sur une ligne d'environ 10 lieues à vol d'oiseau, qui 
pouvait bien avoir IS lieues de développement en suivant les 
chemins. Il n'avait pas avec lui, tout d'abord, la moitié de ses 
troupes; au moment où la campagne commencera, il n'en 
aura guère plus de la moitié, soit 11. bataillons et 2 escadrons; 
le reste paraît n'avoir pas encore quitté les plaines du Pô. Il s'en- 
suit qu'il ne formait qu'une espèce de ligne d'avant-postes, car 
lorsque 6,000 à 7,000 hommes sont ainsi répartis sur un front 
de 15 lieues, dans un pays de montagnes ; que la ligne coupe 
vallées et contreforts, et qu'on veut tenir chaque vallée, chaque 
contrefort avec quelque chose, on peut juger à quel point 
tout est émietté en bataillons et en compagnies. Le poste le 
plus important était Sassello, occupé par 3 bataillons, et où 
Argenteau se tenait de sa personne. 

L'aile gauche autrichienne, qui s'était rassemblée yers Poz- 
zolo-Formigaro, envoya 4 bataillons jusque sur la Bocchetta et 
2 bataillons jusqu'à Gampo-Freddo. Une grande partie de ces 
détachements était encore en route pour venir de ses quar- 
tiers d'hiver du Milanais. 

Pour se faire une idée claire de la situation des alliés par 
rapport au terrain dans la première semaine d'avril, il faut se 
la figurer comme il suit : 

Pendant l'hiver, les Français étaient restés maîtres de la 
crête de l'Apennin; à vrai dire, ils ne l'avaient occupée du- 
rant la mauvaise saison que par de petits postes ; mais enfin 
ils pouvaient la considérer comme leur appartenant ; sans cette 
crête, ils n'auraient pu se maintenir dans l'étroite bande de 
terre de la Rivière. Les alliés, de leur côté, jugèrent que la 
.situation des Français, ainsi resserrés, favorisait singulière- 
ment leur propre offensive; ils trouvèrent bon de se maintenir 
sur les pentes septentrionales de la montagne, pour ne pas 
agrandir d'eux-mêmes le terrain dont disposaient les Français, 



LBS ALLIÉS. '-9 

ne pas leur fournir ainsi des moyens de subsistance et ne pas 
leur faciliter Virruptioa dans les plaines du Piémont. Tout en 
prenant leurs quartiers d'hiver dans les plaines de la Lom- 
bardie, ils laissèrent donc le corps de Colli dans la montagne 
et Argenteau en soutien, avec la moitié du sien, à Acqui. 
Quand vint le printemps, Beaulieu poussa Argenteau plus 
avant dans la montagne pour préparer son offensive et cou- 
vrir, comme une ligne d'avant-postes renforcée, le rassemble- 
ment du reste de l'armée vers Acqui et Novi. C'est ainsi 
qu'une moitié de l'armée alliée se trouvait au contact des 
Français, dans une formation très disséminée, tandis que 
l'autre se rassemblait. encore à plusieurs journées en arrière. 

C'est, le 17 mars que Beaulieu arrive à Alexandrie pour 
prendre Je commandement, ce qui suffit à montrer que le ras- 
semblement aUait seulement commencer. 

Une telle situation, qui avait été engendrée, comme on le 
voit, d'une façon assez naturelle, n'aurait pas encore amené 
de bien grands malheurs, si l'on avait choisi pour le gros une 
position de rassemblement beaucoup plus en arrière, et s'il 
avait été recommandé aux troupes avancées de se retirer à la 
première attaque sérieuse de l'ennemi. 

En négligeant de prendre des dispositions défensives de ce 
genre pour le cas où son adversaire attaquerait avant lui, 
Beaulieu a certainement commis une grosse faute. Il n'y avait 
pas de raison pour organiser une position de quelque étendue ; 
mais cette armée avait la rage des cordons, et elle se cristal- 
lisa dans les positions d'expectative qu'elle avait fait prendre 
à une partie de ses forces, tenant le moindre piton et le 
moindre sentier par une espèce de cordon; on voit bien, dans 
sa propre relation, quelle importance les grands et petits états- 
majors attribuaient à tous les détails topographiques, et avec 
quel soin ils en tenaient compte. A défaut d'autre plan de dé- 
fense, tout semblait reposer sur la résistance de chaque loca- 
lité et sur le secours faible et tardif que chaque poste pouvait 
prêter à son voisin. 

Telle était la situation dans laquelle se trouvaient les deux 



10 CHAPITRE U. 

armées au moment où la campagne allait' s'ouvrir, comme 
nous le verrons, par une offensive simultanée des deux adver- 
saires; c'est sur cette situation des uns et des autres que 
devaient reposer leurà plans respectifs. 
. Les Français se trouvaient, grâce aux positions stratégiques 
qu ils avaient prises et conservées depuis un an, dans una 
situation où ils ne pouvaient demeurer longtemps. Ils ne pou- 
vaient songer à faire toute une campagne avec une zone de 
manœuvres resserrée entre la mer et la montagne, où ils ne 
disposaient que d'une seule route, accolée à la côte, constam- 
ment inquiétée par la flotte anglaise, et d'une communication 
unique, située tout à fait à leur gauche. Le moindre succès de 
Tennemi de ce côté les menaçait d'un désastre complet. 

La situation des alliés était devenue dangereuse, grâce à 
leurs propres fautes.. La moitié de leur armée formait une 
chaîne de postes qui, sur un développement de 12 à IS milles, 
tenaient tous les contreforts et toutes les vallées de l'ÂpenniD, 
et n'étaient reliés entre eux que par des communications pré- 
caires; on ne pouvait espérer qu'ils se défendraient avec 
succès contre une attaque énergique; bien plus, il était a 
craindre qu'on ne perdît plusieurs de ces postes isolés, et 
même des bataillons entiers. 



CHAPITRE III 

Comparaison des deux années 
et des deux généraux* 



Tandis que rarmée française manquait de tout, Tannée au- 
trichienne devait être abondamment pourvue; tout bien pesé, 
on peut conclure de sa force en artillerie, de la richesse de 
ses cantonnements, ainsi que de ses procédés administratifs, 
qu'elle n'a pas dû manquer du nécessaire, quoi qu'en disent 
les nombreuses relations qui attribuent au manque d'approvi- 
sionnements de toute sorte l'ouverture tardive de la campagne. 
Mais quant à cette abondance où les écrivains français nous 
montrent les alliés, pour produire un contraste plus sensible 
avec la misère de leur propre armée, il ne faut pas se figurer 
qu'elle ait jamais été de nature à influer avantageusement sur 
l'esprit des troupes et le fonctionnement de la machine. Les 
alliés avaient encore pour usage de tenir leurs troupes dans 
cet état de famine systématique habituel aux armées du 
XVIII* siècle. L'abondance ne régnait que pour les mille dé- 
tails plus ou moins inutiles de paquetage et d'équipement dont 
s'encombraient les préjugés de l'ancienne armée ; elle ne con- 
tribuait pas au bien-être du soldat. Bien au contraire, celui-ci 
était en proie, dans son service sur les hautes chaînes ou dans 
les rudes vallées de l'Apennin, à la misère, à la fatigue et au 
découragement ; si l'on en croit les rapports des témoins ocu- 
laires (1), cette situation, jointe aux combats malheureux de 

(I) Lettres d^ltulie. Contribution a P histoire et à la description des 



12 CHAPITRE III. 

la campagne précédente, mettait le soldat autrichien dans des 
dispositions déplorables. 

Qu'on songe à l'état, aux dispositions, à la valeur propre 
des deux armées : avec des bandes affamées, déguenillées, 
mais aux passions exaltées, convoitant avidement les marmites 
italiennes (et voilà bien ce qu'était l'armée française), il est 
clair qu'on pouvait entreprendre plus qu'avec les mercenaires 
autrichiens, abattus, n'ayant plus conscience d'eux-mêmes, et 
que rien ne pouvait encourager, ni le passé, ni le présent, ni 
l'avenir. Nous n'en faisons ni un sujet de louange ou de 
blâme, ni surtout une question de race; nous découvrons sim- 
plement dans la situation même le germe d'où sont sortis les 
événements (!)• 

En ce qui concerne les généraux, la comparaison n'était pas 
moins désavantageuse. Bonaparte avait 27 ans, Beaulieu 72. 
Le premier venait.de s'ouvrir une carrière briUaate, où, à 
force d'audace et de témérité, il pouvait tout gagner et n'avait 
rien à perdre; l'autre était au bout de la sienne. Bonaparte 
avait une forte éducation classique, et les plus grands évéâe- 
ments de Thistoire du monde s'étaient déroulés sous ses yeux; 
Beaulieu était formé par soixante années du pédantisme ofQ-> 
ciel, le plus proprç à déprimer l'intelligence et le caractère. 
Bonaparte pouvait considérer les maîtres de la France comme 
ses égaux, eux qui avaient dû leur existence à son épée le 
13 vendémiaire; Beaulieu était le serviteur d'une antique 
maison impériale et l'instrument d*un conseil aulique lourd. et 
empesé. Bonaparte connaissait l'Apennin comme sa poche. 



armées autrichiennes en Italie dans tes campagnes de 1794, 1795, 1796 
CM797. 

Lorsqu'un livre est écrit à un point de vue assez mesquin, avec un tas 
de jérémiades, comme Test celui-ci, on ne peut. asseoir sur lui un juge- 
ment d'ensemble, parce qu'il attribue trop d'importance à des détails ; 
mais on peut cependant en tirer parti, quand c'est justement le détail que 
l'on a en vue. {Note de Cauteur,) 

(1) Il ne semble pas que cette observation soit juste. Les troupes autri- 
chiennes ont montré constamment une valeur et une énergie irrépro- 
chables. 



COMPARAISON DES DEUX ARMEES ET DES DEUX GÉNÉRAUX. 13 

car il y avait joué un rôle important dans la campagne de 
1794 ; pour Beaulieu, la montagne et son genre de guerre 
étaient chose toute nouvelle. Au reste, Beaulieu n'était pas un 
homme médiocre ; il n'avait pas seulement combattu avec 
distinction aux Pays-Bas, ce qui lui avait valu l'honneur d'être 
appelé à ce commandement, mais encore il ne manquait pas 
d'énergie, et il s'élevait notablement au-dessus du niveau des 
officiers de carrière ; mais ce n'était pas suffisant dans le cas 
présent. Cela ne lui suRit même pas à gagner d'emblée la con- 
fiance de son armée; il semble, au contraire, qu'un souffle de 
cabale et d'indiscipline s'y soit élevé dès son arrivée. 

Qu'il en était autrement, — et c'est par la que nous voulons 
finir, — du côté de Bonaparte 1 A la première revue qu'il 
passa, il dit à ses soldats : (c Soldats, vous êtes nus, mal 
« nourris ; le gouvernement vous doit beaucoup, il ne peut 
« rien vous donner. Votre patience, le courage que. vous 
« montrez au milieu de ces rochers, sont admirables; mais ils 
M ne vous procurent aucune gloire, aucun éclat ne rejaillit sur 
M vous. Je veux vous conduire dans les plus fertiles plaines 
« du monde. De riches provinces, de grandes villes seront en 
a votre pouvoir ; vous y trouverez honneur, gloire et richesses. 
a Soldats d'Italie^ manqueriez-vous de courage ou de cons- 
« tance? » • 

Était-il possible qu'une pareille allocution à de pareils sol- 
dats manquât son effet, surtout venant d'un jeune homme 
plein de talent et de résolution? Ne devait-il pas exciter un 
véritable enthousiasme et devenir, du coup, le dieu de son 
armée? 

Bonaparte n'a jamais rien écrit ni rien fait de mieux que 
cette vigoureuse exhortation. 



CHAPITRE IV 



Les États italiens. 



Quoique les hostilités eussent lieu sur le territoire de Gènes, 
cette ville restait pourtant dans une sorte de neutralité, que 
lui valaient sans contredit ses fortifications. 

Les autres États de l'Italie du Nord, Parme, Modène, Tos- 
cane, Lucques, Venise, quoique leurs gouvernants fussent 
attachés aux Autrichiens, s'abstenaient cependant par frayeur 
de prendre part à la guerre ; ils croyaient ainsi rester neutres, 
quoiqu'il fût facile de prévoir que les Français ne tiendraient 
aucun compte de cette neutralité. 

' Dans le Sud de l'Italie, le pape avait avec la France des 
relations très tendues, quoique encore paciBques, tandis que 
le roi de Naples avait fourni un corps de 1500 cavaliers à 
Beaulieu, 



CHAPITRE V 



Plan d'opérations. 



Les deux généraux voulaient Tun et l'autre passer à TofFen- 
sive, mais, à vrai dire, suivant des conceptions bien diffé- 
rentes. L'offensive de Beaulieu n'avait pour but que de chasser 
les Français de la Rivière, de s'emparer des Alpes maritimes, 
de diminuer le front à défendre, de pousser jusqu*à la mer et 
de se lier plus étroitement avec les Anglais. Si l'on y réussissait^ 
on espérait afBrmer cette prise de possession par une guerre 
de postes en montagne, et même, le cas échéant, inquiéter les 
Français jusqu'en Provence. 

Dans des circonstances ordinaires et contre un général ordi- 
naire, ce projet n'aurait rien eu d'irréalisable, et, Tannée 
précédente, le même plan avait été exécuté à peu près par le 
général de Vins. Ce plan ressemblait à tous ceux qu'on forme 
lorsqu'on fait la guerre sans y chercher la solution radicale. 
Mais, en face de lui, représentez- vous Bonaparte, et tel que 
nous avons appris à le connaître depuis ; franchement, il est 
bien naturel de voir cette pauvre attaque tomber à plat devant 
la puissance de son adversaire, puis conduire aux complica- 
tions les plus déplorables. Mais on ne concevait pas encore 
Bonaparte, et l'ère nouvelle n'était pas encore ouverte pour 
les armes françaises. Les campagnes de 1793, 1794 et 179S, 
dans les Alpes, avaient présenté des alternatives de succès et 
de revers; la défaite de Loano, en 1795, pouvait se comparer 
aux autres événements du même genre; A la vérité, lés Fran* 
çais avaient remporté des succès inaccoutumés dans les Pays» 



16 CHAPITRE V. 

Bas ; mais le cabinet de Vienne savait bien que des causes 
politiques y avaient fortement contribué; en revanche, la 
campagne de 1795 sur le Rhin avait été assez favorable aux 
armes autrichiennes. Tenez compte de tout cela, et vous trou- 
verez bien naturel que le gouvernement autrichien ne s'at- 
tendît pas aux coups décisifs qui vinrent le surprendre dans 
l'Apennin ; il se croyait en droit d'attendre un résultat médiocre 
de ses efforts médiocres. 

Bonaparte venait de recevoir du Directoire l'ordre de passer 
à l'offensive, et, s'il ne l'avait pas reçu, il se le serait donné 
lui-même. Sa proclamation dit tout à ce sujet. Il avait besoin 
d'argent, de vêtements, de chevaux, de vivres, et tout cela se 
trouvait dans les plaines de la Lombardie. L'armée ennemie, 
lors même qu'elle eût été plus forte d'un tiers que la sienne, 
comme il peut bien l'avoir cru, n'était pas en mesure de se 
rassembler pour faire face à une attaque subite ; il avait le 
droit de compter la détruire en détail, car, en montagne, l'as- 
saillant peut toujours réussir quand on ne lui oppose qu'une 
défensive absolue; enBn, c'était une armée coalisée ayant 
deux lignes de retraite différentes : il pouvait espérer rompre 
l'alliance par un premier succès et partir de là pour en rem- 
porter d'autres. 

Ces idées se présentaient trop spontanément à Bonaparte 
pour qu'il eût besoin d'attendre des ordres supérieurs. Au 
reste, il appartient bien à l'histoire de cette campagne de dire 
qu'elles étaient contenues implicitement dans l'instruction en- 
voyée à Bonaparte par le Directoire : Détacher la Sardaigae 
de l'alliance autrichienne, l'agrandir aux dépens du Milanais 
pour en arriver à une alliance défensive et offensive avec elle, 
tel était le but qu'on lui indiquait. Mais le moyen le plus rapide 
pour y arriver, ce serait, lui disait-on, d'atteindre et d'éloigner 
d'abord les Autrichiens, les plus puissants • des deux alliés . 
Il faudrait donc frapper les coups les plus violents sur les 
Autrichiens et ne faire, du côté de Ce va et des Piémontais, 
que le strict nécessaire pour la sécurité de son flanc gauche ; 
les' Autrichiens seraient ensuite refoulés sur le Pô et le MiIa-> 



PLAN d'opérations. 17 

nais conquis. TeUes sont les idées essentielles de Tinstruction 
assez confuse, et quelque peu semée de contradictions, que le 
Directoire signa le 6 mars, et qu'il faut naturellement attribuer 
au seul Carnot. L'idée fondamentale de porter ses coups de 
préférence sur Tarmée autrichienne, parce qu'elle était son 
principal adversaire, mérite certes beaucoup d'éloges ; elle 
sort du chaos des errements stratégiques de Tâge précédent ; 
mais il ne faut pas chercher encore dans cette instruction une 
logique et une clairvoyance absolues ; et, même comme ampli- 
tude, ce qu'elle projette d'entreprendre et d'exécuter a été 
dépassé de beaucoup par les proportions grandioses de ce qui 
s'est accompli dans la réalité. 

Nous sommes obligés de nous arrêter un instant sur cette 
idée fondamentale, car nous rencontrons ici une des questions 
les plus importantes de la stratégie : quelle attention mérite le 
centre de gravité des forces ennemies? La fraction la plus 
importante et le centre de gravité de l'armée alliée se trouvaient 
bien du côté des Autrichiens ; ce n'est pas douteux. Mais quel 
intérêt ce fait peut-il avoir par lui-même? Aux yeux des Direc- 
teurs il en a un très grand ; ils comptent qu'une victoire sérieuse 
sur les troupes autrichiennes paralyserait la Sardaigne et la 
contraindrait à traiter ; il leur semble qu'il sufBt d'autoriser le 
général à exercer une pression insignifiante du côté des 
Sardes. Bonaparte, qui a fait reproduire cette instruction dans 
ses mémoires avec quelques petites notes éminemment mépri- 
santes, traite ces considérations d'ineptie parfaite. Cette exé- 
cution sommaire nous engage plus vivement encore à discuter 
ce point d'après nos principes ; bien qu'il soit passé de mode 
depuis longtemps de considérer le général Carnot comme le 
stratège par excellence, gardons-nous de nous laisser égarer 
par les dédains d'un grand capitaine. Il est nécessaire d'élu- 
cider ici la corrélation intime qui peut exister entre les élé- 
ments que nous considérons, et nous ne nous laisserons pas 
troubler par l'éclat d'un grand nom. 

Si les Français avaient possédé la supériorité numérique 

nécessaire pour repousser d'emblée les Autrichiens, non seu- 

2 



18 CHAPITRE V. 

lement hors de la Loinbardie, mais encore du Frioul, et même 
au delà des Alpes de Carynthie, et pour marcher sur Vienne, 
ce seul fait aurait certainement sufQ a décider la cour de Turin 
à faire sa soumission, sans que rien fût tenté directement 
contre elle. Il n'est pas un homme raisonnable qui, en exami- 
nant la situation telle qu'elle était en 1796, ne soit de notre 
avis. 

Mais à supposer même que ce fût le cas, aurait-on pu né- 
gliger complètement d'observer les Sardes et tourner toutes 
ses forces contre les Autrichiens ? 

On l'aurait pu si la situation géographique avait été autre : 
si, par exemple, la monarchie sarde avait été située près de 
l'Autriche, ou, du moins, ne s'était pas trouvée voisine de la 
base d'opération des Français. Mais cet État s'étendait en tra- 
vers de leur ligne de communications, exactement sur les der- 
rières de leur armée, qu'il séparait de la France ; il n'avait 
qu'à appuyer le doigt pour boucher cet étroit précipice de la 
Rivière, où passait la ligne de communications des Français. 
On n'aura jamais à craindre, évidemment, une opération de 
grande envergure, comportant des difïïcultés, des sacrifices, 
de la résolution, de la part d'un ennemi secondaire, quand 
l'ennemi principal sera battu; on pourra même, en général, le 
négliger presque entièrement; mais ici, sans bouger, rien 
qu'en organisant un service de patrouilles, il pourrait faire un 
tort sensible; nous voilà donc obligés, de toute façon, de 
diviser nos forces ; il faudra charger un détachement, aussi 
faible qu'on voudra, mais enfin qui ne soit pas tout à fait 
disproportionné, d'exercer sur lui une pression qui l'amène à 
modifier son attitude, pression qui, en tout autre cas, se pro- 
duirait simplement par la force des choses. 

En conséquence, lors même que le succès aurait pu s'obtenir 
en se bornant à frapper constamment les forces autrichiennes, 
on ne l'eût pas atteint sans laisser un détachement secondaire 
en face des Sardes. Mais l'armée française n'avait pas la supé- 
riorité vouhie pour être sûre de vaincre les Impériaux; un 
échec était encore possible, et si l'on faisait entrer cette possî- 



PLAN d'opérations* 19 

bilité en ligne de compte, la puissance sarde se trouvait natu- 
rellement prendre une importance d'un tout autre ordre. Que 
l'armée française ne poursuivît pas Je cours de ses victoires, 
ses communications avec la patrie prenaient bien plus d'im- 
portance, exigeaient plus de sollicitude ; qu'elle fût battue et 
dût évacuer Tltalie, les Sardes pouvaient amener sa ruine. 

Dans le cas présent, du reste, les Autrichiens étaient encore, 
au début, la puissance principale, celle où résidait le centre de 
gravité de l'ensemble ; leurs mouvements pouvaient, jusqu'à 
un moment donné, réagir sur ceux des Sardes ; mais, ce mo- 
ment passé, la dépendance étroite cesserait, l'influence du 
centre de gravité général deviendrait plus faible, plus incer- 
taine, insufBsante, et, dès lors, il faudrait considérer l'armée 
sarde comme une masse indépendante, que n'atteindraient pas 
les coups frappés sur l'armée autrichienne. 

Résumons nos conclusions : 

Tant que les deux armées restaient sur un même théâtre 
d'opérations et dans un voisinage immédiat, les Autrichiens 
étaient, sans conteste, le groupe où résidait le centre de gra- 
vité ; ils le seraient restés pour toute la campagne, s'il n'avait 
pu arriver qu'ils fussent entièrement chassés de l'Italie, et les 
Sardes tout à fait isolés. Mais, que l'armée française les 
ramenât jusque sur le Mincio ou l'Adige, ils perdaient alors 
cette propriété que nous envisageons, parce qu'ils se sépa- 
raient des Sardes ; l'action de ceux-ci devenait indépendante, 
et, par leur situation, ils avaient plus d'importance que les 
Autrichiens, 

Mais, dans la réalité, les Français n'avaient pas la supério- 
rité qui autorise précisément notre première hypothèse ; ce qui 
pouvait leur arriver de plus heureux, c'est que les Autrichiens 
fussent chassés du Milanais. Ce succès aurait-il ému la Sar- 
daigne au point de l'amener à rester immobile, puis à traiter? 
La chose est très douteuse, et le chef de l'armée française ne 
pouvait se contenter de cette présomption pour garantir la 
sécurité de son armée. Dans une pareille incertitude sur les 
dispositions politiques de la cour de Turin, il ne pouvait pas, 



20 CHAPITRE V. 

après un succès qui eût rejeté les Autrichiens au delà du Pô, 
laisser 10,000 hommes sur 40,000 en face de CoUi, et passer 
le fleuve avec 30,000 ; il ne pouvait pas chasser les Autrichiens 
du Milanais, passer le Mincio, investir Mantoue, atteindre 
TAdige, tandis que, dans son dos, 30,000 a 40,000 Sardes, 
maîtres d'une foule de places fortes bien closes, se feraient les 
bons portiers de ses communications si précaires. Voilà ce que 
Bonaparte appelle une absurdité, et il a pleinement raison, et 
tout ce que dit Tinstruction du Directoire sur la nécessité de 
ne pas perdre ses forces du côté des Sardes et de les rassem- 
bler contre les Autrichiens, manque de justesse et de clarté ; 
c'est un vrai galimatias. Une victoire sur les Autrichiens aurait 
pu être poursuivie jusque sur le Pô ; mais il devenait alors 
nécessaire d'en remporter une autre sur les Sardes et de la 
couronner, autant que possible, par une paix ou un armis- 
tice. 

Une puissance secondaire ne mérite qu'une indifférence 
absolue quand on peut la battre du même coup que la plus 
importante ; mais, quand tel n'est pas le cas, il convient de se 
jeter sur elle dès qu'on le peut, avec la majeure partie de ses 
forces, parce qu'elle cédera immédiatement et sera réduite à 
traiter. 

C'est ainsi, pensons-nous, qu'il faut envisager la question 
et choisir le but attribué à la fraction principale d'une armée, 
du moins en ce qui dépend du centre de gravité des forces 
ennemies. Mais la position de ce dernier ne fait pas tout ; il 
faut tenir compte aussi des résultats immédiats qu'on entre- 
voit. En principe, ceux-ci seront plus grands lorsque l'action 
de la masse principale se poursuivra dans une direction 
unique ; mais ce n'est pas d'une nécessité absolue ; par suite 
de circonstances particulières, on peut se promettre une vic« 
toire bien plus féconde en agissant dans une direction secon- 
daire. Cet avantage particulier, à portée de la main, peut pré- 
valoir sur le résultat général encore éloigné. Il y avait, à ce 
point de vue, de nouvelles raisons pour qu'on se tournât, un 
jour ou l'autre, contre les Sardes. Les Autrichiens pouvaient 



PLAN d'opérations. 21 

se retirer; leurs troupes étaient meilleures, plus solides que 
celles des Sardes ; il n*y avait donc pas à attendre, d'une 
action contre eux, les mêmes trophées et le même anéantisse- 
ment des forces adverses qu'en s'en prenant aux Sardes; 
ceux-ci étaient déjà acculés à leur capitale, et, si le roi ne 
saisissait pas vivement Toccasion de traiter, Topinion publique 
menaçait de le renverser. 

Le jugement de Bonaparte est donc, à notre avis, et au 
point de vue où nous nous sommes placés, parfaitement 
justifié. 



CHAPITRE VI 



Ouverture de la campagne. 



Bonaparte arriva à Nice le 27 mars. Plusieurs mesures 
importantes d'ordre administratif lui prirent quelques jours ; 
il se mit ensuite à la tête de tout le quartier général, qui n'a- 
vait presque pas quitté Nice depuis deux ans et s'y était 
quelque peu rouillé, et il suivit avec lui toute la route de la 
Corniche, sous le feu des navires anglais, faisant sentir ainsi 
ce que la situation avait de précaire. 

Le 9, il arrive à Savone, résolu à prendre immédiatement 
Toffensive. 

Il décide de franchir les montagnes, entre les sources de la 
Bormida, avec les 3 divisions qui cantonnent de Savone à 
Loano. C'est là que se soudent les Alpes et l'Apennin, dans 
une dépression qui laisse les Alpes à TOuest et l'Apennin à 
l'Est. Avec ces 3 divisions, qui, déduction faite des malades, 
comptaient environ 25,000 hommes (i), il va tomber sur le 
centre des Autrichiens, battre les corps qui lui sont opposés là 
et séparer ainsi les deux ailes (2) ; pendant ce temps, Sérurier 



(1) Nous faisons abslraction ici des malades pour les deux partis, et 
nous nous en tenons aux chiffres du début ; en effet, la proportion des 
malades n'aura pas dû être très différente dans les deux partis (ou, du 
moins, nous ne voyons jamais rien qui puisse le faire supposer), et dans 
chaque action il n'y a lieu de considérer que le rapport des forces en pré^ 
sence. {Note de l*auieur,) 

(2) Bonaparte n'attaque pas le centre des Autrichiens ; il se porte dans 
le vide laissé entre les Sardes et les Impériaux. Il ne sépare pas les deux 
ailes de Beaulieu, mais déborde et écrase sa droite aventurée à Monte- 
notte, en la prenant en flanc. 



OUVERTURE DE LA CAMPAGNE. 23 

descendra dans la vallée du Tanaro de Garessio sur Ceva, 
pour fixer CoUi (1). Pour ce qu'il aura à faire ensuite, Bona- 
parte s'en remet aux circonstances (2). 

Au moment où le général français décide cette attaque et en 
ordonne les mouvements préparatoires, Beaulieu déclenche la 
sienne avant même d'avoir fini de rassembler son armée. Le 
général GoUi, qui avait fait la guerre dans cette région depuis 
plusieurs années, proposait ce qui suit à Beaulieu : En défal- 
quant la cavalerie, inutilisable en montagne, et quelques déta* 
chements nécessaires, on avait 38,000 hommes ; qu'on les jetât, 
en deux colonnes, de Gairo et Ceva, dans la direction de 
Loano, considéré comme le centre des positions françaises, et 
qu'on enlevât leur droite. G'était, sans contredit, le meilleur 
plan possible pour une attaque sérieuse. Il promettait les plus 
grands résultats, avait toutes les chances possibles de réussir 
et, en cas d'insuccès, présentait le minimum de risques. En 
somme, Beaulieu avait pour base toute l'Italie, et il était bien 
impossible aux Français de menacer cette base tant soit peu 
sérieusement par leur droite, en partant d'un étroit défilé 
comme la Rivière ; la concentration de la plus grande partie 
des forces sur le centre était donc sans danger ; d'ailleurs, 
quand on est concentré, on a tout â espérer dans la bonne for* 
tune et peu â craindre dans la mauvaise. 

Beaulieu rejeta ce plan. Il voulait restreindre encore pjus 



(1) Sérarier ne fixe pas GoIH en descendant sur Ceva. Au contraire, ce 
qui immobilise Tarmée sarde, c*est la présence des Français entre Garessio 
et Ormea, d*où ils peuvent descendre sur Mondovi et couper la commu<^ 
nication des Piémontais si ceux-ci se portent à l'est de Ceva. Colli reste 
concentré entre Ceva et Mondovi, et ne quitte cette dernière ville que le 
jour où Sérurier prononce son attaque sur Ceva. 

(2) C'est au contraire ce quil aura à faire ensuite que Bonaparte a 
déterminé d'abonL II s*est fixé un but avant d'agir : il veut séparer les 
Sardes des Impériaux et les contraindre à la paix. 11 y a deux ans que son 
plan est arrêté : battre les Autrichiens dans la région de Montenotte, Sas- 
sello, Dego, puis se porter contre les Piémontais, enlever leur camp de 
Ceva, marcher sur Turin. Il ne va pas à l'aventure et ne règle pas sa con* 
dnite au jour le jour. 



24 CHAPITRE VI. 

son entreprise, diriger ses efforts exclusivement contre l'aile 
droite des Français, que, d*après la présence de Cervoni à 
Vollri, il croyait étendue jusque-là et un peu en Tair. Il pen- 
sait ainsi : 

!• Intercepter toute relation des Français avec Gênes, dont 
il craignait la faiblesse ; 

2^ Se relier immédiatement avec Tamiral Jcrvis, qui croisait 
le long de la côte ; 

3® Ne pas s'engager lui-même contre la masse principale 
des Français et, par conséquent, risquer moins en ne s'atta- 
quant qu'à une fraction subordonnée. 

Les deux premiers de ces résultats ne présentaient évidem- 
ment qu'un intérêt très secondaire ; quant au dernier, il avait 
sa contrepartie : le danger que l'ennemi obtint, d'un autre 
côté, la solution radicale que Beaulieu ne cherchait pas. 

Ce qu'il y a de plus extraordinaire, c'est que Beaulieu pro- 
nonce son attaque avant que son armée ne soit concentrée, 
car son premier combat est livré le 10 avril, et il semble que, 
le 15 et le 16, des troupes venant de Lombardie sont encore 
arrivées à Acqui. 

Le motif de cette hâte était d'abord sa préoccupation de 
Gênes, qui aurait, certes, pu se tirer d'affaire toute seule, mais 
dont la pusillanimité se voyait bien plus menacée par Cervoni 
qu'elle ne Tétait réellement ; d'un autre côté, les Autrichiens 
avaient gardé du temps passé l'habitude de ne penser qu'à 
des résultats partiels d'un côté ou d'un autre, dans des entre- 
prises partielles comme celle qu'ils avaient en vue ; aussi ne 
trouvaient-ils rien d'inquiétant à mettre celles-ci en train avant 
de disposer de toutes leurs forces (1). 



(1) Il est important de remarquer que Beaulieu essayait d'enlever les 
deux divisions de Masséna en pays de montagnes avec des forces tout au 
plus égales à celles de ce dernier. Gela dispense de rechercher d'autre 
cause à son insuccès. 



OUYERTURE DE LA CAMPAGNE. SS 

Ainsi nous trouvons les deux généraux sur le point de pro- 
céder à leur attaque. Beaulieu devance son adversaire de 
deux jours, et, du 10 au 15 avril, se déroule une série de 
combats qui portent le nom collectif de bataille de Montenotte 
et de Millésime, et qui sont comparables, par leurs consé- 
quences générales, aux victoires les plus décisives. 



CHAPITRE VII 



Combat de Voltii, le 10 avril. 



Beaulieu s^était porté, le 10 avril, avec 10 bataillons et 
4 escadrons, divisés en deux colonnes, contre Taile droite des 
Français ; il voulait les attaquer de deux côtés i la fois, les 
repousser avec pertes, et, comme on le dit volontiers, les cul- 
buter. Il les culbuterait aussi loin que pourraient aller ses 
8,000 hommes. 

La colonne de l'aile gauche (5 bataillons et 4 escadrons, 
sous le général Pittony) suivit la route de la Bocchetta jusqu'à 
Conegliano et se rabattit de là sur Voltri. L'attaque fut exé- 
cutée le lendemain. 

L'autre colonne, avec laquelle marchait Beaulieu, compre- 
nait 6 bataillons sous Sebottendorf. Elle prit par Campo- 
Freddo et tomba dans le flanc gauche de Cervoni par les mon^ 
tagnes. Son avant-garde, composée d'un bataillon, sous le 
colonel Wukassowitch, attaqua les postes qui couvraient le 
flanc gauche des Français, les refoula et prononça elle-même, 
le soir, dans l'obscurité, une attaque sur Voltri. Cervoni fut 
ainsi amené à se retirer pendant la nuit, laissant à Voltri 
10 offlciers et 170 hommes (probablement blessés). Ce fut tout 
le résultat de cette attaque. 

Cervoni poursuivit sa retraite le H jusque vers Savone, 
puis jusqu'à la Madonna de Savone, où il se réunit à la divi- 
sion Laharpe. 



COMBAT DB VOLTRI, LE 10 AVRIL. 



27 



Aucune relation ne fait savoir jusqu'où les troupes de 
Beaulieu s'avancèrent le long de la côte. Beaulieu était à Vol- 
tri, et conférait avec Nelson (1). 



(i) Les troupes de Sebottendorf s'arrêtèrent à Yoltri le iO au soir» 
Elles y restèrent inutiles jusqu'au 16, jour où commencèrent les marches 
de concentration vers Acqul. 



CHAPITRE VIII 



Combat de Montèlagiiio, le 11 a^vriL 



Argeoteaa reçut le 9, de Beaoliea, Tordre de se porter le 
lendemain sor Montenotte et de chasser les Français des hau- 
teurs environnantes, qu'ils n'occupaient que faiblement La 
possession de ces hauteurs assurait, aux yeux de Beaulieu la 
liaison immédiate de sa gauche et de son centre, et lui per- 
mettait de prendre ses résolutions ultérieures d après les cir- 
constances. 

Argenteau, avec tous ses postes, ne crut pas pouvoir em- 
ployer plus de 6 bataillons à cette attaque, et, comme il 
appela, pour couvrir son flanc droit, deux bataillons de Sas- 
sello, on voit que ceux-ci y étaient demeurés. Ces deux 
bataillons ne prirent pas part au combat, et les six bataillons 
avec lesquels il se porta en avant pouvaient faire de 3,000 à 
4,000 hommes. 

Ce ne fut que le 1 1 , à trois heures, qu'il les porta sur Mon- 
tenotte, sans doute parce que la journée du 10 s'était passée à 
les rassembler. 

Argenteau ne rencontre sur les hauteurs que de petits 
postes, qui se retirent presque sans résistance et se groupent 
sur un contrefort élevé qui court de Montenotte vers Savone 
le Monte-Legino. Là, sur une petite crête étroite, se trouvaient 
quelques retranchements abandonnés. Les Français y furent 
rassemblés par le colonel Rampon, envoyé en soutien avec 
2 bataillons de la division Laharpe. Cet ofBcier se jette avec 



COMBAT DE MOliTELEGIMO, LE 11 AVRIL. 29 

ses 1200 hommes dans les retranchements et leur fait jurer, 
sous le feu de l'ennemi, de mourir plutôt que de quitter leur 
poste. Tous les efforts tentés alors par les Autricliiens, auxquels 
il pouvait rester de 2,000 à 3,000 hommes, ne purent avoir 
raison de sa résistance. La nuit vint, et ils durent se replier 
sur les hauteurs en arrière. 



L 



CHAPITRE IX 



Combat de Montenotte, le 12 avril. 



Quand Bonaparte vit, le 11, Beaulieu s'avancer dans la 
Rivière et Argenteau occuper Montenotte, il résolut de passer 
immédiatement à rofTensive ; il la prononça avec les 3 divi- 
sions Laharpe, Masséna et Augereau, contre Argenteau, pour 
écraser ce dernier aussi complètement que possible par sa 
supériorité numérique et par une attaque enveloppante. 

Dans la nuit du 11 au 12, les 3 divisions de Bonaparte se 
mettent en mouvement. Laharpe gravit le Monte-Legino, s'ar- 
rête en arrière de la redoute, et le 12, au point du jour, 
attaque Argenteau de front. Masséna, avec lequel marchait 
Bonaparte, passe un peu plus à gauche, par Altare, et déborde 
immédiatement le flanc droit des Autrichiens. Plus à gauche 
encore, Augereau a atteint, dès le 11, les hauteurs de San- 
Giacomo; il se porte sur Cairo, pour prononcer un mouvement 
de plus grande envergure, et, conversant ensuite à droite, 
donner la main à Masséna (1). 

Donc, au point du jour, Laharpe attaque de fronL Le 
brouillard favorise le mouvement de Masséna ; il ne trouve 



(1) Augereau n*attaque pas. U va occuper avec ses 6,000 hommes, les 
5,000 hommes de Joubert et Dommartin, 1500 artilleurs et 500 cavaliers, 
la position centrale de Carcare et Cairo entre les Sardes et les Autrichiens. 
Il n*est pas destiné d*emblée à exécuter un grand mouvement tournant 
autour de ces derniers. Une fois Cairo occupé, il agira d'après les circon* 
stances. 



COMBAT DE MjONTEliOTTB, LE 12 AVRIL. 31 

qu'un bataillon à Ferreiro (1), couvrant le flanc droit de l'en- 
nemi, le culbute et tourne complètement Taile droite de d'Ar- 
genteauy qu'il prend absolument à revers, pendant que celui-ci 
fait une vigoureuse résistance de front. Aussitôt que d'Argen- 
teau s'en aperçoit, il laisse 2 bataillons devant Laharpe, pour 
se dégager par derrière ; mais il est trop tard ; il est obligé de 
se jeter en désordre dans la vallée de TErro et ne s'échappe 
qu'avec 700 hommes vers Ponte-Invrea. 

Les Autrichiens n'auraient perdu dans ce combat, à les en 
croire, que 300 morts et blessés à peine et 400 disparus. Pour- 
tant, comme, de leur propre aveu, 2 bataillons entiers ont été 
perdus et que, des 3 autres, il n*a échappé que 700 hommes, 
leur perte totale a dû être de 2,000 à 3,000 hommes ; cela 
n'empêche pas que quelques-uns d'entre eux se soient retrouvés 
plus tard sous les drapeaux. 

Argenteau ne se replia pas avec les débris de sa division 
sur Sassello, où il avait 4 bataillons, ni sur Dego, où il avait 
2 bataillons et demi, mais entre ces deux localités, et vint à 
Paretto, près de Spigno, sur la route d'Acqui. 

La division Augereau n'avait pu prendre part à ce combat. 

Le résultat de cette combinaison stratégique avait été que 
Masséna et Laharpe, soit 14,000 à 15,000 hommes, avaient 
combattu 3,000 à 4,000 Autrichiens. 

Aussitôt que Beaulieu voit Argenteau engagé sérieusement, 
le 11, il envoie le colonel Wiikassovitch avec 3 bataillons sur 
le Mont-Pajole, où celui-ci arrive le 12. N'y trouvant pas trace 
de l'ennemi, il pousse, le 13, jusqu'à Sassello, où 7 bataillons 
se trouvent ainsi réunis. Il n'aura cependant plus que 5 ba- 
taillons quand il marchera sur Dego, et Ton ne peut discerner 
s'il en a réellement laissé 2 à Sassello, ou s'il y a eu quelque 
erreur dans les situations fournies par les relations autri- 
chiennes pour les jours précédents. 



(1) Clausewitz veut dire sans doute Ga di Ferro ; mais c'est au Bric 
Castlas que Maaséoa a attaqué. 



32 CHAPITRE IX. 

Beaulieu lui-même se hâte maintenant de gagner Acqui, 
point de rassemblement de son armée. 

Si nous jetons un regard sur la répartition de la principale 
armée autrichienne, le 13, nous trouvons, d'après les relations 
autrichiennes, qu'il y avait : 

7 bataillons à Sassello, 

4 — à Dego (y compris les 2 écharpés à Montenotte), 

2 — à Mioglia, 

1 — à Paretto, 

1 — à Malvicino. 



Total : 15 bataillons, 

dont 3 appartenant à l'aile gauche et 2, à ce qu'il semble, au 
corps de CoUi. 

Quant aux 7 bataillons restants de l'aile gauche, nous pou- 
vons admettre, ou qu'ils étaient encore dans la Rivière, ou 
qu'ils étaient en retraite sur Acqui. 

Nous apprenons plus loin que 3 bataillons étaient en marche 
sur Spigno, pour venir au secours de Dego. 
. En tout, 25 bataillons; il en reste encore 10, qui ont dû se 
rassembler alors vers Acqui, ou qui n'avaient peut-être pas 
encore rejoint du tout. 

Bonaparte ne connaissait certainement pas la répartition 
actuelle des troupes autrichiennes. Il supposait seulement que 
des détachements importants se trouvaient à Dego et Sassello, 
parce que ces points avaient toujours paru être les centres 
d'où rayonnaient les postes envoyés par les Autrichiens dans 
la montagne, et que Dego était sérieusement retranché. C'est 
là-dessus qu'il basa ses dispositions pour la suite de ses mou- 
vements. . 

Laharpe reçut Tordre de poursuivre l'ennemi vers Sassello, 
pour fixer sur lui l'attention des troupes qui s'y trouvaient ; il 
se rabattrait ensuite dans la vallée de la Bormida, pour coo- 
pérer à l'attaque de Dego. Masséna continuait avec 9 bataillons 
sur Dego, qu'il devait attaquer, le 13, de concert avec La- 
harpe. Bonaparte se dirigea de sa personne sur Garcare avec 



COMBAT DE MONTBNOTTE, LB 12 AVRIL. 33 

les troupes d'Augereau et une fractioD de la division Mas-* 
séna. 

Le 1 2 au soir, les troupes françaises étaient ; 

Laharpe, vers Sassello; 

Masséna, avec 9 bataillons, devant Cairo; 

Bonaparte, avec une partie des divisions Masséna et Auge- 
reau, à Carcare ; 

Une partie de la division Augereau vers Cossaria et en face 
de Millésime ; 

Sérurier, dans la vallée du Tanaro, à Garessio, 



CHAPITRE X 



Combat de Millesixno, le 13 avril. 



Colli n'avait pris aucune part aux combats du 11 et du 12. 
Il avait ordre d'occuper Tennemi de son côté par de fausses 
attaques ; le reste était laissé à son initiative. Il est impossible 
d'analyser en détail les mesures que prit alors ce général; ce 
que la relation autrichienne en rapporte est un tel fatras de 
renseignements incomplets sur la répartition des divers batail- 
lons, qu'on ne peut leur trouver une signiQcation satisfai- 
sante (1). Contentons-nous donc de savoir que, le 12, le gé- 
néral Provera, qui était à Salicetto avec 4 bataillons, en dé- 
tacha quelques compagnies pour se porter à Cossaria, vieux 
château près de Millésime, sur le contrefort qui sépare les 
deux Bormida. Il y prit position le 13 avec 1800 hommes. 

Le 13, d'après les calculs de Bonaparte, Dego devait être 
attaqué par Masséna et Laharpe, et lui-même allait se tourner 
contre Millésime. Masséna reçut, dans la nuit, l'ordre d'atta- 
quer; mais une de ses brigades étant retenue à Cairo par 
Bonaparte, et Laharpe n'ayant pas encore paru à midi, il se 
jugea trop faible pour entreprendre seul l'attaque de Dego ce 



(1) Les mouvements de Golli sont très simples et se réduisent à peu 
près à rien. Ne pouvant quitter Mondovi sans ouvrir à Sérurier et Mac- 
quart la plaine du Piémont et le chemin de Turin, il ne porta vers Millé- 
sime que quelques bataillons d*élite pour recueillir ses avant-postes, et il 
évita de s*engager. Sans la résistance de Provera dans la position excep- 
tionnelle de Gosseria, Âugereau n^aurait pas livré de véritable combat 
avant d*atteindre Geva. 



COMBAT DE MILLESIMO, LE 13 AVRIL. 



35 



matia-là. Il ne se mit en mouvement que vers midi et 
n^employa cette journée qu'à une reconnaissance, pendant 
que sa division stationnait à la Rochetta, à une demi-lieue de 
Dego. 

Bonaparte attaquait alors Provera avec 2 brigades ; Âuge- 
reau s^était emparé des abords de Millésime au point du jour ; 
Bonaparte s'avança également, et Provera se vit attaqué de 
tous les côtés à la fois, de telle façon que toute retraite lui 
était devenue impossible ; il lui fallut se jeter dans le vieux 
château de Cossaria, perché sur un piton élevé. Quoiqu'il fût 
en ruines, c*était encore un réduit qu'on ne pouvait enlever 
en un instant. 

Tandis que, vers CoDgio, Bonaparte était occupé avec une 
brigade à repousser les attaques de quelques troupes de 
secours envoyées par CoUi, Augereau tenta plusieurs assauts, 
aussi sanglants qu'inutiles. La nuit vint, la journée ayant pour 
résultat que l'aile gauche de CoUi avait été chassée de ses 
positions et laissait sou noyau bloqué avec Provera dans le 
château de Cossaria. 



CHAPITRE XI 



Premier combat de Dego« le 14 avril. 



Comme od l'a vu, Argenteau s*était retiré le 12 avril à 
Paretto, laissaat à Mioglia 2 bataillons, qui pouvaient compter 
quelques centaines d'hommes. Il reçut à Paretto une dé- 
pêche par laquelle le général Roccavina, qui se trouvait 
blessé à Dego, le pressait instamment de secourir en toute 
hâte ce poste dangereusement menacé. 

Argenteau transmit cette demande à Acqui, où Beaulieu 
venait d'arriver, et objecta en même temps qu'il ne se trou* 
vait pas en état, avec quelques débris épuisés, de faire un 
effort sérieux pour sauver Dego. Toutefois, il reçut de Beau- 
lieu, le 13, l'ordre de faire tout ce qui serait en son pouvoir 
pour tenir Dego quelques jours encore et couvrir Acqui de ce 
côté. Beaulieu le prévenait en même temps que 3 bataillons 
étaient en marche vers Spigno pour renforcer Dego. 

Le général Colli fut invité par Beaulieu à agir contre le 
flanc gauche de Tennemi qui attaquait Dego. 

Argenteau envoya donc à Wûkassovitch, dans la nuit du 13 
au 14, Tordre de marcher par Sassello au secours de Dego 
avec 5 bataillons, et de tomber sur le flanc de l'ennemi. Les 
3 bataillons qui passaient par Spigno arrivèrent encore à temps^ 
le 14, pour prendre part à l'action. 

Telle était, le 14, la situation de la garnison de Dego, quand 
Bonaparte se tourna contre elle. Il avait laissé Augereau devant 
Provera. Après l'échec d'une tentative de Colli pour se porter 
de Cengio au secours de Provera, celui-ci, manquant de vivres 



PREMIER COMBAT DE DBOO, LE 14 AVRIL. 



37 



et d*eau, dut se rendre. Ainsi se termina le combat de Millé- 
sime, qui coûta vraisemblablement aux Autrichiens 2,000 à 
3,000 hommes tués, blessés ou prisonniers. 3,000 ou 4,000 
alliés y avaient combattu contre 8,000 à 10,000 Français. 

Bonaparte s^était retourné contre Dego avec les troupes 
de son centre. Le 14, il se produisit donc, sous sa direction 
personneUe et dans Tenthousiasme produit par la capture de 
Provera, une vigoureuse attaque enveloppante contre les 
retranchements défendus par 7 bataillons et 18 pièces. Nous 
n'oserions pas afBrmer que les 3 bataillons de renfort envoyés 
de Spigno aient été là dès le matin. Comme, d'après la rela- 
tion autrichienne, ils ont dû partir à trois heures du matin, on 
pourrait le croire ; mais, d'un autre côté, les diverses relations 
s'expriment ailleurs de manière à faire supposer que, quand 
ils parurent, il n'y avait plus moyen de rétablir le combat. 

Ârgenteau avait reçu, le 14, la fausse nouvelle d'une 
retraite de Masséna accomplie le 13, ce qui l'avait engagé a 
rester immobile. Vers deux heures, entendant le canon, il 
rompit avec ses 2 bataillons de Paretto et Malvicino, et envoya 
l'ordre à ceux de Mioglia de marcher aussitôt sur Dego. 

Il n'arriva naturellement que pour voir sa position de Dego 
tomber aux mains de l'ennemi ; les bataillons de Mioglia arri- 
vèrent plus tard encore. 

Ainsi la garnison de Dego fut presque anéantie ; la relation 
autrichienne elle*méme dit que les 7 bataillons y furent à peu 
près complètement pris et les 18 canons perdus. 
* Ârgenteau, avec ce qui put être sauvé, ainsi que les 3 ba- 
taillons de secours que Beaulieu envoya encore le 13 par 
Spigno, battirent en retraite par Spigno sur Acqui. . , 






CHAPITRE XII 



Second combat de Dego, le 15 avril. 



L'ordre qu'Ârgenteau avait envoyé à Wûkassovitch, dans 
la nuit du 13 au 14, portait : « Dego étant menacé par Ten- 
nemi, le colonel fera demain matin une diversion vers Dego » . 
L'expression « demain matin » avait été employée par inat- 
tention, car Tordre était daté du 14, à une heure du matin. 
Le colonel Wiikassovitch ne le reçut qu'à six heures du matin ; 
il avait à marcher huit heures, à ce que prétend la relation 
autrichienne ; mais nous avons peine à le croire, la distance à 
vol d'oiseau étant d'un mille et demi. Il crut donc qu'il s'agis- 
sait de la matinée du 15. Il s'ensuit qu'il resta immobile le 14, 
jusqu'à ce que, vers midi, il entendît la canonnade de Dego 
et reçût un second ordre d'Ârgenteau. Il se mit donc eii 
marche avec S bataillons, soit 3,000 hommes. Au dire des 
Autrichiens il marcha toute la nuit, et le 15, au petit jour, il 
arrivait à une Jieue de Dego. Tenons-nous-en à ce dernier fait 
et laissons à l'auteur de la relation autrichienne la responsa- 
bilité de ses opinions géographiques. Pendant sa marche de 
nuit, Wûkassovitch apprit la défaite des Autrichiens à. Dego ;. 
à Mioglia, il enleva 1 officier français et 30 hommes, qui lui 
donnèrent Dego comme occupé par 20,000 Français. La 
retraite sur Sassello lui était encore ouverte ; mais un vif sen* 
timent de son devoir le poussait au danger, et il voulait du 
moins se renseigner par lui-même. Il poursuivit sa marche, et 
il paraît l'avoir dirigée de façon à arriver au Nord de Dego, 
contre la route de Spigno et le flanc droit de l'avant-garde 



SECOND COMBAT DE DSGO, LE 15 AVRIL. 39 

française envt)yée de ce côté. II Tattaque ; celle-ci, étonnée de 
voir un ennemi important venant de Sassello, croit sans doute 
avoir tout le corps de Beaulieu sur les bras, fait mauvaise 
contenance, et Wûkassovitch, excité par ce succès, enhardi 
par la frayeur de l'ennemi, pénètre tout d'une traite jusqu'aux 
retranchements, que ses troupes même demandent énergi-* 
quement à enlever. 

D'après la relation, les retranchements étaient alors derrière 
lui ; mais comme ils se composaient en partie d'ouvrages fer« 
mes, les Français pouvaient, encore s'y défendre. 

Aussitôt après le succès de Dego, Bonaparte avait ordonné 
à la division Laharpe et à la bilgade de réserve Victor (dont 
on entend parler ici pour la première fois) (1) de se reporter 
à gauche, par Salicetto, sur Ceva, où Augereau refoulait et 
-poursuivait les troupes de Colli, après avoir pris Provera. 
Bonaparte pensait avoir fait assez contre Beaulieu pour le 
moment et s'être donné assez d'air pour se tourner du côté de 
Ceva, contre Colli, lui infliger une défaite et procurer ainsi 
plus de sécurité a sa gauche. 

Ce n'était donc pas 20,000 hommes qu'il y avait à Dego, au 
moment où Wiîkassovitch tentait son audacieuse attaque, 
mais seulement la division Masséna, dont l'efiTectif, abstrac- 
tion faite des détachements et des pertes, ne dépassait pas 
6,000 hommes. 

Wûkassovitch n'hésite pas à mettre à profit ses succès, 
l'effroi de Tennemi et l'enthousiasme de ses propres troupes 
pour achever son œuvre et changer la défaite en victoire. II 
attaque et prend les retranchements avec 19 pièces. 

Masséna rassemble ce qu'il peut ramener au combat de ses 
troupes en fuite et les reporte en toute hâte contre la position 
des Autrichiens ; mais c'est en vain : ses hommes sont démo- 
ralisés et ne valent plus rien. 



(1) La brigade Victor faisait partie de la division Augereau. Elle se 
trouva former la réserve générale le 15 et les jours suivants. 



40 CHAPITRE XII. 

A Tannonce de cette attaque contre Masséna, Bonaparte, qui 
avait passé la nuit à Carcare, crut aussi avoir affaire à toutes 
les forces de Beaulieu ; il ordonna à la division Laharpe et à 
la brigade Victor de revenir sur leurs pas en toute bâte, et se 
rendit lui-même auprès de Masséna, qu'il rejoignit vers une 
beure. II ordonna sur-le-cbamp une nouvelle attaque des 
retrancbements. Les Autricbiens se battirent avec une bra- 
voure remarquable; mais comme Wûkassovitch ne voyait 
rien venir d'Acqui et qu'il ne se trouvait pas un bataillon 
autrichien à 6 lieues à la ronde, il fallut céder au nombre. 
Wûkassovitch reperdit tous les canons qu'il avait repris et fit 
sa retraite par Spigno sur Acqui, ayant perdu la moitié de 
son effectif. 

Le résultat des combinaisons stratégiques de Bonaparte, 
pour les combats de Dego, avait été que 15,000 à 20,000 Fran* 
çais y avaient battu 3,000 à 4,000 Autrichiens. 

Bonaparte pensa n'avoir plus rien à craindre de Beaulieu 
après cette nouvelle défaite infligée aux Autrichiens, et il se 
retourna du côté de CoUi. 



CHAPITRE XIII 



Résultats de ces premières rencontres. 



Les Autrichiens évalueDt leurs pertes dans ces six combats 
à environ 6,000 hommes ; mais ils ne comptent pas les 4 ba- 
taillons sardes qui furent presque entièrement perdus a Dego. 
On peut, sans grande exagération, évaluer avec Jomini la 
perte totale à 10,000 hommes. Cet écrivain ajoute 40 canons; 
c'est plus difficile à admettre, car, en dehors des 18 pièces de 
Dego, les relations françaises ne parlent pas de nombreux 
canons enlevés à l'ennemi ; cependant, sa grande impartialité 
en matière d'effectifs ne nous permet pas de trop en douter. 
Du reste, pour une force de 30,000 hommes, c'est encore très 
admissible : cela représente pour chaque arme à peu près le 
tiers de Teffectif et c'est sensiblement l'équivalent de ce qu'au- 
rait coûté une grande défaite. 

Au moral, le déchet n'était pas à beaucoup près le même. 
Les soldats autrichiens avaient conscience d'avoir lutté partout 
contre un adversaire deux ou trois fois plus nombreux; ils 
attribuaient cela a la supériorité numérique générale des 
Français, dont ils se faisaient, comme cela arrive toujours, 
une idée exagérée. Ils voyaient en même temps que leurs 
forces avaient été très éparpillées; mais ils l'attribuaient à des 
circonstances fortuites ou aux fautes du commandement, 
choses qu'on eût pu éviter et qui n'auraient pas existé dans 
une bataille générale. D autre pan, la surprise de Dego appa- 
raissait comme un brillant fait d'armes au milieu de cette série 



42 CHAPITRE XIII. 

de petites défaites; en sorte qu'il n'y avait pas un soldat 
autrichien qui ne fût certain de battre aisément les Français 
en rase campagne (1). Si, au contraire, les deux armées s'é- 
taient battues en plaine, et si les Autrichiens avaient été com- 
plètement vaincus par un ennemi nettement inférieur en 
nombre, toute illusion se serait dissipée* Cependant, les troupes 
qui avaient fait perdre à Tarmée autrichienne 10,000 hommes 
et 40 canons n'étaient, en somme, que les divisions Masséna 
et Laharpe, la brigade Victor et quelque peu de cavalerie, en 
tout, à peu près 20,000 hommes. 

Nous voulons montrer par là qu'une grande victoire a tou^ 
jours une plus grande portée qu'une série de petits combats, 
alors même que ceux-ci font subir à l'ennemi les mêmes 
pertes. 

S'il est vrai que l'effet moral de ces défaites fut réellement 
inférieur à celui d'une bataille rangée, il faut dire aussi que 
la victoire fut beaucoup plus facile pour les Français ; que le 
plan adopté était, par essence, bien moins aléatoire qu'une 
bataille rangée. Par le fait, à la façon dont les choses se sont 
passées, il n'y avait pas possibilité que les Autrichiens en 
sortissent vainqueurs ; au contraire, en face de leurs 
30,000 hommes et 140 pièces, les Français, qui n'avaient pas 
30 canons, n'avaient guère de chances de vaincre en bataille 
rangée. 

Le succès final résultait donc essentiellement des avantages 
procurés aux Français par les combinaisons stratégiques, grâce 
auxquelles chaque action était si bien préparée, que son issue 
ne pouvait manquer d'être heureuse. On peut dire, en consé- 
quence, que la stratégie eut en cela une part considérable, une 
influence comme elle en a rarement ; qu'elle a même décidé 
presque à elle seule du résultat. A vrai, dire, ce ne fut pas 
tant grâce aux opérations très habilement combinées des Fran- 



(4) Il est difficile de concilier cette haute opinion du moral de l'armée 
autrichienne avec celle qui a été donnée dans le chapitre III. 



RÉSULTATS DE CES PREMIÈRES RENCONTRES. tô 

çàis qu'aux fautes énormes des* Autrichiens. Bonaparte agit 
vivant des plans très simples, et ce sont, en somme, les 
meilleurs quand on a en vue des résultats bien décisifs. Il faut 
surtout admirer cette énergie, cette soif de vaincre, avec 
lesquelles il passait d^une entreprise à Tautre. Il n*en appa- 
raît que plus nettement que les Autrichiens n'avaient pas de 
plan du tout, ou, du moins, n'avaient pas un plan capable 
de se plier à la situation où ils se trouvèrent; et puis ils 
étaient dans un état de dissémination sans exemple, dont on n'a 
pas donné et dont on ne peut s'expliquer la cause. Par le 
fait, on a rarement vu quelque chose de pareil dans une 
armée qui n'était nullement figée d'avance en un cordon 
inerte. 

. Des 32,000 hommes dont se composait l'armée de Beaulieu, 
il en prend 7,000 à 8,0U0 pour faire une attaque partielle 
contre la droite française; 3,000 à 4,000 hommes, au centre, 
fournissent une coopération tout à fait secondaire ; et, pen- 
dant ce temps, 5,000 à 6,000 hommes restent en postes isolés 
sur les pentes de TApennin et 14,000 à 15,000 en sont encore 
à se rassembler vers Acqui. 

Une telle répartition ne pouvait jamais être que très périlleuse 
et n'aurait présenté aucun avantage, lors même que l'adver-f 
saire fût resté absolument inerte; mais dès que celui-ci pas-r 
sait à une contre-attaque vigoureuse ou à une offensive straté- 
gique, on était exposé aux plus grands dangers ; il ne restait 
plus qu'à abandonner ce projet d'attaques partielles, et, pour 
obtenir une revanche possible et même encore vraisemblable, 
à se rassembler dans une position très en arrière ; ici, les cir- 
constances paraissaient indiquer Acqui. 

Quand, le 11, Beaulieu apprit la résistance du Monte-Legino 
par la violente fusillade dont le bruit lui arrivait, et en fut sur- 
pris au point d'abandonner son offensive et de courir de sa 
personne à Acqui, c'était à Sassello et à Dego qu'il aurait dû 
aller, et c'est de cette position centrale qu'il aurait fallu donner 
les ordres pour la retraite. 

On était hors d'état, dès le 11, de prévenir l'échec qu'oç 



44 CHAPITRE XUI. 

éprouva le 12 à. Montenotte ; c*est qu'à la forte résolution de 
rennemi, on a*en opposait qu'une très faible, a demi formée ; 
impossible de ne pas expier cette infériorité par un sacrifice ; 
mais les autres désastres pouvaient être évités. 

A Dego, Beaulieu aurait pu envisager parfaitement Ten- 
semble de sa situation dès le 12; il pouvait ordonner, dès 
lors, à CoUi et à Provera de se réunir à Ceva et d'éviter 
des affaires décisives en se retirant sur Mondovi. Quant à 
ses nombreux détachements, il pouvait les acheminer sur 
Acqui, où ils seraient arrivés le 13. Les Français ne pou- 
vaient guère parvenir à Acqui avant le 14 ou le 15, et il 
ne fallait pas compter sur un combat important en ce point 
avant le 15 ou le 16. 

. D'ici là, Colli aurait probablement eu le temps de rejoindre. 
Comptons 2,000 hommes perdus à Montenotte, 2,000 qui n'é- 
taient pas encore arrivés, tenons compte de quelques déta- 
chements nécessaires : Beaulieu pouvait bien rassembler 
20,000 hommes à Acqui. Avec cela, et dans la bonne position 
que paraît offrir Acqui, il n*y avait rien à craindre. Il est très 
probable que Bonaparte se serait tourné contre Colli avec la 
majeure partie de ses forces et n'aurait envoyé qu'une divi- 
sion à la poursuite de Beauliea ; c'était l'occasion à saisir sur 
le champ pour reprendre l'offensive et regagner le terrain 
perdu. Qu'il en allât autrement, on avait, du moins, gagné le 
temps de réunir l'armée principale et de combiner des entre- 
prises ultérieures avec Colli. 

Au lieu de suivre une marche aussi simple, Beaulieu court 
le 11 à Acqui, y reste dans Tignorance de tout ce qui se 
passe, tient de même ses subordonnés dans l'ignorance de ses 
intentions et, naturellement, ses ordres arrivent tous trop 
tard. Outre le fractionnement général de son armée, il laisse 
subsister l'éparpillement de la division d'Argenteau ; il compte 
sur la résistance de ses petits postes, sur des attaques combi- 
nées, sur l'arrivée opportune des détachements latéraux, sur 
des diversions, et cela avec des communications très difBciles, 
pour arrêter l'ennemi deux ou trois jours. De pareils moyens 



RÉSULTATS DE CBS PREMIÈRBS RENCONTRES. 45 

ne réassissent que coDtre un ennemi très timoré et exigent 
surtout qu'on ait tout le temps voulu ; seulement, Beaulieu 
n'avait pas affaire à un adversaire timoré, et quant à ce qui 
est du temps, on voit au premier coup d*œil que pas une des 
opérations projetées ne pouvait aboutir. Examinons seulement 
les résultats stratégiques obtenus sur la position de Dego : 
4 bataillons y sont attaqués le 14; 3 accourent à leur aide, de 
Spigno, mais arrivent trop tard pour être utilisés complète- 
ment ; Argenteau ne survient avec ses 2 bataillons qu'après 
le dénouement ; les 2 bataillons de Mioglia arrivent plus tard 
encore; Beaulieu en envoie 3 autres d'Acqui, le 14, et ils ne 
rejoignent que pendant la retraite vers Montalto ; enfln, Wu* 
kassovitch arrive, avec 5 bataillons, vingt-quatre heures trop 
tard. Ainsi, voilà 19 bataillons mis en mouvement pour cette 
localité, sur lesquels on n'en a réellement engagé que 4, le 14, 
et 5, le 15. 

Mais Beaulieu se rend si peu compte de ce qui peut lui 
réussir que, le 15 avril, au reçu de la dépèche annonçant le 
succès de Wûkassovitch, il envoie encore à CoUi et Provera 
(dont la capitulation, signée depuis vingt-quatre heures, ne lui 
était pas encore connue) l'ordre de seconder le plus énergi- 
quement possible Wûkassovitch, et il ajoute : « Je me porte en 
hâte moi-même à Dego, et il va dépendre de cet instant de faire 
une heureuse campagne » . C'est un noyé qui se raccroche à un 
fétu de paille. 

Quand une armée a entrepris de se porter à Tattaque, 
qu'elle n'est pas rassemblée à cet effet et qu'elle est attaquée 
par l'ennemi dans cette situation, il lui reste à choisir entre 
deux partis : ou bien elle continuera son offensive dans l'es- 
poir d'en tirer des avantages qui l'emportent sur ce qu'elle 
perdra ailleurs ; ou bien elle évitera les coups décisifs et cher- 
chera à se rassembler en arrière. Elle peut prendre le premier 
parti quand eUe est sûre de frapper le centre de gravité de 
l'ennemi avec des forces supérieures ; il faut s'en tenir au 
second si l'ennemi seul peut avoir cet espoir. Ne pas avancer 
résolument, ne pas reculer franchement, mais ordonner de 



16 cbApitrb xin. . 

Douvelled combinaisons qoi feront altaqoer ici, se défendre là, 
compter enfin qu'on ne raccrochera tant bien que mal à de 
brillantes inspirations, ce n'est qu'une demi-mesure, la pins 
trompeuse et la plus néfaste que le général puisse adopter ; on 
la qualifierait déjà ainsi en plaine ; mais, en montagne, c*est de 
la folie. Telle est pourtant la conduite que nous voyons tenir 
aux Autrichiens (1). 

' Il y a manifestement ici tant de choses inexpliquées et inin- 
telligibles, qu'il serait intéressant et instructif au plus haut 
point de rechercher dans les archives autrichiennes les rap- 
ports de l'époque et tâcher de combler les principales lacunes. 
On verrait sans doute alors que la chose n'a pas été si dé- 
pourvue de raisons qu'elle le paraît ; aussi la publication de 



(I) Bonaparte est d*avis également que fieaalien ne devait pas se ras- 
sembler vers Dego, mais bien en arrière à Acqni. D dit dans ses Mémovres, 
4* partie, page ^1 : 

« Lorsque vous êtes chassé d*une première position, il faut rallier vos 
colonnes assez en arrière pour que Tennemi ne paisse pas les prévenir ; 
ear ce qui peut vous arriver de plus fâcheux, c'est que vos colonnes soient 
attaquées isolément avant leur n§union« » 

Sa discussion aboutit aux mêmes conclusions que la nôtre, pour ce que 
Beanlieu aurait dû faire, mais Bonaparte agit comme la plupart des cri- 
tiques ; il prend les choses en bloc et n'entre pas dans l'analyse méticu- 
leuse des circonstances les plus particulières et de leurs relations les plus 
intimes ; il est cependant nécessaire d'en venir là quand on veut mettre 
en présence, dans une étude critique, un principe de théorie avec an fait 
historique. 

11 ne s'agissait pas ici pour Beaulieu d*une première position perdue ; 
car il était en marche et n'avait pas de position ; il n'était pas question 
non plus de se concentrer à Dego, car il parait avoir voulu le faire bien 
plutôt vers Acqui et Novi ; ce qu'il y avait, c'est qu'il croyait encore 
pouvoir conserver un point très fort, comme Dego, avec un détachement ; 
il croyait aussi que l'ennemi parvenu à Dego et qu'il pensait être une 
colonne isolée, pouvait en être chassé en combinant des actions décousues, 
comme celles d'Argenteau et Wûkassovitch sur Dego. Entre la manière 
dont Bonaparte traite la question et celle dont nous l'avons exposée dans 
les pages précédentes, le lecteur jugera laquelle rend le plus exactement 
l'opération considérée, et il appréciera lequel des deux aphorismes, celui 
de Bonaparte ou le nôtre, s'y applique le plus directement. 

(Note de ^(auteur,) 



RESULTATS DE CES PREMIERES RENCONTRES. 



47 



ces documents ne nuirait-elle en aucune façon à Tarmée autri- 
chienne (4). 



(i) On peut le dire d'une façon absolument générale de toutes les cam- 
pagnes où Ton ne voit qu'une s^rie de fautes : elles ne sont jamais, dans 
leur contexture intime, oe qu'elles semblent à la galerie. Les acteurs du 
drame, lors même qu'ils dépendent des plus mauvais généraux, ne sont 
pas dénués d'idées saines, et ne feraient jamais toutes les absurdités que 
le vulgaire et les critiques militaires leur imputent à' tort et à tray^r$. La 
majorité de ces derniers seraient stupéfaits s'ils voyaient les mobiles 
ioimédiats de chaque acte, et s'y laisseraient prendre tout comme le gêné- 
néral qu'ils jugent en ce moment à moitié idiot. Certainement des fautes 
ont été commises, mais elle se trouveut habituellement plus loin de la 
surface, dans les erreurs du jugement et les faiblesses du caractère. Celles- 
ci n'apparaissent pas comme telles au premier coup d'ϔl, mais on finit 
par les découvrir et par les déterminer, en comparant les ordres donnés 
par le vaincu à ses sous-ordres avec l'exécution. Cette découverte de la 
Vérité est permise à la critique ; on ne doit pas lui en faire un motif dé 
blâme ou de ridicule ; c^est là sa tâche spéciale, bien plus aisée, c^la va 
sans dire, que la conception opportune au moment de l'action. 

Aussi est-ce une folie que l'habitude prise par toutes les armées de 
s'instruire le moins possible sur leurs désastres militaires ; les choses sont 
toujours plus excusables ainsi que quand on les voit à la diable. 

(Note de Cauteur.) 



CHAPITRE XIV 

Conaidôratlons sur le obangement de Iront 
de Bonaparte contre Colll. 



Nous nous sommes longuement étendus dans le chapitre V 

sur la direction à prendre par le général français après une 

victoire décisive. Cette victoire avait été obtenue et lui aurait 

permis d'atteindre le Pô s'il avait voulu. Nous pensons que la 

née par ce fleuve était le point indiqué pour exé- 

irersioo de sa masse principale. Le général fran- 

i autrement. Il conversa plus tOt, permit à Beau- 

mbler à Acqui ses troupes dispersées et se porta 

Ceva, contre Colli. 

porte d'établir si oui ou non Bonaparte a commis 
ce n^est pas pour le cas particulier en lui-même, 
it n'aurait probablement pas été dîfTérent, mais à 
itérêt de cette question qui revient si souvent et 
bien des cas, d'une importance capitale. 
emment la même que ci-dessus (chap. V), sauf 
itreint ici dans des limites plus étroites, qu'il s'agit 
;raDd espace et de moins grands résultats. 
B de gravité de l'ensemble se trouvait dans l'armée 
et si Bonaparte ne cessait de diriger ses coups 
sa retraite au delà du Pô devait entraîner la 
olli ; en revanche, il n'y avait pas lieu d'admettre 
attaque contre Colli obligeait celui-ci & céder, les 
seraient forcés, de ce chef, à repasser le Pô ; il 
, supposer que Beaulieu mettrait à proilt l'absence 



CHANGEMENT DE FRONT DE BONAPARTE CONTRE COLLI. 49 

du gros des forces françaises pour réparer ses pertes et 
secourir son subordonné. 

Il ne faut pas dire que ces pertes l'avaient mis hors d'état 
d'agir efQcàcement ; leur étendue ne lui permettait pas une 
résistance sérieuse, si les Français le prenaient pour objectif; 
mais il en était tout autrement dès qu'ils marchaient contre 
Colli. Si Beaulieu ne fît rien de tel, la faute en est à la disper- 
sion inutile et inouïe de ses troupes et à son indécision ; il ne 
fallait escompter ni l'une ni l'autre dans les calculs. 

Bonaparte ne craignit pas ce retour offensif de Beaulieu, et 
l'événement a prouvé qu'il avait bien jugé son adversaire. 

Bonaparte explique sa conversion contre Colli par le danger 
que celui-ci faisait courir à son flanc. Nous avons la conviction, 
déjà, exprimée plus haut, que la retraite de Beaulieu au delà 
du Pô aurait amené celle de Colli par la force des choses; 
pour s'en convaincre, il suffit de voir que ce dernier courait 
le danger d'être coupé de Turin. Laissons même cette consi-: 
dération de côté ; personne ne nous persuadera que Colli se 
fût trouvé en état, pendant le peu de jours nécessaires pour 
repousser Beaulieu au delà du Pô, de faire un tort sérieux à 
l'armée française en la prenant en flanc. Nous ne pouvons 
donc pas croire à la justesse d'une pareille explication (1). 

Si Bonaparte poursuivait l'armée autrichienne le 16 jusqu'à 
Acqui et en chassait les débris par delà le Pô, il ne pouvait 
plus craindre d'attaque de Beaulieu pendant qu'il s'en prenait 
à Colli ; et ce dernier, s'il ne se retirait pas alors au plus vite, 
fournissait l'occasion de lui infliger un désastre complet. 

Seulement, il n'est pas douteux que ce général se serait 



(i) Il est difficile de laisser passer une pareille critique sans la discuter. 

Si Bonaparte avait poursuivi d*at>ord Beaulieu avec Masséna et Augereau, 
il fallait qu*il laissât Sérurier à Carcare et à Millésime pour contenir 
Colli, ou bien qu'il accablât les Autrichiens avec toutes ses forces. Dans 
le premier cas, il combattait chacun de ses adversaires avec des forces 
inférieures ; dans le second, il abandonnait sa communication avec Savone 
aux Piéroontais, et Tarmée française n'avait de munitions que pour un 
premier combat contre Beaulieu. 

4 



SO CHAPITRB XIY. 

retiré; et voilà probablement pourquoi Bonaparte, dans sa soif 
de victoires et de trophées, se tourna imm^iatement contre 
loi. n u'y avait plus de grande victoire i espérer sur Beau- 
lieu; ce dernier avait sans doute repassé le Pô ; mais en se 
portant sur-le-champ de Dego contre Colli, avant que celui-ci 
connût toute Tétendue du désastre de Beaulieu, on pouvait 
encore espérer des résultats comme Montenotle, Dego, etc. 

Si c'est là ce qui a décidé Bonaparte, nous ne blâmerons pas 
le parti qu*i] a pris ; en avançant la date de sa conversion 
contre Colli, il s*est procuré de plus grands succès ; sa con- 
duite n'aura pas été la plus prudente ; elle a été hardie ; mais 
oser davantage, pour atteindre de brillants résultats, ce n'est 
pas une faute. Par le fait, les opérations contre Colli, tout en 
procurant un armistice, n'ont pas donné immédiatement, par 
elles-mêmes et en elles-mêmes, les résultats briUants que Bo- 
naparte en espérait ; mais cela n'est pas pour changer notre 
jugement, car la tactique ne tient pas toujours ce que la stra- 
tégie était en droit de promettre. 



CHAPITRE XV 



Combat de Geva, le 19 avril. 



C*est ici que commencent les opérations contre Colli, que 
Bonaparte exécuta avec les 3 divisions Sérurier, Augereau et 
Masséna, pendant que Laharpe prenait une position d'obser- 
vation en face des Autrichiens. 

Ce qu'on appelle la bataille de Mondovi, et qui porta le 
coup le plus décisif, n'est qu'un combat de retraite, et il faut 
encore donn^ le nom collectif de bataille au groupe des com- 
bats du 19, du 20 et du 22 contre Colli. 

Dès la capitulation de Provera, Augereau avait pris pour 
point de direction Monte-Zemolo et refoulé Colli sur Ceva. Il 
arriva devant cette ville le 16. C'est là que Sérurier, descen- 
dant la vallée du Tanaro, Gt sa jonction avec lui. 

Colli avait à peu près 15,000 hommes (au dire des Autri- 
chiens, 13,000, mais, sans doute, d'après une situation jour- 
nalière et, par conséquent, défalcation faite des malades, des 
hommes de service, etc.); il prit position avec 8,000 hommes 
derrière Ceva, en plaça 4,000 à un mille au Nord, près de 
Pedagiera, et garda une réserve de 3,000 hommes près de 
Mondovi. Le reste de ses troupes était sans doute détaché 
plus à l'Ouest, dans la montagne, vers le col de Tende, etc. 

Ce que Gt Bonaparte le 16 et le 17, avec les 2 divisions de 
son aile droite, n'est dit nulle part (1); le 18, nous trouvons 



(I) Le 16, Bonaparte craint une offensive de Beaulieu, et le fait obser* 
ver par Laharpe et Masséna, laissés à Sassello et Dego pour explorer les 
routes d*Acqui. Apprenant dans la soirée que les Autrichiens sont par- 



82 CHAPITRE XY. 

Masséna à Mombarcaro, Laharpe à San Benedetto, tous deux 
dans la vallée du Belbo : le premier, en marche vers CoUi ; 
Tautre, observant les Autrichiens (1). Le quartier général de 
Bonaparte est a Salicetto, sur la Bormida; la brigade de 
réserve Victor, à Cairo, pour couvrir les derrières. Tous ces 
points ne sont qu'à un mille de Dego. Les deux journées du (6 
et du 17 ont dû être employées, en partie à poursuivre les 
Autrichiens, en partie à se reposer, chose nécessaire peut-être 
après une telle somme de marches et de combats. 

Bonaparte ordonne seulement qu*Augereau attaquera le 
front de Colli à Ceva et à Pedagiera; que Sérurier tournera sa 
droite par Montebasilico ; que Masséna se portera en arrière de 
sa gauche, pour passer le Tan^ro à Castellino (2). 

Les Sardes résistèrent bien aux attaques d'Augereau dans 
leurs redoutes de Ceva; mais ColU se rendait compte des 
mouvements tournants par lesquels on allait le cerner, et il 
ordonna en temps utile la retraite sur une position choisie 
derrière la Cursaglia. 

Le combat de Ceva eut-il lieu le 19? Nous ne saurions Taf- 
flrmer (3) ; nous le supposons, parce que Jomini ne fait 
arriver le quartier général de Bonaparte à Salicetto que le 18. 

Le 20, nous trouvons Colli dans une ti*ès forte position, sur 
les hautes berges à pic de la Cursaglia, sa droite à Madonna 
de Vico, son centre à Saint- Michel, sa gauche vers Lese- 
gno (4). 

tout en retraite sur cette ville, et qu*Augereau a échoué devant Ceva, il 
ramène Laharpe à Dego et poste Masséna à Mombarcaro pour déborder la 
gauche de Colli et le séparer de Beaulieu. Le 47, il va attaquer le camp 
retranché de Ceva, mais le trouve évacué et l'occupe sans coup férir. Le 
18, il porte Augereau et Sérurier contre Colli. Le 19, a lieu le 'combat de 
la Cusaglia. 

(1) Mombarcaro et S. Benedetto sont deux villages voisins et désignent 
la même position militaire. Masséna y est seul ; Laharpe reste à Dego. 

(2) Masséna ne s'est porte que jusqu'à Mombarcaro, et ce mouvement 
a suffi pour faire craindre à Colli d'être tourné. 

(3) C'est le 16 qu' Augereau échoue devant Ceva. 

' (4) C'est le 17 que Colli s'établit sur la Cursaglia. 



CHAPITRE XVI 



Combat de la Ciirsaglia, le 20 avril (1). 



Bonaparte ordonna d'attaquer sur-le-champ. Sérurier atta- 
querait de front Taile droite ennemie, avec la brigade Guyeux 
au pont de Torre ; le centre, avec la brigade Fiorella au pont 
de Saint-Michel ; Taile gauche, avec la brigade Dommartin à 
Lesegno (2). Augereau avait à franchir le Tanaro en aval du 
confluent de la Cursaglia et à tourner la gauche. Masséna n'est 
pas là. Il n'a pu venir à bout de passer le Tanaro débordé à 
Casteîlino, et il est retourné jusqu'à Ceva, d'où il arrivera le 
lendemain (3). 

Cette attaque, ordonnée sur-le-champ et sans connaissance 
suffisante du terrain, ne donna pas de bons résultats. 



(1) Cest le 19 qu'a lieu le combat de la Cursaglia. 

(2) Cette brigade appartenait d*abord, semble* t-il, à la division Masséna ; 
mais il ne faut pas s'attendre, dans cotte partie de la campagne, à trou- 
ver un ordre de bataille permanent ; d'une part les écrivains militaires 
n'en donnent pas, d'autre part Bonaparte parait avoir constamment fait 
passer des éléments d'une division à une autre, et môme traité parfois les 
brigades comme des divisions, c'est-à-dire comme des unités de premier 
ordre. Notre ignorance paraîtra excusable quand on lira dans le 4^ volume 
des Mémoires de Napoléon une foule de réponses des généraux Ménard, 
Rampon,etc., à des questions posées par Bonaparte lui-même, et qui sont 
tontes de la force de celle-ci : 

— Le général Ménard était-il ou n'était-il pas sous les ordres de Mas- 
séna le jour de Montenotte ? {Note de faïUeur.) 

(3) Masséna n'est jamais venu à Casteîlino, et n'a pas fait la contre- 
marche inutile que Clausewitz lui impute. C'est Augereau seul qui se 
présente le 19 sur le Tanaro, en aval de Lesegno. 



84 CHAPITRE XYI. 

Dommartin trouva les ponts coupés à Lesegno, et il n'avait 
rien pour en établir. Âugereau ne réussit pas mieux à passer 
le Tanaro que Masséna le jour d'avant. Au centre, il est vrai, 
Sérurier, à la tête de la brigade Fiorella, franchit le pont ; 
mais Colli étant accouru avec quelques troupes de réserve, il 
fut rejeté sur Tautre rive, non sans subir de grosses pertes. La 
gauche, sous Guyeux, parvint seule à franchir la Cursaglia en 
amont de Torre et repoussa la droite ennemie. Cela ne paraît 
cependant pas avoir eu beaucoup d'inDuence sur la situation 
de Colli. 

Ce général avait donc remporté, le 20, une sorte de victoire. 
Cinq jours s'étaient écoulés depuis le dernier combat de Dego; 
on pouvait commencer peu à peu à attendre le retour et l'in- 
tervention subite de Beaulieu ; le baron Latour, parlant en son 
nom à la cour de Turin, avait promis son concours pour bien- 
tôt; les troupes françaises étaient quelque peu découragées 
par le combat du 20, et ces fatigues incessantes les avaient 
épuisées ; le général français attendait Beaulieu sur son flanc 
droit d'un moment à l'autre ; bref, c'était une sorte de crise, et 
les choses paraissaient dans cet état d'incertitude qui a cou- 
tume de précéder les retours de fortune (l). 



(1) Colli avait eu 20,000 hommes, dont 15,000 disponibles, et avait 
subi des pertes sérieuses ; il venait de détacher 4,000 hommes pour gar- 
der le cours du Tanaro, de Lesegno à Cherasco. Il ne lui restait guère que 
9,000 hommes à Saint-Michel, et c*est ce qui avait encouragé à l'attaquer 
avec la seule division Sérurier. D^autre part, les Impériaux avaient com- 
mencé leur concentration sur Acqui depuis deux jours ; ils ne pouvaient 
l'achever que le 20, et ne deviendraient dangereux que le 24 ou le 25. 
Bonaparte avait donc 40,000 hommes contre 9,000 Piémontaia, et sa 
situation n'était nullement critique. Il a pu y avoir une certaine émotion 
au quartier général parce que, pour la deuxième fois, le désordre et le 
pillage avaient mis les troupes à la merci d'un retour ofiensif de l'ennemi^ 
et qu'on sentait la nécessité de rétablir la discipline par tous les moyens. 



CHAPITRE XVII 



Combat de Mondovi, le 22 avril (1). 



Sur ces entrefaites, Bonaparte réunit, le 21, à Lesegno, un 
conseil de guerre, dans lequel il analysa minutieusement la 
situation ; les généraux français la tenaient pour perdue, si, 
malgré la fatigue et le découragement des troupes, on ne ten- 
tait immédiatement une nouvelle attaque sans laisser aux 
choses le temps d'empirer (2). 

Cette résolution adoptée, on disposa les forces comme il suit 
pour Tattaque du 22 : 

Sérurier devait se porter contre l'aile droite avec les 3 bri- 
gades qui, le 20, s'étaient trouvées étalées sur tout le front. 

Une nouvelle division, formée provisoirement sous le com- 
mandement du général Ménard (3), avec les brigades MioUis 
et Pelletier, devait se porter au centre contre Saint-Michel ; 
Masséna, ayant rebroussé sur Lesegno, par Ceva, fut renforcé 
de la brigade Joubert pour attaquer Taile gauche de Colli; 
Augereau tenterait de gagner les communications de l'ennemi 
pcLT Castellino. 



(1) Le combat de Mondovi eut lieu le 21 avril. 

(2) S*il y eut un conseil de guerre à Lesegno, après réchec de Saint- 
Michel, ce ne fut que pour expliquer aux divisionnaires les mouvements à 
exécuter le 20 en vue de l'attaque du 21. La communication était prise 
par Ormea ; il devenait inutile de garder la route de Savone. Laharpe 
vint donc de Dego à San Benedetto relever Masséna, qui descendit à 
Lesegno pour renforcer Sérurier. 

(3) Meynier et non Ménard. 



56 CHAPITRE XYU. 

Le général Colli avait réuni environ 10,000 à 12,000 hommes 
sur sa position derrière la Cursaglia ; il croyait avoir a faire 
à un ennemi deux ou trois fois supérieur, et, en réalité, les 
4 divisions qui opéraient contre lui faisaient bien 20,000 hom- 
mes, cavalerie comprise. Il ne pouvait espérer voir réussir 
toujours ce qui avait réussi une fois le 20 ; il ne devait pas 
chercher une action décisive sur la position qu'il occupait ; si, 
de leur côté, les Français la cherchaient, il n'y avait qu^à se 
retirer. 

Si la situation s'améliorait, ce ne pouvait être que par une 
action combinée avec Beaulieu ; il importait donc uniquement 
de gagner du temps jusqu'à la rentrée en scène de ce der- 
nier. 

Colli ordonna de né pas attendre l'attaque que l'ennemi pré- 
parait pour le 22 et d'abandonner la position pendant la nuit, 
mais pour en occuper une autre en deçà de Mondovi, à un 
mille de là ; cette dernière lui paraissait assez forte pour s'y 
arrêter quelques jours, évacuer Mondovi et attendre l'ap- 
proche de Beaulieu. 

Les Français, se portant à l'attaque au point du jour, remar- 
quèrent, à leur grande joie, que la position sur laquelle ils 
allaient, non sans appréhension, essayer leurs forces pour la 
seconde fois, était abandonnée ; Bonaparte ordonna sur-le- 
champ d'entamer la poursuite dans la plaine de l'EUero et de 
se jeter sur l'ennemi partout où on le rencontrerait. 

Les troupes de Colli s'étaient un peu attardées dans leur 
retraite. Sérurier les atteignit bientôt vers Vico ; les bataillons 
que Colli lui opposa à la hâte ne remplirent pas leur mission; 
ce général, sans avoir eu le temps de s'établir sur la position 
pmjetée, se vit assailli, tout près de Vico, par les divisions 
Sérurier et Meynier, et rejeté en désordre sur cette position 
même. L'attaque contre celle-ci s'ensuivit immédiatement. Au 
début, la résistance opposée à Dommartin, vers le centre, au 
lieu dit le Briquet^ parvint à l'arrêter; mais les brigades 
Guyeux et Meynier entourèrent la position, puis le centre fut 
enfoncé à son tour; Colli dut se retirer à travers Mondovi, 



COMBAT DB MONDOYI, LE 32 AVRIL. 57 

avec une perte de 1,000 hommes et de 8 pièces de canon, et 
continuer sa retraite jusqu'à Fossano. Une charge trop aven- 
tarée de la cavalerie française, sous le général Stengel, fut 
repoussée par celle de Tennemi et coûta des pertes sérieuses 
et la vie même de ce général. 



CHAPITRE XVIII 



Armistice avec les Sardes. 



A la nouvelle du combat malheureux de Moudovi, et vu le 
peu de secours qu*elle pouvait attendre de Beaulieu, la cour 
de Turin résolut de faire des propositions d'armistice et de 
paix. 

Bonaparte reçut, dès le 23, les ouvertures de CoUi en vue 
d'un armistice, et l'avis que le roi de Sardaigne envoyait 
quelqu'un à Gênes pour charger l'agent français, dans cette 
ville de faire des propositions de paix au Directoire. 

Bonaparte avait évidemment tout intérêt à cesser les opéra- 
tions contre la Sardaigne pour se tourner contre Beaulieu ; en 
outre, on pouvait prévoir que l'armistice allait aboutir i une 
paix séparée, ce qui était conforme aux intérêts et aux vues du 
gouvernement français. Il s'agissait seulement pour Bona- 
parte de consolider les avantages obtenus contre les Sardes 
par une garantie qu*il poserait comme condition de l'armistice. 
11 choisit pour garantie leurs forteresses piémontaises, que les 
Français pourraient utiliser comme base de leurs opérations 
au delà des Alpes et de l'Apennin. 

Bonaparte répondit le 24 au général Colli qu'il croyait, 
certes, à une paix entre les deux puissances ; mais qu'il ne 
pouvait s'appuyer sur une donnée aussi incertaine pour mar- 
cher à de nouvelles victoires ; il fallait donc que le gouverne- 
ment sarde lui livrât deux des trois places d'Alexandrie, Tor- 
tone et Coni, à son choix. Si l'on considère qu'il y avait un 
parti républicain à Turin et que l'esprit même de l'armée 



ARMISTICE AVEC LES SARDES. S9 

sarde était douteux, enfin que les Français étaient à deux 
étapes de Turin, ces exigences paraîtront très modérées. 

Bonaparte entrevoyait la possibilité d'enlever toute la Lom- 
bardie aux Autrichiens, s'il ne leur laissait le temps de se 
reconnaître ; il n'avait pas un moment à perdre, puisque Beau- 
lieu se remettait en mouvement. On estimera donc que cette 
modération était parfaitement sage; on ne s'en étonnerait 
pas, du reste, si l'on n'était habitué à trouver les généraux 
français de la Révolution éminemment présomptueux et impré* 
voyants. 

Mais, afin que cette présomption même ne fit pas défaut, le 
général français vint ajouter à ces exigences la demande inouïe 
que le corps auxiliaire autrichien, détaché sous les ordres de 
Colli, lui fût livré comme garantie. 

On peut croire que ce fut une simple mystification, dont 
Bonaparte essaya l'efl^et sur le gouvernement sarde, car il 
n'insista pas. 



CHAPITRE XIX 



Mouvements Jusqu'à la signature de l'armistice. 



Bonaparte Qt franchir l'ElIero à son armée le 2«3, et le 24, 
dirigea Masséna sur Carrù, Sérurier sur la Trinité de Fossano, 
Augereau vers Cherasco, 

Laharpe restait à San-Benedetto. 

Beaulieu se mit enfin en marche vers Nizza délia Paglia ce 
même jour, 24 avril, avec 16 bataillons et 24 escadrons; il 
laissait 7 bataillons et 6 escadrons du côté d'Âcqui pour cou- 
vrir son flanc. Comme il prit ses dispositions pour cette marche 
le 23, on peut admettre qu'il la fit en raison de la retraite de 
Colli, le 21 et le 22 ; la réunion des deux armées sur le Tanaro, 
quelque part vers Alba, en était le but. Les événements de 
Mondovi et les propositions d'armistice des Sardes eurent vite 
coupé le fil de la liaison projetée. 

Le 25, Sérurier se porta devant Fossano et échangea des 
coups de canon avec Colli, sur quoi celui-ci continua sa 
retraite le soir vers Turin et atteignit, le 26, les environs de 
Carmagnola. 

Le 25, les Français occupèrent Fossano avec la division 
Sérurier, Cherasco avec la division Masséna, et Alba avec la 
division Augereau. 

Le 26, ces 3 divisions furent réunies à Alba (1), et Bona- 



(1) Elles restèrent jusqu*au 29 à Fossano, Cherasco et Alba. Une bri- 
gade de la division Séruner fut envoyée vers le col de Tende pour assurer 
la liaison avec Macquart et le faire rejoindre en toute hâte. 11 n*y avait 
pas lieu dMnvestir Coni, dont la cession ne faisait déjà plus de doute. 



MOUVEMENTS JUSQU*A LA SIGNATURE DE L' ARMISTICE. 61 

parte se trouva ainsi posté entre CoUi et Beaulieu. Une brigade 
détachée contre Coni se réunit devant cette place aux géné- 
raux Macquard et Garnier, pour l'investir ; le général Vaubois, 
qui commandait Taile droite de Tarmée des Alpes, reçut de 
Bonaparte l'ordre de se porter sur Saluces. 



CHAPITRE XX 



Clauses de Farmistice. 



Le 26 arriva la réponse du général CoUi; le roi de Sar- 
daigne consentait à rendre Coni et Tortone ; le 28, Tarmistice 
fut signé. 

Les principales clauses étaient : 

i^ Cession de Coni et de Tortone ou (en attendant qu'on 
disposât de cette dernière) d'Alexandrie ; 

2^ Cession de la citadelle de Ceva ; 

3® Tracé d'une ligne de démarcation le long de la Stura, 
puis du Tanaro, jusqu'à Âsti ; de là, par Nizza à la Bormida, 
puis le long de celle-ci jusqu'au Tanaro en aval et au Pô ; 

4<> Autorisation accordée aux Français de passer le Pô a 
Valenza (qui était en dehors de cette ligne). 

Trois mois après, le 15 mai, la paix entre la France et la 
Sardaigne fut signée à Paris. 

Cette capitulation de la cour de Turin, après une campagne 
malheureuse, n'est pas un événement bien extraordinaire dans 
l'histoire des alliances ; elle est doublement justifiée quand on 
pense à la situation du peuple et de l'armée. 



CHAPITRE XXI 



Situation après Tarinistice, 



Les 40,000 hommes qui formaient Tarmée sarcle se trou- 
vèrent ainsi disparaître du théâtre des opérations ; la situation 
de l'armée autrichienne devint alors si précaire, qu'on pouvait 
prévoir la perte de la Lombardie jusqu'au Mincio ou à l'Adige. 
L'armée que Bonaparte allait opposer à Beaulieu ne comptait 
que 30,000 hommes, mais l'armée de Kellermann en comptait 
aussi 20,000 ; en admettant qu'il en fallût quelques-uns pour 
garder la frontière, on pouvait toujours en prélever 15,000 
pour grossir l'armée d'Italie; c'était donc 45,000 hommes que 
celle-ci pouvait mettre en ligne contre Beaulieu. Ce général 
avait reçu quelques renforts; il possédait 30 bataillons et 
44 escadrons, soit environ 26,000 hommes ; il faut y ajouter 
encore 4,000 à 5,000 hommes, qui avaient été fournis comme 
renfort à Tarmée sarde, que Beaulieu avait repris, et qui ne 
paraissent pas être compris dans l'eiTectif ci-dessus. Il y avait 
donc une disproportion marquée. Il est hors de doute que la 
supériorité morale de l'armée française devait être évaluée 
tout aussi haut. Mais un autre élément vient peser aussi d'un 
grand poids dans la balance, c'est la situation de l'Italie. Les 
gouvernements des États italiens étaient tout dévoués à l'Au- 
triche ; mais la volonté de quelques gouvernements faibles ne 
pouvait être d'aucun secours. Les peuples pouvaient aussi, 
autant que l'influence du clergé se ferait sentir, être animés 
contre les Français d'une fureur de fanatiques ; l'avenir le fit 
bien voir ; mais on n'en fut là que quand on eut appris à con- 
naître leurs méfaits ; en attendant, il se formait un parti puis- 



64 CHAPITRE XXI. 

sant, dévoué à leurs idées républicaines et espérant en une 
régénération grandiose de l'Italie. Ce parti accueillit le général 
français comme le Messie, et Ton s'attendait à voir ses procla- 
mations enflammer l'Ilalie tout entière et menacer les gouver- 
nements d'un formidable cataclysme. 

Dans de pareilles conditions, il semblait qu*au point de vue 
de Tintérêt général il fût de la plus haute importance que les 
Autrichiens sp maintinssent sur le cours supérieur du Pô, la 
Sesia ou le Tessin, et couvrissent indirectement la basse Italie; 
mais leur situation matérielle et morale était manifestement 
trop défavorable, et Tesprit des populations contribuait à 
rendre cette mission plus dirflcile, car les places situées sur les 
derrières, telles que Milan, etc., étaient celles qui avaient 
besoin des garnisons les plus fortes. 

Au contraire, si les Impériaux se retiraient jusqu'au delà du 
Mincio ou de TAdige, la basse Italie était perdue pour les opé- 
rations politiques et militaires ; mais la situation des Autri- 
chiens devenait bien meilleure: à part le contingent de 
2,000 cavaliers napolitains, les gouvernements italiens n^a* 
vaient rien pu faire pour soutenir la guerre ; l'armée autri- 
chienne perdait donc peu de chose; il était probable, en 
revanche, que les Français allaient se trouver plutôt affaiblis 
que renforcés, car il leur faudrait détacher des troupes en 
Italie pour couvrir leurs opérations politiques et militaires. 

Tout bien pesé, on réfléchit que le gouvernement autrichien 
eût mieux fait de prescrire à Beaulieu l'évacuation de la Lom* 
hardie jusqu'au Mincio, où il aurait pris position. Cette pro- 
vince était perdue à n'en pas douter ; quelque énergique que 
pût être la résistance des Autrichiens, quelque cher qu'ils 
fissent payer chaque progrès de Tennemî, il fallait s'attendre 
à de nouvelles défaites, à de nouvelles fautes, de nouvelles 
preuves d'incapacité; le moral des troupes françaises s'en 
trouverait encore exalté, l'honneur des armes autrichiennes 
tomberait plus bas encore. Or le moral et le prestige prennent 
deux fois plus d'importance quand a la guerre vient se lier 
un conflit d'opinions. 



SITUATION APRÈS L*ARinSTICE. 65 

A ces considérations générales s'en ajoute une plus particu- 
lière, relative à la base stratégique, des Autrichiens. Elle était 
comprise entre le Tyrol et la mer Adriatique, et le front cor- 
respondant s'étendait de Gênes aux Alpes suisses. 

De la sorte, les Autrichiens une fois repoussés sur la rive 
gauche du Pô, leur flanc gauche était menacé stratégique- 
ment, parce que leur base était très étroite et que la force de 
leur armée, ainsi que tout le reste, ne permettait pas de rendre 
menace pour menace. Le général autrichien allait se trouver 
entraîné par là dans des difficultés absolument inextricables, 
et l'avenir l'a bien fait voir. 



CHAPITRE XXII 



Le plan de Bonaparte. 



Bonaparte n'ignorait aucun des avantages de sa situation ; 
non seulement il se sentait entraîné en Lombardie, mais déjà 
il donnait libre cours à son imagination, comme il la fait si 
souvent par la suite. 

Il écrivait, le 28 avril, au Directoire : 

a Si vous ne vous accordez pas avec le roi de Sardaigne, 
« je marcherai sur Turin... ; en attendant, je marche demain 
tt sur Beaulieu; je l'oblige de repasser le Pô, je le passe immé- 
a diatement après lui, je m'empare de toute la Lombardie, et, 
« avant un mois, j'espère être sur les montagnes du Tyrol, 
« trouver l'armée du Rhin et porter, de concert, la guerre 
a dans la Bavière. 

« Ordonnez que 15,000 hommes de larmée des Alpes 
« viennent me rejoindre ; j'aurai alors une armée de 
« 45,000 hommes, et il est possible que j'en envoie une partie 
« sur Rome. » 

Bonaparte oublie que les relations avec Naples sont hos- 
tiles ; avec Rome, très tendues ; avec les autres États, incer- 
taines ; il y avait donc lieu de les changer du tout au tout pour 
assurer les derrières de l'armée française (1); pour cela, il 



(1) Glausewitz soutiendra, au contraire, dans les chapitres 31 et 32, 
qu*il était inutile d*agir dans l'Italie centrale pour garantir la sécurité de 
Tarmée. On peut donc réfuter cet argument en invoquant Fauteur lui- 
même. Il semble que Bonaparte n*ait jamais considéré les puissances ita- 



LE PLAN DE BONAPARTE. 67 

fallait avoir du temps, et, de plus» pendant ce temps, détacher 
une partie de l'armée pour appuyer Faction diplomatique par 
des démonstrations. Il oubliait aussi qu'il y avait nombre de 
petites places à investir en Lombardie : Pizzighettone, la cita- 
delle de Milan, Brescia, etc. ; que Mantoue était une grande 
place, très importante, pourvue sans doute d'une forte gar- 
nison ; qu'on ne pouvait la laisser derrière soi sans un corps 
d'investissement considérable (1) ; qu'on ne pouvait négliger 
Venise et la route principale venant d'Autriche, celle de Vil- 
lach, si Ton pénétrait en Tyrol par la vallée de TAdige (2). 

Quand et avec quelles forces Bonaparte eût-il pu apparaître 
dans le Tyrol, après avoir satisfait à toutes ces exigences? Et 
quels périls dans la situation stratégique d'une pointe ainsi 
aventurée I 

Le Directoire rejeta ces idées extravagantes, et nous verrons 
que Bonaparte lui-même n'y pensa plus jamais (3). 



liennes comme dangereuses, et que ses expéditions sur Livourne, Bologne, 
Tolentino, etc., aient eu surtout pour but de poun^oir aux besoins de 
Tannée. La chose est prouvée, du moins, en ce qui concerne Texpédition 
de Tolentino. En tous cas, Bonaparte a pensé, jusqu'au mois d*août, à 
rejoindre Moreau, et les États de l'Italie centrale ne lui semblaient pas 
assez redoutables pour l'arrêter dans cette voie. 

(1) Il a fallu 12,000 hommes pour faire le siège régulier de Mantoue, 
mais le corps de blocus est descendu parfois jusqu'à 6,000 et même 
4,000 hommes. 

(2) C'est la crainte d'être assailli par la route du Frioul qui a empêché 
Bonaparte de marcher sur Innsbrûck dès que Wurmser eut porté une 
partie de ses forces sur la Brenta ; mais jusqu'après la bataille de Casti- 
glione, il n'y avait rien à craindre de ce côté, où l'Autriche n'avait pas de 
forces disponibles. Glausewitz aurait dû se rappeler cet argument au 
moment où il signale le projet d'offensive de Bonaparte sur Trieste. 

(3) Bonaparte répète son intention de traverser le Tyrol et de rejoindre 
Moreau dans des termes tels, qu'il est impossible, aujourd'hui, de douter 
que ça ait été le but essentiel de ses opérations jusqu'à l'offensive de 
Wurmser. Sa proclamation du 14 juin, aux Tyroliens, est une preuve 
formelle qu'il pensait traverser leurs montagnes avant peu. 

U fallut l'arrivée des 60,000 hommes de Wurmser et surtout l'envoi d'un 
corps d'armée autrichien sur la Brenta, pour renverser ce projet. 



CHAPITRE XXIII 



Beaulieu passe le Pô. 



Beaulieuy à la nouvelle des négociations entamées en vue 
de l'armistice, s'était rapproché, le 27, d'Alexandrie; il y resta 
avec le gros de son armée, ayant un second corps à Acqui et 
un troisième à Pozzolo Formigaro. 

A la nouvelle de l'armistice, Beaulieu forma le projet hardi 
de s'emparer par surprise des trois citadelles de Valenza» 
Tortone et Alexandrie avec sa cavalerie. Il réussit à Valenza, 
échoua devant les deux autres places. 

Beaulieu avait peut-être espéré se maintenir dans le triangle 
formé par ces trois places, par conséquent sur la rive droite 
du Pô. Par le fait, ce triangle a assez l'air d'un bastion straté- 
gique, propre à tenir l'adversaire en respect et à couvrir ainsi 
la Sesia et le Pô inférieur. Les choses se fussent probable- 
ment passées de la sorte, si Beaulieu avait été un Turenne et 
Bonaparte un Montecuculli ; mais contre un Bonaparte com- 
mandant une armée révolutionnaire, c'était un moyen illusoire ; 
il aurait eu vite fait de déchirer cette toile d'araignée et Beau- 
lieu se serait trouvé emporté par quelque avalanche. 

Le coup de main sur Alexandrie et Tortone ayant échoué, 
Valenza ne pouvait servir à rien toute seule ; Beaulieu l'aban- 
donna, y passa le Pô le 2 mai, rompit les ponts et prit position 
avec son gros à Cogna, Valeggio et Lomello ; il comptait dé- 
fendre de là, non la ligne du Pô, mais celle de l'Agogna, 
ayant son aile gauche sous le général Rosselmini à Sommo, 
sur la route de Voghera à Pavie, entre le Pô et le Tessin ; les 






BEAULIEU PASSB LE PÔ. 69 

avant-postes de son aile droite étaient sur la Sesia, ceux de sa 
gauche sur le Pô et un détachement de flanqueurs surveillait 
ce fleuve jusqu'à Olona. 

Cette position n'était vraiment pas de nature à remplir aucun 
des buts que se proposait le général autrichien. 

Elle faisait face à TOuest, par où Tennemi n'arrivait pas ; 
elle se Qait, pour la sécurité de ses flancs et de ses derrières, 
à une neutralité que les Français ne respecteraient pas ; elle 
reposait enfin essentiellement sur la conviction, inspirée par 
Bonaparte lui-même, qu'il passerait à Valenza. 

Cependant, comme dans cette position le gros de l'armée 
autrichienne comprenait 20,000 hommes, sur un espace de 
4 milles, entre Sommo et Lomello, et que la position des 
Français entre Alexandrie et Voghera menaça jusqu'au 6 le 
cours du Pô en amont du Tessin, on ne peut pas dire que 
cette position fût absolument mauvaise. Peut-être eût-il été 
préférable de prendre une position centrale vers Pavie ; on 
eût ainsi tenu une plus grande partie du Pô et l'on aurait dé- 
fendu le Tessin au lieu de TAgogna. 



CHAPITRE XXIV 



Bonaparte passe le Pô. 



Bonaparte n'avait fait insérer, dans la convention de Che- 
rasco, ]a clause du passage à Valenza que pour tromper Beau- 
lieu. Il était clair que les Impériaux seraient obligés de se 
reporter d'autant plus loin que lui aurait passé le Pô plus à 
TEst, ety en même temps, il tournait un plus grand nombre 
des rivières qui descendent des Alpes. Cela dépendait de lui, 
car il était le plus fort, le vainqueur, et pouvait faire la loi à 
son ennemi. Pourtant, Tamplitude de son mouvement avait 
des limites. 11 ne pouvait pas aller jusqu'à la mer Adriatique 
et passer de ce côté, de manière à rejeter les Autrichiens du 
premier coup derrière FAdige. 11 lui fallait toujours s'arrêter 
aux environs de Mantoue, et il ne pourrait pas, à une peireille 
proximité des Autrichiens, considérer le Milanais comme 
une conquête définitive. Le Milanais serait tombé forcément 
en son pouvoir, s'il avait pu rejeter les Autrichiens au delà 
des montagnes ; mais il n'en était pas ainsi ; il fallait pénétrer 
réellement dans cette province, déloger les garnisons autri- 
chiennes et les autorités militaires qui pouvaient y être res- 
tées, investir Pizzighettone et la citadelle de Milan, et s'arrêter 
là pour s'y préparer une zone de manœuvre. Bonaparte pou- 
vait ne pas agir ainsi et poursuivre sa marche à travers tous 
ces obstacles ; mais, chemin faisant, il lui faudrait faire des 
détachements, et ce serait un mal. Ainsi, le mouvement débor- 
dant sur la gauche autrichienne était limité. 

Il y avait à cela une autre raison plus puissante encore. Le 



BONAPARTE PASSE LE PÔ. 71 

Pô est une barrière considérable, et l'armée française avait 
bien le personnel d'un équipage de pont, mais sans le matériel; 
elle ne pouvait que se servir des bateaux trouvés sur les 
lieux ; il lui importait donc beaucoup d'exécuter son passage 
sans l'emporter de haute lutte, c'est-à-dire en un point où elle 
De se heurterait pas à des forces sérieuses. 

Bonaparte jugea préférable, pour atteindre ce résultat, de 
ne pas mettre toute son armée en marche vers le cours infé- 
rieur du Pô ; il résolut de tenir l'ennemi en éveil par des dé- 
monstrations dans la zone où celui-ci attendait déjà son attaque 
et se préparait à la défense ; pendant ce temps, un détache- 
ment réussirait à passer le fleuve en aval, et l'armée entière 
l'y suivrait en toute hâte. Cette conception restreignait encore 
bien plus l'amplitude du mouvement, car, plus le point de 
passage serait éloigné des deux armées, moins on pourrait 
compter réussir la surprise. 

Dans cet ordre d'idées, Bonaparte ne pensait même pas 
pouvoir se porter jusqu'à Crémone, ce qui lui aurait donné 
l'avantage de tourner l'Adda et de couper, à Crémone même, 
la principale route de Mantoue ; c'est sur Plaisance qu'il arrêta 
son choix, déterminé par le détail des localités ; en pareille 
matière, c'est toujours à elles qu'il faut demander la meilleure 
solution. 

Le passage du Pô par Bonaparte s'explique donc par les 
raisonnements stratégiques les plus simples et les plus décisifs ; 
ce sont, à n'en pas douter, ceux qu'il a faits lui-même, peut- 
être sous une autre forme. 11 y avait encore, penseront beau- 
coup de nos lecteurs, un danger à craindre : c'était celui qui 
menaçait les communications, si, pendant cette marche de flanc, 
Beaulieu s'était porté sur Pavie. Il n'est pas impossible que 
cette considéraition ait influé aussi sur la décision du général 
français; mais nous la considérons comme inadmissible. La 
ligne de communication des Autrichiens était, de son côté, 
aussi menacée que celle des Français ; or, l'armée française, 
nous l'avons déjà dit, avait la supériorité matérielle et morale, 
riuitiative des opérations ; elle n'avait donc à envisager que 



72 CHAPITRE XXIV. 

les avantages résultant pour elie-même de la f&cheuse situation 
où elle allait mettre les communications ennemies. Quand se 
déciderait-on à prendre un parti, si l'on s'avisait de supposer 
toujours l'équilibre rétabli entre les deux adversaires, au lieu 
de se demander, au bout du compte, d*où doit venir l'initia- 
tive (I)? 

Peu de temps après l'armistice, Bonaparte avait remis son 
armée en marche vers la région d'Alexandrie et de Torlone. 
Sans entrer dans plus de détails, nous la trouvons, le 4 mai, 
sur les emplacements suivants : 

Sérurier à Alexandrie et Valenza ; 

Masséna à Tortone et Sale ; 

Augereau à Castellanio ; 

Laharpe à Voghera, avec avant-garde à Casteggio. 

Cette disposition menaçait évidemment d'une tentative de 
passage à Valenza. La division Laharpe, avec son avant-garde, 
paraissait seule prête à s'élancer; mais elle ne menaçait que 
la région immédiatement en aval de Pavie. 

C'est le 6 qu'elle s'élança. Bonaparte, à la tête de 3,000 gre- 
nadiers et 1500 cavaliers, fit une marche forcée sur Plaisance, 
atteignit cette ville le 7 et traversa sur les bateaux recueillis 
le long de la rive droite du Pô. Les Autrichiens avaient sur 
l'autre rive 2 escadrons, qui furent vite repoussés. 

L'armée suivit promptement cette avant-garde, atteignit le 
point de passage dès le 7 ; mais, par suite du peu de bateaux 
dont elle disposait, il fallut les journées du 7, du 8 et du 9 
pour qu'elle passât tout entière. 



(1) Clausewitz a parfaitement explique le choix de Plaisance pour le pas- 
sage du Pô, en disant qu'un mouvement plus étendu ne permettait pas 
de surprendre l'ennemi. Ce point une fois établi, il n'y avait plus à dis- 
cuter la possibilité de choisir Crémone et de faire intervenir le détail des 
localités. 



CHAPITRE XXV 



Combat de Fombio, le 8 mai. 



La marche des Français le 4 mai Gt réfléchir Beaulieu au 
danger couru par sa gauche; alors commence de son côté une 
suite de mouvements et de détachements, qu'il faut bien consi- 
dérer comme représentant la défense du Pô; le combat de 
Fombio les 7 et 8 mai termine cette crise et a pour résultat la 
perte de la ligne du Pô. 

Nous ferons de notre mieux pour suivre Tordre chronolo- 
gique. 

4 mai. — Informé sans doute que Tavant-garde française 
de Casteggio fait un mouvement vers la droite, Beaulieu envoie 
le général Liptay avec 8 bataillons et 8 escadrons à Belgio- 
joso ; celui-ci arrive le 5 et occupe le Pô jusqu'au Lombro. 

Le 6, Liptay va jusqu'à Porto -Morena, près du Pô, à moitié 
chemin entre le Lombro et l'Olona. 

Beaulieu se porte à Grupello dans l'intention de se retirer 
en arrière du Tessin. Il envoie Colli avec 4 bataillons et 2 esca- 
drons à Buffalora. 

Wukassovitch va à Valeggio. 

Le détachement de Buffalora ne peut être motivé par rien, 
si ce n'est par l'idée vague de couvrir Milan. 

L'armée de Beaulieu est éparpillée maintenant sur 12 milles. 

Le 7, Beaulieu va à Pavie, y reste quelques heures et va 
ensuite avec 7 bataillons et 12 escadrons à Belgiojoso, ce qui 
fait une marche de 5 milles. Il a donc eu probablement con- 
naissance de la marche non seulement de Tavant-garde, mais 
de la division La Harpe elle-même vers Plaisance. 



74 CHAPITRE XXV. 

Sebottendorf resta à Pavie avec 6 bataillons et 6 escadrons 
pour faire évacuer le magasin ; il ne put d'ailleurs y réussir, 

Wukassovitch suit l'armée principale jusque derrière le Ter- 
doppio. 

Liptay est poussé entre le Lombro et TÀdda. 

Beaulieu envoie le colonel Wetzel renforcer Liptay à Corte- 
Olona. 

Ce jour-là, l'armée autrichienne, abstraction faite du déta- 
chement de BufTalora, se trouvait donc étendue sur un front 
de 8 milles depuis Fombio, où va Liptay, jusqu'au Terdoppio; 
elle était fractionnée en 5 détachements : Wukassovitch, Se- 
bottendorf, Beaulieu, Wetzel, et Liptay, et pourtant l'instant 
décisif approchait. 

Nous avons vu que, le 7, Bonaparte passait à Plaisance avec 
l'avant-garde, et que La Harpe suivait. Les deux escadrons 
sur lesquels il tomba étaient la pointe de Liptay. Ce général, 
qui a 8,000 hommes (1), apprend le 7, pendant sa marche vers 
le Lombro, que le passage est commencé ; il presse sa marche ; 
à Guarda-Miglio, à 2 lieues du point de passage dans la direc- 
tion de Casal-Pusterlengo, il tombe sur la pointe des Français; 
par un combat acharné qui ne flnit qu'à la nuit close, il les re- 
pousse jusqu'auprès du fleuve. Le général Liptay craint alors 
de se heurter à des troupes trop nombreuses, et se retire dans 
la nuit jusqu'à Fombio. 

Si vraiment le général Liptay avait 8,000 hommes, 
comme la relation autrichienne le dit, il est extrêmement 
douteux qu'il se soit trouvé à ce moment une force française 
notablement supérieure à la sienne sur la rive gauche du Pô. 
Mais il est très vraisemblable qu'en vertu du proverbe : Tel 
maître, tel valet, ce général avait fait beaucoup de détache- 
ments. Il lui restait peut-être à peiûe le strict nécessaire pour 



(1) Au dire de la relation autrichienne elle-même, bien qu'on se 
demande comment 8 bataillons et 8 escadrons formaient encore un pareil 
effectif. [Note de rauieur.) 



COMBAT DE FOMBIO, LE 8 MAI. 75 

qu'en attaquant très énergiquement, il parvînt à écraser les 
Français, pour qui c'était une affaire de vie ou de mort. 

8 mai. — A une heure, Bonaparte se porte en trois colonnes 
contre Liptay ; deux d'entre elles le coupent de Beaulieu et 
Casai Pusterlengo d'une part, de Codogno et Pizzighettone de 
Tautre, pendant que la troisième l'attaque de front. Les Fran- 
çais peuvent avoir engagé 10,000 à 12,000 hommes. Après un 
combat très vif, dans lequel Liptay perd 600 hommes, ce der- 
nier se retire par Co3ogno, surtout à cause de la crainte qu'il 
éprouve d'être coupé de Pizzighettone, objectif de sa retraite ; 
du reste, il lui faut déjà se frayer un chemin à travers des 
détachements ennemis. 

La Harpe poursuit jusqu'à Codogno; Dallemagne, avec les, 
grenadiers, jusqu'à Pizzighettone; Bonaparte revient à Plai- 
sance. 

Le corps de Liptay se dissout presque entièrement. Trois 
bataillons ont été si maltraités dans le combat qu'il leur faut 
se retirer à Lodi; 3 bataillons et 5 escadrons sont envoyés en 
exécution d'ordres antérieurs à Casai Maggiore, point où la 
route de Mantoue à Parme traverse le Pô ; il garde 2 bataQ- 
lons et 3 escadrons à Pizzighettone. 

Beaulieu avait l'intention de pousser ce jour-là jusqu'à 
Santa-Cristina, à deux lieues plus loin sur sa gauche, pour 
pouvoir de cette position centrale appuyer Sebottendorf à sa 
droite, ou Liptay à sa gauche ; il pensait rompre aussitôt après 
la soupe, mais dans la matinée il apprend le combat du 7 et 
se met en marche sur Ospedaletto avec 9 bataillons et 12 esca- 
drons. Ospedaletto est à 4 milles de Belgiojoso, sur la route 
de Crémone, et à un mille seulement de Casai Pusterlengo. Il 
partait donc à l'heure même où, à 6 milles de là, le général 
Liptay était attaqué et battu dans le combat qui décidait de la 
situation. 

Le général Beaulieu ne pense pas qu'il soit encore temps de 
rappeler à lui Sebottendorf et CoUi, mais il paraît craindre 
qu'une partie de l'armée française ne se porte vers Milan en 
passant le Tessin ; il s'estime assez fort, réuni à Liptay ; ce qui 



76 CHAPITRE XXV. 

lui fait 13,000 à 14,000 hommes, pour culbuter ce qui a déjà 
passé à Plaisance. 

Dans sa marche sur Ospedaletto, Beaulieu disperse encore 
ses forces comme il suit : 

i bataillon vers Senne, 
i — vers Somaglia, 
2 — vers Fombio, 

2 — et 4 escadrons vers Codogno, 

3 — et 8 — seulement à Ospedaletto. 

Le but de cette prodigieuse dispersion est expliqué en ces 
termes dans la relation autrichienne : 

Pour assurer le flanc droit du côté du Pô et préparer l'at- 
taque générale, ces bataillons devaient soutenir et renforcer 
le corps du général Liptay, en quelque endroit qu'ils le trou- 
vassent. 

Le soir à Ospedaletto, Beaulieu reçut de Liptay une dépêche 
qui avait subi un long retard ; elle annonçait qu'il était encore 
à Fombio et avait repoussé l'attaque de l'ennemi; mais plus 
avant dans la soirée les patrouilles lui apprirent que Liptay 
était battu et Codogno occupé par Tennemi. Beaulieu résolut 
alors de se frayer un chemin jusqu'à Liptay le lendemain 9, 
au point du jour. 

Le général Schubirts, qui commandait, semble-t-il, les 2 ba- 
taillons détachés vers Codogno, se trouvait avec eux et avec 
4 escadrons près de ce village; c'était en quelque sorte l'avant- 
garde de Beaulieu; entre-temps, ce général avait tenté une 
attaque de nuit, pour bousculer la division La Harpe. Cette 
attaque réussit, mais il semble qu'elle n'ait rencontré que les 
avant-postes de la division La' Harpe. Les Autrichiens pré- 
tendent avoir pris là 6 canons ; les Français n'en parlent pas. 
Les Autrichiens ne purent cependant pas s'emparer complète- 
ment de Codogno, et le général Schubirts dut se retirer le 9 
au matin sur Casai Pusterlengo. Le général La Harpe fut tué 
dans ce combat de nuit par ses propres troupes. 

La nouvelle de cette heureuse attaque du général Schubirts 
confirma le général Beaulieu dans son projet d'ofTensive. Il 



COMBAT DE FOMBIOy LE 8 MAI. 77 

envoya à Liplay, Schubirts, et Pittoni, l'ordre d'assaillir de 
tous côtés à 3 heures du matio les troupes ennemies de Co- 
dogno et de Fombio. Mais Beaulieu constata bientôt qu'aucun 
officier ne pouvait plus parvenir à Liptay, ce qui lui Qt aban- 
donner toute idée de prolonger la résistance ; il ne pensa plus 
qu'à ramener son armée derrière TAdda. Il envoya Tordre à 
CoUi de passer par Milan, de laisser une garnison dans la cita- 
delle et de franchir l'Adda à Cassano ; à Sebottendorf, de ral- 
lier Wukassovitch et de marcher au plus vite sur Lodi, où il 
se dirigea lui-même le 9. 

Bonaparte laissa son armée immobile le 9. Il n'avait pas en- 
core de pont sur le Pô; il n'en eut que le 10, et il était toujours 
occupé à faire passer sa cavalerie et son artillerie. 

Cet arrêt permit à Beaulieu d'atteindre le pont de Lodi sans 
de nouvelles pertes avec ses propres détachements (c'est le 
seul nom qu'on puisse donner à un corps ainsi émietté) et de 
rallier à soi par ce pont, Sebottendorf et Wukassovitch. 

Bonaparte employa la journée du 9 à imposer au duc de 
Parme, avec lequel la France n'était pas en guerre, un traité 
par lequel il prélevait sur le duché une contribution de 2 mil- 
lions. 



CHAPITRE XXVI 



Combat de Lodl, le 10 mai. 



Le 10, Bonaparte se porta sur Lodi à la tête des grenadiers 
et suivi par la division Masséna ; Augereau venait un peu en 
arrière. 

La division La Harpe, placée provisoirement sous le com- 
mandement de Ménard, resta du côté de Pizzighettone ; celle 
de Sérurier marcha sur Pavie, pour s'assurer la possession de 
cette place; elle devait se porter de là sur Milan. 

Beaulieu avait si peu l'idée de s'arrêter derrière l'Adda, que 
dès le 9 au soir il partait pour Crema avec 6 bataillons et 
10 escadrons, laissant 4 bataillons et 4 escadrons sous le gé- 
néral Schubirts à Lodi, pour attendre Sebottendorf et pour- 
suivre ensuite sur Crema. 

Le 10, à 11 heures, les dernières troupes de Sebottendorf 
étaient arrivées et après le départ de Schubirts, Lodi contenait 
12 bataillons et 12 escadrons, soit 12,600 hommes (1). 

Le 10, les forces autrichiennes sont réparties comme il 
suit : 



(1) Ce chiffre fourni par la relation autrichienne est encore extraordi- 
naire, car la même relation donne pour le total de l'armée autrichienne 
en mai 35 bataillons et 44 escadrons comprenant 26,000 hommes seule- 
ment. Il y a là une contradiction évidente, d'autant plus bizarre que la 
relation est tirée des pièces officielles autrichiennes. 

[Note de rautewr.) 



COMBAT DE LODI, LE 10 MAI. 79 

it bataillons et 16 escadrons à Lodi, 
10 — 14 — Crema, 

2 — 3 — Pizzigheltone, 

3 — 5 — Casalmaggiore, 

4 — 2 — Cassano. 



Total — 31 bataillons et 40 escadrons. 

Il manque encore, puisque Tarmée autrichienne comptait 
35 bataillons et 44 escadrons, une force de 4 bataillons et 
4 escadrons, dont l'emploi n*est pas expliqué dans la relation 
autrichienne. 

Sebottendorf ne doit s'arrêter sur TAdda que 24 heures 
environ, pour procurer aux troupes au moins une journée de 
sécurité pendant laquelle elles se reposeraient de leurs marches 
forcées. Il a chargé 3 bataillons de Croates de défendre les 
ponts de TÂdda et a placé là 14 pièces ; 5 bataillons et la cava- 
lerie sont un peu en arrière en réserve. 

3 bataillons sont détachés à Credo, à une lieue en aval de 
Lodi, où se trouve un second passage (probablement un bac 
ou un gué). 1 bataillon et 2 escadrons sont restés au delà des 
ponts, à Lodi, pour recueillir Wukassovitch. 

Qui aurait cru qu'avec de telles dispositions, l'honneur des 
armes autrichiennes allait subir un échec dont il y a peu 
d'exemples dans l'histoire! 7,000 hommes et 14 pièces pour 
défendre un pont de 300 mètres de long, sur une rivière 
infranchissable ! Qui n'aurait cru cette position inattaquable ? 

C'est un véritable malheur pour l'histoire militaire que 
d'ignorer presque entièrement le menu détail de ce combat et 
celui des localités; c'est en efTet un événement à peu près 
sans égal. On trouverait pourtant la clef du mystère, soit dans les 
localités mêmes, soit dans le détail des dispositions prises, et 
rissue en paraîtrait sans doute moins merveilleuse. 

Wukassovitch semble avoir atteint le pont de Lodi sans 
encombre avec son arrière-garde, et l'avoir passé, quoique 
vivement poursuivi (1). Le bataillon et les 2 escadrons de la 

(1) Lettres cTltalie. 



80 CHAPITRE XXYI. 

rive droite se retirèrent aussi, sans être serrés d'assez près 
pour que l'ennemi passât à leur suite. 

L'artillerie autrichienne tenait encore en respect celle des 
Français. Malheureusement, grâce à tous ces mouvements, 
on n'avait pu couper le pont, et, du reste, cela ne paraissait pas 
plus nécessaire que ce n'était faisable. 

Bonaparte ayant à combattre aux portes de la ville le ba- 
taillon qu'on y avait laissé, conclut de la présence même de 
ce bataillon que le pont ne devait pas être coupé; il courut 
donc de sa personne jusqu'au débouché, et 6t aussitôt, sous 
la mitraille ennemie, mettre en batterie 2 pièces de son avant- 
garde tout contre le pont (et vraisemblablement un peu à cou- 
vert) aQn d'empêcher les travaux de destruction. 

Une batterie imposante fut constituée sur les parties du mur 
d'enceinte qui faisaient face au pont. Un feu effroyable fut 
ouvert sur l'artillerie autrichienne, qui, entièrement décou- 
verte, paraît en avoir beaucoup souffert et fut contrainte de 
retirer ses pièces quelque peu en arrière pour échapper à des 
salves de mitraille très efficaces. 

La situation resta stationnaire pendant quelques heures, 
jusque vers 5 heures de l'après-midi (d'après les mémoires de 
Bonaparte); on se canonnait de part et d'autre. Bonaparte 
résolut alors d'enlever le pont de vive force. La seule disposi- 
tion prise pour faciliter cet assaut était l'envoi du général 
Beaumont avec un parti de cavalerie à une demi-lieue en 
amont; là, vers Mozzanica, il trouverait un gué par lequel il 
pourrait prendre en flanc avec son artillerie la droite autri- 
chienne. Ce passage présenta plus de difflcultés que Bonaparte 
ne l'avait pensé, et le général Beaumont ne put pas coopérer 
utilement à l'attaque; on peut supposer, cependant, que la 
nouvelle de cette tentative produisit déjà chez les troupes 
autrichiennes un commencement d'hésitation. 

Bonaparte forma une colonne serrée de 3,500 grenadiers, 
qu'il cacha derrière l'enceinte de la ville, tout près du pont et 
plus près, dit Bonaparte, de l'artillerie autrichienne que l'in- 
fanterie ennemie elle-même. Dès qu'il remarqua un ralentisse- 



COMBAT DE LODI, LE 10 MAI. 81 

ment dans le feu des batteries ennemies, il ébranla cette 
colonne et la lança vivement sur le pont. 

La colonne hésita au début, mais plusieurs généraux se 
jetèrent à sa tête, soulevèrent Tenthousiasme de la troupe et 
poussèrent au pas de course jusqu'au bout du pont. 

Il semble cependant qu'au milieu un nouvel arrêt se soit 
produit, car un essaim de tirailleurs se laissa glisser du pont 
dans la rivière, ayant remarqué que de ce côté elle était 
presque à sec. Cet exemple fut rapidement imité, et le débou- 
ché de la colonne s'en trouva facilité (I). 

Cette relation, empruntée au rapport officiel de Bonaparte, 
est obscure et présente quelques contradictions. 

Nous ne sommes plus en mesure d'élucider cet événement ; 
de plus amples informations sur les localités pourront le per- 
mettre dans l'avenir, mais il est présumable que quelque 
détail matériel aura facilité l'entreprise. En tous cas, il est cer- 
tain que l'infanterie et l'artillerie autrichiennes étaient matériel- 
lement et moralement très abattues par la série de défaites 
qu'elles avaient subies, et qu'épouvantées par l'audace sans 
exemple de l'attaque, elles n'ont pas fait leur devoir. 

La division Masséna suivait les grenadiers et était suivie par 



(1) Le récit de Jomini, extrait de la Campagne du général Bonaparte en 
Italie pendant les années rr et Y jtar un officier général^ n*est, à propre- 
ment parler que le récit môme de Bonaparte au Directoire et s'exprime 
comme il suit (t. VIll, p. IS'S) : 

M Celte redoutable masse de grenadiers, ayant le 2* bataillon de cara- 
biniers en tète, s*élança au débouché du pont; la mitraille que 20 pièces 
vomissaient dans ses rangs, y causa un moment d'incertitude, et le rétré- 
cissement du défilé pouvant chanp^er cette incertitude en désordre, les 
généraux se mirent à la tôte des troupes et les enlevèrent avec enthou- 
siasme. Parvenus au milieu du lit, les soldats français s'aperçoivent que le 
côté opposé, loin d'offrir autant de profondeur que Tautre, pouvait presque 
se passer à pied sec. Aussitôt une nuée de tirailleurs se glisse au bas du 
pont et avec autant d'intelligence que de courage se jette sur l'ennemi 
pour faciliter la marche de la colonne. Ainsi favorisée, celle-ci redouble 
d*ardeur et de confiance, se précipite au pas de charge sur le pont, le 
franchit à la course, aborde et culbute dans un instant la première ligne 
de Sebottendorf, enlève ses pièces et disperse ses bataillons, etc. » 

(Note de l'auteur.) 

6 



82 CHAPITRE XXVI. 

la division Augereau, qui ne faisait que d'arriver ; les batail- 
lons autrichiens furent repoussés sans peine et les batteries 
enlevées. 

Sebottendorf rallia son infanterie à Fontana sous la protec- 
tion d'environ 20 escadrons de cavalerie ; il se retira en bon 
ordre sur Benzona, à mi-chemin de Crema, puis dans la nuit 
à Grema; il avait perdu 2,000 hommes et 15 pièces de canon. 

Les divisions françaises n'inquiétèrent pas sa retraite comme 
on aurait dû s'y attendre : elles furent arrêtées, soit par le 
manque de cavalerie, car cette arme y était peu nombreuse, 
soit par la fatigue des troupes; cependant on ne peut guère 
admettre ce dernier argument, car il y a 4 milles 1/2 de 
Plaisance à Lodi, et la majeure partie des troupes avaient 
passé le Pô le 7 et le 8. 



CHAPITRE XXVII 



Considérations. — Beaulieu. 



Ce qu'on appelle la bataille de Lodi termine provisoirement 
les opérations de Bonaparte contre Tarmée autrichienne puis- 
qu'il ne la poursuit pas, ainsi que nous allons le voir, et s'oc- 
cupe d'autre chose. 

Nous allons nous livrer à quelques réflexions sur les événe- 
ments survenus depuis l'armistice. 

Nous avons déjà dit (chap. XXI) qu'il eût mieux valu reti- 
rer immédiatement l'armée autrichienne en arrière du Mincio. 
On conçoit aisément qu'il n'en fut pas ainsi parce qu'on ne 
pouvait en donner Tordre à Vienne, et qu'un simple général 
dans la situation de Beaulieu pouvait difQcilement prendre sur 
lui une mesure comme l'évacuation du Milanais. Mais aucune 
considération ne pouvait excuser la position prise par Beau- 
lieu à Valeggio derrière l'Agogna. Ses principales préoccupa- 
tions devaient être de couvrir Milan aussi longtemps que pos- 
sible, mais surtout d'assurer sa retraite sur le Mincio et 
notamment par la route de Mantoue. Il fallait penser que le 
territoire de Parme ne couvrait pas suffisamment son flanc 
gauche, que la route de Mantoue se trouvait derrière son aile 
gauche et tout près du Pô ; en conséquence, il y avait lieu de 
considérer le Pô, en aval du confluent du Tessin, comme sa 
ligDe de défense par excellence ; au contraire la défense du Pô 
«Q amont du Tessin avait moins d'importance non seulement 
parce qu'elle était moins menacée, mais surtout parce qu'elle 
était de moindre conséquence pour lui. Il semble qu'en amont 



84 CHAPITRB XXVU. 

du coDflueQt de TAgogna, il ait choisi comme ligne de défense 
cette rivière elle-même et non le Pô. 

Dans ces conditions, il valait mieux s^en tenir au Tessin, c'est- 
à-dire avoir sa masse principale vers Pavie. Une fois là, si les 
Français s'étaient portés au nord, vers Milan, il en était plus 
près qu'eux et pouvait encore prendre une position d'arrêt à 
son gré ; si les Français se tournaient vers Test pour passer le 
Pô en aval, il disposait de la route de Mantoue, parallèle au 
fleuve; celui-ci a dans cette région 700 à 800 pas de largeur, 
et, vu la pénurie des Français en matériel de ponts, il pouvait 
espérer défendre la ligne du Pô avec succès dans une certaine 
mesure. 

Nous disons a dans une certaine mesure » , car il faut se 
figurer exactement la situation de Beaulieu. Il avait 26,000 
hommes; il pouvait en attribuer 40,000 à son adversaire, car 
si les renforts de Tarmée des Alpes ne lui étaient pas encore 
parvenus, du moins le voisinage de cette armée lui permet- 
tait-il de garder tout son monde avec lui. On a dû penser du 
côté des Autrichiens que les Français avaient au moins 
80,000 hommes dans les Alpes et l'Apennin, et cela avec quel- 
que raison, comme nous l'avons vu dans le chapitre I; il n'était 
pas exagéré, dès lors, de penser que Bonaparte pourrait passer 
le Pô dans les premiers jours de mai avec 40,000 hommes. Or 
une supériorité numérique de deux cinquièmes permet de se 
faciliter un passage de rivière par des démonstrations très 
efGcaces. 

Les troupes françaises étaient lancées à toute volée dans la 
victoire et le bonheur, ayant à leur tête un jeune général plein 
de talent et d'ardeur; on devait prévoir qu'il allait agir avec 
beaucoup d'audace et d'énergie ; la défense du Pô perdait de 
ce fait une de ses chances de succès, celle qui influe pour plus 
de moitié sur l'efficacité d'une défense de rivière ; je veux dire 
la préoccupation qu'a l'assaillant de se trouver dans une situa- 
tion trop dangereuse, sentiment qui contribue plus que tout 
au monde à tenir en échec les généraux ordinaires par excès 
de prudence et les empêche d'obtenir aucun résultat. 



CONSIDÉRATIONS. — BEAULIEU. 85 

Il ne faut donc pas dire, en voyant Beaulieu derrière un 
fleuve comme le Pô, que Catinat et Vendôme l'ayant défendu 
avec succès contre Eugène, il était en mesure d'en faire autant 
contre Bonaparte. 

Enfin l'armée autrichienne n'avait pas, il est vrai, subi de 
défaite en bataille rangée; mais elle avait éprouvé une série 
-de malheurs qui l'avaient incontestablement démoralisée, et, 
en particulier, elle avait perdu toute confiance dans son gé- 
néral. Tout cela considéré, la situation de Beaulieu essayant 
de défendre le Pô était assez difficile, car s'il ne réussissait 
pas, il courait toujours le risque d'être entraîné dans une série 
de complications des plus graves. C'était déjà une entreprise 
difficile que de défendre le Pô ; de plus, la position de Valeggio 
n'était pas la meilleure, enfin la manière dont Beaulieu com- 
prit la défense, et notamment la série de mouvements qu'il 
exécuta à partir du 4, diminuèrent de plus en plus ses chances 
de succès. 

Nous nous permettrons ici deux remarques générales sur la 
défense d'un grand fleuve. 

La défense immédiate d'une barrière fluviale importante, 
comme les grands fleuves d'Europe en forment une dans le 
dernier tiers de leur cours, n'est pas aussi inefficace qu'on Ta 
souvent prétendu. Nous entendons par défense immédiate celle 
qui a pour but d'interdire à l'ennemi de faire passer toutes ses 
forces, et de l'attaquer avant qu'il n'y soit parvenu, avant 
même que son pont ne soit établi. Nous ne visons donc pas ici 
naturellement la défense des berges, qui se fait çà et là par 
suite de quelque particularité locale, mais ne peut être carac- 
téristique de l'ensemble. La défense immédiate des cours d'eau., 
telle que nous l'avons définie, consiste donc toujours, si l'en- 
nemi tente le passage, à engager une bataille ou du moins un 
grand combat entre des fractions importantes des deux armées; 
le cours d'eau ne joue d'autre rôle dans ce combat que de nous 
assurer toujours une situation plus avantageuse. C'est là que 
doivent tendre tous les efforts, et, comme nous le verrons, il 
n'est pas si rare d'y réussir sur les grands fleuves; aussi est-ce 



CONSIDÉRATIONS* — BEÂULIKU. 87 

posture vîs-à-vîs de lui. L'intérôt du défenseur n^est donc pas 
d'avoir du monde sur les lieux dès le premier moment ou du 
moins le plus tôt possible ; c^est au contraire d Y avoir le plus 
de monde possible vers la fin de la crise que traverse l'assail- 
lant. Cette considération doit éloigner toute idée de détache- 
ments répartis le long du fleuve ; quiconque a quelque con- 
naissance de la guerre sait quelle perte de temps représente le 
rassemblement de fractions dispersées, et comme il faut peu 
compter que des troupes venues de points différents agiront 
avec ensemble. Réunissez sur un même point 20,000 hommes 
que vous destinez à la défense d'un cours d'eau; vous savez 
que vous pouvez les amener en 6 a 8 heures « infaillible- 
ment » en tout point de passage éloigné de 3 milles, par 
exemple, et que leur action dans le combat se produira avec 
unité et sans gros malentendus. Il ne faut donc rien détacher 
des masses qui doivent produire Faction décisive, qu'une 
légère chaîne de surveillance formée de postes de cavalerie ; 
leur force sera si peu de chose qu^on peut la négliger au point 
de vue du combat 

En tenant le corps d'armée près du fleuve, on se donnera 
les avantages suivants : on aura de moins grands parcours à 
efifectuer (la perpendiculaire au lieu de l'oblique) ; les routes 
qui longent le fleuve dans les deux sens sont souvent meilleures 
que les transversales qui y conduisent; enfin le fleuve s'en 
trouve mieux surveillé, surtout parce que le général en chef 
est sur les lieux et voit de ses propres yeux ce qui passe sur 
les rives. Dans de pareilles circonstances, on n'a pas besoin 
d'avant-postes a grande distance, le fleuve donne une sécurité 
suffisante. 

Pour savoir à quel chifl're s'élèvera l 'effectif, ou, ce qui 
revient au même, a quoi se réduira le nombre des corps en 
lesquels on fractionnera l'armée, on calculera d'abord le temps 
qu^il faut à l'assaillant pour jeter son pont, et le nombre 
d'hommes que les bateaux trouvés dans le pays lui permettent 
de passer en attendant. 

Le temps qu'il faut a l'assaillant pour jeter un pont déter- 



88 CHAPITRE XXYIl. 

mine rintervalle entre les corps ; en divisant la longueur du 
front à surveiller par celui-ci, on trouve le nombre et consé- 
quemment la force des corps; celle-ci, comparée à TefTectif 
que Tennemi peut faire passer avant d*avoir fini son pont, 
indique le résultat qu'on peut attendre de la défense du cours 
d'eau. 

Supposons que le temps nécessaire à rétablissement du 
pont soit d'au moins 36 heures (il n'y a que sur des cours 
d'eau de faible largeur qu'on peut faire à moins) ; les corps 
chargés de défendre le fleuve peuvent, dans ce cas, tenir 
chacun un front de 6 à 8 milles, c'est-à-dire qu^on peut laisser 
entre eux des intervalles de 6 à 8 milles. Chacun d'eux se trou* 
vant en effet au milieu du front à défendre, aurait à faire au 
plus 3 i 4 milles d'un côté ou de l'autre ; c'est donc 6 à 8 heures 
de marche qui peuvent se trouver perdues si le passage 
est surpris de nuit, et à peu près autant pour porter la nou- 
velle; on peut compter qu'on sera toujours arrivé au bout de 
24 heures, soit 12 heures avant l'achèvement du pont. Pour un 
front total de 20 milles environ il faudrait trois corps; si l'ar- 
mée est de 50,000 hommes, chaque corps comptera environ 
\ 6,000 hommes. Si l'on a commencé par enlever ou détruire 
tous les bateaux, l'assaillant ne parviendra guère à passer une 
troupe équivalente à celle-là en moins de 24 heures; en tout 
cas, il n'aura jamais transporté sa cavalerie ni son artillerie. 
Le résultat le plus probable est que le défenssur rencontrera 
10,000 à { 2,000 hommes d'infanterie ennemie, pourvus de très 
peu d'artillerie ou de cavalerie et sans pont. 

Nous n'avons, il est vrai, tenu aucun compte des attaques 
simulées; mais d'abord, elles sont très difficiles et peu efficaces 
sur de grands fleuves où il ne reste pas de bateaux; en second 
lieu, dans l'organisation que nous recommandons nous avons 
attribué à chaque corps un secteur déterminé; une attaque 
simulée est alors moins à craindre, car si l'un des corps s'est 
porté de son côté, celui d'à côté découvrira l'attaque véri- 
table. 

Mais S0,000 hommes en état de défendre un fleuve sur une 



CONSIDÉRATIONS. — BEAULIEU. 89 

longueur de quelque 20 milles, dans des conditions ordinaires, 
voilà certes un événement digne d'attention en stratégie. 

Appliquons cela au général Beaulieu; nous arrivons aux 
conclusions suivantes : du moment où l'armée française 
appuyait à droite, il pouvait garder la moitié de ses troupes à 
Pavie, pour surveiller aussi le Tessin, du reste peu menacé; 
Liptay aurait eu non pas un simple détachement, mais l'autre 
moitié (12,000 h.) à Porte-Morena ; ce général pouvait ainsi, 
dès le 7 au soir, livrer combat avec 12,000 hommes aux Fran- 
çais qui avaient passé en barque; Beaulieu aurait eu toutes 
ses forces le 9 au matin ; à ce moment les Français n'avaient 
pas de pont, et leur passage en bateau n^était même pas Gni. 
Une attaque désespérée -aurait pu avoir des conséquences 
magniGques, capables de rétablir toute la campagne. 

Si ce résultat est meilleur encore que nous ne l'avions laissé 
entrevoir plus haut en examinant la situation de Beaulieu, 
c'est que Bonaparte avait 30,000 hommes et non 40,000. La 
faute capitale de Beaulieu fut l'éparpillement de ses forces 
depuis BuiTalora jusqu'à Casalmaggiore. Il fit là ce qui se fait 
si souvent : il prit la défense du Pô et du Tessin pour le Am/, 
alors que c'était seulement le moyen de livrer une bataille ou 
un grand combat dans des conditions favorables. Si les 
Français avaient eu réellement la pensée de s'étendre jusqu'à 
une extrémité de la ligne, Beaulieu n'en aurait été que mieux 
placé, au centre, pour ce cas particulier. 

Bonaparte, dans ses mémoires, voit la position à prendre 
par Beaulieu vers Stradella, un peu en aval de Pavie, à che- 
val sur le fleuve, avec deux ponts et de fortes têtes de pont. 
Bonaparte se met à la place de Beaulieu, mais en gardant sa 
propre supériorité. A la place de Beaulieu, si son adversaire 
avait voulu se diriger sur Plaisance, il se serait porté sur ses 
derrières, comme il le Qt dans la vallée de la Brenta. Bona- 
parte dit que, devant de pareilles dispositions, il n'aurait pas 
osé franchir le fleuve en aval de Stradella de crainte d'être 
pris à revers. Il me semble cependant que Bonaparte en a osé 
bien d'autres dans sa vie. Beaulieu, qui ne pouvait plus regar- 



90 CHAPITRE XXVII. 

der soD ennemi en face en rase campagne, aurait hésité à bon 
droit avant de se lancer dans une défense aussi artistique et 
aussi indirecte, qui risquait de le faire enlever par son adver- 
saire et de faire couper toutes ses communications. En outre, 
on ne gagnait pas grand^chose à empêcher Bonaparte de pas* 
ser en aval de Stradella ; il n^en passait que plus facilement en 
amont de Pavie ; quant à Beaulieu, au moment où il aurait pu 
vouloir prendre de pareilles dispositions, qui lui auraient 
demandé plus d^une heure, il ne pouvait pas savoir de quel 
côté le général français pensait se diriger. 

Je ne vois rien à blâmer dans ce qu'on appelle la bataille de 
Lodi, ni dans les mesures prises par Beaulieu au delà de 
TAdda. La honte de Lodi ne retombe que sur les troupes, ou 
peut-être aussi sur les dispositions du général Sebotlendorf. 
Le général Jomini, en reprochant si vivement d'avoir conservé 
un bataillon et deux escadrons sur la rive droite, nous paraît 
avoir fait une singulière confusion entre deux cas bien diffé- 
rents. Quand un général, en voulant absolument défendre un 
point quelconque d'un cours d'eau, prend position sur la rive 
ennemie, il ne peut avoir en vue que de se constituer une tête 
de pont d'où il débouchera ultérieurement. Fût-on même 
dans ce cas, c'est une disposition dangereuse, et il vaut mieux, 
si on a le temps, construire deux ou trois redoutes, et n'y lais- 
ser que deux ou trois bataillons. 

En toute autre circonstance, l'idée de rester sur la rive enne- 
mie est si déraisonnable que nous ne croirions pas qu'elle 
puisse venir à l'esprit de personne, si l'histoire militaire n'en 
offrait tant d^exemples (Montereau, 1814). Mais les mesures 
prises à Lodi n'ont rien à voir avec ce dernier cas. On ne con- 
çoit pas qu'un homme sachant la guerre s'en étonne ou en 
fasse un reproche. Quand on veut rallier son arrière-garde, il 
faut bien conserver les ponts, et, si on conserve les ponts, il 
n'y a pas à hésiter : il faut laisser de l'autre côté un détache- 
ment qui recueillera Tarrière-garde ; une troupe a sa retruite 
bien mieux couverte par une autre troupe que par elle-même, 
tout le monde le sait, lorsqu'il faut traverser des endroits dif- 



CONSIDÉRATIONS. — BEAULIEU. 91 

ficiles, tels qu^un déGlé ; celle qui prend position à cet effet 
n^aura du reste pas plas de peine à passer que celle qui 
arrive ; s'il est à craindre que Tennemi passe sur leurs talons, 
il faut le prévenir de quelque autre façon. Jamais et nulle 
part au monde on n'a fait autrement. 



CHAPITRE XXVIII 
Bonaparte. 

En ce qui concerne le général français, il y a trois questions 
que nous pouvons nous poser. 

La première concerne le point de passage. — Nous avons 
déjà montré (chap. XXIV), ce qui avait pu empêcher Bonaparte 
de franchir le Pô plus en aval ; mais nous n'avions pas voulu 
interrompre trop longtemps le récit des événements; nous 
allons reprendre cette question. 

Le lecteur s'est peut-être dit qu'en passant à Crémone, 
Bonaparte aurait gagné directement la grande route de Man- 
toue, que les Autrichiens se seraient vus coupés de cette place, 
qu'elle serait restée sans moyens de défense sufBsants et aurait 
vite succombé, euGn que dans tous les cas on eût évité l'attaque 
un peu risquée du pont de Lodi. Ceux qui font encore ces 
objections ne sont vraisemblablement pas convaincus par ce 
que nous avons dit au chapitre XXIV et il faut leur montrer 
qu'ils commettent là de nombreuses erreurs. 

Si Bonaparte était arrivé à Crémone avant les Autrichiens, 
il aurait intercepté la route directe de Mantoue ; mais, pour 
couper entièrement son adversaire d'une forteresse aussi 
vaste, il fallait investir complètement cette dernière, c'est-à- 
dire s^établir solidement sur les deux rives du Mincio. 

Les Autrichiens avaient à faire, au maximum, deux étapes 
de plus que lui, en passant par le chemin le plus long, celui 
de Brescia; or les Français auraient bien perdu deux jours à 
passer le Pô, TOglio, le Mincio, et à effectuer l'investissement. 
Il ne fallait donc pas pas compter qu'on couperait complète- 



BONAPARTE. 93 

ment Beaulieu de Mantoue. Du reste, Bonaparte a admis 
qu'il n*aurait pas grand mal à passer TAdda, et il se trouvait, 
sur la route directe de Mantoue, à Plaisance aussi bien qu'à 
Crémone. 

Nous avons déjà fait observer que Plaisance était plus près 
de lui d*une grande étape (4 milles). Elle est en outre sur la 
rive droite, tandis que Crémone est sur la rive gauche. Plai- 
sance était donc mieux disposée pour favoriser le passage; 
elle se trouve dans un rentrant très prononcé du fleuve, 
capable de couvrir les divisions déjà passées; enQn Crémone 
pouvait être occupée par l'ennemi, et Pizzîghetlone, qui en est 
proche, pouvait devenir gênante. 

Telles sont les raisons qui motivèrent, nous semble-t-il, le 
choix du général français ; et ce serait bien mal comprendre 
l'attaque de Lodi, que d^ voir une compensation à ce qu'on 
avait laissé échapper auparavant. 

La seconde question à se poser est la suivante : n'eût-il pas 
été possible de franchir l'Adda dans sa partie inférieure, de 
façon que non seulement on aurait coupé aux Autrichiens la 
route directe de Mantoue, mais qu'on aurait môme menacé 
leur ligne de retraite sur Brescia? 

Bonaparte lui-même n'aurait peut-être pas estimé que ce 
fût bien malaisé. Néanmoins on en appréciera toute la diffi- 
culté, en pensant qu'il n'avait pas eu le matériel nécessaire 
pour passer rapidement le Pô, que la seule compagnie de pon- 
tonniers de son armée restait indispensable à Plaisance, que 
le pont de Pizzighettone, dont les Français ne pouvaient dispo- 
ser, était le seul en aval de Lodi, et enQn que l'Adda n'est pas 
une rivière à passer sur un pont de chevalets ou sur quelques 
pauvres radeaux. 

Du reste, le dessein, ou plutôt le principal désir de Bonaparte, 
était de battre les Autrichiens. Dès le 8, ils s'étaient avancés 
contre lui par Casal-Pusterlengo en détachements assez 
sérieux ; rien de plus naturel que de se porter au-devant d'eux 
sur la route de Lodi, et, comme ils se retiraient, de les pour- 
suivre. 



d4 CHAPITRE XXYIU. 

S'il ne s*y mit pas dès le 9, c'est que ses troupes n'avaient 
pas uni de passer le Pd, et que le pont n'était pas achevé ; 
dans cette situation, il avait intérêt a gagner du temps plutôt 
qu'à hâter l'engagement. 

Nous arrivons enfin à l'attaque du pont de Lodi. Elle s'écarte 
tellement de tous les procédés habituels, et paraît avoir si peu 
de raison d'être, qu'on se demande s'il faut la blâmer ou non. 
Si elle n'avait abouti qu'à un échec sanglant, il n'y aurait 
qu'une voix pour la traiter de faute insigne ; mais le succès 
vient précisément nous avertir de ne pas nous prononcer à 
la légère; il nous montre qu'il y a là matière à réflexion. 
Pour nous, nous passerons d'autant moins cette action sous 
silence, que nous trouvons à étudier ici, bien isolé, un élément 
de la guerre, et particulièrement de la stratégie, qui est, selon 
nous, de la plus haute importance; nous voulons parler de la 
puissance morale de la victoire, et de la manière dont son 
action se manifeste en sens opposé chez les deux adversaires. 

Bonaparte est ivre de victoire ; il se trouve dans un état 
d'exaltation où l'espérance, l'ardeur, la confiance élèvent 
l'âme au-dessus des calculs ordinaires du raisonnement; il 
voit son adversaire fuir devant lui, plein de consternation, de 
trouble et d'épouvante ; il n'y a presque rien qui lui paraisse 
impossible dans un moment pareil ! Ce n'est pas là une pré- 
somption blâmable ; ce n'est pas de l'étourderie, de la légèreté. 
C'est un sentiment que font naître son assurance et son acti- 
vité, en lui répondant de ses conceptions et de ses actes. 
Quand l'homme a constaté combien est réelle la puissance de 
ses facultés, qu'il a vu ses idées vérifiées avec une admirable 
justesse, il est pris d'un entliousiasme naturel pour ses actions 
et pour ses œuvres. C'est ainsi que le poète et l'artiste se 
grisent du succès de leurs ouvrages; le général ressent les 
mêmes transports, mais, se sachant moins exposé à se faire 
illusion, il n'en est que plus fortement et plus vivement 
exalté. 

Cette exaltation est un développement des passions et des 
sentiments aux dépens de la froide raison. Mais on ne fait pas 



BONAPARTE. 95 

la guerre avec le raisonnement seul, et l'action à la guerre 
n'est pas une simple affaire de calcul ; c'est Thomme tout entier 
qui fait la guerre, et c'est tout entier aussi qu'il relève de la 
science et de ses critiques. 

Figurons-nous Bonaparte arrivant ainsi au pont de Lodi, et 
ne nous étonnons plus alors si lui, à qui tant de choses 
viennent de réussir contre ces mêmes Autrichiens, tente un 
coup de main sur ce pont; s'il y lance deux mille Français, 
braves, grisés par le vin et par les paroles ; s'il veut jeter 
l'efTroi par une audace sans exemple, et cueillir ici, sous 
l'égide de cette terreur, des lauriers comme nul général et 
nulle armée n'en ont obtenus. Et s'il réussit I quelle idée ce 
fait d'armes incroyable donnera-t-il à l'Europe étonnée de ce 
général victorieux et de son armée, en comparaison de son 
adversaire abattu, qui perd Tesprit et le courage ? Enfin que 
risque-t-il en cas d'échec? Une perte de 300 ou 400 hommes; 
les critiques timides de quelques subordonnés, et une humi- 
liation qu'il effacera en peu de jours. 

L'audacieux Bonaparte a pleinement réussi dans son entre- 
prise, et les conséquences en ont été celles que nous lui avons 
attribuées. Jamais, sans contredit, fait d'armes n'a soulevé en 
Europe autant d'étonnement que ce passage de l'Adda. Un 
enthousiasme énorme transporta les amis des Français et de 
leur général. Quant à nous, ne mesurons pas sa portée morale 
à la place qu'elle a tenue dans l'opinion, mais à ses effets 
immédiats. 

Peut-être viendra-t-on dire : l'attaque de Lodi n'a pas de 
raison d'être au point de vue stratégique ; Bonaparte pouvait 
tout aussi bien occuper ce pont le lendemain matin. Alors 
c'est qu'on n'a plus en vue que les lois géométriques de la 
stratégie. Mais l'influence morale n'a-t-elle pas aussi sa place 
en stratégie? S'il est un homme qui en doute encore, c'est 
qu'il n'a pas su embrasser la guerre dans toute sa complexité, 
ni en pénétrer l'âme. 

Bonaparte, dans son rapport, qualifie ce combat pour la 
possession d'un pont, cette attaque contre un simple détache- 



96 CHAPITRE XXVIII. 

ment, de bataille de Lodi, bataille illustrée par la prise de 
20 canoQS et de plusieurs milliers de prisonniers. 

Porté a de telles proportions, ce combat a bouleversé TEu- 
rope, faisant nattre ici la joie et le bonheur, là la honte et la 
terreur, ailleurs enfin la circonspection et la crainte. 

C'est bien là ce que Bonaparte voulait tirer de cette attaque 
de vive force, car il n'a entrepris ensuite aucune opération 
nouvelle; il s'est arrêté quatre jours à Lodi, parce qu'il ne 
voyait plus rien à faire pour le moment contre Beaulieu, et 
que ses regards se tournaient d'un autre côté (1). 



(I) Clausowitz fait parfaitement ressortir le caractère du combat de Lodi, 
sa violence, et Tintention arrêtée d'exercer une action morale décisive sur 
Beaulieu. Mais il le justifie par une explication métaphysique dont Tétran- 
geté même nous invite à trouver quelque chose de plus positif. 

S*il avait pu lire toute la correspondance de Bonaparte avec le Direc- 
toire, il aurait trouvé Texplication naturelle des problèmes qui se posaient 
ici : il aurait vu combien une rupture avec le Piémont était encore pos- 
sible, comme elle préoccupait Bonaparte, et comme il tenait à rester à 
portée de fondre sur Turin, sans avoir Beaulieu sur ses talons. Cette situa- 
tion l'obligeait à battre siêrieusement les Autrichiens, à s'assurer qu'ils 
fuyaient au delà du Mincio,età revenir dans le Milanais. Le 10 mai, Bona- 
parte bat les Impériaux; le il, il les croit en retraite et ne bouge pas; 
le i2, il apprend qu'ils font mine de s'arrêter près de Crémone; il leur 
court sus, les fait fuir au delà du Mincio. et cette fois revient à Milan. 

Peut-on supposer qu'il s'arrête dans le Milanais pour reposer son 
armée et pour orjçaniser, exploiter le pays? Ce sont là évidemment des 
choses importantes, mais qui n'ont pas un caractère d'urgence, que l'on 
peut faire quelques jours plus tôt ou plus tard, sans inconvénient. Les 
quatre marches qui restaient à faire pour chasser Beaulieu de l'Italie et 
investir Mantoue n'avaient pas grande importance si l'on ne songeait 
qu'à l'exploitation du Milanais; elles en avaient beaucoup si l'on tenait à 
rester à proximité du Piémont. 



CHAPITRE XXIX 



Bonaparte occupe le Milanais. 



Les divisions françaises furent dirigées : celle d'Augereau à 
la poursuite des Autrichiens par Crema, celle de Masséna par 
la rive gauche de l'Adda sur Pizzighettone; enQn celle de 
Sérurier quitta la route de Pavie pour venir investir Pizzi- 
ghettone par la rive droite de TÂdda^ Quant à Tancienne 
division La Harpe, on ne sait ce qu'elle est devenue; les 
troupes qui la composaient ont dû être réparties entre les trois 
autres, celles de Sérurier, d'Augereau et de Masséna, car à 
partir de ce moment l'armée d'Italie ne comprend plus que 
ces trois-là. 

Beaulieu avait continué par Pizzighettone et Crémone sa 
retraite vers l'Oglio; il passe cette rivière le 14 mai, et la fait 
tenir par une arrière-garde, pendant qu'il se retire par Man- 
toue derrière le Mincio. 

Pizzighettone, ayant une garnison de quelque 200 hommes, 
se rend dès que Beaulieu a passé (probablement le 11 mai) ; 
2 divisions françaises se portent alors à Milan, celle de Masséna 
par la route directe, celle d'Augereau par Pavie; Sérurier 
reste à Crémone pour observer les Autrichiens. Bonaparte 
jugea inutile de poursuivre immédiatement ces derniers jus-* 
qu'au Mincio, qu'il croyait dangereux de franchir si tôt. 

Il voulut d'abord être plus sûr du Milanais, et jugea raison- 
nable de faire sentir sa force aux villes de Pavie et de Milan ; 
la première parce qu'elle était lé siège d'une université 
célèbre et avait une grande influence sur l'opinion, la seconde 

7 



98 CfitAPITRE XXIX. 

parce qu'elle était la capitale. On peut mettre eu doute le bien- 
fondé de ces raisons données par Bonaparte lui-même. Une 
poursuite ininterrompue des AutrichioDS jusqu'au Mincio et 
au delà ne leur aurait pas permis de s'arrêter, et par suite 
aurait forcément changé la situation de Mantoue. N*eût-on pu 
s'opposer au renforcement de la garnison que, du moins, tout 
se serait fait à la hâte ; les quinze jours qu'on accorda à cette 
place ont eu sans doute une importance considérable pour son 
réapprovisionnement en vivres et pour d'autres mesures pré- 
paratoires. 

Au contraire, le retour dans le Milanais n'était vraiment pas 
bien utile, les désordres ultérieurs auraient peut-être été 
moindres si l'on avait laissé moins de temps aux divisions pour 
pilier les habitants, et surtout si cet arrêt et ce mouvement de 
recul n'étaient venus appuyer les bruits de renforcement de 
l'armée autrichienne. Mais enQn, il faut bien se dire que s'il 
nous vient à l'esprit de faire une pareille critique, c'est à Bona- 
parte que nous le devons. Cette rapidité de poursuite que nous 
réclamons ici, ce n'est que par lui que nous en avons idée; 
elle lui était peut-être inconnue à lui-même lors de sa pre- 
mière campagne (1). 

Augereau passa donc par Pavie, où il laissa une garnison 
de 300 hommes dans le château. Le 14 il rejoignit Masséna à 
Milan, où Bonaparte fit, le 15, son entrée solennelle. 

Le général Colli avait jeté 1800 hommes dans la citadeUe, 
Bonaparte chargea le général Despinoy de les y assiéger. 

Pendant que Bonaparte s'occupait des parties essentielles 
de l'administration civile et militaire, et passait un traité avec 
le duc de Modène, les troupes cantonnèrent dans le Milanais 
pendant 8 jours environ. Elles y jouirent du premier repos qui 
leur eût été accordé depuis le commencement de la campagne. 

(1) Bonaparte avait déjà compris toute Timportance des poursuites sans 
trêve ; il avait écrit, dès 1795 : « La promptitude à suivre la victoire est 
u un sûr garant du succès ». S'il n*a pas mené battant son adversaire 
jusqu'à Vérone, c'est qu'il avait des raisons décisives pour ne pas dépasser 
l'Adda. 



BONAPARTE OCCUPE LE MILANAIS. 99 

Dès le 23 mai, elles furent rassemblées sur TAdda (1). 

Le 24, Bonaparte lui-même était à Lodi, lorsqu*il reçut la 
nouvelle que des troubles venaient d'éclater dans le Mila- 
nais. 

Les vols, les méfaits, le pillage, les cruautés qui étaient 
alors habituelles dans Tarmée française (2), les lourdes con- 
tributions et réquisitions qui furent prescrites, et les tendances 
révolutionnaires qui menaçaient de tout bouleverser, avaient 
allumé contre elle dans toutes les classes de la société une 
haine à peu près générale ; son parti était affaibli ou intimidé. 
Le clergé s'était donné beaucoup de mal pour exciter cette 
haine à se traduire par des actes ; de fausses nouvelles annon- 
çant l'arrivée de Condé par la Suisse avec 60,000 hommes 
pour renforcer Beaulieu, ou un débarquement des Anglais à 
Nice, firent le reste, de sorte qu'en maint endroit on sonna le 
tpcsin et que l'armée française fut menacée d'un soulèvement 
général sur ses derrières. 

A Milan même il y eut quelques troubles; mais Pavie sur- 
tout était en pleine insurrection ; plusieurs milliers de paysans 
armés s'étaient jetés dans ses murailles, avaient forcé la gar- 
nison française à rendre le château et l'avaient désarmée. 

Bonaparte revint aussitôt à Milan avec un bataillon, 300 ca- 
valiers, et 6 pièces d'artillerie à cheval ; il y arriva le 24 au 
soir. Là, l'ordre fut vite rétabli ; il fut assuré par les moyens 



(1) Bonaparte apprend le 21 que la paix avec la Sardaigne est signée. 
U met ses troupes en mouvement le 22. 

(2) Le général Dallemagne, de la division La Harpe, qui fut envoyé 
devant Pizzighettone, écrit le 9 mai à Bonaparte : « J*ai fait, Général, de 
« vains efforts jusqu*à ce jour pour arrêter le pillage. Les gardes que j'ai 
« établies ne remédient à rien, le désordre est à son comble. 

<c II faudrait des exemples terribles, mais ces exemples, j'ignore si j*ai 
M le pouvoir de les donner. 

tt L'homme honnête et sensible souffre et se déshonore en marchant à 
M la tête d'un corps où les mauvais sujets sont si nombreux. Si je n'étais 
m pas au poste le plus avancé, je vous préviendrais de me faire remplacer 
« par un homme dont la santé et les talents puissent obtenir de plus 
c grands succès; mais je dois m'oublier dès qu'il s'agit de travailler pour 
« la gloire de mon pays. » {Note de Cauteur.) 



CHAPITRE XXX 

Bonaparte passe le Mincio.— Ctombat de Borghetto 

le 30 mal. 



Beaulieu avait continué sa retraite sans interruption par 
Rivalta sur Roverbella, derrière le Mincio. Il jeta 20 de ses 
meilleurs bataillons dans Mantoue, pour en renforcer la garni- 
son, qui se trouva portée à 13,000 hommes; cela fait, il vou- 
lut essayer de défendre la ligne du Mincio. 

Son armée avait reçu quelques renforts, et, en y compre- 
nant la garnison de Mantoue, comptait 42 bataillons avec 
31 escadrons, soit 31,000 hommes. 

De ce nombre, quelques milliers d'hommes se trouvaient 
au nord du lac de Garde, vers Riva, et même près des sources 
de TAdige, dans le Mûnsterthal, à Taufers, d'où le général 
Laudon exerçait sur les Grisons une surveillance bien iautile. 

A la fin de mai, la répartition des troupes en arrière du 
Mincio était la suivante : 

Le général Liptay avec 4,500 hommes formait Taile droite, 
tenait Peschiera, dont il s'était emparé en chassant la garnison 
vénitienne, et avait ses avant-postes sur la Chiese. 

Mêlas à Oliosi, avec 4,500 hommes 

(était considéré comme formant réserve générale). 

Sebottendorf à Valeggio, avec , . 6,000 — 

(formait le centre). 

(k>lli, avec 4,500 hommes de la garnison de Mantoue. . 4,500 — 
et quelques cavaliers, formait l*aile gauche à Go!to, 
avec 5,000 — 



Total 20»000 hompfies« 



BONAPARTE PASSE LE MINCIO. — COMBAT DE BORQHETTO. 103 

fallait la considérer comme un simple engagement d'arrière- 
gardé. Cette circonstance était la situation précaire de la ligne 
de retraite. En continuant sa retraite, Beaulieu ne devait pas 
se diriger sur le Frioul, mais sur le Tyrol, c'est-à-dire suivre la 
vallée de TAdige, qui était la voie la plus directe ; du Mincio 
à rEtschthal, le chemin le plus court est celui de Castelnovo ; 
c'était donc celui dont Beaulieu ne devait se laisser couper à 
aucun prix ; or il ne se trouve pas en arrière du front du Min- 
cio et perpendiculairement à lui, mais il s'étend au contraire 
du côté de l'aile droite et presque dans son prolongement. 
C'est ce qui obligea le général Beaulieu à se tenir avec son 
gros entre Valeggio et Peschiera. Peut-être jugeait-il que le 
cours du Mincio au-dessous de Valeggio était d'une importance 
secondaire, et, dans le cas où les Français l'auraient franchi 
de ce côté, il trouvait peut-être avantageux de se porter 
* contre eux de manière à les faire combattre le dos à Mantoue ; 
mais un tel projet le conduisait à ne pas se servir des 4,000 
ou 5,000 hommes laissés à Goïto et détachés de Mantoue ; ou 
plutôt à agir sans aucune liaison avec eux, ce qui ne donne 
jamais de bons résultats. Du reste, si concentré qu'eût été 
Beaulieu, il ne se serait pas trouvé en état d'opposer aux 
Français, au moment de leur passage, plus de 10,000 à 42,000 
hommes, et il ne pouvait guère espérer, si l'ennemi passait à 
Valeggio ou plus haut, que le corps de Goïto prît part utile- 
ment au combat décisif. 

Il n'en était pas moins naturel que Beaulieu tentât de 
défendre le Mincio ; il pouvait encore arriver qu'il y livrât un 
combat heureux, et puis on ne sait jamais avec quel degré 
d'appréhension l'ennemi abordera un cours d'eau dont il voit 
la défense préparée, et s'il ne croira pas y trouver plus d'ob- 
stacles qu'il n'y en a réellement. On n'avait à remplir qu'une 
condition essentielle : ne pas risquer de trop grosses pertes en 
cas d'échec, et elle coïncidait avec la condition primordiale de 
toute bonne défense : tenir ses forces bien concentrées. 

Sur de grands cours d'eau, on peut espérer atteindre l'as- 
saillant avant qu'il ait achevé d'établir un pont ou fait passer 



104 CHAPITRE XXX. 

des forces assez considérables ; on peut se fier à la barrière 
que forment les eaux, et se tenir sur le bord, mais ce n'est 
déjà plus le cas sur une rivière comme le Mincio. La défense 
était obligée de prendre position à une ou plusieurs lieues en 
arrière, sur les hauteurs, et s^atlendre & trouver le pont achevé 
quand elle arriverait au point de passage ; il lui restait l'avan- 
tage d'attaquer Tennemi adossé à la rivière, ne disposant pas 
encore de tous ses moyens, et n'ayant de retraite possible que 
par un seul point. C'est le principal résultat qu'on puisse se 
proposer dans la défense des petites rivières. 

Il ne consiste plus tant à interdire le passage au gros de 
l'ennemi, qu'à profiter de ce qu'il est très à l'étroit dans le 
moment qui suit son passage. La quantité de routes dont il 
dispose pour sa retraite donne au défenseur une réelle supé- 
riorité, tandis que l'assaillant ne peut que rentrer dans l'œuf 
d'où il est sorti. Malheureusement, Beaulieu, nous Tavons vu, 
ne pouvait précisément pas jouir de cet avantage (1). 

Le fractionnement et la dispersion des forces sont moins 
excusables encore dans la défense des rivières moyennes, 
comme le Mincio, que dans celle des grands fleuves; ici sur- 
tout, ayant à défendre un front si peu étendu, ils étaient abso- 
lument à éviter; l'armée, sauf la garnison de Peschiera et une 
chaîne de petits postes, devait être rassemblée en un point 
unique, et ce point aurait été judicieusement choisi vers Oh'osi, 
où Mêlas se trouvait avec la réserve, A notre avis, il conve- 
nait de prendre les dispositions suivantes pour la défense du 
Mincio : 

i • Retirer tous les avant-postes de la rive droite ; 

2^ Couper tous les ponts ; 

3^ Donner à Peschiera une garnison d'environ 2,000 
hommes; 

4^ Avoir sur le Mincio une chaîne de postes comptant 
2,000 hommes environ ; 



(1) En revanche, la place de Peschiera était une sérieuse garantie pour 
son aile droite et pour sa ligne de retraite. 



BONAPARTE PASSE LE lUNCIO. — COMBAT DE BOROHETTO. iOS 

5® Détacher à Goïtô 4,000 à 8,000 hommes de la garnison 
de Mantoue; 

6® Choisir pour le gros, soit 10,000 à 12,000 hommes, 
un emplacement voisin d'Oliosi. 

Nous verrons quelles mesures toutes différentes prit Beau- 
lieu, quels en furent les résultats, et ceux qu'auraient donnés 
les dispositions que nous venons d'indiquer. 

A la fin de mai, comme nous Tavons dit, Bonaparte s'était 
porté par Brescia sur le Mincio avec les trois divisions Masséna, 
Augereau et Sérurier, et la réserve de cavalerie de Kilmaine, 

Le 29 mai, Kilmaine était à Castiglione, Augereau à Dezen- 
zano, Masséna à Montechiaro, Sérurier à Monza. 

Bonaparte envoya un petit détachement vers Salo. comme 
pour menacer d'un mouvement vers Riva et le Tyrol, et de 
manière à attirer les forces autrichiennes de ce côté, mais ce 
fut sans grand effet. Ses troupes se mirent en marche le 
30 mai à 2 heures du matin vers le Mincio, Kilmaine, Sérurier 
et Masséna sur Borghetto, Augereau sur Monzambano et Pés- 
chiera. Les premiers devaient forcer le passage à Borghetto, 
et Augereau chercherait à intervenir plus en amont, soit pour 
couper réellement la retraite sur Castelnovo, soit pour mena- 
cer seulement de le faire. 

Le général autrichien Beaulieu se trouvait alors au quartier 
général de San-Giorgio, sérieusement indisposé; il semble 
qu'il en soit résulté un grand défaut d'unité, une sorte de 
désarroi dans la conduite de son armée. Il s'ensuivit, d'après 
la relation autrichienne, qu'à la nouvelle de l'arrivée des Fran- 
çais on passa du fractionnement déjà excessif, dont nous venons 
de parler, à une défense uniforme de tout le cours du Mincio, 
pour laquelle on égrena aussi bien la réserve de Mêlas que le 
centre de Sebottendorf. Le 29 au soir, ils étaient dispersés de 
la façon suivante : 



110 CHAPITRE XXX. 

]*aile gauche; on aurait pu s'attendre, du moios, à ce qu'il en 
dit quelque chose daus ses mémoires. 

Quoi qu'il en soit, il est certain que nous ne trouvons pas ce 
jour-là cette ardeur à tirer parti des avantages obtenus, dont 
l'invention, pour ainsi dire, appartient à Bonaparte. 

Il Qt avancer le 3 juin la division Masséna sur Vérone ; il se 
porta devant Mantoue avec les divisions Sérurier et Âuge- 
reau, s'empara le 4 du fort Saint-George et bloqua la place 
sur ses cinq avenues. 

Masséna poursuivit le général Beaulieu dans la vallée de 
TAdige jusqu'à Rivoli; puis le général autrichien se retira jus- 
qu'à Caliano, entre Trente et Roveredo. 

Cette fois encore, les Autrichiens ne renoncèrent pas à se 
disperser en une multitude de détachements, allant à droite 
jusqu'aux Grisons, à gauche jusqu'à la vallée de la Brenta. 



BONAPARTE PASSE LE MINCIO. — COMBAT DE BOROHETTO. 107 

tenant leurs fusils au-dessus de leurs têtes, et ayant de l'eau 
jusqu'aux aisselles. Les Autrichiens avaient aussitôt envoyé 
une seconde compagnie, mais ni Tune ni l'autre ne paraissent 
avoir fait une grande résistance. Naturellement Tunique pièce 
qui se trouvait près du pont fut bientôt réduite au silence ; il 
n'est pas surprenant que la localité même de Borghetto ait été 
évacuée, et qu'on n'ait pas empêché longtemps les Français 
de rétablir le pont. Les Autrichiens se replièrent sur le Monte 
Bianco et de là sur Valeggio ; la pointe de Tavant-garde fran- 
çaise en vint aux mains dans ce village même avec les Autri- 
chiens en retraite. 

La cavalerie autrichienne parvint cependant à se donner un 
peu d'air par quelques belles charges. 

Bonaparte ne poursuivit pas bien vivement au début. 
D'abord il n'avait que peu de troupes avec lui, et s'occupait de 
faire rétablir le pont; peut-être aussi ne lui déplaisait-il pas 
que le centre autrichien s'attardât un peu de ce côté, parce 
qu'Augereau, plus en amont, pouvait gagner le temps de 
pousser de l'avant et d'arriver à la route de Castelnovo (1). 

Pendant que les postes autrichiens de Borghetto, Valeggio 
et Oliosi se rassemblaient et tenaient tête aux Français sous 



(1) Le 30, Augereau devait se porter dans la direction de Peschiera ; 
poar attirer Tennemi de ce côté, il devait s'avancer jusqu'à un petit lac 
situé à 3 kilomètres de cette ville; arrivé là, il tournerait brusquement à 
droite vers Castellaro, et se porterait sur la rive gauche du Mincio à la 
suite de Kilmaine. Cet ordre fut ponctuellement exécuté. 

Le 3i, Augereau fut chargé de remonter de Valeggio sur Peschiera, et 
de prendre cette ville. Kilmaine devait poursuivre Tennemi sur la route 
de Castelnovo, et Masséna se portait plus à Test. l\ était recommandé à 
Kilmaine de protéger Augereau contre un retour offensif de Beaulieu. Au- 
gereau était en arrière, et non en avant de Kilmaine. 

En résumé, Bonaparte voulait non pas couper Beaulieu du Tyrol, mais 
l'y refouler. Désireux de se porter par Innsbrûck à la rencontre de Moreau, 
il ne voulait pas laisser d'ennemis en Vénétie. La mollesse de la poursuite 
du 30 s'explique tout naturellement parce que les Français avaient fait 
une grande marche de nuit avant le combat, et ne pouvaient recommencer 
à faire cinq ou six lieues dans la journée. Clausewitz ne réfléchit pas que, 
le 29 au soir, Augereau et Masséna étaient sur la Chiese. 



110 CHAPITRE XXX. 

]*aile gauche ; on aurait pu s'attendre, du moins, à ce qu*il en 
dit quelque chose dans ses mémoires. 

Quoi qu'il en soit, il est certain que nous ne trouvons pas ce 
jour-là cette ardeur à tirer parti des avantages obtenus, dont 
l'invention, pour ainsi dire, appartient à Bonaparte. 

Il Qt avancer le 3 juin la division Masséna sur Vérone ; il se 
porta devant Mantoue avec les divisions Sérurier et Auge- 
reau , s'empara le 4 du fort Saint-George et bloqua la place 
sur ses cinq avenues, 

Masséna poursuivit le général Beaulieu dans la vallée de 
l'Adige jusqu'à Rivoh; puis le général autrichien se retira jus- 
qu'à Caliano, entre Trente et Roveredo. 

Cette fois encore, les Autrichiens ne renoncèrent pas à se 
disperser en une multitude de détachements, allant à droite 
jusqu'aux Grisons, à gauche jusqu'à la vallée de la Brenta. 



BONAPARTE PASSE LE MINCIO. — COMBAT DE BOROHETTO. 109 

7 escadrons, et crut devoir d'abord tenter une attaque sur 
Valeggio; il avait l'intention de venir en aide à Beaulieu, 
mais il se rendit compte bien vite qu'il n'y avait plus à y pen-; 
ser, et le soir il Qt sa retraite sur Yillafranca; il la continua 
dans la nuit par Sonna sur Bussolengo, où son infanterie passa 
TÂdige en bateau, la cavalerie ayant été dirigée de son côté 
sur Castelnovo. 

Naturellement, CoUi fut au courant de la situation plus tard 
encore que Sebottendorf. Lui aussi essaya d* abord de marcher 
avec tout son monde sur Valeggio; mais dès qu'il eut con- 
staté la retraite de Beaulieu, il renvoya son infanterie à Man- 
toue ; quant à lui, il se porta avec sa cavalerie sur Castelnovo 
par Yillafranca ; il arriva à la nuit et se réunit a Hohenzollern 
et Liplay. 

Les pertes des Autrichiens sont évaluées dans leur relation 
a 600 hommes et 4 pièces de canon. 

Les causes de leur insuccès sont trop évidentes pour qu'il y 
ait lieu de les détailler. Ce n'est que dans des circonstances 
particulièrement favorables, et en des points déterminés, qu'on 
peut tenter de défendre directement la berge d'une rivière ; ce 
n'est jamais sur toute l'étendue d'une ligne de défense. Sur le 
Mincio, qui n'est guère, au point de vue de la largeur, qu'une 
rivière de troisième ordre, c'est une chose inexcusable ; quand 
on en arrive au point de n'avoir plus à l'endroit le plus impor- 
tant, comme ici à Borghetto, qu'un bataillon et une pièce iso- 
lée, il est permis de dire au sens le plus strict du mot qu'on a 
oublié TA B C de la guerre ; il est, en effet, élémentaire au 
possible de savoir qu'une pièce de canon employée seule 
contre une colonne ennemie, sera écrasée par la supériorité du 
feu, et comptera pour rien. D'ailleurs, il est douteux que Tin- 
disposition de Beaulieu ait été pour quelque chose dans la con- 
ception de ces ordres, car ils étaient bien dans l'esprit de ce 
qui avait été fait jusque-là. 

Au contraire, on pourrait être tenté de croire que c'est Tin- 
disposition du général français qui Ta empêché de mieux pro- 
fiter de cette rupture de la ligne autrichienne pour couper 



110 CHAPITRE XXX. 

J'aile gauche; od aurait pu s'attendre, du moios, à ce qu'il eu 
dît quelque chose dans ses mémoires. 

Quoi qu'il eo soit, il est certain que nous ne trouvons pas ce 
joup-là cette ardeur à tirer parti des avantages obtenus, dont 
l'invention, pour ainsi dire, appartient à Bonaparte. 

11 Qt avancer le 3 juin la division Masséna sur Vérone ; il se 
porta devant Mantoue avec les divisions Sérurier et Àuge- 
reau, s'empara le 4 du fort Saint-George et bloqua la place 
sur ses cinq avenues. 

Masséna poursuivit le général Beaulieu dans la vallée de 
l'Adige jusqu'à Bivoli; puis le général autrichien se retira jus- 
qu'à Caliano, entre Trente et Roveredo. 

Cette fois encore, les Autrichiens ne renoncèrent pas à se 
disperser en une multitude de détachements, allant à droite 
jusqu'aux Grisons, s gauche jusqu'à la vallée de la Brenla. 



CHAPITRE XXXI 



L'Italie méridionale. 



Militairement parlant, le sort de la péninsule était Bxé; il 
restait aux Français à arrêter leurs intentions à son égard. Ils 
étaient en bons termes avec la Toscane, dont le grand-duc 
avait reconnu la République ; cependant les Français trou- 
vaient gênante et inquiétante Tadmission des Anglais dans le 
port de Livourne. 

Avec Rome, il n'y avait pas de guerre à proprement par- 
ler, mais les relations étaient hostiles. L'ambassadeur français 
Basseville avait été assassiné en janvier 1793, et les Français 
n'avaient pas trouvé, depuis lors, l'occasion de se fdre accor- 
der une réparation suffisante; de plus, le pape avait multiplié 
les protestations contre tout ce qui s'était fait en France pour 
les affaires ecclésiastiques ; il avait pris une attitude franche- 
ment hostile. 

Avec Naples on était en guerre ouverte, puisqu'un corps 
de cavalerie napolitaine se trouvait à l'armée de Beaulieu. 

11 était donc naturel, dans un moment où rien en Lombar- 
die n'exigeait toutes les forces de l'armée, d'en employer une 
partie à améliorer la situation dans les États de Tllalie pénin- 
sulaire, soit en contraignant leurs gouvernements à la paix, 
soit en les renversant pour républicaniser le pays. Nous 
disons simplement que c'était désirable, car il est bien certain 
^ue ce n était pas absolument nécessaire; l'armée française 
pouvait continuer la guerre dans la haute Italie sans que les 
relations avec l'Italie méridionale cessassent d'être douteuses. 



112 CHAPITRE XXXI. 

Elle les aurait du reste continuées, si les Autrichiens avaient 
paru prêts à engager de nouvelles forces sur TAdige. Les 
armées des gouvernements de Rome et de Naples étaient trop 
faibles pour faire courir le moindre danger aux Français dans 
la haute Italie. D'autre part, si ces derniers continuaient à être 
victorieux, ces deux États n'auraient garde de bouger. 

Le Directoire s'était déjà occupé de la question de Tltalie 
méridionale; dès le 14 mai, à Lodi, Bonaparte avait reçu une 
lettre dans laquelle se trouvait exposé d'une manière vague 
et indécise ou plutôt simplement esquissé, un plan pour la suite 
des opérations en Italie. Ce plan consistait à fractionner l'ar- 
mée d'Italie, qui comprenait environ 40,000 hommes. Une 
première partie, sous les ordres de Bonaparte, entrerait dans 
l'Italie péninsulaire, et il semblait (du moins d'après ce que dit 
Bonaparte dans ses mémoires) que ce fût pour révolutionner 
cette région. L'autre moitié de l'armée, sous les ordres de Kel- 
lermann, devait pendant ce temps assiéger Mautoue et tenir 
la ligne de l'Adige. 

L'unité du commandement étant ainsi raffermie, on le ren- 
forcerait encore en donnant de nouveaux pouvoirs aune auto- 
.rite qui existait dans les armées de la République : les com- 
missaires du gouvernement attachés aux généraux en chef, 
qui exerçaient sur eux une sorte de surveillance politique et 
qu'il fallait considérer comme représentant le gouvernement 
dans les cas urgents, recevraient le pouvoir de requérir des 
renforts dans l'armée voisine. Ainsi le commissaire du gouver- 
nement près l'armée de l'Italie méridionale pourrait, le cas 
échéant, faire expédier une partie de ses troupes à l'armée de 
la haute Italie, s'il y était invité par son collègue de celle-ci. 

Rien de plus curieux que le ton timide, hésitant, sur lequel 
la note du Directoire du 7 mai fait connattre ces vues et ces 
dispositions au général vainqueur; on y sent la crainte de le 
blesser au plus haut degré, de lui déplaire, et de l'amener, 
soit à se démettre sur-le-champ de ses fonctions, soit à oppo- 
ser une résistance ouverte, deux choses également dange- 
reuses pour un gouvernement faible. 



L*iTALIE MÉRIDIONALE. 113 

On a trouvé ce plan du gouvernement français absolument 
incompréhensible, et Ton a cru qu'il ne fallait y voir que le 
désir de briser la puissance d'un général qui commençait à 
être dangereux pour la République. Nous pensons que cette 
explication est aussi invraisemblable qu'inutile. 

Quand le Directoire conçut ce plan, il ne connaissait que 
les victoires remportées dans TApennin et l'armistice avec la 
Sardaigne; comment serait-il devenu jaloux en si peu de temps 
d'un général qui s'était conduit avec modération et avec res- 
pect? Au fond le Directoire ne veut que ce que Bonaparte lui- 
même jugera nécessaire quelques semaines plus tard ; c'est-à- 
dire, après avoir chassé les Autrichiens des plaines de la Lom- 
bardie, entreprendre avec l'excédent de ses troupes une expé- 
dition sur Livourne, Rome et Naples, pour expulser les 
Anglais de l'une, et contraindre les autres à la paix. Jusqu'où 
il faudrait aller, le temps qu'il faudrait, les troupes néces- 
saires, ils n'en savaient encore rien ni Tun ni l'autre. Le 
Directoire voudrait envoyer la plus grande partie de l'armée 
des Alpes grossir l'armée d'Italie, et pense en employer en- 
suite la moitié à cette tâche. Bonaparte, lui, estime qu'on 
pourrait y sufBre avec quelques divisions échelonnées; la 
différence n'est pas grande. Mais le Directoire donnera à cha- 
cune des deux armées un commandement indépendant ; Bona- 
parte, au contraire, voudrait tout garder, et voilà pourquoi il 
représente l'expédition dans la péninsule comme secondaire et 
affirme que son commandement doit être subordonné à celui 
de l'armée d'Italie. 

Du reste, intérêt personnel à part, Bonaparte avait absolu- 
ment raison ; les deux théâtres d'opérations sont si connexes, 
que l'unité du commandement y est indispensable, et qu'il 
serait risible de vouloir en exercer le commandement supé- 
rieur de Paris. Mais on voit souvent des sottises de cette 
force-là, et le Directoire a été certes dépassé plus de cent fois 
dans cet ordre d'idées par d'autres cabinets. 

Le Directoire pensait peut-être qu'il serait nécessaire d'aller 

jusqu'à Naples; Naples est à 80 milles de Mantoue; si l'on 

8 



114 CHAPITRK XXXI. 

perd de vue que les deux armées avaient une base commune, 
resserrée entre le Piémont et la mer, une pareille distance 
pouvait bien faire naître Tidée de rendre les deux généraux 
indépendants. 

Le choix du général Bonaparte pour commander l'armée 
de la péninsule pourrait bien être dû à ce que le Directoire 
venait de rejeter le plan de Bonaparte pour une marche inin- 
terrompue jusqu'en Allemagne (dans la môme lettre du 
7 mai); Carnot pouvait donc craindre que si ce général conti- 
nuait à commander l'armée de Tltalie septentrionale, on ne 
pût l'empêcher de pénétrer malgré tout dans les Alpes. 

Bonaparte fut, comme nous le voyons dans ses Mémoires 
(3® partie, page 185) exaspéré de cette ingratitude du Direc- 
toire. Dans sa réponse du 14 mai, il se contente de montrer 
quelque déplaisir et de faire ressortir la faute qu'on commet- 
trait en divisant le commandement. Le Directoire répondit à 
cette lettre avec un embarras visible et presque comique : 
« Vous paraissez désirer, citoyen général, dit sa note du 
28 mai, de continuer à conduire toute la suite des opérations 
militaires de la campagne actuelle en Italie. Le Directoire a 
mûrement réfléchi sur cette proposition et la confiance qu'il a 
dans vos talents et votre zèle républicain ont décidé cette 
question en faveur de l'affirmative. Le général en chef Keller- 
mann restera à Chambéry, etc. » 



CHAPITRE XXXII 



Considérations. 



La question de savoir si l'expédition dans la péninsule avait 
sa raison d'être, et dans quelle mesure, est trop intéressante 
au point de vue stratégique et trop peu évidente pour qu'on 
ne s'y arrête pas. De telles questions ont inGniment plus 
d'importance à la guerre que les emplacements des différents 
corps dans des moments où ils ne vont pas combattre; elles 
ont bien plus de portée, plus d'envergure, et forment la partie 
de beaucoup la plus importante de la stratégie. 

Quand le Directoire décida l'expédition dans la péninsule, 
les armées étaient encore dans la partie supérieure du bassin 
du Pô ; il est vrai qu'il dit très expressément dans ses lettres 
à Bonaparte (lettres du 7, deux lettres du 45 et lettre du 
28 mai) qu'il ne peut en être question avant que Beaulieu ne 
soit complètement écrasé et son armée dispersée par une 
poursuite sans relâche. 

Il entend par là : jusqu'à ce qu'on l'ait repoussé dans les 
Alpes du Tyrol, et il a raison; mais que savait-il des renforts 
que les Autrichiens feraient passer d'Allemagne en Italie? La 
défection des Sardes ne pouvait-elle pas décider le gouverne- 
ment autrichien à grossir son armée d'Italie aux dépens de 
celle du Rhin ? Dans ce cas, ces renforts seraient arrivés à la 
&Q de juin, juste au moment où la moitié de l'armée française 
eût été à 50, 60 ou 80 milles du Pô. Les événements du mois 
d'août ont bien prouvé qu'on n'aurait pas été de force à 
résister sur le Mincio avec ce qui serait demeuré. 



116 CHAPITRE XXZII. 

Le Directoire croyait-il qu'au moment où il serait avisé de 
la mise en route des renforts, il aurait le temps de rappeler 
Tarmée de la péninsule? La situation politique en aurait beau- 
coup souffert, et, de plus, cette armée serait probablement 
arrivée trop tard. Même à l'époque tardive où Wurmser 
apparut, une armée qui aurait fait une expédition du côté de 
Naples n'aurait jamais eu le temps d'en être revenue. Par 
conséquent, il n'aurait jamais fallu songer, à notre avis, à 
pousser une expédition jusqu'à Naples; et, quant à une pointe 
sur Rome et sur Livourne, on ne pouvait pas apprécier à 
Paris, au commencement de mai, si l'on serait en état de la 
faire. 

Il y a là une obscurité complète dans le plan du Directoire, 
et tout y est confusion quand les deux dernières lettres disent 
d'une part, que Kellermann devra entrer dans le Tyrol et 
menacer l'Allemagne; de l'autre, que les Autrichiens font pro- 
bablement déjà (Gn mai) partir des renforts de l'armée du 
Rhin pour l'Italie; qu'on va profiter de ce moment pour 
dénoncer l'armistice qui dure encore en Allemagne, enfin que 
le défaut de magasins obligera à attendre la moisson I A quoi 
un pareil galimatias de projets et d'idées peut-il servir à un 
général? Ce bavardage est Técueil où sombre toute direction, 
supérieure des opérations. Celle-ci ne devrait et ne peut 
qu'orienter les opérations du commandant des troupes, sui- 
vant les grandes lignes politiques qu'elle a adoptées, et il faut 
le faire avec beaucoup de clarté et de précision. 

Quand Bonaparte, ayant passé le Mincio, dirigea une partie 
de ses forces vers la Toscane et les États de l'Église, il pou- 
vait envisager beaucoup mieux sa situation. Beaulieu était 
repoussé dans les Alpes ; Bonaparte savait que 30,000 hommes 
de l'armée du Rhin devaient venir le renforcer, mais ils 
n'étaient pas encore partis et ne pouvaient paraître avant six 
semaines. Il fallait procéder aux préparatifs du siège de Man- 
toue ; il pouvait donc occuper le temps disponible en péné- 
trant avec une de ses divisions dans les Légations; une autre 
(Vaubois), qui lui arrivait de l'armée des Alpes, serait dirigée 



CONSIDÉRATIONS . 117 

sur Livourne. Ces deux expéditions sufOsaient amplement 
pour ce qu'on voulait faire à Livourne et pour contraindre le 
Pape à traiter ; elles ne compromettaient pas autant qu'une 
expédition poussée jusqu'à Rome, et, a fortiori^ jusqu'à 
Naples ; car elles n'éloignaient pas les troupes françaises à 
plus de 20 milles de Mantoue. 

En voyant les plans antérieurs si vagues du Directoire et 
de Bonaparte se réduire à ces dispositions si bien subor- 
données à l'objectif essentiel, nous n'avons plus rien à dire; 
il faut admirer cette sage économie des forces. Mais si l'on avait 
projeté des opérations dans la péninsule sous le seul prétexte 
qu'il fallait couvrir son flanc et ses derrières, c'est le prétexte 
même que nous refuserions d'admettre, car les flancs et les 
derrières n'étaient pas menacés dangereusement et cette pré*- 
tendue couverture eût livré le front à une défaite cer- 
taine (i). 



(i ) La différence essentielle entre les projets du Directoire et de Bona- 
parte n*est pas dans les dispositions militaires, mais dans le but : Le 
Directoire voulait un remaniement complet de l'Italie péninsulaire, ce qui 
aurait absorbé entièrement et retenu les forces qu'on y aurait une fois 
consacrées. L'avenir a bien montré ce que devait durer une expédition 
politique en Italie. Bonaparte va simplement occuper la Romagne, indis- 
pensable à la sécurité de ses opérations, parce qu'elle touche au Mantouan 
et qu'elle séparera l'Autriche du Pape, et, en second lieu, il va lever 
des contributions pour entretenir la guerre et préparer l'offensive dans le 
Tyrol, à laquelle il a entin fait consentir le Directoire. 

Les troupes chargées de cette expédition peuvent être rappelées d'un 
moment à l'autre, ce qui n'aurait pas lieu si elles avaient été chargées de 
révolutionner Rome. 



CHAPITRE XXXIII 



Exécution. 



Bonaparte porta la division Masséna à l'effectif de 
12,000 hommes environ, avec lesquels elle fut chargée 
d'observer Beaulieu dans la vallée de TAdîge. Sérurier con- 
tinua le blocus de Mantoue sur les deux rives du Mincio avec 
10,000 hommes ; Augereau, avec un effectif à peu près égal, 
se mit en marche sur Bologne et passa le Pô à Borgoforte, le 
14 juin. 

Avant même que Bonaparte eût commencé son mouvement, 
arriva le S juin, à Brescia, le duc de Belmonte, chargé de 
faire des propositions d'armistice au nom du roi de Naples. 
On voit par là comment les succès précédents avaient leur 
effet jusque dans Tltalie méridionale, comment tous ces États 
pouvaient être vaincus indirectement dans la haute Italie, et 
comme il y avait peu à craindre leur intervention sur les der- 
rières de l'armée. Bonaparte consentit d'autant mieux à l'ar- 
mistice, que la cavalerie napolitaine, détachée a l'armée de 
Beaulieu, fut, aux termes du traité, cantonnée dans le pays de 
Brescia, par conséquent laissée pour ainsi dire en otage aux 
mains des Français. En outre, on pouvait espérer que l'expé- 
dition dans les Légations aurait, de ce chef, des effets plus 
complets. 

Bonaparte se rendit en personne à Milan pour presser l'ou- 
verture de la tranchée devant la citadelle, et alla ensuite le 
17 à Tortone; pendant ce temps, une colonne de 1200 hom- 
mes, sous le colonel Lannes, marchait sur Arquata; des 



EXÉCUTION. 119 

troubles des plus sérieux avaient éclaté de ce côté, avaient 
interrompu les communications « et quelques détachements 
français avaient été désarmés. On châtia ces désordres par le 
fer et par le feu, et Ton prit des otages; une sévère admones- 
tation fut adressée au Sénat de Gênes pour empêcher que le 
fait ne se renouvelât. Bonaparte se rendit alors à Bologne par 
Modène; la division Augereau était arrivée à Bologne le 
19 juin. 

Dès le 23, un plénipotentiaire du pape vint signer un armis- 
tice. Il portait que la paix allait être négociée à Paris, que les 
Français occuperaient, jusqu'à la signature, Bologne, Ferrare 
et Âncône, enQn que le pape fournirait une contribution de 
21 millions de francs, des chevaux, etc., et cent objets d'art. 
Bonaparte quitta Bologne le 26 et entra à Pistoja avec la 
division Vaubois, qui arriva à Livourne le 29. 

On mit la main sur les marchandises anglaises, qui rappor* 
tèrent 12 millions au Directoire, puis, Vaubois laissa une gar- 
nison de 2,000 hommes et le reste des troupes repassa TApen- 
nin et le Pô pour rejoindre l'armée sur TAdige. La division 
Augereau en fit autant ; elle avait trouvé à Urbino et à Ferrare 
des canons dont 70 furent envoyés au parc de Borgoforte 
pour le siège de Mantoue. 

Augereau ne laissa qu'un bataillon dans la citadelle de Fer- 
rare, et ce fut tout pour la rive droite du Pô; on avait rencon» 
tré, en effet, dans toutes les grandes villes, des dispositions si 
favorables à la cause française, que les gardes nationales qui 
y avaient été organisées suffisaient à en assurer la posses- 
sion. 

A la fin du mois de juin, la division Augereau avait rejoint 
Tarmée. ^ 

Le 27 juin, la citadelle de Milan avait capitulé. 



COMMENCEMENT DU SIÈOE DE MÀNTOUE. 121 

Rivoli, et tenaient les points principaux du cours de TAdige 
sur ce front. Ils formaient le centre de Tarmée d'observation. 
Augereau, avec 5,000 à 6,000 hommes, était à Legnago et 
surveillait l'Adige en amont et en aval de cette place. Il for- 
mait Taile droite. Sauret avait 4,000 à S,000 hommes sur la 
rive occidentale du lac de Garde et dans la vallée de la Chiese ; 
il formait l'aile gauche. Despinoîs avait une réserve d'environ 
5,000 hommes vers Peschiera et surveillait aussi l'Adige en 
aval, de Vérone à Zevio. La réserve de cavalerie (15,000 à 
16,000 chevaux) était à Valeze, entre Legnago et Vérone. 

L'armée d'observation se composait donc en tout de 32,000 
à 33,000 hommes, et ses emplacements étaient tels, qu'elle 
pouvait se rassembler en deux jours, soit entre l'Adige et le 
Mincio, soit entre le Mincio et la Chiese. 

Sérurier formait le corps de siège avec 10,000 à H, 000 
hommes. 



CHAPITRE XXXV 



VTunnser vient délivrer Mantone. 



Beaulieu avait quitté le commandement de Tarmée autri- 
chienne dès le mois de juin, laissant Tintérim au général 
Mêlas, et il était parti en voyage a la Qn du mois. 

Sur le Rhin, Jourdan avait dénoncé l'armistice à la fin de 
mai, et avait poussé jusqu'à la Lahn; il y avait été battu par 
l'archiduc Charles et forcé de repasser le Rhin. Trois semaines 
après, le 23 juin, Moreau passait le Rhin, à Strasbourg, avec 
l'armée de Rhin et Moselle. 

Au moment où l'archiduc Charles était engagé contre Jour- 
dan, et avant même que l'armistice ne fût dénoncé sur le 
haut Rhin, le gouvernement autrichien avait prescrit au géné- 
ral Wurmser de passer en Italie avec des renforts, et d'y 
prendre le commandement; l'armée du haut Rhin devait pas- 
ser sous les ordres de l'archiduc Charles. 

En conséquence, Wurmser partit pour le Tyrol au milieu 
de juin avec 2S,000 hommes de l'armée du haut Rhin. Eq 
outre, des renforts sérieux lui furent envoyés de l'intérieur, 
de sorte que les forces disponibles en Italie s'élevèrent à 
60,000 hommes, dont i 0,000 furent laissés à l'intérieur (sans 
doute dans le Tyrol et la Carynthie). Wurmser arriva à Trente 
avec ces renforts au milieu de juin ; il était donc resté en route 
quatre semaines, La distance d'OiTembourg dans la forêt 
Noire, à Trente, étant de 60 milles environ, le temps qu'il 
mit n'a rien d'extraordinaire; ce n'était pas tant de la hâte 



WURMSER VIENT DÉLIVRER MANTOUE. 123 

qu^il fallait pour réussir, que de bonnes dispositions dans un 
autre ordre d'idées. 

Wurmser résolut de combiner son attaque d'après un plan 
de son chef d'état-major, le colonel Weirotter; ce plan con- 
sistait à déboucher de la montagne en deux colonnes qui sui- 
vraient les deux rives du lac de Garde. La colonne principale, 
forte de 32,000 hommes, sous le commandement direct de 
Wurmser, descendrait la vallée de TAdige; la colonne secon- 
daire, forte de 18,000 hommes, sous Quasdanowitch, passerait 
par Riva et Salo, sur la rive occidentale du lac de Garde. 

Les raisons de cette division en deux colonnes, que nous 
étudierons de plus près dans la suite, étaient sans contredit : 

1* Ne pas rester sur une seule route avec des forces aussi 
considérables; se donner une base plus étendue; 

2^ Entraîner les Français à se diviser aussi ; 

3* Menacer leur ligne de retraite et dégager ainsi Mantoue 
par une simple manœuvre ; 

4" Dans le cas où celle-ci manquerait son effet, augmenter 
les résultats de la victoire sur laquelle on comptait. 

L'exécution de ce plan produisit une série de combats, 
livrés du 29 juillet au S août, que l'on désigne par la dénomi- 
nation collective de bataille* de Castiglione. Nous allons les 
étudier dans l'ordre chronologique. 



CHAPITRE XXXVI 



Combats de Rivoli et Salo, le 29 Juillet. 



Masséna avait occupé avec 15,000 hommes la vallée de 
TAdige entre Vérone et Rivoli, c'est-à-dire qu'il tenait deux 
positions principales, celles de Vérone et de Rivoli. Cette der- 
nière se trouve dans un élargissement de la vallée, sur un pla* 
teau séparé des montagnes voisines, qui constitue une très 
forte position, à cheval sur une route secondaire qui suit la 
rive droite de l'Adige. La route principale longe la rive 
gauche; elle passe à un mille en arrière de la position de 
Rivoli, dans la Chiusa, gorge étroite barrée par un petit fort. 
Il existe encore bon nombre de chemins moins importants, 
mais parfaitement utilisables, ai> moins pour Tinfanterie. Trois 
a quatre d'entre eux passent sur le monte Baldo, qui est la 
crête principale entre l'Adige et le lac de Garde, et qui entoure 
aussi le plateau de Rivoli. Plusieurs chemins passent égale- 
ment sur les crêtes de la rive gauche de l'Adige, contreforts 
du massif du monte Molare, et mènent directement à Vérone. 

Ces voies assez nombreuses, en somme, dont il faut tenir 
les unes et surveiller les autres, l'étendue du plateau de 
Rivoli, où la principale position de défense a un développe- 
ment de plusieurs lieues, une hauteur qui domine le fort de la 
Chiusa, tout cela concourt à rendre la défense de cette région 
impraticable contre des forces supérieures ; le défenseur court 
toujours le danger, s'il tient trop longtemps, de perdre toute 
ligne de retraite. 

Bonaparte comptait donc sur une vigoureuse résistance dans 



COMBATS DE RIVOLI ET SALO, LE 29 JUILLET. 125 

la vallée de l'Adige pour gagner le temps nécessaire aux mou- 
vements de ses troupes ; mais une défense acharnée de la. val- 
lée de TAdige n'aurait répondu ni à ses intentions, ni à la 
lettre même de ses instructions. Augereau, à Legnago, obser- 
vait la route de la Brenta ; Sauret, à Salo, celle de la rive occi- 
dentale du lac de Garde ; Masséna devait surveiller et couvrir 
la route principale qui -passait par Rivoli. Bonaparte voulait 
avant tout que la résistance de ces corps lui donnât le temps 
de rassembler le gros de ses forces en un point donné, et 
d^offrir le combat à Tendroit qui lui semblerait présenter le 
plus d'avantages. La route de Rivoli était naturellement la 
plus importante; aussi la division de Masséna était-elle la plus 
nombreuse; sa position était du reste assez forte pour donner 
l'occasion de livrer un combat heureux, si on la soutenait en 
temps utile. 

Masséna avait son quartier général à Bussolengo. On ne 
sait rien de la répartition de ses troupes, si ce n'est que les 
avant-postes de la position de Rivoli se trouvaient près de 
Brentino, au lieu dit la Corona; de nombreux chemins con- 
duisant au plateau de Rivoli grimpent par là sur le contrefort 
du monte Baldo, appelé le monte Magnone. La défense de 
ces points devait constituer la première résistance. Le plateau 
de Rivoli était fortiOé, 

Ayant encore détaché dans la vallée de la Brenta une 
petite troupe chargée de détourner l'attention de l'ennemi, 
Wurmser descendit la vallée de l'Adige en deux colonnes 
principales et plusieurs colonnes secondaires. 

Davidovich, avec l'aile gauche, suivait la route de la rive 
gauche jusqu'à Dolce ; là il jetterait un pont, par lequel il se 
porterait à l'attaque du plateau de Rivoli sur la rive droite. Il 
détacherait le général Meszaros par le monte Molare, droit sur 
Vérone, et le général Mitrowsky de Dolce sur la Chiusa. 

La deuxième colonne principale, sous le commandement 
personnel de Wurmser, franchissait le monte Magnone et 
arrivait directement sur le front de Rivoli ; il y avait, plus à 
droite, une colonne secondaire sous les ordres de Mêlas, qui 



126 CHAPITRE XXXYI. 

devait passer par Luraini et le monte Baldo proprement dit, 
pour arriver entre la position de Rivoli et le lac de Garde. 

L^armée principale de Wurmser était donc divisée en cinq 
colonnes sur un front de trois à quatre milles. Qu'elle eût 
eu affaire au gros de Tarmée française, c'était plus qu'il n'en 
fallait pour être battue, mais elle arrivait avec 30,000 hommes 
contre les 8,000 à 10,000 de la division Masséna ; les deux 
colonnes principales seraient tombées à plus de deux contre 
un sur les Français pour peu que ces derniers eussent mis 
quelque obstination dans leur défense. Aussi Masséna, voyant 
ses avant-postes attaqués le 29 juillet, à trois heures du 
matin, ne résista-t-il que juste assez pour les recueillir; 
ce ne fut pas sans subir des pertes assez sérieuses, semble-t-il, 
tant en morts et en blessés qu'en prisonniers et canons 
laissés à l'ennemi, qu'il se retira sur Piovezzano (entre Rivoli 
et Castelnovo) où il arriva un peu avant la nuit. 

Pendant qu'il en était ainsi du côté de l'armée principale, 
Quasdanowitch arrivait à Salo le 29. Le général Sauret fut 
battu dans un combat assez vif, et le général Guyeux, cerné 
avec un bataillon, fut obligé de se jeter dans une grande 
maison près de Salo. Quasdanowitch poussa jusqu'à Gavardo 
et envoya le général Klenau à Brescia, où il surprit la garni- 
son : quatre compagnies, un escadron et plusieurs généraux y 
furent faits prisonniers. 

Sauret se replia sur Desenzano. 



CHAPITRE XXXVII 



Bonaparte se tourne contre Quasdanoivltch. 



Bonaparte avait son quartier générale Castelnovo. Il règne 
une certaine incertitude sur ses décisions et ses mouvements 
du 29. 

Les divisions Kilmaine et Despinois ont dû être rassemblées 
à Castelnovo, et Augereau a dû recevoir d'abord l'ordre de 
remonter FAdige pour tomber dans le flanc gauche de 
l'ennemi. Il n'y a pas trace de l'exécution de cet ordre ; il a 
dû être contremandé ; quand il fut donné, Bonaparte devait 
encore avoir l'idée qu'il pourrait porter la défense dans les 
montagnes. Quant aux divisions Kilmaine et Desploois, il est 
singulier que le lendemain elles soient à Villafranca, tandis 
qu'il eût été naturel de les laisser à Castelnovo pour recueillir 
la division Masséna, si elles y avaient été le 29. 

Il est certain que Bonaparte, ayant su par des rapports 
plus détaillés que la division Masséna avait été assez mal- 
traitée le 29, reçut des renseignements où l'on exagérait peut- 
être les forces de Wurmser; qu'aussitôt après, il apprit 
l'arrivée d'une colonne presque aussi forte par Salo et 
Gavardo, laquelle avait battu Sauret et dont la cavalerie 
galopait déjà sur la route de Milan ; il vit la nécessité d'une 
concentration absolument générale. 

Si nous ne voulions tenir compte que des faits avérés, nous 
dirions : Bonaparte prit, le 30, la résolution non seulement 
de lever le siège de Mantoue, mais encore de ne pas perdre 
de temps à sauver les parcs, et de planter là les 120 pièces 



128 CHAPITRE XXXVII. 

de canoD, prises du reste à des arsenaux étrangers, de ras- 
sembler son armée et de la porter tout entière sur l'une ou 
l'autre des deux masses ennemies séparées par le lac de Garde ; 
il se porta d'abord contre Quasdanowitch, parce que ce der- 
nier était le plus faible et surtout parce que, son armée arrivant 
derrière les Français, on pouvait l'attaquer sans faire courir 
aucun danger aux communications en cas d'échec (1). 

Cette manière d'expliquer simplement les choses est en 
contradiction avec l'anecdote racontée plus tard par Auge- 
reau, quand il se fut brouillé avec Bonaparte, à savoir que, 
le 30 juillet 1796, dans un conseil de guerre tenu à Rover- 
bella, ce fut surtout Augereau qui soutint la proposition 
d'attaquer l'ennemi, tandis que Bonaparte, d'abord décou- 
ragé, ne songeait qu'a se retirer au sud du Pô. 

Les partisans de Bonaparte ont déclaré que cette histoire 
était fausse ; le 30 au soir, il y avait eu à Roverbella une 
sorte de conseil de guerre, ils ne le contestent pas ; mais ils 
prétendent que Bonaparte avait voulu simplement y éprouver 
les dispositions de ses généraux. 

Par le fait, il est bien invraisemblable que Bonaparte, qui 
ne perdait pas la tête si facilement, l'eût perdue dans une 
circonstance qu'il voyait venir depuis des semaines et à 
laquelle il était tout préparé. D'autre part, un général en 
chef de 27 ans, récemment promu, tiré de l'obscurité depuis 
un an à peine, n'avait pas avec ses généraux de division 



(1) Bonaparte était, le 29, à Brescia ; il y apprit d'abord l'arrivée de 
Wurmser à Rivoli et ordonna la concentration de Masséna, Despinoy et 
Kilmaine à Castelnovo, Augereau venant derrière eux à Villafranca. 

Apprenant ensuite les combats de Salo et de Gavardo, il donne contre- 
ordre et appelle Despinoy à Desenzano pour soutenir Sauret. 

Le 30, il passe à Desenzano et donne Tordre à Sauret et Despinoy de 
reprendre Salo le lendemain, puis continue vers Castelnovo. N'ayant pas 
assez de forces pour livrer bataille à Wurmser, avec les seules divisions 
Masséna et Augereau, il se rapproche de Mantoue pour utiliser la division 
Sérurier. 11 a déjà l'idée de tenir les deux armées ennemies séparées, car 
il appuie constamment sa gauche à Peschiera, sur le lac de Garde. Son 
centre est à Roverbella; sa droite, à Gastellaro. 



BONAPARTE SE TOURNE CONTRE QUASDANOWITCH. 129 

l'allure que prit plus tard TEmpereur, et il est assez naturel 
qu'il ait jugé nécessaire de s'entendre avec eux jusqu'à un 
certain point dans une pareille crise. Il s'était déjà passé quel- 
que chose d'analogue sur la Cursaglia. La décision de Bona- 
parte ne nous apparaît pas aussi précise et aussi rapide que 
nous aimerions à nous l'imaginer ; mais ce n'est pas une raison 
pour se permettre de rabaisser son mérite. La guerre n'est pas 
si théâtrale qu'on se le figure habituellement. 

Le 30 juillet, nous trouvons les forces françaises rassem- 
blées comtne il suit : 

Masséna à Castelnovo ; Augereau avec une brigade de 
Sérurier à Roverbella ; Despinois et Kilmaine à Villafranca. 
Sérurier, avec ses deux autres brigades, est occupé à lever le 
siège et se tient prêt à la retraite sur Borgoforte et Marcaria, 
pour couvrir la route de Crémone. Sauret reste le 30 à 
Desenzano. 

Les Autrichiens de Quasdanowitch poussent sur la Chiese, 
à Ponte-San-Marco et Montechiaro, pendant que leur aile 
gauche est encore occupée à assiéger Guyeux à Salô ; celui-ci, 
comme nous l'avons dit, cerné le 29 avec un bataillon, s'était 
jeté dans une grande maison. 

Ce que fît ce jour-là la principale armée autrichienne, on 
n'en sait rien ; elle a marché certainement sur Mantoue, 
mais, comme elle n'y arrive que le 1®' août et qu'il n'y a que 
deux étapes jusque-là, ses mouvements ne sont pas suffisam- 
ment expliqués pendant ces trois jours. 

Les Français passent le Mincio dans la nuit du 30 au 31 juillet 

Dans la nuit du 30 au 31, la division Masséna vient à Pes- 
chiera, Augereau à Borghetto, et ils passent le Mincio. Mas- 
séna laisse sur le Mincio le général Pigeon avec un millier 
d'hommes ; Augereau laisse le général Vallette (1). 



(1) La division Masséna vient seule sur le Mincio, dans la nuit du 30 
au 31 . Cest alors que Bonaparte apprend T arrivée à Brescia d*une division 

9 



130 CHAPITRE XXX VJI. 

Deuxième combat de Salé, le 31 juillet 

Masséna se dirige sur Lonato, Augereau sur Montechiaro. 
Bonaparte se porte en hâte à Desenzano. Il ordonne au géné- 
ral Sauret de courir à Salô dégager le général Guyeux qui s'y 
est défendu le 29 et le 30 avec beaucoup de valeur, et tient 
contre toutes les attaques des Autrichiens, malgré le manque 
de vivres. Sauret part, tombe sur l'aile gauche des Autri- 
chiens, qui ne s'attendait pas à être attaquée, la bat, dégage 
Guyeux, puis se retire le !•' août dans une position entre 
Salô et Desenzano (1). 

Premier combat de Lonato, le 31 juillet 

Le général Despinois paraît le premier à Lonato, mais il est 
obligé de céder à la supériorité numérique d'Ocskay, qui 
vient d'arriver, et qui le maltraite assez sérieusement ; bientôt 
surviennent les brigades Dallemagne et Rampon, de la divi- 
sion Masséna, sous la direction de Bonaparte. L'avantage du 
nombre passe aux Français, et Ocskay est obligé de se retirer 
avec une perte de 500 à 600 hommes. 

Quasdanowitch, voyant ses deux colonnes battues à Salô et 



ennemie, qui menace sérieusement sa retraite, et qu'il est urgent de battre 
d*abord ; c*est dans la journée du 31 que Kilmaine et Augereau sont rap- 
pelés de Roverbella et Castellaro vers Montechiaro, et que Sérurier reçoit 
Tordre de lever le siège en détruisant son matériel. Us marchent le 31, la 
nuit du 31 juillet au 1*' août, et arrivent, exténués, le 1*' dans la journée, 
à firescia et à Marcaria. 

Le général Valette appartenait à la division Masséna. 

(1) Le 31 juillet, Sauret et Despinoy se portent de Desenzano vers Salô, 
pour dégager Guyeux. Ils sont 7,000 à 8,000 hommes. Arrivés à Lonato, 
ils aperçoivent une brigade ennemie débouchant de Ponte-San-Marco ; 
Despinoy l'attaque pendant que Sauret continue sa marche sur Salô, dé- 
bloque Guyeux et revient à Desenzano, craignant d*être cerné à son tour. 

Le combat de Lonato est livré par Despinoy avec les 5* et 32* (généraux 
Bertin et Dallemagne). Bonaparte n*y a pas assisté; il était alors à Rover- 
bella. 



BONAPARTE SE TOURNE CONTRE QUASDANOWITCH. 131 

Lonato, reconnaît qu'il a affaire au gros des forces françaises; 
il n'attend pas l'arrivée d'Augereau à Monlechiaro, et se 
retire à Gavardo. 

Bonaparte marche toute la nuit du 31 au 1®' avec les divi- 
sions Augereau et Despinois sur Brescia ; il y arrive à 8 heures 
du matin et en chasse sans peine les Autrichiens. 

Ce dernier mouvement a quelque chose d'excentrique et 
d'extraordinaire. Bonaparte a probablement cru trouver là 
un corps autrichien important qu'il surprendrait et couperait 
de la Chiese. Il se trouva que ce fut un coup d'épée dans 
l'eau ; dès lors, il ne laissa que la division Despinois et revint 
le 2 août à Montechiaro avec la division Augereau (I). 



(1) La première chose à faire, pour Bonaparte, était de remettre la main 
sur sa communication et âes magasins. Son avant-garde seule est arrivée 
à Brescia. Le reste de la colonne s*est couché sur place, exténué, le long 
de la route de Montechiaro à Brescia. Quasdanowitch était d'ailleurs à 
Brescia avec des forces sérieuses ; mais il a disparu à rapproche de Bona- 
parte. Si i*on avait tourné sa gauche en se portant d'abord sur Gavardo, 
il aurait rejoint Wurmser par Marcaria en écrasant la division Sérurier. 

Le 2 août, Bonaparte se concentre sur la Chiese, entre Desenzano, Cas- 
tiglione et Mezzane, prêt à faire face au Nord ou à l'Est. Il ne peut, sans 
danger, s'engager dans la montagne à la suite de Quasdanowitch. 



CHAPITRE XXXVIII 



Wurknser passe le Mincio. 



Le 1" août, pendant que Bonaparte marche sur Brescia, 
que Quasdanowitch se reforme vers Gavardo et Salô, Wurm- 
ser arrive sur le Mincio et entre dans Mantoue délivrée. Il 
prend position avec une partie de ses troupes le long de la 
rivière, envoie son avant-garde a Goïlo avec Liptay et une 
partie de la garnison de Mantoue à la poursuite des deux bri- 
gades de Sérurier sur les routes de Marcaria et Borgoforte. 

Wurmser a dû croire l'armée française en pleine déroute ; 
le siège paraissait avoir été levé avec beaucoup de précipita- 
tion et dans une grande confusion ; lartillerie de siège et tous 
les attirails étaient abandonnés, le général Sérurier en re^ 
traite. On eût dit une chambre dont le propriétaire vient de 
s'enfuir précipitamment et où l'on trouve tout dans le dés- 
ordre où il Ta laissé. La joie et l'étonnement se partageaient 
le cœur des Autrichiens. Wurmser pensait que c'était le résul- 
tat de sa supériorité numérique, de son attaque enveloppante, 
et de ses heureux combats du 29 à Rivoli et Salô ; il croyait 
tenir une victoire complète et pensait avoir atteint son but. 
En conséquence, il resta tranquille le 2 à Mantoue et se con- 
tenta de faire continuer la poursuite du vaincu par Liptay, de 
Goïto sur Castiglione. Ce ne fut que dans la soirée du 2 qu'il 
apprit avec étonnement que Quasdanowitch avait été attaqué 
sur tous les points et rejeté sur Gavardo avec des pertes con- 
sidérables. Le retard que ce renseignement mit à lui parvenir 
s'explique par le fait que les Français étaient entre Quasdano- 
witch et lui. 



CHAPITRE XXXIX 



Bataille de Lonato, le 3 août. 



Bonaparte avait bien repoussé le général Quasdanowitch, 
mais il ne l'avait pas battu à fond, et ne lui avait pas, a for- 
tiori^ infligé une défaite qui le mît définitivement hors de 
cause. Les avantages obtenus n'étaient certes pas à mettre en 
balance avec la perte des parcs de siège. Les choses ne pou- 
vaient en rester là; il fallait encore frapper un coup décisif; 
restait seulement à Bxer si ce serait d'abord contre Wurmser 

ou une seconde fois contre Quasdanowitch. 

* 

Premier combat de Caatiglione, 2 août 

On en était là quand, le 2 août, les arrière-gardes de Mas- 
séna et d'Augereau furent délogées. Celle de Masséna, sous 
le général Pigeon, attaquée près de Peschiera, se retire en 
bon ordre sur Lonato. Au contraire, le général Valette est 
chassé de sa position de Castiglione dans un tel désordre qu'il 
plante là la moitié de ses troupes et porte la frayeur à Monte- 
chiaro. Il fut cassé sur-le-champ par Bonaparte. 

Cette défaite du général Valette annonce le retour de 
Wurmser ; d'après le rapport de Bonaparte au Directoire sur 
la bataille de Lonato, livrée le 3 août, on croirait que l'armée 
française fit face en arrière ce jour-là sur ses positions et se 
battit contre des divisions isolées de Wurmser. La chose n'est 
pas aussi simple. Le 3 août, il y eut deux combats principaux, 
à Castiglione et à Lonato, et beaucoup d'autres moins impor- 
tants sur toute la ligne de Brescia à Salô ; mais on ne les a 



i34 CHAPITRE XXXIX. 

pas encore tirés de la confusion extraordinaire dans laquelle 
les a laissés le premier bulletin de victoire du général fran- 
çais ; la relation du journal militaire autrichien s'arrête à la 
retraite dans le Tyrol, et d'ailleurs personne n'est jamais 
arrivé à dissiper un doute quelconque avec des documents 
officiels autrichiens. Le général Jomini, dans son Histoire des 
guerres de la Révolution, a composé un récit qui diffère de la 
relation ofRcielle française sur ce point obscur, sans cepen- 
dant y mettre une limpidité parfaite. En particulier, on ne sait 
ni mieux ni plus mal contre qui Bonaparte s'est battu à 
Lonato, si c'est contre une fraction du corps de Quasdano- 
witch ou de celui de Wurmser (1). 

Nous nous contenterons d'exposer la chose telle qu'on , la 
connaît à l'heure actuelle, sans nous perdre en discussions 
inutiles ; il surgira certainement dans l'avenir quelques rensei- 
gnements tirés des archives autrichiennes qui viendront dis- 
siper la confusion sur les points essentiels. D'après Jomini, 
les choses se seraient passées de la façon suivante : 

Deuxième combat de Lonato. 
Deuxième combat de Caatiglione, le 3 août. 

Bonaparte pense, le 2, que Quasdanowitch a été repoussé, 
mais qu*il faut le rejeter plus loin encore dans les montagnes. 
Il consacre à cette mission S,000 à 6,000 hommes sous le 
général Despinois. Ils doivent s'avancer le 3 : Guyeux sur 
Salô ; Despinois, de Brescia sur Gavardo ; Dallemagne, par 
Piétro, formera la liaison entre les deux ; l'adjudant général 
Herbin, passant par Saut'Osetto, menacera le flanc droit de 
l'ennemi. Telles sont les dispositions contre Quasdanowitch. 



(1) Clause witz sait cependant bien que c*est la brigade Ocskay, faisant 
partie de la division de Quasdanomtch, qui s*est battue le 3, à Lonato, 
contre Masséna. Il le dit dans le récit qui va suivre. Ocskay était arrivé 
devant Lonato dès le 2 au soir, passant inaperçu entre Guyeux et Des- 
pinoy, et ne les voyant pas. 



BATAILLE DE LONATO, LE 3 AOUT. 135 

Du côté opposé, comme on a perdu Castiglione, il est néces- 
saire de reprendre cette localité. Augereau, renforcé par la 
division de cavalerie de Kilmaine, y attaquera donc Liptay. 

Bonaparte restera au centre, à Lonato, avec la division 
Masséna, et se portera, suivant les circonstances, aux points 
où sa présence sera nécessaire. 

Augereau sort vainqueur de son combat contre Liptay. 
Celui-ci est soutenu, il est vrai, par quelques troupes en- 
voyées du corps principal de Wurmser, et sa résistance. est 
opiniâtre ; mais Augereau reste cependant supérieur en nom- 
bre et l'oblige à abandonner ses positions où il s'établit à son 
tour. 

Au contraire, l'attaque des Français contre Quasdanowitch 
ne réussit pas. Ce général croit devoir faire encore une tenta- 
tive pour se porter sur le Mincio et s'y joindre à Wurmser, 
de manière à se trouver à ses côtés s'il était aux prises avec 
Bonaparte. Il se porte donc en avant et accable de sa supé- 
riorité numérique les faibles colonnes du général Despinois. Il 
s'ensuit que Despinois est rejeté avec pertes sur Brescia, que 
Dallemagne s'échappe péniblement vers Rezzato (sur la route 
de Lonato à Brescia) et qu'une colonne de Quasdanowitch, 
sous Ocskay, arrive à Lonato. Cependant le général Guyeux 
a atteint Salô. 

Le général Ocskay tombe d'abord à Lonato sur Tavant- 
garde (ou plutôt î'arrière-garde) de Masséna, commandée par 
le général Pigeon ; elle est rejetée avec de grosses pertes, perd 
trois canons et le général Pigeon est fait prisonnier. A ce 
moment, Bonaparte arrive à Ponte-San-Marco avec la division 
Masséna. Il a pris une formation régulière et très dense; les 
Autrichiens veulent le déborder des deux côtés; il enfonce 
leur centre, les sépare, oblige leur aile gauche à reculer sur le 
lac de Garde^ Elle s'y serait trouvée tout à fait isolée, si la 
tête de la réserve autrichienne, sous le prince de Reuss, ne 
l'avait dégagée. Mais cette aile gauche, poursuivant alors sa 
retraite sur Salô et Gavardo, trouve les aventfes de la mon- 
tagne tenues en parti par Guyeux, de sorte que beaucoup de 



BATAILLE DE LONATO, LE 3 AOUT. 137 

et s'étant avancé jusqu'à Goïto, Bonaparte pouvait espérer lui 
livrer bataille sur la rive droite de cette rivière; s'il s'y déro- 
bait, il serait rejeté dans la montagne et Ton ferait une pour- 
suite sans trêve dont on pourrait espérer de nombreux tro- 
phées. Bonaparte résolut donc de marcher contre Wurmser, 
le 5. S'il attendait un jour, c'est que ses troupes s'étaient 
déjà battues le 3, ou qu'il y avait beaucoup de choses à 
reconstituer et à réorganiser; peut-être, enfin, voulait- il faire 
concourir à l'action les deux brigades de la division Sérurier, 
qui s'étaient retirées vers le Pô, et il y fallait du temps. 

Le général Fiorella, qui les commandait par intérim et se 
trouvait, semble-t-il, avec leur gros à Marcaria, reçut le 4 
l'ordre de se reporter pendant la nuit sur Guidizzolo pour être 
prêt à agir le S. 

Combat de Govardo, le 4 août. 

Ainsi, le 4 août, Bonaparte se trouvait avec la division Mas- 
séna à Lonato; Âugereau et Kilmaine à Castiglione; Fiorella 
se mettait en marche sur Guidizzolo, et Guyeux tombait de 
Salô sur le général Quasdanowitch à Gavardo; celui-ci, un peu 
dérouté, et menacé subitement dans son flanc droit par Saint- 
Osetto, se décida à continuer sa retraite sur Riva, et se réunit 
au prince de Reuss à la Rocca d'Anfo, près du lac d'Idro (1). 

Wurmser employa aussi la journée du 4 à rallier quelques 



(1) On s'expliquera mieux la retraite de Quasdanowitch, le 4, en remar- 
quant : 

Jo Que ce général n'avait jamais engagé toute sa division ensemble et 
que la brigade Ocskay avait été anéantie le 3 ; 

2^ Que Bonaparte fit renforcer Guyeux et Despinoy par une partie de la 
division Masséna. 

C'est ce renfort qui décida du succès le 4, et le 5 il était revenu pour la 
bataille de Castiglione, suivi par la moitié de la division Despinoy. Où 
serait l'avantage d'une position centrale, si l'on ne portait ses forces tour 
à tour contre ses deux adversaires, et si l'on partageait d'avance, une fois 
pour toutes, son armée en deux parties opposées respectivement aux deux 
armées ennemies ? 



138 CHAPITRE XXXIX. 

détachements. Mais où était-il? Était-ce encore à Goïlo? Où 
Liptay avait-il pris position? on n'en sait rien. Ce dernier était 
sans doute resté à Solférino, sur le champ de bataille da len- 
demain. 

Pendant que Bonaparte avait son quartier général a Lonato, 
le 4, apparurent devant cette localité les trois bataillons isolés, 
dont nous avons parlé, avec leurs trois pièces de canon. Ils 
n*avaient pu pénétrer du côté de Gavardo, et s'étaient décidés 
à revenir vers le Mincîo, espérant y rencontrer Wurmser, ce 
qui aurait pu encore leur arriver s'ils avaient eu le bonheur 
de ne pas se heurter à de trop forts détachements ennemis. Ils 
dirigèrent leur marche le 4 sur Lonato, ne croyant probable- 
ment pas y trouver ces mêmes troupes contre lesquelles ils 
s'étaient battus la veille. Ne les ayant pas rencontrées dans la 
campagne (la division Masséna était peut-être cantonnée dans 
des villages ou au bivouac à quelque distance de Lonato), ils 
sommèrent hardiment les occupants de Lonato de se rendre. 
Or c'était Bonaparte lui-même; il n'avait, il est vrai, que 
1200 hommes, mais, dans les circonstances où il se trouvait, 
il traita cette sommation de pure insolence, et menaça de tout 
faire fusiller, s'ils n'avaient posé les armes dans huit minutes, 
ce qu'ils firent. 



CHAPITRE XL 



Bataille de Castiglione, le 5 août. 



Bonaparte rappela encore à lui deux demi-brigades de la 
division Despinois et se porta, le 5 au matin, sur Solférino. 

Il y trouva le général Wurmser, avec environ 25,000 
hommes, ayant pris position, l'aile droite à Solférino, l'aile 
gauche sur la route de Mantoue à Brescia, le front perpendi- 
culaire à cette dernière, par conséquent bien placé pour rece- 
voir en plein dans le dos un corps qui arriverait de Marcaria 
par Ceresara et Guidizzolo. 

Au point du jour, Fiorella était parvenu à Guidizzolo; 
Bonaparte pouvait donc avoir à peu près 30,000 hommes, en 
admettant qu'il en eût perdu 4,000 ou 5,000 les jours précé- 
dents et, qu'il en eût détaché 6,000 à 7,000 contre Quasdano- 
witch, et en retranchant ces nombres de son effectif du début. 

La division Augereau formait l'aile droite, Masséna la 
gauche, Kilmaine était en échelons en arrière de l'aile droite, 
et Fiorella avait reçu pour point de direction Cavriana, sur les 
derrières de Wurmser. En attendant l'arrivée de Fiorella, la 
première attaque des deux divisions ne fut guère qu'un com- 
bat démonstratif avec peu de monde (i); le gros restait en 
arrière, formé eji colonnes. Les Autrichiens crurent trop tôt 



(1) Ce ne fut pas un combat démonstratif, mais un mouvement de 
retraite. Bonaparte se déroba jusqu'au moment où il entendit le canon de 
Sérurier. A cet instant précis, toute l'armée fit demi-tour et se porta à 
Tattaque. 



CHAPITRE XLI 



Retraite de Wurniser dans le TyroL 



A coup sûr, cette bataille décidait de la campagne ; quoi- 
qu'elle ne fût pas un désastre pour Wurmser, elle donnait des 
résultats positifs, car ce général ne pouvait évidemment plus 
songer à la défense du Mincio ou de toute autre position dans 
la plaine lombarde. Il était trop faible pour en prendre une 
à proximité de Tarmée française, et puisqu'il ne fallait pas 
découvrir le Tyrol, il ne restait qu'à rentrer dans la vallée de 
TAdige. 

Mais, comme il arrive souvent à la guerre, dans le premier 
moment, Wurmser n'aperçut pas bien clairement les consé- 
quences inévitables des événements qui venaient d'avoir lieu ; 
il fit travailler à la hâte à un camp retranché près de Pes- 
chiera, mais la division Masséna l'attaqua dès le 6 et les 
Autrichiens en furent chassés avec une perte de 500 hommes 
et 10 canons. Wurmser se hâta alors de rentrer dans le Tyrol. 
Il renouvela la garnison de Mantoue, la porta à Teffectif de 
4 5,000 hommes, et se retira dans la vallée de TAdige. 

Les Français le poursuivirent d'abord avec leurs cinq divi- 
sions ; mais Bonaparte employa la division Sérurier à se faire 
rouvrir les portes de Vérone par le gouverneur vénitien de 
cette place, puis à reprendre l'investissement de Mantoue. 

Le 7, la division Masséna vint reprendre son ancienne posi- 
tion à Rivoli en repoussant Tarrière-garde de Wurmser. 

Wurmser prit position à Ala et s'y relia avec Quasda- 
nowitch. Il avait encore fait occuper La Corona et d'autres 



142 CHAPITRE XLI. 

points du Monte Baldo, qu'il fallut abandonner aux Français 
le 11 avec? pièces de canon. En même temps, à Touest du 
lac de Garde, fallait évacuer le poste de la Rocca d'Anfo 
(12 août). 

Wurmser revint à Trente, laissant son avant-garde à Rove- 
redo. 

Bonaparte laissa Masséna dans la vallée de FAdige et ren- 
voya Augereau dans la plaine. 

N'ayant plus de parc de siège et ne pouvant en reconstituer, 
il fallut renoncer à reprendre le siège régulier et se contenter 
de bloquer Mantoue. 

Ainsi se termina le second acte de cette merveilleuse cam- 
pagne. 



CHAPITRE XLII 



Résultat stratégique final. 



Avant de porter un jugement motivé sur l'offensive autri- 
chienne et la forme qu'elle avait revêtue, sachons d'abord au 
juste ce qu'elle a donné et ce qu'elle n'a pas donné ; en 
d'autres termes, quel a été le résultat stratégique final de cet 
acte. Mais cela, nous ne pouvons le faire qu'en voyant la 
place qu'il tient dans l'ensemble de la campagne. 

Au mois de juillet, Mantoue était en danger d'être prise 
d'assaut ; c'eût été la perte d'une garnison de 14,000 hommes 
et d'une grande place, qui, à elles deux, étaient en état de 
retenir l'armée française en Italie, et de lui interdire, par 
conséquent, toute offensive dans la montagne et contre les 
États autrichiens. Telle était l'importance de cette place pour 
les Autrichiens dans la défensive ; une autre partie de son im- 
portance venait de son rôle dans l'offensive. Ils avaient peu de 
chance, en effet, si Mantoue avait appartenu aux Français, de 
reconquérir la Lombardie par une bataille heureuse; tout 
pivotait d'abord autour du siège de Mantoue ; que Mantoue, 
au contraire, restât à eux : une victoire les menait au moins 
jusqu'au Tessin, et ils se retrouvaient maîtres de Milan. 

Quand le cabinet de Vienne décida de faire passer des ren- 
forts d'Allemagne en Italie, il y avait équilibre en Allemagne 
entre les deux adversaires, et cette décision était motivée par 
l'importance prépondérante de Mantoue. 

Le cabinet de Vienne pensait évidemment que, si l'on par- 
venait à dégager Mantoue, on ne tarderait pas non plus à 



144 CHAPITRE XLII. 

reconquérir le Milanais, et, en effet, c^était assez probable ; on 
en tirerait encore bien d'autres avantages, surtout en ce qui 
concernait Tattitude politique des États italiens, laquelle était 
autrement intéressante. Cette considération devait donner 
plus d'importance encore aux opérations en Italie. 

Eh bien , quel résultat avait-on obtenu ? C'en était ua 
qu'on n'aurait guère prévu : Mantoue était délivrée du siège, 
par conséquent du danger ; le premier objectif était donc 
atteint, mais les autres étaient manques. Ce premier objectif 
devait évidemment être considéré comme l'essentiel, mais 
enfin les Autrichiens l'avaient peut-être acheté trop cher par 
la perte de 50 à 60 pièces de canon et d'environ 10,000 
hommes, même en défalquant de ce chiffre les pertes de 
l'adversaire. Du reste, les Autrichiens se retrouvaient à la fin 
de l'acte dans la même stituation qu'auparavant. 

Mantoue avait donc perdu toute valeur offensive pour le 
moment au point de vue autrichien ; mais sa valeur défensive 
restait entière, et, dans la situation présente, c'était de beau- 
coup l'essentiel. 

En Allemagne, la situation était tout autre. Quoiqu'il ne se 
fût produit aucun événement décisif, la balance paraissait 
pencher fortement contre l'Autinche. Les armées étaient par- 
venues en Franconie et en Souabe jusque sur les hauteurs de 
Ratisbonne; toutes les rencontres qui avaient eu lieu avaient 
tourné au désavantage des Autrichiens. L'archiduc Charles se 
préparait, il est vrai, à tirer profit de l'attaque multiple de ses 
adversaires pour tomber sur Jourdan avec des forces supé- 
rieures ; mais on est bien peu certain, en pareil cas, d'obtenir 
une solution décisive, et le gouvernement autrichien ne pou- 
vait guère compter, non plus, que s'il y en aVait une, elle 
serait en sa faveur. La personne même du général était une 
mince garantie, car c'était la première campagne où il com- 
mandât. Représentons-nous au vif la situation des affaires en 
Allemagne au milieu du mois d'août ; il y avait réellement peu 
d'apparence pour le gouvernement autrichien que les progrès 
des Français lui fissent bientôt atteindre leur but ; mais il était 



RÉSULTAT STRATÉOIQUE FINAL. 14S 

assez vraisemblable qu'ils poursuivraient leur marche sans 
événement décisif, et qu'ils menaceraient dans quelques 
semaines Vienne et le cœur de la monarchie autrichienne. Si 
le gouvernement autrichien ne voulait pas se laisser imposer 
Ja paix par cette menace, une grande bataille était le seul 
moyen de résistance possible, et, en cas de défaite, il fallait 
«'attendre à de tout autres conditions. 

Il y avait donc là un danger sérieux et pressant, en face 
duquel la situation militaire en Italie perdait beaucoup de son 
importance. 

On a certainement quelque peine à se Ggurer le danger si 
grand sur le Danube, maintenant qu'on sait par quelle bril- 
lante solution on allait y parer ; mais nous ne pourrions faire 
entrer cette dernière en ligne de compte que s'il avait été pos- 
sible de la prévoir; or nous sommes convaincu qu'il n'y 
■avait que peu ou pas de raisons pour le faire. L'archiduc 
€harles n'était pas plus, fort que ses deux adversaires ; il 
avait, au contraire, une vingtaine de mille hommes de moins 
qu'eux ; tous les efforts de la défense avaient jusqu'alors été 
.malheureux, et il ne s'agissait pas encore d'une de ces 
retraites volontaires au cœur de la patrie qui peuvent porter 
si haut la force de la défense. Du reste, c'était là un moyen 
encore inconnu. La défection des gouvernements souabe et 
saxon vers cette époque, montre comme il restait peu d'espoir. 

Mantoue n'étant plus un sujet d'inquiétude, le théâtre 
d'opérations d'Italie perdait momentanément toute impor- 
tance ; rien n'eût été plus naturel que de porter en Allemagne, 
non seulement toutes les réserves disponibles, mais. même la 
moitié de l'armée de Wurmser, forte encore de 40,000 hom- 
mes, pour prendre Moreau à revers. De cette façon on pou- 
vait livrer à ce général, à la fin d'août ou au commencement 
de septembre, une bataille décisive dont Tissue aurait été 
bien peu douteuse. Si le danger avait été détourné ainsi du 
-cœur de la monarchie autrichienne, les deux armées fran- 
çaises d'Allemagne auraient été contraintes de repasser le 
Rhin, et il était temps alors de sauver Mantoue. 

iO 



RÉSULTAT STRATÉGIQUE FINAL. 147 

Cela posé, il s'ensuit que le principal résultat de cet acte du 
drame reste à l'avantage des Autrichiens; pour qu'il donnât à 
Bonaparte une victoire complète, il aurait fallu que celui-ci 
couvrît directement le siège, ou du moins qu'il sauvât son 
parc, ou enfin qu'il eût compensé cette perte par une victoire 
telle, qu'il eût été libre de poursuivre l'armée autrichienne 
l'épée dans les reins à travers le Tyrol jusqu'en Allemagne. 
Aucun de ces résultats ne fut obtenu; j'en conclus donc que 
la situation de l'armée française d'Italie ne s'est pas améliorée 
mais a empiré entre le 29 juillet et le il août. 



CHAPITRE XLIII 

Considérations sur l'attaque de IVurniser 
et la défense de Bonaparte. 



L'admiration que ce second acte de la campagne a excitée 
sur le moment et dans la suite laissa le génie de Bonaparte 
aussi hors de doute que les fautes du général autrichien. Et 
pourtant, c'est ce général toujours battu qui a atteint son but. 
On ne s'en est pas aperçu d'abord, mais maintenant c'est un 
fait acquis. Voici donc une grosse contradiction qu'il nous faut 
lever avant tout, 

Wurmser a été constamment battu, c'est un fait; il a donc 
forcément commis de grosses fautes, c'en est la conséquence 
forcée. Nous nous occuperons tout à l'heure de ces fautes. 
Quant à la contradiction, il faut, pour qu'elle disparaisse, 
cesser de croire à l'infaillibilité du général français, ou bien à 
la possibilité de remplir sa tâche. En y regardant de plus près, 
c'est son infaillibilité qu'il faut écarter. 

La manœuvre de Bonaparte a été originale, foudroyante, 
conduite avec une grande décision et une activité sans 
exemple ; on peut la dire brillante ; elle n'a cependant pas été 
logique et pouvait compromettre à jamais la tâche qu'il avait 
à remplir. 

Nous avons vu que les Autrichiens avaient un double but : 
dégager Mantoue et remporter une victoire qui leur aurait 
donné le Milanais. Bonaparte avait la double mission corres- 
pondante : se maintenir sur le Mincio et couvrir le siège. 

Avec 44,000 hommes, investir et assiéger une place dont la 



CONSIDÉRATIONS SUR L'aTTAQUE DE WURMSER. 149 

garnison était de 12,000 hommes; couvrir le siège contre une 
armée de 50,000 hommes, et cela sur un théâtre d'opérations 
très désavantageux, au centre de la courbe décrite par les 
Alpes, lesquelles étaient tenues par l'ennemi et d'où il mena- 
çait les flancs et les communications, c'était une tâche infini- 
ment difficile si l'adversaire avait eu à cœur de sauver la 
place ; pour une armée d'observation, c'était un rôle presque 
impossible. 

Il est vrai que les Autrichiens n'avaient pas une supériorité 
numérique à décider du résultat par la seule puissance du 
nombre, et à l'accentuer en même temps par un mouvement 
tournant, comme il semble qu'ils en aient eu l'idée ; s'ils res- 
taient unis, sans faire de mouvements tournants stratégiques, 
ils avaient une telle supériorité sur les forces disponibles de 
Bonaparte, que celui-ci avait bien peu de chances d'être vain- 
queur; si, au contraire, ils faisaient un mouvement tournant, 
il était impossible à Bonaparte d'éviter la levée du siège. Ce 
fut évidemment la colonne envoyée sur la Chiese qui obligea 
Bonaparte à planter là le siège et à- porter son champ de ba- 
taille sur la rive droite du Mincio. 

Il n'y avait pour le général français qu'un moyen de parer 
à tout, c'était de se retrancher dans une ligne de circonvalla- 
tion. Si décrié et démodé que fût ce procédé, la supériorité 
numérique des Autrichiens aurait dû l'y ramener et l'engager 
à examiner si cette solution ne répondait pas aux circon- 
stances. 

Nous remettrons à la conclusion de la campagne de plus 
amples développements à ce sujet, nous jugerons alors notre 
procédé en percevant bien l'importance stratégique du but 
poursuivi ; le lecteur sentira bien que la conduite à tenir doit 
dépendre uniquement de ce but et non des préférences du 
général pour tel ou tel mode d'action (1). Comme Bonaparte 



(1 ) Clausewitz a mérité cet éloge du s^énéral Pierron : « Le premier il 
a fait voir qu'un plan d'opérations doit prendre avant tout pour objectif 
1* armée ennemie, viser à frapper à coups redoublés les forces organisées 



150 CHAPITRE XLIU. 

n'apercevait pas l'ensemble de la campagne, il n'accordait pas 
assez d'importance à la seconde partie de sa tftche ; sa prédi- 
lection pour les choses positives brillantes et puissantes l'en- 
traînait dans une voie qui ne lui permettait pas de la remplir. 
Uo regard jeté sur l'ensemble de la campagne, sur la succes- 
sion des événements, nous fera voir les choses sous une autre 
face : nous nous serons fait instruire par Thistoire. Jusqu'ici, 
la critique ne l'a jamais fait ; elle nous a montré ainsi à quel 
point elle est liée par des idées préconçues, au lieu de se 
laisser guider par les faits. Bonaparte, jeune comme il Tétait, 
et placé comme il l'était pour juger la situation, était bien 
excusable de ne pas prévoir tout ce que nous avons vu se réa- 
liser ; mais c'est assez pour faire tomber sa réputation d'infail- 
libilité. 

Nous pouvons donc dire, pour résoudre la contradiction 
apparente dont nous parlions : ou bien la t&che de Bonaparte 
touchait à l'impossibilité, et il n'est pas étonnant que les 
fautes de son adversaire et ses propres victoires ne lui aient 
pas suffi pour l'accomplir; ou bien c'était la voie même qu'il 
avait choisie qui ne pouvait le conduire au but; alors, si 
éclatants qu'aient été ses exploits, il a commis une faute et 
c'est cette faute même qui est cause de ce résultat malheu- 
reux. 

Telle est, nous l'avons dit, notre conviction absolue ; nous 
Texpriraons d'autant plus nettement que nous voyons ici un 



de Tadversaire jusqu*à leur destruction, car alors tout tombe : positions, 
places fortes, etc. ; tandis que si le plan cherche un autre but, il reste faux 
et compliqué, attendu que les plus savantes manœuvres ne sont qu'une 
promesse, tandis que la victoire sur la principale armée ennemie est un 
résultat qui prime tout, qui répare tout. » Ici, Glausewitz renie sa doc- 
trine : Pour éviter de lever le siè;;e de Mantoue, il exposerait la commu- 
nication et risquerait le salut de l*armée. 

Et après tout, en quoi le fait de lever le siège était-il si grave en lui- 
même ? S*il a eu des conséquences si funestes et si durables, c*est parce 
qu'il n*a pas été prévu de longue main et qu'on n'a pas su évacuer le 
matériel d'artillerie. Si, à l'approche de Wurmser, on avait fait filer ses 
canons, au lieu de redoubler le bombardement, on aurait pu reprendre le 
siège le 8 août et l'on eût été maître de Mantoue avant la fin du mois. 



CONSIDÉRATIONS SUR L' ATTAQUE DB WURMSER. 151 

cas exceptionnel dans la guerre telle que nous la comprenons; 
c'est le cas où des victoires éclatantes manquent un but qu'un 
moyen bien simple aurait atteint sans fracas. 

Passons au plan offensif des Autrichiens. D'après ce que 
nous avons dit, ils avaient le choix entre deux solutions bien 
différentes. Ils pouvaient se porter à la fois sur le front et le 
flanc des Français pour les contraindre par une simple ma- 
nœuvre à lever le siège et peut-être à se retirer plus loin 
encore ; ou bien ils pouvaient descendre TAdîge avec toutes 
leurs forces, livrer sur la rive gauche du Mincio une bataille 
décisive; leur grande supériorité (S0,000 contre 38,000} sem- 
blait leur assurer la victoire qui aurait sauvé Mantoue et leur 
eût probablement rendu le Milanais. 

Si les Autrichiens avaient adopté la première solution, il 
convenait d'éviter tout engagement décisif avec le gros de 
l'armée française et de se contenter de dégager la place, soit 
avec le corps de Wurmser, soit avec celui de Quasdanowitch, 
enfin de se retirer devant Bonaparte tant qu'il les suivrait. Ce 
n'était pas une tâche difficile. Revenons, en eflet, sur les évé- 
nements : nous voyons très bien, par exemple, que Quasda- 
nowitch, prévenu de la présence de Bonaparte par le combat 
de Lonato du 31 juillet, combat qui ne décidait rien, pouvait 
se retirer à Gavardo, puis se contenter de progresser avec 
précaution ; de même Wurmser pouvait éviter facilement la 
bataille décisive de Castiglione du 5 août. L'histoire militaire 
présente bien peu de cas où le succès puisse être obtenu à 
coup sûr, comme ici, par une simple manœuvre ; mais les Au- 
trichiens voulaient absolument une grande victoire, et par 
une confusion d'idées qui n'est que trop fréquente, ils mêlé* 
rent les deux solutions. Us voulurent combattre et vaincre 
tout en manœuvrant. Nous disons une confusion d'idées, 
parce que la manœuvre stratégique comporte quelque chose 
de particulier, autre chose qu'un plan d'attaque un peu plus 
compliqué que d'habitude; son essence est précisément de 
chercher le résultat sans engagement décisif, sans bataille ni 
victoire. 



152 CHAPITRE XLIII. 

Mais les Autrichiens voulaient une décision complète. Dans 
ce cas, ce qu'il y avait de plus siinple était de descendre avec 
toutes leurs forces par la vallée de l'Adige ; ils étaient sûrs 
alors de ne pas perdre l'avantage de leur supériorité numéri- 
que. C'est toujours par le plan le plus simple qu'il faut com- 
mencer, et il ne faut s'en écarter que si les circonstances l'exi- 
gent absolument. Or pour quelles raisons les Autrichiens 
n'ont-ils pas adopté ce plan le plus simple? Probablement 
pour celles que nous avons déjà données au § 34 : 

1® On ne voulait pas s'engager sur une seule route avec 
des forces aussi considérables. 

Il est certainement plus agréable d'avoir derrière soi deux 
grands débouchés qu'un seul, quand on traverse des monta- 
gnes, mais ce n'est pas d'une absolue nécessité ; il ne s'agis- 
sait pas ici de s'entasser sur une route unique; nous avons vu 
que Tarmée autrichienne qui descendait l'Adige formait quatre 
ou cinq colonnes. Certes, 50,000 hommes seraient bien passés, 
s'ils en ont fait passer 32,000. Il ne s'agissait pas non plus de 
base stratégique, car ils avaient assez de lignes de retraite sur 
la Brenta et le Frioul. Dans de telles circonstances, il était 
tout à fait impardonnable de mettre entre les deux colonnes 
un obstacle comme le lac de Garde, simplement pour être plus 
au large ; 

2° Engager l'ennemi à diviser ses forces. Cette raison ne 
signiQe rien, car acheter la division des forces ennemies au 
prix de la sienne propre ne fait rien gagner. Nous n'en parle- 
rions pas si nous ne savions, par des milliers de relations, que 
ce semblant de raisonnement vient embrouiller la plupart des 
plans stratégiques ; 

3® Menacer la ligne de retraite de l'ennemi ; cette raison se 
réduit à une idée de manœuvre ; elle aurait pu avoir quelque 
valeur si l'on avait pensé envoyer sur la Chiese un petit déta- 
chement, si petit qu'il n'eût pas fait défaut à la bataille déci- 
sive et par conséquent n'eût pas été une cause de défaite. 
Mais, nous l'avons déjà dit, quand le gros des forces va se 
battre, il ne peut pas manœuvrer ; 



CONSIDÉRATIONS. SUR L' ATTAQUE DE WURMSER. 153 

Enfin 4® Obtenir de plus grands résultats en cas de victoire ; 
ce prétexte ne pouvait se justifier qu'avec une grande supé- 
riorité matérielle ou morale. PJus grand est le but poursuivi, 
plus grand est le danger; c'est une loi universelle, mais qu'on 
se rappelle rarement ou dont on tient peu de compte. Si Ton 
n'a guère d'échec à craindre, on peut songer à obtenir des 
résultats plus importants ; mais la probabilité du succès est la 
première garantie à posséder. Certes, le général a le droit de 
déterminer la fraction de probabilité qu'il consent à sacrifier, 
en d'autres termes ce qu'il veut bien risquer ; mais son audace 
grandit dans chaque cas particulier, en raison de la con- 
science qu'il a de sa force. Si Wurmser avait été un jeune 
héros, fier de son génie, aspirant aux succès les plus bril- 
lants, on ne dirait pas, en cas d'erreur, qu'il a commis une 
faute, mais qu'il s'est prisé trop haut. Mais le plan d'attaqué 
autrichien était un factum d'une nature tout objective, com- 
posé par le chef de l'état-major général, et ne sortant en 
aucune façon de l'âme du chef ; les raisons objectives pou- 
vaient seules influer sur la décision; il ne s'agissait pas d'au- 
dace, mais tout bonnement de calcul et d'intelligence. 

Si l'armée autrichienne avait compté 20,000 hommes de 
plus, on aurait pu accepter la marche par les deux rives du 
lac de Garde; car on aurait eu S5,000 hommes descendant la 
vallée de l'Adige pour offrir à Bonaparte une bataille d'où il 
ne pouvait sortir vainqueur; pendant que 13,000 hommes se 
seraient saisis de la route de Milan, et, en cas de victoire, 
auraient procuré de plus nombreux trophées. Mais la plus 
grande supériorité numérique permise aux Autrichiens, toutes 
leurs forces réunies, était de 50 à 33; c'était juste assez pour 
leur donner une probabilité de succès appréciable ; dans ces 
conditions, séparer leurs forces de manière à ne plus pouvoir 
les réunir au moment décisif, était une faute signalée. — 
AfTaibli par ce fractionnement et aspirant cependant à une 
solution décisive, Wurmser en arrive à combattre, le 5 août, 
les 30,000 hommes de Bonaparte avec 25,000. La comparai- 
son du moral des deux armées lui donnait-elle donc un espoir 



CHAPITRE XUV 



La défense de Bonaparte. 



La défeDse de Bonaparte, dans les circonstances où il se 
tronvait le 29 juillet, est un des plus beaux exemples qu'offre 
Fhistoire militaire. 

Ne pouvant couvrir le siège, la décision qu^il prit le 30 (ou 
le 34 , on ne sait pas au juste) non seulement de le lever, mais 
de ne pas s'inquiéter de tout son parc de siège, cette décision 
avait le grand mérite de ne pas être une demi-mesure, laquelle 
eût été plus funeste que tout. La seconde résolution, repasser 
le Mincio pour attaquer avec toutes ses forces la colonne qui 
le menaçait à revers, était la plus simple et la meilleure ; il y 
joignait Tidée que l'autre colonne autrichienne le suivrait en 
passant le Mincio et lui fournirait l'occasion de la battre avec 
la même troupe qui venait de battre la première. Il est impos- 
sible de rien imaginer de mieux; d'une part, on recherchait 
un événement qui, s'il tournait bien, assurerait aux Français 
la possession de la Lombardie; d'autre part, on n'avait jamais 
à courir de grand danger ni à se montrer très audacieux, mais 
on était aussi prudent qu'on peut l'être en cherchant la vic^ 
toire. 

Si, dans l'exécution, ces combinaisons n'apparaissent pas 
aussi Nettement et simplement qu'on le désirerait pour en con- 
cevoir la théorie, il ne faut pas, nous l'avons dit, y rien voir 
qui diminue le mérite de Bonaparte ; à la vérité, sa décision 
aurait pu être prise plus tôt et mieux préparée, mais il faut se 
dire qu'il n'avait pas encore passé par l'école de la grande 
guerre et ne s'était pas fait de doctrine pour les cas les plus 



CHAPITRE XLV 

Seconde offensive de Wurmaer. 
Bonaparte reste trois semaines sur TAdige. 



Nous avons déjà montré au § 42 que Tarmée française avait 
besoin, à la Gn de ce second acte, d'attaquer les Autrichiens. 

Dans un moment où deux armées exécutent des offensives 
entièrement distinctes, laisser la troisième inactive pendant 
X[ueique temps aurait été une faute capitale, car l'emploi simul- 
tané de toutes les forces est le principe de toute offensive stra- 
tégique. 

Avant que Wurmser ne fît sa première attaque dans les 
plaines de la Lombardie, le Directoire ne voyait dans le mou- 
vement de son armée d'Italie sur Trente et Bolzen qu'un ali- 
gnement stratégique avec l'armée de Moreau, qui devait avoir 
son aile droite à Insprûck. Mais un pareil alignement n'a de 
signiQcation nette que comme symptôme de l'emploi simultané 
et uniforme des forces. Wurmser étant battu et rejeté sur le 
Tyrol, le Directoire, dans l'ivresse de ses victoires, n'y vit 
d'abord que la continuation de l'alignement avec une moisson 
plus abondante, une marche plus rapide vers le résultat ûnal. 

Mais quand, au milieu d'août, il lui vint quelque inquiétude 
au sujet de ses affaires d'Allemagne, il aperçut enûn le nœud 
de la question : a 11 devient même instant, disaient-ils dans 
« une lettre non datée mais qui fut écrite entre le 15 et le 23, 
a que vous attaquiez Tennemi et que vous le chassiez devant 
a vous. L'armée de l'archiduc Charles, grossie de quelques 
Ai renforts, venue de la Galicie et de l'intérieur de l'Autriche, 



158 CHAPITRE XLV. 

« s'est crue assez imposante pour attaquer celle que commande 
ce le général en chef Moreau, et pour lui livrer entre Neresheim 
« et Donauwerth une bataille dont le succès, qui paraît avoir 
« été un moment douteux, s'est décidé en notre faveur. Si le 
a général Wurmser obtenait un instant de repos, il pourrait 
a détacher quelques troupes qui, jointes aux forces de Tarchi^ 
duc Charles, s'opposeraient aux entreprises de l'armée du 
« Rhin et la combattraient peut-être avec avantage » . 

Le Directoire appuie donc sur ce point, que Bonaparte 
pénètre dans le Tyrol, gagne l'Inn, suive pied à pied l'armée 
de Wurmser, la bouscule et la détruise. 

Bonaparte, lui, a un autre projet : il veut marcher sur 
Trieste, détruire la ville et le port, et de là menacer le cœur 
de la monarchie autrichienne. 

Ce projet assez digne d'un Mongol est évidemment le fruit 
de sa prodigieuse exaltation et du sentiment qu'il n'a plus à 
craindre aucune armée autrichienne. Pour qu'une armée fran- 
çaise marche sur Trieste, laissant Tennemi à Trente et à Venise 
dans des dispositions douteuses, il faut qu'elle soit dévorée par 
le désir de se mettre dans une mauvaise passe, et de se battre 
dans les conditions les plus dangereuses. Pendant que le 
moderne Attila eût marché sur Trieste, l'armée autrichienne 
pouvait déboucher par la vallée de la Brenta, le couper entiè- 
rement de sa base d'opérations, s'il ne voulait pas lâcher sa 
proie, et lui imposer, avec des forces supérieures, une bataille 
à fronts complètement renversés. A notre avis, elle pouvait 
faire mieux encore : se porter contre Moreau et réunie à l'ar- 
chiduc écraser l'armée de Rhin et Moselle. 

11 n'en est pas moins vrai que le plan de Bonaparte aurait 
pu avoir d'énormes conséquences. Les gouvernements savent 
rarement faire des sacrifices à propos, et se racheter d'un plus 
grand mal au prix d'un moindre. Les Autrichiens auraient 
tout organisé en vue de couvrir Trieste ; au lieu de songer à 
répondre par une autre offensive, ils auraient dirigé sur ce 
point toutes leurs forces disponibles pour finir par arriver trop 
tard et se faire battre en détail. Si l'on ne pensait pas à agir sur 



BONAPARTE RESTK TROIS SEMAINES SUR L'aDIQE. 159 

les derrières de Bonaparte par le Tyrol, celui-ci était sur la 
route de Laybach, en mesure de prendre une position mena* 
çante pour Vienne. Bonaparte proposait sans doute ce but à 
son activité, pour rester plus longtemps son propre maître. 

Le Directoire rejeta ce plan, avec beaucoup de ménage- 
ments, il est vrai, mais à plusieurs reprises. 

Cependant, jusqu'au commencement de septembre, il ne se 
produisit rien. Bonaparte, à qui on avait accordé 20,000 
hommes de renfort provenant des armées des côtes ou des 
Alpes, voulait les attendre. Il rapporte à ce sujet qu'il y avait 
15,000 malades dans son armée au bord de TAdige. Ajoutons 
à cela, d'après des lettres des généraux de division, que les 
troupes françaises étaient dans le dénuement le plus absolu en 
objets de toute espèce, surtout en effets d'habillement; et 
nous comprendrons très bien que Tarmée française ne se soit 
pas lancée immédiatement dans de nouvelles opérations. D'un 
autre côté, il n'y a pas à se dissimuler qu'en perdant ainsi trois 
semaines, elle passait le moment favorable, et que peut-être 
25,000 hommes, suivant Wurmser sur ses talons, se seraient 
emparés du Tyrol et auraient jeté TefFroi en Allemagne. Nous 
disons (( peut-être », car le succès n'était rien moins que 
certain : il faut supposer une bien grande démoralisation chez 
des troupes pour qu'elles ne parviennent pas à se défendre, 
avec 40,0u0 hommes contre 25,000, dans un pays comme le 
Tyrol, qui fournit une milice de 7,000 à 8,000 hommes. En 
tout cas, les troupes restées dans le Tyrol auraient été occu- 
pées et empêchées de se porter au secours de l'archiduc (1). 

Pendant les trois semaines qui s'écoulèrent du 7 août aux 
premiers jours de septembre, Bonaparte resta avec son centre, 
c'est-à-dire avec le gros de ses forces sous Masséna, à Rivoli ; 



(1) Dans son ensemble, la critique de Glausewitz est parfaitement juste. 
Dans Texécution, le mouvement qu*il indique était difficile pour Wurmser, 
dès le 15 août. Moreau était entré en Bavière; on ne pouvait deviner qu*il 
serait aussi lent qu'il Ta été; il aurait dû arriver à Innsbrûck en quelques 
jours, et Bonaparte ne demandait qu*à Vy rejoindre. Que Wurmser 
remontât TAdige, et il allait peut-être se heurter à Moreau en ayant Bona- 



160 CHAPITRE XLV. 

Taile droite (Augereau) était à Vérone; l'aile gauche, (c'est-à- 
dire la division Sauret, passée aux ordres de Vaubois) sur la 
rive occidentale du lac de Garde. La division Sérurier, passée 
aux ordres de Sabuguet, bloquait Mantoue, et Kilmaîne for- 
mait réserve entre le Mincio et TAdige. 

A la fin d'aoûty les forces de Tarmée française étaient répar- 
ties comme il suit : 

Division Vaubois , 11,000 

— Masséna 13,000 

— Augereau 9,000 

— Sahuguel i0,000 

Cavalerie sous Kilmaine 2,000 

Total 45,000 



parte sur ses talons. Il serait pris ou écrasé dans les gorges du Tyrol, 
après quoi les deux armées françaises seraient maîtresses de la situation 
en Allemagne. 

L'idée du Conseil aulique, de ramener la guerre dans le Frioul, semble 
absolument judicieuse. Il reste une exécution défectueuse, dont Wunnser 
est responsable. 



CHAPITRE XLVI 
Nouveau plan d'attaque des Autrichiens. 

Bonaparte se renforçait donc et n'arrivait pas à se mettre 
d'accord avec son gouvernement sur ce qu'il allait entre- 
prendre; en même temps, le gouvernement autrichien avait 
tout fait pour reconstituer l'armée de Wurmser avec des ren- 
forts de l'intérieur. A la fin d'août, elle se trouvait ramenée à 
l'effectif de 45,000 hommes. Mais le gouvernement autrichien 
ne se contentait pas d'assurer ainsi la possession du Tyrol et 
de menacer le flanc et les derrières de Moreau, qui s'avançait 
en Souabe, il voulait encore reprendre l'offensive en Italie. Il 
fallut donc que Wurmser descendît à nouveau dans les plaines 
italiennes pour délivrer Mantoue. 

Cette fois, ce n'était plus l'État-major général, mais le corps 
du génie qui mettait ses lumières dans la lanterne magique des 
plans d'opérations; on se jetait à l'eau pour ne pas se mouiller. 
Au lieu du colonel Weirotter, ce fut le général du génie Lauer, 
qui, donné comme chef d'État-major général au vieux Wurm- 
ser, lui apporta le nouveau plan d'attaque. 

Il fallait encore diviser son armée. Davidovitch tiendrait le 
Tyrol avec 20,000 hommes, tandis que Wurmser descendrait 
dans la plaine par la vallée de la Brenta; si Bonaparte se por- 
tait contre ce dernier, un corps d'une force respectable, pré- 
levé sur les troupes laissées dans le Tyrol, descendrait l'Adige 
et s'avancerait sur les derrières de larmée française; on la 
ferait ainsi reculer entre l'Adige et le Mincio par une simple 
manœuvre, ou on lui livrerait bataille, ou du moins on la fixe- 
rait dans la plaine italienne et on l'empêcherait de pénétrer 
dans le Tyrol. 

H 



CHAPITRE XLVII 
GonsldérationB. 



Nous Terrons comment ce plan, bien plus mauvais que le 
premier, eut aussi des résultats plus funestes ; mais nous ne 
pouvons nous dispenser de le faire suivre sur-le-champ des 
questions qu'il fait surgir. 

La délivrance de Mantoue était-elle un but d'un intérêt 
pressant? Évidemment non (1); la place n'était pas serrée de 
près et pouvait tenir des mois avant de songer à capituler. En 
quoi consistait la délivrance de Mantoue 7 A faire lever le blo- 
cus, c'est-à-dire chasser l'armée française de la rive gauche 
du Mincio; avec un adversaire comme Bonaparte, on ne pou- 
vait y réussir que par une victoire décisive. Était-on plus en 
état d'y parvenir qu'un mois auparavant? Non, car on était 
plus faible. Prenait-on de meilleures dispositions ? Pas davan- 
tage, car on divisait encore l'armée, et on tombait dans la 
même confusion de manœuvre et de bataille que la première 
fois. 

Du reste, était-il nécessaire d'attaquer l'armée française 
d'Italie ? Elle ue faisait rien et c'était certainement ce qui pou- 
vait arriver de plus heureux aux Autrichiens. 

Mais on pouvait prévoir que l'armée française ne resterait 
^^^^**É^^a8 longtemps inactive; les Autrichiens aimaient mieux pré- 
•enir son attaque, et livrer bataille dans les plaines d'Italie, 
oie de rester sur la défensive dans les montagnes du Tyrol. 



(1) GauHewitz vient de dire lui-tnëme, sept lignes plus haut, que le 
.1 de l'offensive de Wurmser (qui n'a, d'ailleurs, pas él^ prononcée) était 
retenir Bonaparte en Italie, et non de délivrer Mantoue. 




CONSIDÉRATIONS. 163 

Ce sera donc toujours la même erreur, la même faute gros- 
sière contre la saine raison ! comme si Tattaque donnait plus 
d'espoir de vaincre que la défense. Deux fois, dans celte cam- 
pagne, l'armée autrichienne, battue, s'est réfugiée dans le 
Tyrol ; les deux fois, elle a trouvé un refuge dans ses mon- 
tagnes et ses gorges, car les Français, qui dans la plaine n'au- 
raient pas cessé de la battre, se sont arrêtés les deux fois, 
comme médusés, au pied des Aipes du Tyrol; les Autrichiens 
ont assisté à ce spectacle, mais ils ne s'en sont pas étonnés, 
l'ont trouvé très naturel ; ils Tont regardé comme dans un 
songe, sans se rendre compte du pourquoi, sans se demander 
ce qu'il y avait là-dessous. Si une armée battue, en fuite, 
trouvait protection dans ces montagnes, a fortiori une armée 
constituée, renforcée, et toutes choses égales d'ailleurs, n'y 
sera pas attaquée. Ils n'ont pu arriver à une conclusion aussi 
simple ! 

Il nous faut remonter jusqu'à la source de cette erreur; elle 
agit si puissamment qu'elle n'empêche pas seulement le gou- 
vernement autrichien, mais les neuf dixièmes du public rai- 
sonnant, de se rappeler que deux et deux font quatre. 

Plus que tout autre théoricien ou praticien, nous sommes 
convaincu que, dans les actions décisives, la montagne est 
défavorable à la défense. D'autre part, nous admettons aussi 
qu'il y aura bien des cas où, une solution étant inévitable, il 
faudra préférer l'offensive à la défensive ; mais il ne résulte 
pas de ces deux principes que les Autrichiens devaient quitter 
le Tyrol pour prononcer une offensive stratégique dans la 
plaine d'Italie. 

Si Bonaparte, après avoir battu Beaulieu ou Wurmser, 
avait pu trouver une occasion de redoubler sa victoire en 
plaine, il en eût été enchanté et aurait vu d'autant plus volon- 
tiers une nouvelle bataille qu'elle eût été plus nettement déci- 
sive. En montagne, cette victoire était encore plus facile à 
remporter, à mon sens, et sans doute aussi à celui de Bona- 
parte; mais, en montagne, sa portée devenait tout autre. 

A quoi bon pour Bonaparte une victoire dans le Tyrol? Il 



CONSIDÉRATIONS. 165 

des pertes énormes, on se trouve à ]a fin l'avoir repoussé par- 
tout sans avoir remporté une véritable victoire qui affirme la 
mainmise sur le terrain ; on a sacrifié une partie de ses forces 
et on est dans une situation qu*on ne désirait pas. Ces consi- 
dérations sont pour beaucoup dans la circonspection qui arrête 
Tassaillant au pied des montagnes. 

Le général français avait eu, par deux fois, en juin et en 
août, de bonnes- raisons pour rester immobile au pied des 
Alpes (4), raisons qui se percevaient plus facilement sous 
l'impression générale et inconsciente des événements, qu'ici 
dans un exposé théorique ; qu'est-ce qui pouvait faire penser 
à rAutriche qu'il n'aurait plus les mêmes raisons à la fin 
d'août? Il s'était renforcé, ce qui rendait plus probable qu'il 
se remit à agir, mais quelques milliers d'hommes ont-ils une 
valeur équivalente à celle des Alpes du Tyrol? Une armée sur 
la défensive, qui prendrait l'offensive chaque fois qu'elle croi-» 
rait une attaque de l'ennemi imminente, perdrait la plus 
grande partie des bénéfices de la défen^ve. C'est l'avantage 
de rester dans l'expectative qui constitue la plus grande force 
de la défense. 

Nous estimons donc que le gouvernement autrichien a en- 
tièrement méconnu, à cette époque, l'importance des Alpes 
du Tyrol, qu'il a si bien sentie aux heures de danger, et à 
laquelle il a attribué dans d'autres circonstances une valeur 
exagérée; il s'est laissé entraîner par quelques brouillons, 
enragés pour avoir du génie, à une offensive stratégique qui 
n'était nullement dans ses intérêts. 

Il nous reste encore un argument à examiner. 

L'offensive dans les plaines d'Italie a peut-être été entre- 
prise pour donner du courage à Rome et à Naples, car elles 
n'avaient pas encore signé la paix avec la France, et même 



(1) Ce n'est pas tant la montagne qui arrête Bonaparte que la bifurcation 
des deux routes de Tarvis et dlunsbrûck. Il ne pouvait s'avancer sur Tune 
sans être pris à revers par Tautre. 



166 CHAPITRE XLVIÏ. 

Naples avait fait avancer en août quelques troupes sur la 
frontière des États romains. 

Évidemment, si Ton n'avait pas été â peu en mesure d'agir 
de concert avec ces deux puissances, une offensive en Italie 
aurait été pleinement justifiée ; mais il n'y avait pas à y 
penser. On voulait leur donner du courage, mais pour cela 
il fallait une victoire ; par conséquent, on ne pouvait admettre 
ce motif d'ordre politique que si l'on était sûr, pour d*autres 
raisons, que cette offensive réussirait. Si on se laissait mettre 
dans une situation fâcheuse, on donnait des verges pour se 
fouetter. 

Nous en avons dit assez sur le plan autrichien et sur les 
raisons pour lesquelles il nous parait sans motif et absolument 
contre nature. Pour ajouter un résultat positif a cette discus- 
sion purement négative, il nous faut revenir sur ce que le 
meilleur usage à faire des forces autrichiennes dans la seconde 
moitié du mois d'août eût consisté à faire passer à l'archiduc 
tous les renforts qu'on envoyait dans le Tyrol; le géné- 
ral Wurmser aurail eu pour mission de marcher avec 
20,000 hommes contre Moreau pour Tattaquer de concert 
avec l'archiduc. L'effet de ces dispositions eût été aussi décisif 
qu'immanquable. Jourdan s'était déjà beaucoup trop avancé 
de l'autre côté du Danube, comme le prouvèrent les batailles 
d'Amberg et de Wurzbourg, pour pouvoir rétablir une situa- 
tion compromise en Souabe ; il se trouverait très en danger 
dans une longue retraite, s'il ne l'entreprenait pas à temps. 
En admettant que Bonaparte eût pénétré dans le Tyrol à la 
nouvelle du mouvement de Wurmser, il ne serait pas ar* 
rivé à temps, et, en tout cas, il n'aurait pas rétabli avec 
20,000 hommes une situation déjà réglée par un engagement 
entre des armées de 70,000 hommes, car les grandes masses 
entraînent les petites dans leur orbite, quand la disproportion 
est notable. 



CHAPITRE XLVIII 



Bonaparte attaque Davidovitch. 



Le corps autrichien qui devait être laissé dans le Tyrol, 
sous Davidovitch, avait occupé cette région en trois endroits. 
Un corps de 3,500 hommes, sous le général Grôsser, couvrait 
le Vorarlberg, face à la Souabe; un second, sous le général 
Laudon, fort de 3,000 hommes, occupait les débouchés du 
côté de la Valteline; le reste, soit 14,000 hommes, faisait face 
à l'armée française du côté de Trente. Ce corps principal avait 
une division de 8,000 à 6,000 hommes, sous le prince de 
Reuss, sur la rive droite de TAdige, à Mori, entre Roveredo 
et le lac de Garde, avec avant-garde sur la Sarca. Une autre 
division, sous Wukassovitch, était à Marco, dans la vallée de 
TAdige, et à hauteur de Mori, avec avant-garde à Serravalle. 
La réserve était en arrière de Roveredo, dans la très forte 
position de Caliano. Davidovitch avait son quartier général à 
Roveredo. 

Wurmser lui-même s'était mis en route le 2 septembre avec 
les trois divisions Quasdanowitch, Sebottendorf et Meszaros, 
soit 26,000 hommes, pour gagner Bassano par la vallée de la 
Brenta. 

Bonaparte fut informé des projets de Wurmser. Il décida, 
en conséquence, de laisser Kilmaine avec 2,500 à 3,000 hom- 
mes sur TAdige inférieure, pour couvrir le blocus de Mantoue 
pendant qu'il remonterait TAdige avec les divisions Vaubois, 
Masséna et Augereau ; il battrait Davidovitch, puis marche- 
rait à la poursuite de Wurmser dans la vallée de la Brenta,- 



BONAPARTE ATTAQUE DAVIDOVITCH. 169 

général français avait attaqué les Autrichiens au point décisif, 
avec des forces doubles des leurs. 



Combat de Lavis, le 5 septembre, 

Davidovitch avait pris position derrière l'Avisio, qui se jette 
dans TAdige à deux lieues au nord de Trente. Cette position 
étant trop près du débouché de la vallée de la Brenta pour 
souffrir qu'il y restât, Bonaparte lattaqua encore le 5 au soir 
et l'obligea à se retirer jusqu'à Neumarkt. 



CHAPITRE XLIX 



Bonaparte se tourne contre 'Wnrmaer, 



Wurmser, qui avait commencé sa marche le long de la 
Brenta à peu près au moment où Bonaparte avait prononcé 
son attaque, se trouvait en marche vers Bassano quand il 
apprit cette offensive. Il résolut de ne pas faire demi-tour, 
mais de continuer sa marche par Bassano et Vicence sur 
Vérone et Mantoue, où il était possible de compenser ce qui 
avait été perdu à Roveredo, en tout cas d'obliger Bonaparte 
à revenir avec son gros dans la plaine dltalie; Wurmser 
pensait que son adversaire reprendrait le chemin par lequel 
il était venu. 

Combat de Primolano, le 7 septembre. * 

Mais Bonaparte avait pris une autre résolution. Le 6, con- 
sidérant son opération contre Davidovitch comme terminée, 
et apprenant que Wurmser se trouvait près de Bassano, il 
laissa la division Vaubois sur TAvisiopourobserver Davidovitch, 
et se mit en marche par la vallée de la Brenta avec les divi- 
sions Augereau et Masséna, 20,000 hommes environ. Cette 
marche fut accélérée de telle façon que la division Augereau, 
qui était parvenue le 5 à Levico, dans la vallée de la Brenta. 
arrivait le 7 au matin à Primolano, à six milles de Levico, et 
y attaquait trois bataillons de Croates, laissés par Wurmser 
comme arrière-garde. Ces bataillons furent enveloppés et for- 
cés après quelque résistance de déposer les armes, laissant aux 



BONAPARTE SE TOURNE CONTRE WUEMSER. 171 

mains des Français 1200 à 1500 homineB et cinq pièces de 
canon. 

Wurmser était resté le 7 à Bassano. Son avant-garde, com- 
mandée par Meszaros, avait atteint Vicence dès le 6 et se 
dirigeait sur Montebeilo. Avec le gros (divisions SebottendorF 
et Quasdanowitch), il avait pris position près de Bassano, 
devant la Brenta, sur un plateau qui se trouve là. Son 
quartier général était à Bassano, les convois sur la route de 
Cittadella; trois bataillons avaient été envoyés sur la rive 
droite de la Brenta, à Campo-Lungo, trois autres vers Sola- 
gna sur la rive gauche, pour recueillir les Croates de Primo- 
lano et couvrir les flancs et les derrières de l'armée du côté 
de la Brenta. 

Bataille de Bassano, le 8 septembre, 

Bonaparte attaqua ces détachements le 8, à 7 heures du 
matin; ils tinrent quelque temps, puis fu^ent délogés et se 
retirèrent, talonnés par les Français, partie dans le camp, 
partie dans la ville de Bassano. 

On ne dit pas quelles dispositions prit Wurmser, ni quelle 
position. Il n'était pas absolument surpris, puisque ces six 
bataillons étaient à un mille de la ville et avaient tenu quelque 
temps. Il n'en semble pas moins qu'il régna une grande con- 
fusion dans les mesures prises par les Autrichiens, car non 
seulement les Français s'emparèrent de Bassano, mais ils y 
prirent, entre autres voitures, deux équipages de pont. La 
conséquence de ce combat absolument informe, à notre avis, 
fut la perte de 2,000 prisonniers et de 30 pièces de canon par 
les Autrichiens. Wurmser dut se retirer vers Fontania, sur la 
rive gauche de la Brenta, tandis que Quasdanowitch était com- 
plètement coupé avec sa division et mis en déroute dans la 
direction du Frioul. D'après le seul narrateur qu'ait fourni le 
parti autrichien pour cette partie de la campagne, le colonel 
anglais Graham, Wurmser se retira sans accepter le combat; 
il faudrait donc considérer ses pertes comme les résultats de la 



172 CHAPITRE XLIX. 

surprise et d'un combat d'arrière-garde malheureux. Graham 
s'étant trouvé au quartier général de Wurm&er, on peut accor- 
der à sa relation, si superficielle qu'elle soit, une grande 
importance. Par suite du détachement de la division Meszaros 
et des troupes laissées dans la vallée de la Brenta et ailleurs, 
il pouvait être resté i Wurmser de 16,000 à 18,000 hommes. 
Les divisions françaises comptaient environ 20,000 hommes. 



CHAPITRE L 



"Wurmaer se Jette dans la place de Mantoue. 



Le 8 septembre, Wurmser passe la Brenta à Fontania, peut- 
être avec une partie de la division Quasdanowitch, peut-être 
avec une réserve, et se porte sur Vicence, où Sebottendorf le 
rejoint ; ce dernier était sans doute venu directement du champ 
de bataille ; Wurmser décide de se jeter dans Mantoue avec 
ce qui lui reste, 12,000 hommes d'infanterie et 4,000 che- 
vaux. Il continue donc sans tarder sa marche sur Legnago 
par Montebello, où il rejoint Meszaros et que son arrière-garde 
.quitte le 9 à la tombée de la nuit. Legnago a été pris entre 
temps par un détachement de Meszaros, et on s'occupe en 
toute hâte de fortifier quelque peu cette localité. 

Bonaparte, en voyant la direction de retraite prise par le 
gros de Wurmser, conçoit l'espoir de lui imposer une capitu- 
lation en rase campagne. 11 espère que le passage de l'Âdige, 
que le terrain coupé de marais et d'une foule de petits cours 
d'eau, entre Mantoue et Legnago, causeront un ralentissement 
suffisant pour que Kilmaine accoure avec une partie du corps 
d'investissement et se poste à l'un des passages, pendant que 
Masséna et Augereau poursuivent par derrière et sur les 
flancs. 

Avant tout, Bonaparte fait avancer Augereau, le 8, sur la 
route de Padoue, pour rendre impossible la retraite sur Frioul. 
Masséna prend ce jour-là la direction de Vicence; il arrive 
dans cette ville à la nuit^ en repart le 9 et atteint l'Adige à 
Ronco, où il passe le 10 sur des radeaux assemblés. Le 11 au 



WURMSER SE JETTE DANS LA PLACE DE MANTOUE. 175 

Wurmser arrive heureusement à Mantoue par Ronco-Ferraro, 
et OU l'y suit sans subir plus de pertes. 

Masséna se remet le !2 à la poursuite de Tarrière-garde 
autrichienne^ mais n^atteint Castellaro que quand tout est fini^ 
et se porte le 13 à Due-Castello, devant Mantoue. 

Augereau, après avoir fait capituler la garnison de Leg- 
nago dès le 12, a dirigé sa marche sur Governolo, pour 
investir Mantoue de ce côté. 

Sahuguet s'est tourné du côté de La Favorite, où il subit un 
échec. 



CHAPITRE Ll 

Combat de Saint-Georges et de la Favorite, 

le 15 septembre. 



Wurmser se voyait maintenant à Mantoue avec une force 
de 29,000 hommes, dont 4,0fl0 de bonne cavalerie. Dans ces 
conditions, il pensait ne pas se laisser refouler aussitôt dans la 
ville par delà le lac; il établit un camp de 13 bataillons et 
24 escadrons entre La Favorite et le faubourg de Saint- 
George. Masséna voulut mettre à profit le manque de vigi- 
lance des premiers moments. I! pénétra dans le camp le 14 au 
matin, par une espèce de surprise. Au premier moment, il y 
eut de Teffroi et du désordre; mais les unités d'infanterie 
ayant pris les armes çà et là, et la cavalerie, qui revenait de 
faire un fourrage, s'étant jetée sur les Français avec le géné- 
ral Ott, ils furent repoussés jusqu'à Due-Castello, et, à ce 
qu'il semble, assez maltraités. 

Les combats heureux de Cerea le 11, de Villa-Impenta le 
12 et de Due-Castello le 14 septembre, que les Autrichiens 
devaient surtout à leur nombreuse et excellente cavalerie, en- 
couragèrent Wurmser à tenter le 15 un combat général 
contre les Français et à faire en même temps un grand four- 
rage. Ce jour-là, il s'avança donc de quelques milliers de pas 
entre les deux chaussées de Legnago et de Vérone avec 
16,000 à 18,000 hommes. Les trois divisions françaises, celle 
d'Augereau ayant laissé des troupes à Governolo, comptaient 
une vingtaine de mille hommes. 

Au débuty l'ennemi ne se montrait pas au centre, car Mas- 



COMBAT DE SAINT-GEORGES ET DE LA FAVORITE. 117 

séoa était plus loin et à couvert; au contraire, la division Âu- 
gereau (commandée par le général Bon pendant une indispo- 
sition d'Augereau) s'avançait contre le flanc droit, le long du 
Mincio; Wurraser envoya au-devant de cette division son 
aile droite, qui s'avança jusqu'à une lieue du fort de Saint- 
George. Mais le centre se trouvant ainsi affaibli, Masséna 
parut avec sa division, rejeta les Autrichiens jusque dans 
l'intervalle entre la citadelle et le fort Saint-George; Victor 
parvint même à s'emparer de ce dernier au cours de la pour- 
suite. Ce mouvement obligea naturellement l'aile droite des 
Autrichiens à rebrousser chemin, et Wurmser eut de la peine 
à ramener tout son monde par la chaussée de la citadelle dans 
la place; il avait perdu 2,000 morts et blessés. 

Les Autrichiens avaient donc été complètement chassés de 
la rive gauche du Mincio jusqu'à la citadelle. Ils restaient en 
possession du Seraglio, région très fertile entre le Mincio, le 
Pô et le canal qui relie Mantoue à Borgoforte. 

Cependant, de nombreuses maladies sévissaient dans la 
place ; elles se propageaient si bien qu'il ne s'y trouvait plus 
que 18,000 hommes disponibles. 

Pendant les mois de septembre et d'octobre, Wurmser fit 
de nombreuses sorties, mais sans obtenir en aucune d'elles, 
ou au total, de résultat sensible. 

Le Directoire était d'avis qu'il n'y avait pas lieu de repren- 
dre le siège, mais d'attendre que la place succombât aux. mala- 
dies et à la faim. 

Bonaparte disposait des forces suivantes : 

Kiimaine avec 9,000 hommes, bloquant Mantoue ; 

Augereau 9,000 — à Vérone ; 

Masséna 10,000 — à Bassano ; 

Macquart et Dumas avec. 4,000 — en réserve à Yillafranca ; 

Vaubois 40,000 — à Trente. 

Total 42,000 hommes. 



i2 



CHAPITRE LU 



G onsidérations. 



Nous avons déjà donné notre avis sur le but de cette 
deuxième offensive contre Bonaparte (chapitre XLVII). Mais 
admettons qu'elle soit irrévoc€J3iement résolue; il reste à 
juger l'exécution. 

Demandons-nous d'abord à quoi cette seconde attaque a 
abouti? Malgré la défaite de Wurmser, la première avait 
donné, nous Tavons vu, un résultat très acceptable : Mantoue 
était dégagée et son siège rendu momentanément impossible. 
Quant à la seconde attaque, non seulement elle manqua son 
but, qui était d'améliorer la situation générale, mais elle Tem- 
pira bien certainement; elle se termina, en effet, en laissant 
dans Mantoue 29,000 hommes, dont 4,000 cavaliers, et Ton 
peut dire qu'ils y étaient bloqués dans toute la force du 
terme ; ils étaient donc menacés d'y être bientôt réduits par 
la faim. Bonaparte était dispensé, dès lors, d'aller chercher 
au delà des Alpes un champ à son activité, car la prise d'une 
telle masse de troupes vaut bien que 40,000 hommes l'atten- 
dent pendant quelques mois. On peut dire que cette seconde 
offensive autrichienne ne pouvait pas avoir de plus mauvais 
résultats. 

Cherchons-en les causes. 

Les Autrichiens se divisèrent encore pour cette attaque, et 
encore à peu près dans le même rapport que la première fois. 
En ne comptant pas les détachements du Vorarlberg et de la 
Valteline dans les disponibles, quoiqu'on ne voie pas bien ce 



CONSIDÉRATIONS. 179 

que faisait ce dernier, Davidovilch avait 14,000 hommes et 
Wurmser 26,000. Les deux corps ne sont plus séparés par un 
lac, mais par des montagnes, au travers desquelles ils n'ont 
de liaison que par la route de la Brenta ; que l'ennemi s'em- 
pare de cette route, la séparation est aussi complète que dans 
le cas précédent, et cette fois elle est plus funeste parce que 
les Autrichiens n'ont plus la même supériorité numérique. 
Les Français ont eu, dans l'un et l'autre cas, environ 
30,000 hommes disponibles; les Autrichiens en avaient 
30,000 la première fois et 40,000 seulement la seconde. 

Voulait-on livrer bataille à Bonaparte et le vaincre pour 
faire lever ainsi le blocus de Mantoue? Alors les dispositions 
prises étaient évidemment si mauvaises qu'on pouvait à peine 
penser au succès ; inutile de perdre notre temps à insister sur 
ce point. Mais quelques critiques ont prétendu que, dans cette 
campagne, les Autrichiens ne pensaient pas livrer bataille et 
qu'ils comptaient obtenir le résultat par des manœuvres stra- 
tégiques. 

Atteindre par une manœuvre stratégique un but positif, 
comme c'en était un de rejeter Bonaparte sur la rive droite 
* du Mincio, c'est d'abord d'une extrême difflculté ; il faut, en 
outre, que la situation de l'adversaire présente un point faible, 
et alors c'est ce dernier qui devient l'agent vraiment efûcace 
de la manœuvre, car il n'y a pas d'effet sans cause. Mais il n'y 
avait rien de tel dans la situation de Bonaparte vis-à-vis des 
deux corps autrichiens de l'Adige et de la Brenta. 

Le principe qui, dans la première offensive, avait donné 
une si grande importance à la colonne de la Chiese, faisait ici 
défaut. L'espoir de contraindre Bonaparte à se retirer au delà 
du Mincio, par tel ou tel mouvement bien combiné était donc 
purement fantaisiste ; il ne tient pas debout devant la criti- 
que. Au contraire, on aurait pu admettre la possibilité de 
retenir Bonaparte en Italie et d*arrêter son offensive dans le 
Tyrol par de simples manœuvres. Sa ligne d'opérations dans 
cette oCTensive aurait fait sur l'Adige un angle d'environ 90» ; 
les Français laissaient alors leur base absolument à leur gau- 



180 CHAPITRE LU. 

che et le flanc droit était menacé par toute la frontière autri- 
chienne. Qu'une armée autrichienne s'avançât donc par la 
vallée de la Brenta, et, par exemple, s'établît, comme fit 
Wurmser le 7 et le 8, à Bassano, il est certain que ToOfensive 
française par l'Adige et l'Eisach aurait été paralysée ; le géné- 
ral français eût été contraint. à la retraite dans la plaine 
d'Italie; il ne pouvait pas, en effet, en allant de l'avant, obte- 
nir de tels résultats que l'armée de la Brenta s'en trouvât 
rappelée vers l'intérieur ; le tort que lui ferait la délivrance 
de Mantoue sur ses derrières et la rupture de son unique 
communication ne pouvait être compensé du côté où il mar- 
chait. La position de la Brenta jouait alors le rôle de position 
de flanc ; le général autrichien y avait la garantie de posséder 
deux lignes de retraite ; de la sorte, le danger d'être coupé, 
qui menace souvent les positions de flanc, n'était pas a 
craindre le moins du monde. 

La critique a encore un argument très puissant contre les 
manœuvres stratégiques. Contre un général qui veut et cher- 
che la bataille et la cherche décisive, la manœuvre est rare- 
ment possible et, par suite, est déplacée. La manœuvre stra- 
tégique suppose, pour être efficace, qu'on joue à tenir en 
équilibre les forces et les situations des deux partis et qu'on 
n'ait pas à attendre d'événement décisif, parce que les deux: 
généraux n'en veulent ni l'un ni Tautre. C'est seulement alors* 
qu'elle est à sa place; son efficacité résulte des conditions^ 
générales dans lesquelles on se trouve et qui garantissent 
qu'elle sera dans son élément. La décision par la bataille est 
une solution d'un ordre plus élevé devant laquelle les moindres 
doivent plier ; c'est un élément plus fort, qui met en lambeaux 
la trame futile de la manœuvre. Comment un général se 
risque-t-il, pour courir après quelque résultat mesquin,, 
quelque action lente et faible, à diviser ses forces et à les 
tenir divisées, quand il sent sur sa tête, prêt à éclater, le coup- 
de foudre d'une bataille qui brisera tout? Nous avons vu ce 
coup écrasant tomber sur la tête de Wurmser. Si sa position* 
de Bassano et ses démonstrations sur Vérone avaient obligé 



CONSIDÉRATIONS. 181 

son adversaire à redescendre la vallée de TAdige, ce général 
.pensait bien se garer des chocs décisifs, s'y dérober; mais 
Bonaparte a confondu cette prévision, et Ta saisi du côté où il 
ne l'attendait pas. Admettons que Wurmser réussît à éviter la 
bataille de Bassano, comme il le pensait; ((rien» n'empêchait 
Bonaparte de le relancer dans toute autre position et de le 
poursuivre jusqu'à ce qu'il l'eût refoulé dans les montagnes de 
Carinthie. 

Nous ne pouvons donc accorder aucune valeur à cette idée 
de manœuvre, et nous trouvons que le plan offensif des 
Autrichiens n'avait ni but bien déterminé, ni moyens claire- 
ment conçus; il restait dans le chaos d'une pensée à demi 
débrouillée ; il devait tomber en lambeaux comme un chiffon 
devant le génie d'un Bonaparte. 

Tel étant le but que Wurmser poursuivait dans la vallée de 
la Brenta, il ne pouvait plus être question de rebrousser à la 
nouvelle de l'attaque de Bonaparte contre Davidovitch. Cette 
impossibilité était dans l'essence même du mouvement; il ne 
faut donc blâmer ni féliciter Wurmser de ne pas être revenu 
sur ses pas. Bonaparte a pris ce dernier parti dans son 
rapport au Directoire; il a pris pour une inspiration du 
moment ce qui était une simple conséquence du système. En 
tant que mouvement hardi dans un moment embarrassant, la 
marche de Wurmser ne tombe pas sous le coup du blâme que 
nous avons infligé au système d'offensive. 

On ne peut porter de jugement sur la bataille même de 
Bassano, faute de documents autrichiens. On ne sait ni pour- 
.quoi Wurmser l'accepta (si tant est qu'il le fit), ni comment il 
l'accepta, ni comment Quasdanowitch fut séparé de lui, ni 
comment il fut refoulé vers Mantoue ; en un mot, toute donnée 
stratégique fait défaut. 

Nous n'avons à faire de remarque qu'au sujet de Bonaparte. 
.11 avait une vingtaine de mille hommes à la bataille; il ne 
paraît donc pas avoir réussi, cette fois, à faire tomber des 
forces supérieures au point essentiel, sur un ennemi supérieur 
du reste dans Tensemble. La cause en est Qu'en laissant 



^82 CHAPITRE LU. 

devant Davidovilch vaincu une force incomparablement supé- 
rieure, les 11,000 hommes de Vaubois, il assurait complète- 
ment sa marche par la Brenta et se garantissait par suite deux 
grands avantages stratégiques : d'abord de tomber comme 
un ouragan sur son adversaire, puis de le frapper par derrière ; 
d^une part il facilitait le succès, de Tautre il Taugmentait. Si 
dans cette bataille il a été moins fort qu'il ne Taurait été en 
procédant autrement, ce n*est pas pour avoir laissé une partie 
de ses forces dormir inutilisées, mais parce qu'il joua le grand 
jeu, sentant la veine et ayant pleine confiance en lui et dans 
son armée. 

La résolution que prit Wurmser de se jeter dans Mantoue 
est considérée tantôt comme un expédient devenu inévitable, 
tantôt comme un coup heureux. Il est impossible de juger si 
c'était nécessaire après la bataille de Bassano, mais quant à un 
trait heureux, ce n'en était certes pas un ; nulle part, avec sa 
belle cavalerie, cette armée ne pouvait être plus inutile qu'à 
Mantoue ; nous ne pouvons y voir que le résultat de la défaite 
stratégique la plus complète. 

Il est difficile de découvrir ce que pouvait signifier la 
bataille du 15 sous les murs de Mantoue, au point de vue de 
Wurmser. C'est sans doute le sentiment vague qu'il y aurait 
eu honte à enfermer définitivement une pareille armée dans la 
place, qui a été cause de tout. Mais à la guerre ce qui sert 
réellement l'intérêt général n'est jamais une honte, et ce qui 
est inutile ou nuisible n'est jamais avantageux à Ihonneur 
des armes. Cette sortie était une fanfaronnade qui ne pouvait 
que mal finir; il eût été bien plus sage de déboucher immédia- 
tement dans le Seraglio et de s'y organiser d^me façon 
quelconque. 

La conduite de Bonaparte contre cette seconde ofiensive 
autrichienne est au-dessus de tout éloge. Il choisit la solution 
la plus décisive, parce qu'il est sûr de son aOaire, et il la mène 
avec une vigueur et une vitesse étourdissantes, qui n'ont 
jamais eu d'égales. 



CHAPITRE LUI 

Première offensive d'Alvinzi. — Situation 

de Tarmée française. 



La victoire de BassaDO ne pouvait conduire Tarmée fran- 
çaise à une offensive dans les États autrichiens, parce que 
Mantoue était occupé par 29,000 hommes, dont 15,000 à 
16,000 dans le Seraglio, hors de le ville. Cette quantité de 
troupes à bloquer ou à observer demandait naturellement 
plus de forces que quand la garnison n'était, comme jadis, que 
le tiers de ce chiffre. Que serait-il resté à Bonaparte pour 
paraître dans les Âlpes ! Puis le blocus étroit de la garnison 
actuelle de Mantoue était un objet tout à fait digne, nous 
l'avons déjà dit, d'occuper l'armée d'Italie. Un blocus complet 
devait amener prochainement la chute de la place, qui n'était 
pas approvisionnée pourtant d'hommes, et alors ce n'était pas 
Mantoue, mais une véritable armée autrichienne qui tomberait 
aux mains des Français (1). 



(I) La moitié de la garnison de Mantoue était à Thôpital. Le lendemain 
de la bataille de Saint-Georges, qui coûte des pertes sérieuses à Wurmser, 
il n'a que 14,000 hommes valides dans la place, c'est-à-dire à peu près 
ce qui s'y trouvait en juin ou en août. Les fièvres d'automne allaient 
encore diminuer considérablement cette garnison. Ce n'est donc pas là ce 
qui retenait Bonaparte ; mais le Directoire pensait traiter immédiatement 
avec l'Autriche, et il était important de tenir Mantoue avant d'entamer les 
négociations; Clause witz lui-même le reconnaîtra plus loin (page 187). 
Bonaparte, de son côté, pensait à la campagne de t7Vl7, pour laquelle il 
n'avait pas les fonds nécessaires, et il voulait aller imposer une nouvelle 
contribution au Pape ; il ne pouvait le faire qu'une fois le corps du blocus 
rendu disponible, toutes ses autres troupes étant indispensables en pre- 
mière ligne. 



PREMIÈRE OFFENSIVE D^ALVINZI. 183 

Rhin, à la possession de laquelle il tenait avant tout. Il n'osait 
pas donner aux Lombards trop d'espérances, ni leur permettre 
de trop grands progrès dans les institutions politiques. 

Le Directoire était dans des dispositions analogues et plus 
timides encore concernant les provinces du pape et du duc de 
Modène, occupées au sud du Pô. Bologne, Ferrare et Reggio 
s'étaient également donné des gouvernements provisoires ; au 
-mois d'octobre, Bonaparte, plus particulièrement hostile au 
duc de Modène (4), résolut de rompre sous des prétextes insi- 
gnifiants l'armistice conclu avec lui, de renverser la régence 
établie en l'absence du duc, et d'établir là aussi un gouverne- 
ment provisoire sur le pied de trois autres. Il alla même 
jusqu'à donner à ces quatre puissances une sorte d'unité en 
leur octroyant une assemblée représentative commune. Le 
Directoire fut peu satisfait de voir Bonaparte s'avancer ainsi ; 
mais tout lui était présenté comme des réformes provenant de 
l'initiative même des provinces, et que les Français n'avaient 
fait que tolérer. Il laissa donc aller les choses. Là encore, on 
organisa des gardes nationales et une troupe de ligne de 2,000 
à 3,000 hommes. 

Les moyens d'action procurés ainsi par les Français à leur 
parti leur permettaient d'assurer Tordre et la sécurité tant que 
les choses iraient bien, mais naturellement l'hostilité secrète et 
la haine des autres partis allaient croissant ; la situation était 
si tendue, si incertaine, qu'on pouvait s'attendre à tout en cas 
■de revers. 

Ces revers pouvaient être dus au roi de Naples ou au pape. 
Le premier avait mis son armée à peu près sur le pied de 



(I) Cette remarque de Clausewitz est intéressante, bien qu*il ne s'explique 
pas le fait qui la suggère. Il semble que, dès Tété de 1 796, Bonaparte 
avait conçu le projet de créer une république italienne ayant pour fron- 
tière orientale TAdige, et séparant rAutriche, le Piémont et les États 
romains. Le duché de Modène, qui s'étendait du P6 à la mer Tyrrhénienne, 
pouvait seul former la séparation entre le Piémont et Rome ; Bonaparte 
'tenait à Tincorporer dans la République cisalpine. De là cette attitude 
hostile qu'a remarquée Clausewitz. 



186 CHAPITRE Lin. 

guerre e1 avait porté ses troupes a la frontière des États 
romains. Le pape avait avec la République des rapports très 
tendus, et un traité complet lui ayant été envoyé en manière 
d*ultimatum, il pensa qu^il était perdu s'il ne se jetait dans les 
bras de ses amis les Autrichiens et les Napolitains. Il com- 
mença donc à repousser toutes les offres des Français et à 
faire des préparatifs. Le moment n'était pas éloigné où Naples 
et le pape allaient pouvoir agir de concert contre Bonaparte. 
Ne pussent-ils former qu'une armée de 30,000 hommes, c'était 
assez cependant pour décider du sort de la haute Italie dans 
cette campagne, pourvu que l'attaque coïncidât avec une nou- 
velle offensive autrichienne. Il est clair, d'autre part, qu'un 
mouvement de Bonaparte vers la frontière autrichienne, en 
l'engageant dans des opérations qui auraient absorbé toutes 
ses forces, aurait encouragé ces deux puissances et compromis 
sérieusement sa situation en Lomhardie. 

Toutes ces circonstances justifient pleinement l'immobilité 
de Bonaparte dans ses positions après la victoire de Bassano 
pendant six semaines, c'est-à-dire jusqu'à l'offensive d'Alvinzi. 
Le Directoire avait eu, après Bassano, un vague désir de voir 
exécuter le projet de Bonaparte sur Trieste, rejeté jusque-là, 
mais il semble que ç*ait été simplement une amabilité à 
l'adresse du général. 

Le Directoire chargea aussi ce dernier d'envoyer un cour- 
rier à Vienne pour menacer l'empereur. Voici le passage qui 
s*y rapporte dans la lettre du Directoire à Bonaparte du 
20 septembre : 

tt Parmi les dispositions que nous avons adoptées pour tirer 
(( parti de nos avantages, et les rendre décisifs en faveur de 
c< la République dont les intérêts tendent tous à la paix, la 
« première est de signifier à l'empereur que, s'il ne consent à 
<( envoyer sur-le-champ un chargé de pouvoir à Paris, pour 
« entrer en négociations, vous allez détruire son port de 
« Trieste et tous ses établissements sur la mer Adriatique. 
c( Aussitôt que le sort de Wurmser et de sa dernière division 



PREMIERE OFFENSIVE D'aLVINZI. 187 

« sera décidé, vous dépêcherez à Vienne pour faire cette 
c< notification, et vous marcherez sur Trieste, prêt à exécuter 
M une menace, que légitime le droit de la guerre et Topi* 
« niHtreté d'une orgueilleuse maison qui ose tout contre la 
a République et se joue de sa loyauté, d 

Le 2 octobre, c'est-à-dire a la réception de cette lettre, 
Bonaparte envoya un courrier à Tempereur avec la lettre 
suivante : 

« Sire, l'Europe veut la paix. Cette guerre désastreuse 
o dure depuis trop longtemps. 

« J'ai l'honneur de prévenir Votre Majesté que, si elle 
« n'envoie pas des plénipotentiaires à Paris pour entamer les 
« négociations de paix, le Directoire exécutif m'ordonne de 
« combler le port de Trieste et de ruiner tous les établisse- 
« ments de Votre Majesté sur l'Adriatique. Jusqu'ici, j'ai été 
c( retenu dans Texécution de ce plan par Tespérance de ne 
« pas accroître le nombre des victimes innocentes de cette 
« guerre. 

(( Je désire que Votre Majesté soit sensible aux malheurs 
n qui menacent ses sujets, et rende le repos et la tranquillité 
ce au monde. 

« Je suis avec respect de Votre Majesté, etc. 

a Bonaparte. » 

On ne sait pas si cette étonnante missive a été renvoyée ou 
non par les avant-postes autrichiens, ni les suites qu*a eues 
cette pointe inconvenante, déplacée à tous les points de vue 
et sentant bien le sans-culottisme de l'époque. 

En tous cas, la défaite de WUrzbourg (3 septembre) et la 
retraite de Jourdan sur le Rhin firent une telle impression sur 
le Directoire, qu'il ne pensa plus (et avec raison) qu'à assurer 
et h&ter la prise de Mantoue. 

La seconde défaite de Wurmser et la fuite de Jourdan, 
arrivées à peu près en même temps, amenèrent la paix avec 



188 CHAPITRB LUI. 

Naples. Le premier de ces évéoemeats fut natacellement connu 
des Napolitains avant Tautre ; leur ambassadeur a Paris, qvà 
•faisait traîner les choses intentionnellement jusqu'à ce que le 
sort eût décidé entre Wurmser et Bonaparte, reprit aussitôt 
les négociations avec ardeur. De son côté, le Directoire, 
informé à la 6n de septembre de la retraite de Jourdan, devint 
très inquiet de la situation en Allemagne, et le 10 octobre la 
paix fut signée ; les conditions n*en étaient alors nullement 
pénibles pour le roi de Naples; comparées à celles dont on 
avait Thabitude, il fallait les considérer comme très avanta- 
geuses. Le roi de Naples se retira donc au moment où il aurait 
pu produire un effet sérieux/En Allemagne, la partie était 
définitivement perdue pour les Français cette année-là; si la 
marche du roi de Naples avait coïncidé avec celle d'Alvinzi, 
il aurait fallu, selon toute probabilité, que Bonaparte évacuât 
la haute Italie. La situation se retrouvait la même qu*à la Gn 
de l'année précédente. 

Le pape, quoique abandonné de son soutien le plus proche, 
ne vit rien de mieux à faire que de continuer ses préparatifs, 
et il y fut encouragé par la promesse d'une nouvelle offensive 
de r Au triche. 

Bonaparte faisait alors reposer ses divisions, celle de Kil- 
maine devant Mantoue, Vaubois à Trente, Masséna à Bassano 
et Trévise, Aùgereau à Vérone, et il reconstituait leur maté- 
riel. Lui*même s'occupait beaucoup de politique et de l'admi- 
nistration de l'armée; il se tenait généralement à Milan. 

On ne sait pas. bien ce qui s'est passé alors devant et dans 
Mantoue. Pendant le mois de septembre, Wurmser occupa 
le Seraglio; puis il paraît s'être enfermé dans la ville au 
commencement d'octobre. Comme il n'y avait guère que 
10,000 hommes devant la place, on peut supposer que le 
blocus ne fut pas très serré ; aussi semble-t-il que la ville put 
constammentse réapprovisionner en vivres dans les environs. 

Ce système de Bonaparte n'est certes pas à préconiser. Si, 

-dès le combat de La Favorite, c'est-à-dire le 15 septembre, il 

avait empêché Wurmser de s'installer dans le Seraglio, s'il 



PREMIÈRE OFFENSIVE D'aLYINZI. 189 

Pavait tenu si. serré que celui-ci eût vécu sur les approvision- 
nements de la garnison, la place tombait sans doute dès la fin 
d'octobre. On peut dire que, si Bonaparte n'était pas en état 
de poursuivre sa victoire en dehors de la zone qu'il occupait, 
il a négligé de l'exploiter à l'intérieur de celle-ci, en conti- 
nuant de faire une guerre implacable. La seule explication 
qu'on en puisse donner est l'insalubrité des environs de Man- 
toue. Bonaparte estime que la garnison avait 12,000 malades 
au moment de la bataille d'Arcole, et il craignait, en faisant 
camper une grande partie de son armée autour de la place, de 
la voir ruinée rapidement par les maladies. Il s'était, du reste, 
fait à l'idée que Mantoue ne tomberait pas avant le mois de 
février, et le 16 octobre il proposa à Wurmser de le laisser 
sortir librement. 

Nous savons cotnbien la situation de Bonaparte fut critique 
au moment d'Arcole ; il s'en est fallu de peu qu'il n'éprouvât 
un échec bien plus considérable; il eût suffi que le roi de 
Naples ne fit pas défection ou que les Autrichiens eussent 
envoyé des troupes de leur armée du Rhin en Italie ; cette 
négligence de Bonaparte fut une grosse faute stratégique (i). 

Pendant tout ce temps, Bonaparte réclame sans cesse des 
renforts au Directoire. Celui-ci met peu à peu 26,000 hommes 
en marche ; mais on ne sait combien arrivèrent ni quand. 

On voit bien par la lettre suivante de Bonaparte au Direc- 
toire, du 14 novembre, jour de la bataille d'Arcole, coaune il 
à bien toujours été le même : 

« Il n'est pas de jour où il n'arrive 5,000 hommes, et depuis 
c( deux mois qu'il est évident qu'il faut des secours ici, il n'est 
Cl encore arrivé qu'un bataillon de la quarantième, mauvaise 
a troupe, non accoutumée au feu » , etc. 

Mais il dit dans ses Mémoires, page 318 : a Le Directoire- 



(i) Il est difficile de savoir si le blocus a été plusoa moins sévère; mais 
l'armée française y a perdu 20,000 hommes, morts ou malades, de la fièvre, 
c*est-àrdire plus que dans une défaite sérieuse. Il ne fallait pas maintenir 
les troupes trop constamment sous les murs de Mantoue. 



190 CHAPITRE LUI. 

promettait beaucoup, mais tenait peu ; il envoya cependant 
douze bataillons tirés de l^armée de la Vendée qui arrivèrent 
à Milan dans le courant de septembre et octobre » . 

Quelle fausseté et quel mépris du gouvernement il faut pour 
se permettre de pareilles exagérations I On ne croit pas qu'il 
se soit trompé dans ses Mémoires, car son armée se retrouve 
forte de 42,000 hommes au commencement de novembre et 
elle a dû perdre de 10,000 i 42,000 hommes depuis le com- 
mencement de septembre ; cela suppose des renforts sérieux, 
même en admettant que Bonaparte ait rappelé quelques-unes 
des troupes de l'arrière. 

Il paraît certain qu'au commencement de novembre son 
armée avait l'eCrectif suivant : 

Kilmaine devant Mantoue 9,000 hommes. 

Attgereau à Vérone 9,000 — 

Masséna à Bassano et Trévise 10.000 — 

Vaubois à Trente iQ,im — 

Réserve sous Macquart et Dumas à Yillafranca. 4,000 — 

Total 42,000 hommes. 

dont on peut considérer que 30,000 étaient disponibles (1). 

Si Bonaparte avait à faire à une nouvelle offensive des Au* 
trichions, sa tâche ne serait plus tout à fait la même que par le 
passé. La première fois, il avait sacriBé le siège de Mantoue, 
parce qu'il était impossible de le couvrir; la seconde fois, il 
n'avait aucune raison pour empêcher les Autrichiens d'arriver 
à Mantoue, car il ne pouvait en résulter qu'un accroissement 
de la garnison, ce qui était insignifiant. 

Mais, cette fois-ci, il fallait empêcher que Wurmser ne fût 
délivré et que, réunissant les 10,000 à 12,000 hommes dont il 



(1) Le total indiqué par Clausewitz est exact ; mais la décomposition 
de cet efTeclif ne Test pas. Kilmaine n*a que 8,000 hommes au lieu de 
9,000; Masséna, 5,i00 ; Augereau, 5,60i) ; Macquart, 2,600. 

La îfy* et la 75* n*ont pas encore rejoint l'armée ; il y a 4,S00 hommes 
dans les garnirons et la division Macquart en fait partie. Elle n*est donc 
pas disponible pour les opérations en rase campagne. 



PREMlàRB OFFENSIVE d'ALVINZI. 191 

pourrait disposer à une colonne antrichienne importante, il ne 
formât une nouvelle armée. Il n'y avait plus seulement à 
battre Tennemi, mais à atteindre un but déterminé (f ). 



(1) Clausewitz a parfaitement reconnu que les opérations de novembre 
4796 présentaient un caractère bien particulier, qui les distingue de celles 
d*aoûtet de septembre, et de janvier 1797; mais il s'est trompé sur les 
motifs qui ont donné à Mantoue une importance momentanée. Nous savons 
aujourd'hui que Wurmser n'avait pas 10,000 hommes disponibles pour 
une opération extérieure, son effectif n'arrivant plus, en tout, à 
1 0,000 hommes valides. 



CHAPITRE LIV 



Nouveau plan offensif des Autrichiens, 



La deuxième tentative faite pour délivrer Mantoue, comme 
disaient les Autrichiens, ayant encore échoué, et les deux 
tiers de Tarmée de Wurmser ayant pour ainsi dire disparu 
du théâtre de la guerre, le gouvernement autrichien déploya 
la plus grande activité pour opposer une nouvelle armée à 
celle de Bonaparte. 

La colonne qui s'était retirée avec Quasdanowitch sur la 
Piave et Tlsonzo comptait environ 6,000 hommes. Le gouver- 
nement autrichien mit tout en œuvre pour lui adjoindre vite 
des troupes récemment levées dans ses provinces frontières et 
quelques bataillons qui se trouvaient encore à Tintérieur ; elle 
parvint, au prix des plus grands efforts, quatre semaines après 
la défaite de Wurmser, c'est-à-dire dans la seconde moitié 
d'octobre, à organiser entre Tlsonzo et le Tagliamento, ainsi 
que sur la Piave, du côté de Bellune, une armée de 
28,000 hommes. 

Les troupes laissées dans le Tyrol avec Davidovitch furent 
aussi renforcées par une concentration plus complète et par le 
rappel du détachement du Vorarlberg, que rendait disponible 
la retraite de Moreau; elles atteignirent ainsi TefTectif de 
20,000 hommes. 

On pouvait donc opposer à peu près S0,000 hommes à 
Bonaparte. Les choses prenaient en Allemagne une tournure 
des plus favorables, et on pouvait porter en Italie tous les 
renforts dont on disposait ; comme il y avait dans Mantoue 



NOUVEAU PLAN OFFENSIF DES AUTRICHIENS. 193 

toute une armée à sauver, on avait les raisons les plus pres- 
santes pour prendre ToiTensive. 

Les Autrichiens décidèrent de diviser leur attaque en deux 
colonnes répondant aux emplacements de leurs forces. Le 
feldzeugmeistçr Âlvinzi, promu au commandement supérieur, 
s'avancerait par Bassano sur Vérone avec les 20,000 hommes 
réunis dans le Frioul. Davidovitch attaquerait son adversaire 
dans la vallée de TAdige, le refoulerait dans celle-ci jusqu'à la 
plaine, puis réuni à Alvinzi, ou du moins de concert avec lui, 
attaquerait Tarmée française. 

Le plan d'opérations d'après lequel les deux colonnes 
devaient agir est exposé dans la relation autrichienne (1) de la 
façon suivante : « Le feldmaréchaUieutenant baron Davido- 
vitch devait enlever Trente et la position de Calliano, sur 
laquelle il tiendrait jusqu'à la dernière extrémité, pour assurer 
le flanc du corps du Frioul et couvrir le Tyrol contre une 
nouvelle attaque des Français. — Le feldmaréchal-lieuteoant 
baron Quasdanowitch passerait la Piave pour marcher sur 
Bassano ; dès que le corps du Tyrol aurait pris Trente, il 
avancerait par Vicence jusqu'à l'Adige pour livrer bataille à 
l'armée française près de Vérone. 

On recommanda d'une manière générale au feldmaréchal- 
lieutenant Davidovitch de mettre à profit toutes les circon- 
stances favorables pour réaliser le plus tôt possible la jonction 
des corps du Tyrol et du Frioul. Il fallait, soit 1® amorcer la 
liaison en portant son aile gauche dans le val Freddo ou sur 
tout autre chemin convenable, puis renforcer celle-ci avec 
toutes les troupes qui paraîtraient superflues à droite ; soit 2^ la 
suivre avec toutes ses forces ; soit 3* descendre de Trente par 
la rive gauche de l'Adige; soit enfin, si l'ennemi avait négligé 
d'occuper le Monte Baldo, occuper la position de Madonna 
délia Corona et avancer par Rivoli sur la rive droite de 



(1) Le combat de la Brenla, en 1796, dans VOesterreichische MUitdr 
ZeUichrifl^ année 48î8, 9« cahier, pages 222 et suivantes. 

(Note de C auteur,) 

13 



194 CHAPITRE LIY. 

TAdige. — Le feld maréchal comte Wurmser aurait pour mis- 
sion de sortir de Maotoue avec toutes les troupes disponibles, 
de repousser le corps de blocus, de se porter sur les derrières 
de Farmée française, et de contribuer ainsi au succès de la 
bataille livrée près de Vérone, ce qui amènerait ensuite la déli- 
vrance de Mantoue. 

Alvinzi, en prenant à la un d*octobre le commandement de 
l'armée, prescrivit plus exactement (1) que le 3 novembre le 
corps du Frioul attaquerait Bassano, et le corps du Tyrol 
Trente. Quand le premier aurait pris cette ville et passé la 
Brenta, Alvinzi attendrait de savoir du feldmaréchal lieute- 
nant Davidovitch que Trente était pris aussi et la vallée de 
TAdige débarrassée de tout ennemi. C'est alors seulement 
qu'il voulait se porter sur TAdige pour le passer; du succès 
de cette dernière opération dépendait la jonction des deux 
corps impériaux, la délivrance de Mantoue et Theureuse issue 
de la campagne. 

Nous ferons plus tard nos observations sur les idées qui 
forment le fond de ce plan ; pour le moment, continuons le 
récit des événements et montrons comment les choses se pas- 
sèrent dans la réalité. 



(1) Môme ouvrage, page 229. 



CHAPITRE LV 

Davldovltch bat le général Vaubois 
dans la vallée de TAdige. 



Le général Davidovitch était à Neumarkt avec le gros de 
ses forces, ayant deux détachements avancés à Saint-Michel 
et Segonzano ; ses avant-postes étaient sur TÂvis à son con- 
fluent avec TAdige. Bonaparte voyait avec inquiétude que ce 
général pouvait repousser quelque peu Vaubois puis se réunir 
à Alvinzi par la vallée de la Brenta (1). Il pensa que le mieux 
à faire, pour éviter cette jonction, était de prescrire à Vaubois 
de chasser les avant-postes autrichiens de l'Avis et d'occuper 
Davidovitch par cette petite offensive. Mais, comme toujours, 
c'est le contraire qui se produisit. Au lieu de gagner du 
temps, il précipita par là Toffensive du général autrichien et, 
très probablement, la favorisa. 

Combat de Saint^Michel et Segonzano, les 2 et 3 novennbre. 

Le 2 novembre, le général Vaubois attaque les avant-postes 
autrichiens en deux colonnes. A Saint-Michel, sous le général 
Guyeux, les Français semblent avoir eu l'avantage ; mais à 



(I) Cette explication est contraire à la vérité : Bonaparte a cru, au con- 
traire, que Vaubois n'avait plus devant lui que des forces inférieures, qu*il 
pourrait les battre au point de les mettre hors de combat, puis envoyer 
3,000 hommes de renfort à Masséna pour les opérations contre Âlvinzi. 
Prescrire à Vaubois d'attaquer un ennemi dont on aurait redouté la supé« 
riorité aurait été absurde. 



196 CHAPITRE LY. 

Segonzano, sous Fiorelli et Vaubois eo personne, ils ne purent 
repousser Wukassovitch. Le lendemain, 3 novembre, Davido- 
vitch arriva de Neumarkt avec le gros de ses forces et Vaubois 
dut se replier par Trente jusqu'à sa position de Calliano. 

Combat c/e C&Hîmo, les 6 et 7 novembre. 

Davidovitch le suit, mais ce n*est que le 6, trois jours après, 
qu'il trouve moyen de l'attaquer dans sa position (1). Ce jour- 
là, il ne peut pas avancer ; le combat est remis au 7 ; il ne 
réussit pas davantage au centre; sur la rive droite de l'Âdige, 
les postes de Nomi et Torbole, à la pointe septentrionale du lac 
de Garde, avaient été surpris dès le 6 et enlevés en infligeant 
des pertes sérieuses aux Français ; le 7, le général Ocskay 
réussit également à les chasser de la position de Mori. Vaubois 
fut ainsi contraint à commencer sa retraite sur Rivoli et 
la Corona, qu'il n'atteignit qu'avec peine le 8. Les pertes 
infligées aux Français dans ces combats désastreux comprirent, 
de leur propre aveu, six pièces de canon; elles ne furent 
donc pas aussi insignifiantes que le ferait supposer la lenteur 
des Autrichiens. 

Après ce premier succès, Davidovitch s'arrête; il reste 
immobile à Serravalle jusqu'au 16. On lui avait probablement 
envoyé l'ordre de s'arrêter ; cependant il est impossible d'ex- 
pliquer ainsi ces huit jours d'inaction, et on ne trouve pas 
l'ombre d'un éclaircissement (2). 



(1) Il est d^usage de critiquer sévèrement les opérations de Davidovitch. 
Elles semblent cependant assez explicables. Il n*a pas voulu pousser trop 
vite Vaubois parce qu*il comptait le faire enlever par Laudon, débouchant 
de Torbole. Ce coup de main a bien failli réussir. Sans la perspicacité de 
Bonaparte, qui envoya Berthier à Vaubois juste à temps pour ramener sa 
division sur la rive droite de TAdige, les Français auraient peut-être 
éprouvé un désastre complet. 

(2) Ici encore Timmobilité de Davidovitch semble bien naturelle : c'est 
la conséquence fatale des mouvements combinés. Si Davidovitch avait 
atteint Castelnovo avant qu*Âlvinzi ne fût engagé à fond contre Bona- 
parte, les Français l'auraient accablé dans le temps que le feldzeugmeister 



J 



DAYIDOYITCH BAT LE GÉNÉRAL YAUBOIS. 197 

Combat de Rivoli, les 16 et 17 novembre. 

Enfin, le 16, Davidovitch attaque en plusieurs colonnes les 
hauteurs de la Corona et les preud. Le 17, il attaque la posi- 
tion de Rivoli. Le général Vaubois était encore affaibli par le 
départ de la brigade Guyeux que Bonaparte avait rappelée à 
lui le 14 ; il ne devait plus guère lui rester que 6,000 hommes. 
Tourné de plusieurs côtés, il fut non seulement forcé de se 
retirer, mais encore perdit 12 canons et 1200 prisonniers 
parmi lesquels le général de brigade Fiorelli. Ce fut donc une 
défaite complète qui amena le général Vaubois le 17 aux envi- 
rons de Castelnovo, où Davidovitch le suivit le 18. 

Nous avons exposé tout d'une traite les événements qui 
eurent lieu sur TAdige, parce qu'il n'y eut de ce côté aucune 
allée et venue du gros des troupes françaises ; de l'autre côté, 
au contraire, il est commode d^avoir les mouvements de Davi- 
dovitch sous les yeux pour suivre ceux de l'armée principale 
autrichienne. 



aurait passé TAdige, puis 8fe seraient retournés contre Alvinzi. Ce n'est 
que le 16, Bonaparte étant à Ajcole aux prises avec la principale armée 
autrichienne, que Davidovitch peut se risquer. Le seul responsable de 
rinertie de Davidovitch, c'est celui qui a ordonné Toffensive combinée par 
le Tyrol et le Frioul. 



CHAPITRE LVI 



Alvlnzi se porte sur Vérone. 



Alvinzi avait passé la Piave le 2 novembre avec son gros à 
la Campanna, sur la route de Sacile à Bassano; le 5, il 
s'avança sur la Brenta en deux colonnes, Tune sous Quasda- 
nowitch vers Bassano, l'autre sous Provera, vers Citadella. 

Masséna s'était retiré le 4 novembre sur Vicence par ordre 
de Bonaparte. Augereau entra le 4 à Montebello ; il ne restait 
sur la Brenta que des arrière-gardes. Elles furent délogées le 
4 par les Autrichiens. Provera flt passer son avant-garde sous 
Liptay à Fontaniva; lui-même alla jusqu'à Citadella; l'aile 
droite vint jusqu'à Bassano. On ne connaît pas exactement la 
situation de l'armée française le 5. Bonaparte se porta sans 
doute avec Augereau et la réserve par Vicence sur Bassano, 
à côté de Masséna qui se portait sur Fontaniva. 

Le 4, en s'éloignant de l'Adige, Bonaparte avait appris 
l'échec de Vaubois le 2 et le 3; le 5, il savait sa retraite sur 
Calliano ; il résolut cependant (1) d'essayer une attaque sur 
Alvinzi, comptant que Vaubois ne serait pas chassé des mon- 
tagnes avant trois ou quatre jours. L'aile droite autrichienne 
resta à Bassano sur la rive gauche de la Brenta. 



(1) C'est précisément à cause de Téchec de Vaubois que Bonaparte atta- 
que Alvinzi. Il espère attirer de ce côté les forces autrichiennes. L'opé- 
ration sur Bassano, d'après les témoins oculaires, était une diversion en 
faveur de Vaubois. On avait laissé les deux entrées du couloir de la 
Brenta aux mains des Autrichiens ; il fallait les empêcher de s'en servir 
pour se concentrer vers Trente ou vers Bassano. 



ALVINZI SE PORTE SUR VÉRONE. 199 

L'avant-garde de Taile gauche, sous le général Liptay, se 
retira, à Tapprocbe de Masséna, en arrière de la vieille Brenta, 
dans l'île formée par celle-ci, et y prit position; Provera, avec 
le reste des troupes, garda la Brenta de part et d'autre, et 
conserva une réserve à Citadella. 

Bonaparte s'avança le 6, avec la division Âugereau, sur la 
route de Bassano, pendant que la division Masséna attaquait 
sur celle de Citadella. 

Masséna délogea les avant-postes de Liptay qui étaient 
encore sur la rive gauche, puis engagea avec Liptay un 
combat acharné; on y trouve ce phénomène singulier que 
c'est Liptay qui sort de son île pour essayer de déboucher au 
delà de la vieille Brenta, et qu'il est repoussé par Masséna. 
Dans le rapport assez circonstancié des Autrichiens (1), cette 
offensive de Liptay est présentée comme un simple procédé de 
défense; la chose est cependant si extraordinaire qu'on ne 
peut pas reprocher aux Français de la présenter comme il 
suit : à les en croire, ils auraient empêché l'avant-garde de 
Provera de déboucher sur la rive droite, et l'auraient rejetée 
sur la rive gauche. Les Autrichiens ne se sont pas trouvés ici 
dans une situation bien brillante, et la preuve en est la mesure 
étonnante prise par Provera dans la nuit du 6 au 7, de faire 
replier les ponts de bateaux, qui reliaient l'île à la rive 
gauche, comme s'il eût craint de ce côté une défaite de 
Liptay. Il était donc prêt à sacriGer complètement le corps (2) 
de ce dernier. 

Augereau avait rencontré la division Quasdanowitch qui 
s'avançait sur la route de Vicence, et dont l'avant-garde avait 
atteint Marostica. On se battit longtemps pour la possession de 
cette localité ; enQn le prince de Hohenzollern dut se replier 
sur Quasdanowitch, qui avait pris une position avantageuse 
entre la Brenta et les derniers contreforts des Sette Com- 



(1) Op. ct7., page 295. 

(2) M. 0., page 302. 



200 CHAPITRE LYI. 

muni. Qaasdanowitch y repoussa toutes les attaques jusqu^au 
soir. 

Bonaparte n'avait donc pas obtenu de résultat bien accusé ; 
le fractionnement de son armée, le danger qui menaçait sa 
ligne de retraite si Provera réussissait à battre la division 
Masséna, ne le laissaient pas satisfait. D'un autre côté, la 
situation de Vaubois Tiuquiétait beaucoup. Il paraît regretter 
d'avoir suivi ce premier plan, Tabandonne et décide de se 
retirer sur Vérone pour resserrer ses forces et se trouver en 
mesure de se jeter en temps utile sur Davidovitch (1). Bona- 
parte, à qui Taveu d'une faute est presque impossible, prétend 
qu'il a été entraîné à modifier son plan par une dépêche de 
Vaubois reçue le 7, à 2 heures du matin, laquelle annonçait 
la perte de Nomi et Torbole, et de toutes les positions de la 
rive droite de TÂdige; mais ce n'est qu'un mensonge. La 
lettre du général Vaubois est du 6 novembre au soir, car elle 
a été écrite après le combat de Calliano, lequel, d'après cette 
lettre même, n'a commencé qu'après midi. Or il y a 18 milles 
de Calliano à Bassano ; la dépêche ne pouvait donc pas arriver 
le 7 au matin au quartier général à Bassano. Du reste Vaubois 
rend compte qu'il a ordonné de reprendre'les points en ques- 
tion; enfin, Mori, qui est aussi sur la rive droite de l'Adige, 
n'a été pris par les Autrichiens que le 7 (2). 

Le 7, les divisions françaises repartirent pour Vérone par 
Vicence et Montebello. Alvinzi suit le 8 à Vicence, le 9 à Mon- 



( 1 ) Bonaparte était résolu, en quittant Vérone, à ne poursuivre ses 
avantages dans le Frioul que s'ils étaient décisifs ; dès qu*il ne bousculait 
pas Tennemi d*emblée, il devait se retirer sur Vicence. S*il espérait un 
succès, malgré son infériorité, c*est qu'il savait les avant-gardes autri- 
chiennes très éloignées du gros, et qu'il pouvait arriver qu'il les batUt 
séparément. C'est ce qui aurait eu lieu s'il ne les avait pas rencontrées pré- 
cisément sur la forte position marquée par la Brenta. 

(2) La correspondance de Dommartin confirme que la dépêche de Vau- 
bois est arrivée dans la nuit du 6 au 7 à Vicence, où Bonaparte s'était 
retiré après le combat indécis de Bassano, et où il comptait rester. La 
dépêche est datée de Roveredo, d'où elle a pu partir à 6 heures* du soir. 
Il y a 110 kilomètres de Roveredo à Vicence, et Bonaparte avait fait orga- 



ALVINZI SB PORTE SUR VÉRONE. 201 

tebello; le 10 il s'arrête, le H il arrive à Villanova, où la 
chaiassée de Vérone traverse l'Alpon. Son avant-garde était 
poussée jusqu'à Caldiero devant Vérone. 

Bonaparte était arrivé à Vérone dès le 8 avec ses deux divi- 
sions. Apprenant là que, depuis le combat du 7, rien n'avait 
été entrepris contre Vaubois, il fit reposer ses divisions le 9 et 
le tO, et il décida de tenter encore la fortune le 11 contre 
Alvinzi. 

Combat de SnlnUMârtin et Saint-Michel, le 11 novembre. 

Le prince de HohenzoUern, qui commandait Tavant-garde 
autrichienne, avait rendu compte au général Alvinzi que les 
avantages remportés par Davidovitch sur la division Vaubois 
avaient contraint Bonaparte à se retirer derrière le Mincio ; 
toutes les dispositions furent donc prises en conséquence. 
Alvinzi voulut essayer de s'emparer sur-le-champ de Vérone. 
Quoiqu'il ne prit cette résolution qu'après avoir mûrement 
délibéré, et que son chef d'état-major se prononçât contre 
toute tentative de ce genre, Alvinzi exécuta ce qu'il appelle 
une forte reconnaissance. 

Cette idée amena le 11 novembre les 4,000 à S, 000 hommes 
de son avant-garde à Saint-Martin et Saint-Michel, sous les 
murs mêmes de Vérone. 

En apprenant leur approche, Bonaparte fit avancer ses 
divisions contre les Autrichiens dans l'après-midi, et le prince 
de Hohenzollern fut rejeté avec pertes jusque sur Caldiero. 

Bataille de Caldiero, le 12 novembre. 
On avait établi une brigade à Caldiero pour recueillir 



niser des postes de correspondance. Il est assez naturel que la transmission 
n'ait demandé que 8 ou 9 heures. » 

Bonaparte s*est décidé alors, au lieu de rester à Vicence, à se concen- 
trer autour de Vérone, pour ne pas laisser couper sa communication par 
Davidovitch. 



ALVINZI SE PORTS SUR VÉRONE. 203 

chassait droit dans la figure des Français. On peut à la 
rigueur admettre cette explication, mais il semble plus juste 
de dire qu'il s'était lancé à l'attaque d'une position dont il ne 
reconnut la force qu'au cours du combat; et qu'il préféra 
abandonner une tâche mal engagée pour la reprendre d'une 
autre manière. 

La relation autrichienne évalue les forces d'Âlvinzi à 
quelque 20,000 hommes, mais contredit ainsi un état d'ef- 
fectif antérieur d'après lequel il y aurait eu au moins 
2S,000 hommes (i). 

Le 13, Bonaparte ramène ses troupes dans le camp sous 
Vérone. 



(1) Glausewitz confond ici Teffectif total deTamiée d*Âlvinzi avec celui 
qu*il a su réunir pour la bataille. Sur 25,000 hommes dont il pouvait dis- 
poser, Alvinzi en avait laissé 7,000 à Vicence et vers Albaredo. C'est ce 
qui explique que Bonaparte ait pu Tattaquer avec 14,000 ou 15,000 
hommes sans éprouver un échec trop décisif. 



CHAPITRE LVIl 



Bataille d'Arcole, les 15, 16 et 17 novembre. 



Le nouveau plan conçu par Bonaparte consistera à rompre 
par la droite, à jeter un pont sur TAdige à Ronco, à passer ce 
fleuve et à tomber dans le flanc gauche des Autrichiens, soit 
qu'ils demeurent dans leur position de Caldiero, soit qu'ils 
entreprennent quelque chose contre Vérone, ou enfin qu'ils 
tentent de passer TAdige, ce qui aurait lieu entre Ronco et 
Vérone. 

Au premier abord, ce plan paraît très heureusement conçu. 
A Ronco, Bonaparte était plus près de Mantoue qu'Alvinzi, 
si celui-ci parvenait à passer TAdige. Dans ce cas, s'il atta- 
quait assez tôt pour maintenir Alvinzi sur la rive gauche, il 
l'empêcherait de tirer aucun profit de sa propre offensive; 
mais si la situation avait changé avant son attaque, il était 
toujours temps de revenir sur ses pas et d'attaquer sur la rive 
droite. Du reste, l'exécution de son entreprise, notamment le 
mouvement de Vérone à Ronco, l'établissement du pont et la 
marche sur Caldiero, demandaient environ 24 heures; dans 
cet intervalle, il n'y avait pas lieu de craindre un changement 
dans la situation de ces Autrichiens si prudents. Vaubois 
restait toujours à la Corona et à Rivoli sans y être attaqué. 
Il fallait au moins deux jours pour que Davidovitch p&t 
le chasser de cette position et le contraindre à se retirer 
jusqu'à Vérone. Vérone même devait rester occupée par 
1500 hommes, sous le commandement de Kilmaine, en qui 
Bonaparte avait une grande confiance. Tant qu'il resterait 



BATAILLE D*ARCOLE. 205 

près de Vérone, il ne pouvait être question d'attaquer cette 
place ; s'il la quittait pendant la nuit, il n'était pas possible 
qu'on la prît dans la journée suivante. Une telle garnison 
n'aurait pas suffi à défendre la ville contre un siège en règle, 
mais elle pouvait s'opposer à une attaque de vive force ; 
Bonaparte comptait beaucoup sur ce que les Autrichiens s'oc- 
cupaient sérieusement d'assaillir Vérone au moment précis où 
il voulait les prendre à revers. 

La région entre TÂdige et l'Âlpon, en face de Ronco, était 
une vaste fondrière qu'on ne pouvait traverser que sur des 
digues; Bonaparte ne pouvait l'ignorer, d'autant plus qu'il 
était venu de ce côté quand la division Masséna était passée 
par Ronco pour couper à Wurmser la route de Legnago à 
Mantoue. En admettant que l'on pût traverser cette fondrière 
sur quelques digues et que les Autrichiens ne tinssent cette 
région que par de petits postes, cela paraissait plutôt un 
avantage qu'un inconvénient pour le plan de Bonaparte; il 
pouvait, en effet, après avoir chassé les postes autrichiens, se 
constituer une sorte de tête de pont, d'où il déboucherait plus 
facilement que d'un simple pont. 

On ne sait si Bonaparte prit cette résolution dès le 13, en 
ramenant ses troupes dans son camp de Vérone, car cela ne 
ressort pas de sa correspondance. Le 1 4 il écrit au Directoire : 
a Aujourd'hui, repos aux troupes ; demain, selon les mouve- 
ments de l'ennemi, nous agirons )>. Les troupes s'étaient déjà 
reposées le 13, puisqu'elles n'avaient fait que reculer d'une 
lieue, et, dès le 14 au soir, elles partaient pour Ronco. Ce 
passage de sa lettre ne donne donc qu'une présomption super- 
ficielle, n'indiquant pas nettement sa véritable résolution. Pour 
nous, la question est importante : pourquoi Bonaparte n'a-t-il 
pas fait partir son armée pour Ronco dès le 13 au soir? 
Attendait- il des nouvelles de Vaubois ? Attendait- il l'arrivée 
du général Guyeux et de sa brigade qu'il avait demandée à 
Vaubois pour se renforcer, ou ne pouvait-il achever le pont 
plus tôt? Toutes ces considérations paraissent mériter plus 
d'intérêt que les faits énoncés dans la lettre, lesquels se rap- 



^06 CHAPITRE LTn. 

portent seulement au repos des troupes. Peut-être le retard 
fut-il motivé par plusieurs de ces raisons en même temps, ou 
même par toutes. Si nous nous inquiétons tant d'obtenir Tex- 
plication de ce retard, c'est que nous ne pouvons pas croire 
qu'un général comme Bonaparte ait abandonné l'attaque de 
Galdiero le 12 et battu en retraite sur Vérone le 13, sans avoir 
déjà formé un autre plan, sans savoir ce qu*il faisait, en 
quelque sorte sans motif. Ni la suite de sa lettre du 14, ni les 
mémoires ultérieurs ne donnent de renseignements à ce sujet; 
il se plaint, dans les uns et les autres, du manque de renforts, 
du danger dont la supériorité de Tennemi le menace, lui et 
ritalie. Il prétend que ses deux divisions, Masséna et Auge- 
reaUy ne comptaient que 13,000 hommes et qu'Alvinzi en 
avait 40,000. Il ne faut jamais accorder trop de valeur à une 
plainte de ce genre venant d*un général, c'est une chose bien 
connue; du reste, la parole de Bonaparte ne mérite pas la 
moindre confiance en pareil cas. La supériorité de Tennemi 
était cette fois moins grande ou tout au plus la même que dans 
les deux premières tentatives de délivrance de Mantoue ; le 
rapport de 13 à 40 est de pure imagination. Masséna, Auge- 
reau, Guyeux, Macquart et la cavalerie devaient faire une 
masse d'au moins 20,000 hommes, et les Autrichiens, depuis 
que Mitrowsky les avait rejoints, pouvaient en avoir 22,000 (1). 
Sans doute, les deux tentatives malheureuses sur la Brenta et 
sur Galdiero avaient pu ébranler la foi de Bonaparte en son 
étoile et en lui-même ; sa confiance dans le succès de son 
entreprise a pu être un peu moins grande ; mais nous ne pou- 
vons consentir à nous représenter ce général comme font la 
plupart des écrivains, c'est-à-dire se trouvant, le 13 et le 14, 



(i) Clausewitza raison de ne pas accepter le chiffre de 13,000 hommes 
donné par Bonaparte, mais il va un peu loin en évaluant les forces françaises 
à 20,000 hommes. Elles ne dépassaient pas 17,000 ou 18,000 hommes. 
Alvinzi pouvait leur opposer des forces très supérieures, mais il ne parait 
pas avoir engagé, le premier jour, plus de monde que son adversaire. Il 
se concentra davantage le 16, et Bonaparte reçut de Kilmaine 2,000 ou 
3,000 hommes, qui lui permirent de prendre l'offensive le 17. 



BATAILLE D'ARCOLB. 207 

dans une situation plus menacée que jamais de tous les c6tés, 
et plus critique. On l'y ferait rester 24 heures sans savoir 
comment en sortir; et cela simplement pour faire de la solu- 
tion de ce problème colossal un véritable coup de théâtre. 
Nous y répugnons, d'abord, parce que c'est contraire à la 
réalité des faits, et ensuite parce qu'une situation aussi déses- 
pérée est tout à fait incompatible avec la grandeur de son 
génie. On peut admettre qu'un général reste dans une mau- 
vaise situation pendant des jours et des semaines sans se 
décider sur le moyen d'en sortir, mais ce ne sera jamais 
quand l'heure de l'action aura sonné, quand la moindre perte 
'de temps empire sa situation. 

Or voici, dans un moment de crise, une perte de temps de 
24 heures, et nous ne pouvons expliquer cet arrêt dans l'ac- 
tion ; eh bien, nous préférons supposer des causes extérieures 
que d'admettre un arrêt de la volonté (1). 

Bonaparte a donc pris la résolution d'attaquer Alvinzi dans 
son flanc gauche, c'est-à-dire du côté où il devait le moins s'y 
attendre. Il y marche le 14, à la tombée de la nuit, trouve 
son pont établi, et, au point du jour, il passe le fleuve. 

De son côté, Alvinzi avait poussé le 13 son avant-garde 
jusqu'à Saint-Michel et se portait lui-même le 14 avec son 
armée jusqu'à Saint-Martin (2) . La relation autrichienne dit 
que le général Alvinzi avait dirigé les brigades Mitrowsky 
et Brigido vers l'Adige. Nous trouverons ensuite ce dernier à 
Arcole quand Bonaparte marche contre ce village ; or il ne 
s'est pas trouvé à Ronco, ainsi que l'indique la suite des évé- 



(1) Clausewitz ne veut pas admeltre que le but de Bonaparte ait été de 
mettre la main sur les parcs d* Alvinzi et de renfermer, sans ressources, 
entre TAdige et les montagnes. S'il avait accepté cette explication, que 
tout vient confirmer, Tinaction de Bonaparte le 13 et le 14 ne Tétonnerait 
pas. Gomme il le remarque lui-même quelques lignes plus bas, c*est seu- 
lement le 14 que les Autrichiens ont été assez avancés du côté de Vérone 
pour que Bonaparte essayât de surprendre Villanova et de les bloquer en 
rase campagne. 

(2) C'est précisément cette marche d'Alvinzi qui provoque le mouve- 
ment de Bonaparte sur Villanova par Arcole. 



208 CHAPITRE LYH. 

Déments et il ne pouvait pas se porter si vite à Arcole 
par Villaoova; il est donc hors de doute que la brigade 
Brigido est restée derrière TAIpon. Milrowsky était très 
probablement resté à Villanova, car, le 15, il est le premier 
à soutenir Brigido. Il paraît donc qu^Âlvinzi, se portant sur 
Vérone, avait laissé une division de 6 à 8 bataillons derrière 
l*AIpon(l). 

Au fond, Alvinzi avait atteint le résultat auquel ses opéra- 
tions pouvaient le conduire, étant donnée la manière dont il les 
avait dirigées, et il était absolument impossible de rien faire 
qui Tavançât d*un pas. Impossible de donner Tassaut à Vérone, 
tant que l'armée française camperait près de cette ville. Passer 
TAdige entre Vérone et TAlpon était une entreprise au moins 
risquée, car il fallait l'exécuter à la barbe de l'armée française, 
et la bataille qui s'ensuivrait forcément serait livrée dans des 
conditions très dangereuses. Attendre que Vaubois fût battu 
par Davidovitch et repoussé dans la plaine d'Italie, c'était 
courir le danger que Bonaparte se tournât avec toutes ses 
forces contre Davidovitch, et le battît; c'eût été payer cher la 
délivrance de Wurmser, si tant est qu'on y parvînt; mais on 
n'avait plus grande chance d'y réussir, car Bonaparte pouvait 
bien revenir sur ses pas avant qu'Alvinzi eût achevé son pas- 
sage de l'Adige, et atteint Mantoue. Dans cette occurrence, le 
général Alvinzi résolut, comme nous le lisons dans la relation 
autrichienne, de passer l'Adige à Zevio avec 42 bataillons 
pendant que 12 autres attaqueraient Vérone. Nous ne recher- 
cherons pas ce qu'on a pensé de ce plan, ce qu'on peut en 
penser de raisonnable; il nous semble que ce serait peine 
perdue ; disons plutôt que les renseignements sont trop incom- 



(i) La dispersion de Tannée autrichienne le 15 est extraordinaire. 
Alvinzi a 3,500 hommes entre Arcole et Albaredo, 3,500 vers Montebello, 
le gros de ses forces vers S. Martino, une avant-garde sous les murs de 
Vérone, et une autre devant Zevio, essayant de franchir TAdige. Bona- 
parte est venu prendre une position centrale au milieu de tous ces déta- 
chements, avec l'espoir suffisamment justifié de les battre Tun après 
l'autre. Il avait laissé à Tennemi le temps de s*éparpiller. 



BATAILLE d'ARCOLE. 209 

plets pour nous faire devioer la véritable pensée du général 
autrichien. 

Si ce plan était réellement celui qu^il avait formé, ce fut un 
grand bonheur pour les Autrichiens que d'avoir tant tardé à 
l'exécuter; au reste, il n'y a pas à s'en étonner, car tout 
homme sain d'esprit devait reculer avec horreur plutôt cent 
fois qu'une. Ce n'est que dans la nuit du 1 S au 16 que cette 
opération devait commencer, c'est-à-dire juste 24 heures après 
le moment où Bonaparte agit. 

Ce général avait parfaitement réussi le coup qu'il avait 
médité. Non seulement il avait trouvé le fleuve inoccupé dans 
cette partie de son cours, et le pont fut jeté sans rencontrer de 
résistance ; mais encore, pendant ce temps, ainsi qu'il l'avait 
espéré, l'armée autrichienne s'était avancée davantage sur 
Vérone (i). Ce ne fut qu'à 9 heures du matin que Tattention 
d'Âlvinzi fut éveillée par quelques coups de canon dans les 
environs de Ronco; ce ne fût qu'à 10 heures qu'il apprit 
l'existence du pont et le passage de l'ennemi; encore crut-il 
plutôt à une démonstration destinée à diviser les forces autri- 
chiennes. 

Mais Bonaparte commençait à s'apercevoir que son opéra- 
tion ne marcherait pas comme il l'avait pensé ; qu'elle serait 
bien diCTérente, bien autrement difGcile à réussir, si taot est 
qu'elle pût encore réussir. 

Les Autrichiens n'avaient' fait que surveiller la région entre 
r Alpon et l'Adige ; il n'y avait entre Arcole et Ronco qu'un 
bataillon et un escadron ; ils faisaient ce service assez mal, à 
ce qu'il paraît, car ils ne dérangèrent en aucune façon l'éta- 
blissement du pont et l'annoncèrent très tard. Mais les Autri- 



(1) Après cette remarque, on ne comprend plus la critique adressée 
plus haut à Bonaparte, d'avoir attendu inutilement 48 heures avant de se 
porter à Ronco. Si Davidovitch s'était avancé jusqu'à Bussolengo pendant 
qu'Âlvinzi était encore en arrière de Galdiero, Bonaparte aurait eu une 
belle occasion pour écraser l'armée autrichienne du Tyrol, ce qui était la 
manière la plus sûre d'en finir avec Alvinzi. C'était une raison de plus pour 
ne quitter Vérone que quand Alvinzi s'en serait suffisamment rapproché. 

44 



210 CHAPITRE LYII. 

chiens avaient à Porcil, à Tissue des digues qui sortaient du 
marais : le régiment Spleni, et à Arcole, au pont sur TAlpon, 
la brigade du colonel Brigido ; la brigade Mitrowsky, pensons- 
nous, se trouvait à Villanova. Cette région n'était donc pas 
aussi dégarnie qu'elle le paraissait. D'autre part, il semble 
qu'il en allait tout autrement, au point de vue du terrain, que 
Bonaparte ne l'avait cru. 

De Ronco, deux digues partaient au travers des marais, la 
première remontait TAdige pour gagner Porcil, et formait 
plusieurs ramiGcations ; l'autre gagnait le pont d'Arcole sur 
l'Alpon; de là, elle traversait le village d'Arcole, pour débou- 
cher dans la plaine qui commence juste en arrière du village, 
ou bien remontait l'une ou l'autre rive de l'Alpon, tout contre 
les berges, jusqu'à Villanova. 

Combat du 15 novembre. 

Au fond, la première de ces digues répondait seule complè- 
tement aux vues de Bonaparte, avec ses embranchements vers 
Porcil; la seconde conduisait soit sur la rive gauche de 
l'Alpon, où Bonaparte n'avait rien à faire, soit sur la rive 
droite, mais dans une direction tout à fait divergente de la 
première, vers Villanova, de sorte qu'à l'issue des marais ses 
divisions se seraient trouvées distantes d'un mille l'une de 
Tautre, hors d'état de se soutenir. Si Bonaparte avait engag^é 
toute son armée sur Tune des chaussées, il n*est pas douteux 
qu'il aurait parfaitement atteint son but, la situation étant telle 
que nous la connaissons maintenant ; il serait arrivé en effet a 
Porcil sans grande résistance, aurait joint probablement entre 
cette localité et Caldiero une fraction de l'armée autrichienne 
et l'aurait battue isolément; puis il aurait attaqué l'armée 
elle-même revenant de Vérone, avant qu'elle eût le temps de 
se replacer devant sa ligne de retraite, qui passait par Villa- 
nova (1). Tout cela paraît indiscutable, aujourd'hui que nous 

(1) L*année de Bonaparte était inférieure à celle d^Alvinzi, et ses der- 



BATAILLE D'aRCOLE. 211 

voyons Tensemble de la situation ; mais Bonaparte ne pouvait 
pas savoir qu'il aurait si beau jeu sur Tune des digues et tant 
de mal sur l'autre ; il ne pouvait naturellement pas lui venir 
ridée de s'engager sur une seule digue, en laissant l'autre 
aux mains de l'ennemi, sur sa ligne de retraite ; c'eût été un 
acte de témérité inouïe; cet acte, il n'y avait pas de raison 
pour le risquer : l'ennemi n'ayant fait que surveiller celte 
région, il était invraisemblable qu'on rencontrât une résis- 
tance sérieuse au pont d'Arcole ; en se rappelant le pont de 
Lodi, le passage du Mincio à Borghetto, celui de la Brenta à 
Bassano, Bonaparte ne pouvait pas voir dans ce pont d'Arcole 
un obstacle capital à son opération. 11 s'avançait donc avec 
confiance sur les deux digues, la division Masséna sur Porcil 
et la division Augereau sur Arcole. Alvinzi opposa à la divi- 
sion Masséna le régiment de Spleni et un bataillon de Croates; 
les deux partis se rencontrèrent à Bionde, les Autrichiens 
furent repoussés, poursuivis jusqu'à Porcil, et ce village fut 
pris après un combat assez vif. C'était la tâche de Masséna 
pour cette journée. 

La division Augereau, au contraire, dans sa marche sur la 
digue d'Arcole, se heurta à des difGcuItés de terrain, qui 
avaient bien pu passer inaperçues du général français. Cette 
digue va directement de Ronco sur l'Alpon, puis, longeant la 



niera échecs avaient diminué sa valeur morale ; il eût été d'autant plus 
imprudent de chercher une bataille décisive en plaine dès le 15, qu'une 
défaite aurait rendu la situation des Français presque désespérée. Au con- 
traire, puisque Alvinzi avait commis la faute de s'avancer sur Vérone, 
séparé de Davidovitch, le seul fait de prendre position entre Porcil et 
Arcole donnait barre sur lui. S'il concentrait son armée à Touest des 
marais, vers Caldiero, il livrait sa communication, ses magasins et ses 
parcs; s'il la concentrait à l'est, vers Arcole, il s'éloignait de Vérone, 
reculait par conséquent, et exposait Davidovitch à se faire battre isolé- 
ment ; enfin, en restant séparé en deux par l'armée de Bonaparte, comme 
il le fît, il se condamnait à être écrasé en détail et à ne pas pouvoir 
obtenir de succès décisif. La solution proposée par Clausewitz n'aurait 
procuré aux Français aucun de ces avantages, et il est impossible de ne 
pas trouver prodigieuse celle de Bonaparte, qui, par la force des choses, 
obligeait l'ennemi à se faire battre ou à lâcher prise. 



212 CHAPITRE LVII. 

rive droite de ce ruisseau pendant environ 3,000 pas, arrive 
au pont d*Arcole. Une autre digue suivant TAIpon d'aussi près 
sur l'autre rive, les Autrichiens y trouvèrent les éléments 
d'une position à peu près inattaquable ; ils occupèrent la digue 
de la rive gauche avec leur infanterie, et battirent ainsi celle 
de la rive droite, sur cette longueur de 3,000 pas, par un feu 
de mousquelerie à bout portant. Le pont lui-même était 
défendu par quelques canons et par de Tinfanterie, qui s'était 
retranchée dans les premières maisons d'Arcole, qu'elle avait 
crénelées. Dans de telles conditions, Tassaut de cette localité 
ne pouvait pas réussir; avant même d^avoir atteint ce pont si 
bien défendu, l'infanterie française avait essuyé un feu de 
flanc si terrible qu'il avait suffi à arrêter l'attaque. L'avant- 
garde d'Augereau fit demi-tour avant d'arriver au pont; lui- 
même s'élança, saisit un drapeau et le planta sur le pont, 
mais ce fut en vain. Les généraux, voyant qu'ils s'étaient 
embarqués dans une mauvaise affaire, qu'il n'y avait pas 
d'expédient capable de les en sortir, voulurent tout emporter 
à force de bravoure et de dévouement, espérant encore s'ou- 
vrir un chemin et réparer leur faute par les moyens les plus 
rapides. Tout fut inutile. Quatre généraux, Lannes, Verdier, 
Bon et Verne furent blessés, et la colonne reculait toujours. 
Bonaparte s'élance, saute à bas de son cheval, Harangue les 
troupes, leur rappelle Lodi ; il croit déjà les avoir entraînées, 
saisit un drapeau, se rue sur le pont — c'est en vain ! — La 
colonne rebrousse, les Autrichiens chargent sur le pont, pour- 
suivent les fuyards pêle-mêle avec eux, et Bonaparte, en 
danger d'être pris, n'est enlevé et sauvé qu'à grand'peine par 
ses grenadiers (1). 



(1) La division Àugereau est parvenue jusqu'au pont d*Ârcole; ce ne 
sont donc pas les feux de flanc qui l'ont arrêtée. La tête de colonne n*a 
pas dû être foudroyée par la fusillade en arrivant sur le pont, puisque le 
p'us grand nombre des officiers qui ont essayé de l'entraîner n'ont pas 
succombé. Bonaparte, en particulier, est resté un certain temps à l'entrée 
du pont, et devait être le point de mire des tireurs ennemis. 11 semble 
donc que l'échec essuyé au pont d'Arcole ne soit dû qu'à la mollesse de 



BATAILLE DARCOLE. 



213 



Cet exemple montre, mieux que tout au monde, qu'il existe 
des situations tactiques dont ni la bravoure, ni la résolution, 
ni le dévouement, ni l'enthousiasme ne peuvent venir à bout. 

Bonaparte vit bien qu'il était inutile de faire ici de nou- 
velles tentatives. Il avait déjà ordonné au général Guyeux de 
passer l'Adige en bac, à Albaredo, avec 2,000 hommes, de 
façon à prendre à dos la position d'Arcole. Ce général n'arriva 
qu'à la tombée de la nuit, et cette localité, pour laquelle on 
s'était battu si furieusement, fut alors évacuée presque sans 
résistance par les Autrichiens. 

Pendant que les Français commencent par dépenser leurs 
forces inutilement et n'occupent qu'à la nuit close l'objet de 
leurs sanglants efforts, Alvinzi a changé de position. Ne laisr- 
sant devant Vérone que le prince de HohenzoUern avec son 
avant-garde renforcée de 4 bataillons, il était accouru avec le 
reste de ses troupes pour faire face à Bonaparte. Provera s'est 
établi avec 6 bataillons, entre Caldiero et Porcil, et Mitrowsky, 
avec les 14 autres, prend position, l'aile droite à Saint-Boni- 
facio, la gauche à Saint- Stefano. 

Bonaparte avait évidemment gagné quelque chose qu'il 
n'avait pas recherché tout d'abord et qui n'était qu'accessoire, 
où il avait été entraîné presque malgré lui, le passage par 
Arcole ; mais d'un autre côté, la retraite d' Alvinzi sur l'Alpon 
lui faisait manquer le but pour lequel il s'était engagé sur ce 
terrain ; il dit lui-même le dépit qu'il éprouva, en voyant du 
clocher de Ronco la retraite des Autrichiens. Dès lors, le 
passage d'Arcole devenait ce qu'il n'était pas auparavant : le 
plus court chemin pour atteindre Alvinzi. Seulement cette 
attaque contre Alvinzi, même si elle réussissait, ne promettait 
vraiment plus des résultats énormes; d'un autre côté, la situa- 
tion de Bonaparte dans la soirée du 15 n'était pas des plus 
favorables pour engager une bataille. Une division à Porcil, 



la troupe, et c*est d'ailleurs Timpression de tous les témoins oculaires, 
Bonaparte, Marmont, etc. Il n*y avait pas là une de ces situations dont 
rien ne peut venir à bout. 



214 CHAPITRE LVtl. 

une autre à un mille et demi de là à Arcole, un grand marais 
entre les deux : c*était une situation peu faite pour promettre 
la victoire (I). Pour proQter malgré tout de Tattaque entamée, 
il fallait rappeler la division Masséna, établir un poste défensif 
sur la digue de Porcil à Ronco à une distance convenable, et 
tourner Taile gauche des Autrichiens par Âlbaredo ou même 
par Legnago. 

Bonaparte sent quHl ne peut pas passer la nuit dans la 
situation où il est le 15 au soir; il peut craindre que les 
Autrichiens n'attaquent ses divisions avec des forces supé- 
rieures, ne les jettent dans les marais, ne les coupent en partie 
du pont de Ronco; puis Davidovitch vient encore de battre 
Vaubois, et il faudra se tourner contre lui. II décide donc de 
renoncer aux avantages obtenus et de se retirer sur la rive 
droite de TAdige. Il ne laisse que deux demi-brigades pour 
couvrir le pont de Ronco, et tout près de celui-ci. On croirait, 
d'après cette résolution, que Bonaparte a abandonné son 
offensive contre Alvinzi. Pas du tout! Il est décidé, si la 
situation de Vaubois ne l'oblige pas à faire autre chose, à 
renouveler son attaque le lendemain (2). Dans cette intention, 
il est inexcusable de n'avoir pas occupé solidement la chaussée 
de Porcil quelque part vers Bionde pour couvrir son pont de 
Ronco, et le village d*Arcole pour assurer son débouché et de 
n'avoir pris aucune mesure pendant la nuit pour exécuter un 
mouvement par Legnago, surtout avec sa cavalerie. 

On ne pourrait excuser la retraite complète en deçà de 
l'Adige que s'il renonçait à son attaque ; ou la reprise de 
Tattaque le lendemain, que s'il avait occupé Arcole; il est 



(1) Les inconvénients dont parle Clausewitz existaient bien plutôt pour 
Alvinzi que pour Bonaparte ; c*est lui qui avait ses deux ailes séparées 
par les marais, et par Tennemi, tandis que Masséna et Augereau étaient 
en liaison entre eux et avec le détachement laissé à Ronco. 

(2) Clausewitz veut absolument que Bonaparte cherche une action 
décisive et attaque. Au contraire, les Français n*avaient qu'à attendre 
Tattaque des Autrichiens, et c*est ce qu'ils ont fait. Alvinzi était forcé de 
prendre Toflensive, étant donné le but qu'il poursuivait. 



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BATAILLE d'aRCOLE. 21S 

tout à fait incompréhensible qu'il n'ait fait ni l'un ni l'autre, et 
on ne peut dire pourquoi il se promettait de mieux réussir le 
lendemain à l'attaque du pont d'ÂrcoIe. Le mouvement tour* 
nant par Albaredo, qui l'avait cependant seul rendu maître 
d'Arcole, n'est pas utilisé pour l'attaque du second jour et le 
général Guyeux n'est nommé dans aucun rapport. 

Nous avouerons qu'il nous a été absolument impossible de 
découvrir ici un fil conducteur qui permît de suivre l'enchaî- 
nement des idées; le deuxième jour de la bataille nous est 
resté tout à fait incompréhensible, le troisième l'est pour bien 
des choses. Tantôt ce sont des actes auxquels on ne trouve 
pas de motifs, tantôt des effets auxquels on ne voit pas de 
causes. Ni Bonaparte ni Berthier, dans leur premier rapport, 
le lendemain de la bataille, alors que l'idée était encore toute 
vivante, ne permettent de deviner i'enchaînement des pensées 
qui ont servi de base à la décision du général (1). 

Combat du 76 novembre. 

Le fait matériel, c'est que, le 16 au matin, Bonaparte se 
reporte en avant au point du jour, de la même façon que la 
veille (2). Mais en même temps Alvinzi s'est décidé à attaquer 
et a déjà traversé Arcole et le pont avec son aile gauche. 
Français et Autrichiens se rencontrent sur les deux digues. 
Les Impériaux sont battus sur l'une et sur l'autre, Masséna 
rentre victorieusement à Porcil, Augereau pousse jusqu'au 
pont d'Arcole; mais tous les efforts des troupes les plus 
braves, conduites par les généraux les plus braves, échouent 



(i) Le rapport de Bonaparte et la lettre de Berthier, écrits au lende- 
main des événements, exposent pourtant bien le but que poursuivait le 
général français ; mais Glausewitz s'est arrêté à Tidée que Bonaparte vou- 
lait prononcer une attaque décisive, et il repousse tout ce qui ne se plie 
pas à sa théorie. 

(2) Non pas de la même façon que la veille, mais seulement de manière 
à se replacer sur les digues en avant du pont. C*est là qu* Alvinzi vient 
les attaquer. 



BATAILLE d'ARCOLE. 217 

Bonaparte. Le temps perdu ne lui avait encore causé aucun 
doiâniage, et les pertes matérielles avaient été plus considé- 
rables dii côté des Autrichiens que du sien (i). Il supposait les 
Impériaux déjà très frappés par ces deux sanglantes journées ; 
il pensait qu'une nouvelle attaque, surtout avec des disposi- 
tions un peu différentes, les forcerait sans aucun doute à se 
retirer. Il avait parfaitement jugé son adversaire, et la suite 
Ta montré. Mais comment, va-t-on nous demander, Bonaparte 
avait-il cette conviction, puisque Alvinzi se trouvait encore le 17 
dans la situation favorable où il était les jours précédents (2)? 
A cela, nous répondrons qu'on ne reconstitue pas de pareilles 
impressions loin de l'heure et du lieu de l'action ; tout repose 
ici sur les moindres détails, sur des nuances, en un mot sur 
une impression générale. C'est un regard plongé par le com- 
battant dans la prunelle de son adversaire : quelle critique 
peut-on baser là-dessus ! 

Les changements apportés aux dispositions d'attaque consis- 
tèrent surtout en ce que la division Masséna n'attaqua plus 
Porcil ; on n'y dirigea qu'une demi-brigade, et juste assez loin 
pour couvrir l'attaque que le reste de la division prononcerait 
sur Arcole; la division Augereau passerait l'Alpon en aval 
d'Arcole sur un pont de chevalets; enQn, la garnison de 
Legnago ferait, avec 2 bataillons et 4 pièces, une diversion 
dans le flanc gauche et sur les derrières des Autrichiens. La 
réserve de cavalerie suivrait et soutiendrait Augereau. Il 
n'est toujours question de Guyeux dans aucun rapport. 

Alvinzi, recevant par un espion la fausse nouvelle de la 
retraite de Bonaparte sur Mantoue (d'après les mémoires de 
Bonaparte), croit, le i7 comme le 16, pouvoir repousser les 
Français ; les avant-gardes de ses colonnes avancent au point 
du jour vers Ronco par les chaussées de Porcil et d'Arcole. 



(i) En outre, Bonaparte avait reça 2,000 ou 3,000 hommes de renforts. 

(2) On ne sait comment Clausewitz peut qualifier de favorable la situa- 
tion d*une armée coupée en deux tronçons, et qui ne peut plus songer qu*à 
battre en retraite, alors qu'elle avait une mission offensive. 



218 CHAPITRE LVII. 

Au même instant, et comme les Français allaient se porter au- 
devant d*euxy le pont s'entrouvre, les deux bataillons laissés 
sur la rive gauche par la division Augereau étaient donc 
menacés d'être perdus, et le passage allait devenir impossible; 
mais il se trouvait que, près de Ronco, les deux digues lon- 
geaient quelque temps TAdige, Tune en amont, Tautre en 
aval ; de sorte que lartillerie française put à elle seule arrêter 
les colonnes autrichiennes, ce qui donna le temps de rétablir 
le pont. Aussitôt deux demi-brigades de la division Masséna, 
chacune à 3 bataillons, passèrent ; Tune, dirigée par Masséna 
lui-même, s'avança sur la chaussée de Porcil ; l'autre, sous le 
général Robert, vers Arcole. L'une et l'autre refoulèrent les 
avant-gardes autrichiennes. Le gros des divisions passa 
ensuite. Augereau, tout en laissant deux bataillons à la garde 
du pont, en avait encore 14 ; il les porta à droite d' Arcole, sur 
le cours inférieur de TAlpon ; le pont de chevalets semble y 
avoir été préparé pendant la nuit même ; il s'en servit pour 
attaquer les Autrichiens dans leur position un peu en arrière. 
Ce qui restait des 18 bataillons de Masséna, soit 12 bataillons, 
fut conservé provisoirement près de la bifurcation des deux 
chaussées. 

Cependant, les demi-brigades engagées sur ces dernières 
étaient venues se heurter au gros des colonnes autrichiennes ; 
un combat violent s'était engagé, et les deux demi-brigades, 
accablées par le nombre, avaient été repoussées avec beau- 
coup de vigueur. Masséna fit avancer en soutien une de ses 
brigades sur la chaussée de Porcil, et parvint ainsi à rejeter 
les Autrichiens assez loin pour éviter toute inquiétude au 
sujet du pont de Ronco et de la sécurité de la gauche fran- 
çaise. 

11 restait donc au pont de Ronco 6 bataillons de la divi- 
sion Masséna et les 2 bataillons de la division Augereau, qui 
avaient couvert le pont auparavant. Bonaparte Qt cacher 3 de 
ces bataillons, ceux de la 32* demi-brigade, dans le fourré 
qui se trouvait à la droite de la chaussée d' Arcole, et plaça 
les autres, partie sur cette chaussée, partie sur celle de Porcil, 



BATAILLE D'ARCOLE. 219 

d'où Ton pouvait agir également dans le flanc des Autrichiens 
engagés sur l'autre. 

Le général Robert, cédant à la supériorité numérique des 
Autrichiens du côté d'Arcole, se replia sur la division Auge- 
reau avec une partie de ses troupes, pendant que le reste 
était refoulé sur le pont de Ronco. Les Autrichiens tombèrent 
ici aux mains des réserves disposées par Bonaparte. La 32^ 
s'élança de son embuscade dans le flanc gauche de la colonne 
autrichienne ; les bataillons tenus sur la digue de Porcil tom- 
bèrent dans son flanc droit. Attaquée ainsi de tous les côtés, 
cette colonne, qui pouvait compter 2,000 hommes (Bonaparte 
dit 3,000 Croates), céda au nombre et à l'excellence des dis-^ 
positions, et se retira sur Arcole, réduite probablement de 
moitié, ou du moins après avoir subi de grosses perlés. 

Pendant que ces événements se passaient sur les deux 
chaussées, Augereau avait attaqué l'aile gauche autrichienne. 
Elle occupait une position assez avantageuse à quelque 
4000 pas de l'Alpon, sa droite s'appuyant à Arcole, sa gauche 
à un marais ; son front couvert par l'Alpon et par un terrain 
coupé de canaux et en partie encore marécageux. D'après la 
relation autrichienne, l'attaque d'Augereau aurait quelque peu 
surpris Alvinzi, et l'aurait décidé à se retirer ; le mouvement 
en avant de son aile gauche n'aurait eu pour but que de 
gagner le temps de rallier à Villanova les troupes détachées 
sur Vérone. Quoi qu'il en soit, la position autrichienne était si 
forte, qu' Augereau fut longtemps sans rien pouvoir entre- 
prendre contre elle. Il y avait bien encore, entre le marais 
qui couvrait son flanc gauche et l'Adige, un chemin qui con- 
tournait le marais, mais on ne pouvait aventurer une colonne 
sur un chemin si dangereux; Bonaparte eut l'idée d'ordonner 
à un ofGcier et à 25 de ses guides de se glisser par là; il leur 
prescrivit, quand ils seraient arrivés sur le flanc gauche des 
Autrichiens, d'attirer l'attention à grand renfort de trompettes 
aûn de se faire prendre pour une cavalerie nombreuse. Bona- 
parte prétend avoir ainsi efl'rayé les Autrichiens et les avoir 
décidés à la retraite; mais une ruse comme celle-là réussit 



220 CHAPITRE LYII. 

mieux sur le papier que sur le champ de bataille, et quand ou 
s*en prend à de grandes masses, elle ne peut passer que pour 
une plaisanterie. Il faut bien plutôt attribuer la retraite des 
Autrichiens i leur situation générale, et à la nouvelle qu'une 
colonne arrivait de Legnago. 

Alvinzi voyait ses colonnes battues sur les deux digues, 
Augereau qui l'attaquait après avoir passé TAlpon, et des 
troupes qui arrivaient de Legnago dans le flanc des Autri- 
chiens : il se décide donc, vers deux heures de Taprès-midi, à 
se retirer sur Villanova. Masséna qui entre-temps s*est rabattu 
sur Arcole, traverse ce village, fait poursuivre les Impériaux 
sur Villanova, et fait sa liaison avec Augereau. Les Français 
prennent position, la gauche à Arcole, la droite à Saint- 
Giorgio; les Autrichiens sont à Villanova. 

Les pertes des Autrichiens, dans cette bataille de trois jours, 
sont évaluées par les Français à 7,000 ou 8,000 morts, blessés 
et prisonniers. Il y en a peut-être 2,000 de trop. Celles des 
Français n'ont pas dû être beaucoup moindres. * 



CHAPITRE LVIII 



Considérations sur la bataille d'Axcole. 



Nous n'avons employé, pour cet exposé sommaire de la 
bataille, que les récits de Jomini et du général Neipperg, ainsi 
que les rapports originaux de Bonaparte et de Berthier, et 
nous avons coordonné ces éléments de manière que Tensemble 
présentât autant de suite que possible. Nous sommes donc loin 
de croire que notre exposé soit absolument véridique ; quand 
les données sont si rares et si confuses, la confrontation la 
plus soigneuse ne préserve pas de toutes les erreurs; et 
aurait-on beaucoup plus de discernement que nous ne pouvons 
en avoir, qu'on ne serait pas à Tabri des erreurs. — Nous 
espérons bien moins encore que le développement de Faction, 
tel que nous l'avons exposé, paraîtra tout à fait naturel et rai- 
sonnable. Nous Tespérons d'autant moins qu'il y reste une 
foule de choses, par exemple l'emploi de brigades et de divi- 
sions entières sur de simples digues, que nous trouvons nous- 
mème incompréhensibles. Le sol n'était probablement pas 
aussi impraticable en dehors des digues qu'il l'a été en Hol- 
lande lors des inondations de 1672 et 1787; il devait être 
ferme par places. On ne peut résoudre la question qu'avec un 
plan très détaillé ou par une reconnaissance personnelle de la 
région. Le plan que donne le général Jomini, et qui a servi de 
base à notre description, est très insufQsant et plus propre à 
compliquer qu'à éclaircir la queslion.^ Du reste, pour que dans 
l'ensemble les combats se soient développés ainsi que toutes 
les relations le racontent, il faut bien que le terrain Tait 
permis ; cela/ nous pouvons en être sûrs. 



222 CHAPITRE LYIII. 

Il en est tout autrement des résolutions adoptées par les 
deux généraux. Elles ont pu être çà et là quelque peu oiodi- 
fiées par des circonstances particulières dont il ne reste plus 
trace, mais dans leurs grandes lignes, elles ont dû résulter de 
la situation générale ; c'est un besoin naturel de notre esprit 
que de concevoir une connexion logique entre la situation et 
les mesures adoptées. 

Nous avons déjà remarqué, au cours du récit, qu'on pou- 
vait trouver le plan de Bonaparte pour le 45 assez naturel, 
pourvu qu'il n'eût pas à craindre qu'on Tempêchât de débou- 
cher des marais. Il peut toujours paraître audacieux, mais ce 
qui est audacieux n'est pas forcément déraisonnable. 

On conçoit que Bonaparte n'ait pas osé, dans les circon- 
stances où il se trouvait, s'engager uniquement sur la digue 
de Porcil, ou s'avancer sur celle de la rive droite de l'Alpon 
sans tenir Ârcole. On s'explique ainsi ses combats furieux pour 
la possession d'Arcole : après avoir d'abord méconnu l'impor- 
tance de ce point, il en était venu à s'apercevoir qu'un mouve- 
ment par Âlbaredo était préférable, mais il n'était plus temps 
de le faire. La retraite du 15 au soir serait encore assez com- 
préhensible, n'était la résolution de reprendre le 16 une 
attaque identique, laquelle aurait forcé Bonaparte à con- 
server les points conquis. 

Quant à l'attaque du 16, en tout point semblable à celle du 
15 (i), pourquoi aurait-elle donné de meilleurs résultats? Et 
si elle donnait le même résultat, elle laissait Bonaparte dans la 
même situation. Si cette situation ne paraissait pas si mau- 
vaise au général français, pourquoi commençait-il par l'aban- 
donner le soir ? Trouvait-il dangereux de passer la nuit dans 
cette situation et espérait-il s'emparer d'Arcole de bonne 
heure le 1 6 ? L'un est aussi peu rationnel que l'autre. 

L'explication la plus naturelle et la plus simple de cette 



(1) 11 ii*y a pas eu d'attaque, le 16, de la part des Français. lU se sont 
portés au-devant de rennemi quand celui-ci eut attaqué leurs avant* 
postes. La critique de Clousewitz n'est donc pas fondée. 



CONSIDÉRATIONS SUR LA BATAILLE D ARCOLE. 223 

seconde attaque pourrait être que Bonaparte avait compté sur 
la retraite des Autrichiens ; mais il ne s'en est expliqué dans 
aucun de ses rapports, et, du reste, ce serait en contradiction 
avec l'inquiétude qu'il avait pour la nuit. Cette attaque du 16 
reste donc absolument inexpliquée. 

La retraite du 16 au soir est plus motivée que celle du 15, 
car, cette fois, on n'était même plus maître d'Arcole (1). De 
même, l'attaque du 17 est beaucoup plus intelligible que celle 
du 16, et par cette seule raison qu'on a pris d'autres disposi- 
tions dont Bonaparte avait reconnu la possibilité pendant la 
journée du 16, et sur lesquelles il pouvait fonder d'autres 
espérances. Tant qu'il reste une chance de vaincre, il est tout 
naturel qu'un général n*abandonne pas un combat qui, lui 
ayant coûté beaucoup de monde, en a coûté plus encore à son 
adversaire. S'il se retirait, l'ennemi s'attribuerait la victoire et 
jouirait, en effet, de quelques-uns des avantages qu'elle 
entraîne, tandis que, s'il persiste dans son attaque, les efforts 
antérieurs et les résultats acquis feront déjà la moitié de l'ou- 
vrage. Tant que Davidovitch n'avançait pas davantage, tant 
que les combats partiels coûtaient plus de monde aux Autri- 
chiens qu'aux Français, tant qu'il restait une possibilité 
d'avoir un succès général, et tant qu'un terrain aussi imprati- 
cable empêcherait les Autrichiens, même vainqueurs, d'infliger 
à leurs adversaires une défaite complète (2), Bonaparte pou- 
vait continuer ses attaques ; il s'agissait surtout, en effet, de 
bravoure et d'opiniâtreté, et il était difficile de l'emporter sur 
les Français pour Tune ou l'autre de ces qualités. Toutefois, il 
fallait pouvoir espérer une victoire générale; or, le 15, Bona- 
parte croyait la tenir, parce qu'il ne connaissait pas exacte- 



(i) Lorsqu^on se replia, le 15 au soir, sur le pont de Ronco, on n*était 
pas encore maître d*Àrcole où Guyeux n'arriva qu*à la nuit close. Arcole 
avait si peu de valeur par soi-même, que les Autrichiens et les Français 
s^en désintéressaient après la fin du combat. 

(2) Il n*avait donc pas été si maladroit, de la part de Bonaparte, de 
s'établir dans cette région marécageuse, au lieu d'attaquer en plaine un 
ennemi supérieur qui Tavait déjà battu deux fois. 



CONSIDÉRATIONS SUR LA BATAILLE d'ARCOLE. 22S 

rAlpon,àpeu près à un quart de lieue de son embouchure; ce 
qui a été un objet de critique pour les militaires mal instruits^ 
En effet, si le pont eût été placé sur la rive gauche vis-à-vis 
Albaredo : 1® l'armée se fût trouvée déboucher dans une vaste 
plaine et c'est ce que son général voulait éviter; 2® Alvinzi qui 
occupait les hauteurs de Caldiero, eût, en garnissant la rive 
droite de l'Alpon, couvert la marche de la colonne, qu'il aurait 
dirigée sur Vérone ; il eût forcé cette ville faiblement gardée 
et eût opéré sa jonction avec l'armée du Tyrol; la division de 
Rivoli, prise entre deux feux, eût été obligée de se retirer sur 
Peschiera ; l'armée tout entière en eût été étrangement com- 
promise ; au lieu qu'en jetant le pont sur la droite de TAlpon 
on obtenait l'avantage inappréciable : 1® d'attirer l'ennemi sur 
trois chaussées, traversant un vaste marais; 2® de se trouver 
en communication avec Vérone par la digue qui remonte 
l'Adige et passe aux villages de Porcil et de Gambione, où 
Alvinzi avait son quartier général, sans que l'ennemi eût 
aucune position à prendre, ni pût. couvrir d'aucun obstacle 
naturel le mouvement des troupes qu'il aurait fait mar- 
cher pour attaquer Vérone. Cette attaque n'était plus pos- 
sible, puisque toute l'armée française l'eût prise en queue, 
pendant que les murailles de la ville en auraient arrêté la 
tête », etc. 

Les deux avantages allégués pour la disposition qu'il a 
prise ne sont évidemment que le reflet des deux inconvénients 
qu'a rencontrés l'offensive sur la rive droite de l'Alpon. 

Nous voulons bien accepter la seconde raison, mais pour le 

15 seulement; elle ne signiGe rien pour les journées suivantes. 

Quant à la première, Bonaparte a l'air d'y attribuer une 

importance pai*ticulière, car il raconte, un peu auparavant, 

dans la marche de Vérone à Ronco : a Alors les officiers et 

soldats qui, du temps qu'ils poursuivaient Wurmser, avaient 

traversé ces lieux, commencèrent à deviner l'intention de leur 

général : il veut tourner Caldiero qu'il n'a pu enlever de front ; 

avec 13,000 hommes ne pouvant lutter en plaine contre 

40,000, il porte son champ de bataille sur des chaussées 

15 



226 CHAPITRE LYIU. 

entourées de vastes marais, où le nombre ne pourra rien, mais 
où le courage des tètes de colonnes décidera de tout » , etc. 

Le lecteur appréciera ce qu'il faut penser de ce monologue 
stratégique des soldats. C'est une fable qu^il ajoute à son 
explication, afin de l'embellir par le merveilleux de cette voix 
publique de Tarmée. Bonaparte cherchait ek savait larmée 
autrichienne à Caldiero, et non dans les marais; il était Tas- 
saillant et il fallait donc, pour faire aboutir son attaque, laisser 
les marais derrière lui, et se battre en plaine avec les Autri- 
chiens ; les choses se passèrent tout autrement et les Autri- 
chiens furent réellement assez bons pour venir l'attaquer sur 
les digues, mais il n'y avait pas de calcul qui pût le faire pré- 
voir (1). Celte explication de Thistorien de Sainte-Hélène n'est 
pas seulement en contradiction avec le but qu'il avait cherché 
et éloignée de toute vraisemblance ; elle est en contradiction 
avec les faits eux-mêmes; pourquoi donc, le IS, ces attaques 
furieuses contre le pont d'Arcole, qui était le débouché de la 
chaussée, si Bonaparte n'avait pas voulu se porter dans la 
plaine (2) ? Pourquoi ne pas attirer plutôt les Autrichiens sur 
la chaussée même, comme cela eut lieu le 17 (3) ? Il est tout 
à fait évident que cette explication a été déduite de la marche 
même des événements, notamment le 17 ; mais cette dernière 
journée s'était déroulée à l'inverse de l'attente et des projets 
de Bonaparte. 

Nous ne pouvons donc conserver au général français, pour 
la bataille d'Arcole, que sa réputation de grande bravoure et 



(1) ir semble au contraire que tout en donnait l*assurance. Comme on 
Ta déjà remarqué page 176, Alvinzl ne pouvait qu^attaquer, battre en 
retraite ou livrer ses parcs, et, pour ne pas sacrifier Davidovitch, il fallait 
attaquer. Jamais on n*a vu, à la guerre, faire échec à son ennemi comme 
Bonaparte Ta fait à Alvinzi. 

(2) Il voulait se porter dans la plaine, mais à Yillanova, où étaient les 
parcs et convois de son ennemi. 

(3) Il était certainement plus séduisant de saisir la ligne d'opérations 
de toute Tarmée ennemie, que d'attirer 2,000 Croates sur une digue, en 
admettant môme qu'ils voulussent bien s'y prêter. 



CONSIDÉRATIONS SUR LA BATAILLE d'ARCOLE. 227 

d'opiniâtreté, qualités qui sont loin, du reste, de ne pas valoir 
le succès qu'elles ont obtenu; mais nous considérons les 
dispositions de la première journée comme absolument vi- 
cieuses, et celles des deux suivantes comme dues à son achar- 
nement et contraires, d'ailleurs, aux principes de tactique les 
plus élémentaires. 

Malheur au général médiocre (1) qui entreprendrait une 
telle manœuvre et y échouerait I 

La conduite du général autrichien mérite aussi bien des 
critiques (2). 

Sur une digue, le défenseur a forcément de grands avan- 
tages, si la situation n'est pas tout à fait perdue ou les troupes 
par trop mauvaises; ainsi la défense a plus de chances de 
succès en se tenant sur la digue même, quoiqu'elle ne puisse 
y engager plus de monde que l'attaque. Mais le défenseur a 
encore bien plus d'avantages au débouché même de la chaus- 
sée ; car il peut déployer plus de troupes que son adversaire. 
Il était donc naturel de tenir fortement les débouchés, c'est-à- 
dire Arcole et Porcil, et d'y attendre l'attaque des Français. Si 
Porcil même ne s'y prêtait pas, parce que la chaussée s'y 
divise en plusieurs branches, on aurait choisi une position a 
la bifurcation ou en tout autre endroit qui eût mieux con- 
venu. 

Dans ces conditions, les Autrichiens s'opposaient à tous les 
efforts des Français avec très peu de monde, et gardaient une 
réserve considérable pour faire face à un mouvement tour- 
nant. Ils n'auraient certes pas obtenu ainsi une victoire comme 
il leur en fallait une, mais l'offensive sur les digues y menait 



(1) Mais, puisqu*il n*a pris que de mauvaises dispositions, à quoi sert 
que Bonaparte n*ait pas été médiocre ? S*il ne lui reste que le mérite de 
l'acharnement, une courageuse nullité en aurait fait autant. Clausewitz a 
beau critiquer : il sent bien dans ces journées d'Àrcole quelque chose de 
supérieur qui lui en impose. 

(2) Plus que Clausewitz ne pense, car il n*a pas été question de l'éton- 
nante dispersion des troupes d*AIvinzi, laquelle a contribué pour beau- 
coup à la décision et au succès de Bonaparte. 



228 CHAPITRE LYIII. 

encore bien moins ; cette victoire était surtout presque impos- 
sible dans la situation stratégique où ils se trouvaient, et dont 
nous reparlerons. Ils ne pouvaient guère obtenir un résultat 
plus favorable que de repousser l'attaque des Français. — Les 
Autrichiens renoncèrent à tous ces avantages pour se porter 
au-devant des Français sur les digues, et les combattre à 
armes égales. On n'y comprendrait rien^si Ton ne réfléchissait 
que le 15, les Autrichiens crurent d'abord n'avoir alTaire à 
Ronco qu'à un faible détachement facile à repousser ; ils ne 
firent donc que s'avancer sur la chaussée de Porcii; les 46 et 
17, ils crurent prendre Bonaparte en flagrant délit de retraite 
et il était tout simple, dès lors, de le harceler. Mab ces expli- 
cations ne sufGsent même pas à excuser Alvinzi pour le 16 et 
le 17, car la moindre avant-garde l'aurait vile averti de son 
erreur, sans l'exposer aux pertes que subirent ses deux 
colonnes sur les chaussées. 

Nous laissons de côté la question de savoir si le passage 
de TAlpon par Augereau, le 17, n'aurait pas dû être empêché, 
ou s'il ne s'explique pas par une négligence des Autri- 
chiens. 

Et maintenant qu'est-ce qui, le 47, a forcé Alvinzi à se 
retirer, c'est-à-dire à renoncer à la lutte, à baisser pavillon? 
Ces trois journées de combats mal conduits avaient notable- 
ment entamé son armée, aussi bien que son moral à lui et 
celui de la troupe; le passage de TAlpon par Augereau et la 
manœuvre de la garnison de Legnago gâtaient sa situation 
tactique ; après ces funestes journées, disposant d'une armée 
assemblée à la hâte, mal formée, sans supériorité numérique 
prononcée, il n'osait plus livrer en plaine, le 18, la bataille 
décisive que Bonaparte lui aurait certainement imposée; une 
défaite complète n'aurait pas manqué de changer en désastre 
ce qui n'était jusque-là qu'une tentative avortée. Ce raisonne- 
ment n'est pas fait pour nous surprendre; il est dans l'esprit 
de tous les généraux qui, se trouvant dans une situation cri- 
tique, n'ont pas la très grande force de caractère nécessaire 
pour en sortir. 



CONSIDÉRATIONS SUR LA BATAILLE D*ARGOLE. 229 

Qu'est-ce donc qui a fait pour Bonaparte, de cette bataille 
mal engagée, une véritable victoire ? C'est une direction plus 
habile des combats élémentaires, une plus grande valeur dans 
la troupe, une opiniâtreté supérieure, une audace sans 
bornes. 



CHAPITRE LIX 



Bonaparte sa toiime contre Daiddorvitch. 



Le 17, pendant qu\\IviQzi s'avouait vainca et battait en 
retraite, Davidovitch remportait enfin sa victoire sar la divi- 
sion Vauboiâ dans la position de Rivoli ; il Ten chassait et la 
rejetait avec pertes sur Casteinovo comme noas Tavons dit 
plus haut (chap. 53). Une victoire remportée sur 6,000 hommes 
ne pouvait compenser la défaite de 22,000 ; c'est assez natu- 
rel. Davidovitch suivit le général Vaubois et s'établit le 18 à 
Casteinovo, pendant que Vaubois se retirait derrière le 
Mincio. 

Bonaparte, averti de la défaite de Vaubois, résolut de se 
tourner sur-le-champ contre Davidovitch. 11 Gt poursuivre 
Alvinzi le 4 8, simplement par la cavalerie de réserve, fit 
prendre à la division Masséna la direction de Villafranca, par 
où Vaubois allait se replier sur Borghetto et prescrivit à Auge- 
reau de passer par Vérone et le Monte Molare pour descendre 
dans la vallée de l'Adige à Dolce et couper la retraite à Davi- 
dovitch. 

Ce général s'aperçut à temps du danger qu'il courait ; il se 
retira le 19 jusqu'à Ala, avant que les dispositions prises 
contre lui eussent pu être exécutées. Son arrière-garde 
éprouva cependant à Campara de grosses pertes, et un batail- 
lon y fut pris. 

A la nouvelle du danger que courait Davidovitch, Alvinzi, 
qui se trouvait le 19 à Montebello, envoya quelques bataillons 
dans le Monte Molare pour menacer le flanc droit d'Auge- 



BONAPARTE SE TOURNE CONTRE DAVIDOVITCH. 231 

reau; afln d'appuyer cette démonstration, il rebroussa lui- 
même le 20 sur Villanova. Au su de ce mouvement, Bona- 
parte revint immédiatement à Vérone, sur quoi Alvinzi jugea 
bon de se retirer derrière la Brenta. 

Le 23 novembre, Wurmser fît enfin une tentative de sortie; 
elle ne pouvait naturellement pas réussir, puisque les colonnes 
qui étaient venues pour le délivrer s'étaient retirées depuis 
longtemps ; les Français avaient déjà renforcé à nouveau le 
corps d'investissement, qui avait été affaibli pendant la période 
de crise. 

Ainsi se termina la troisième tentative faite pour délivrer 
Mantoue. La crise passée, les deux partis se reposèrent. Les 
Autrichiens prirent position derrière la Brenta, l'aile gauche 
à Padoue, l'aile droite à Trente. 

Bonaparte reprit son ancienne position sur l'Adige. 



CHAPITRE LX 



Considérations. 



C'est ici que vont trouver place nos considérations sur le 
quatrième acte de la campagne. 

Cette troisième attaque des Autrichiens était commandée 
l)ar les circonstances; nous Tavons déjà montré (chap. 54). 
Wurmser s'était jeté dans Mantoue avec 46,000 hommes; eu 
admettant qu'il y en eût seulement 12,000 de trop pour la 
défense, et qu'on les en fît sortir en rompant Tinveslissement, 
ce n'était pas à dédaigner, aussi bien pour ce que ces troupes 
valaient en elles-mêmes, que pour l'honneur des armes. La 
situation était réglée en Allemagne, et, ce qu'il y avait de plus 
urgent pour le moment, c'était d'envoyer en Italie tous les 
renforts disponibles, afin de délivrer le corps de Wurmser qui 
souffrait déjà de la faim. Voilà un des objets de l'offensive 
autrichienne ; mais il était naturel qu'on ne s'en tînt pas là, 
et qu'on cherchât une victoire décisive sur Bonaparte; on eût 
ainsi non seulement dégagé Mantoue, mais reconquis toute la 
haute Italie. Il était d'autant plus utile de chercher une 
pareille victoire, que le pape, comptant sur l'appui de TAu- 
triche, continuait ses armements et qu'on ne pouvait pas le 
planter là. Les troupes que les Autrichiens pouvaient rassem- 
bler pour cette offensive s'élevaient, nous l'avons vu, à 
48,000 hommes. Les Français pouvant, grâce à leur manière 
de bloquer Mantoue et à l'inertie de Wurmser, disposer de 
30,000 hommes pour les opérations en rase campagne, les 
Autrichiens étaient supérieurs dans le rapport de 4 à 3 ; c'eût 



CONSIDERATIONS. 233 

été une assez forte garantie de succès si les généraux et leurs 
armées avaient eu un moral équivalent de part et d'autre ; 
étant donnée la supériorité morale des Français, cette propor- 
tion numérique ne donnait qu'une faible chance de succès. 
D'autre part, les renseignements sur l'ennemi, ne Voublions 
pas, font toujours juger ses forces plus nombreuses qu'elles 
ne sont en réalité ; il y a donc lieu de s'étonner que lé gouver- 
nement autrichien ait compté sur un succès décisif et éclatant 
dans cette troisième offensive. Les gouvernements commettent 
souvent de ces erreurs, parce qu'ils ne voient pas assez l'im- 
portance des causes générales ; ils se laissent toujours raconter 
par les généraux et autres rédacteurs de rapports, que les 
mauvais résultats sont dus à telle faute isolée facile à éviter, 
tel hasard malheureux qui ne se reproduira pas. Ils conçoivent 
donc de nouvelles espérances quand il n'y a pas lieu ; ils se 
remettent en mouvement pour tenter la fortune encore une 
fois, au lieu de s'occuper d'abord d'améliorer leur situation, 
et de reprendre leur opération comme une œuvre bien pré- 
parée et non comme une affaire de chance. Un changement 
de personnes dans le commandement fait concevoir aussi de 
grandes espérances, et Ton ne se demande pas si le nouveau 
général est un homme d'une autre espèce que les précédents. 
11 y avait pourtant lieu de le faire, si l'on voulait compter sur 
un succès décisif après une série de malheurs de tout genre ; 
ce ne sont pas des nuances dans le tempérament qui change- 
ront beaucoup le résultat. Beaulieu, Wurmser, Alvinzi étaient 
évidemment des hommes de même espèce, et il n'était pas 
raisonnable de croire que la personnalité de l'un ou de 
l'autre fournirait un appoint capable de faire pencher la 
balance. 

Nous concluons de là que les Autrichiens n'avaient guère 
lieu d'espérer une victoire décisive ni la conquête de la Lom- 
bardie. C'est ici un point capital en stratégie, car les ques- 
tions stratégiques ont d'autant plus d'importance qu'on aborde 
des régions plus élevées. Si le gouvernement autrichien s'en 
était tenu à un raisonnement bien simple et bien clair, comme 



CONSIDÉRATIONS . 23S 

des Français, si toute l'armée autrichienne avait évacué 
leur pays. Les Autrichiens pouvaient laisser, par exemple, 
3,000 hommes dans le^ Tyrol, sous un général connu; en les 
joignant aux 8,000 hommes de milice, on formait un corps 
auquel les Français étaient bien obligés d'opposer quelque 
chose, et dont ils ne pouvaient évaluer exactement la force. 
En répandant de plus le bruit que 10,000 hommes de l'armée 
du Rhin allaient passer dans le Tyrol, les Autrichiens rassu- 
raient les habitants, et d'autre part les Français n'étaient pas 
à même de discerner l'exacte vérité. 

Sur les 20,000 hommes de Davidovitch, on pouvait donc 
en prélever 15,000 pour Jes porter dans la plaine, où on aurait 
rassemblé ainsi une force de 43,000 hommes. Il n'était pas 
nécessaire, il était même mauvais, de faire cette réunion par 
la vallée de la Brenta, car Bonaparte pouvait s'interposer 
entre les deux colonnes â Bassano. Pour un jour ou deux 
de plus qu'eût demandé cette jonction, ce n'était pas une 
affaire. 

Nous avons assez parlé de la division des forces. On objec- 
tera que Bonaparte avait un point bien déterminé à couvrir, à 
savoir Mantoue ; il est plus commode, en pareil cas, d'avoir 
affaire à un agresseur unique, car le défenseur n'a qu'à s'in- 
terposer entre lui et l'objectif. Si au contraire les forces de 
Tassaillant sont divisées, il faut aussi que le défenseur divise 
les siennes ; on livre plusieurs combats en des points diffé- 
rents, et le défenseur a l'inconvénient d'être obligé de vaincre 
partout pour remplir sa mission ; l'assaillant, au contraire, n'a 
besoin de vaincre qu*en un point; il a donc beaucoup plus de 
chances de réussir. 

D'après cela, dans le cas présent, l'attaque en plusieurs 
colonnes eût quelque peu relevé la probabilité du succès. Mais 
les circonstances et la zone de manœuvre très favorable dont 
disposaient les Français s'opposaient sérieusement à ce qu'on 
profitât de cet avantage. 

Il y a deux principes fondamentaux à observer dans l'orga- 
nisation d'une offensive multiple. 



236 CHAPITRE LX. 

Le premier, c'est que chaque colonne doit agir indépen- 
damment, c'est-à-dire livrer bataille pour son compte; le plan 
ne comportera donc pas de réunion avant la bataille, et 
chaque pas de Tune des colonnes ne dépendra pas de l'autre; 
le second, c'est que les colonnes doivent s'avancer par les 
chemins les plus écartés qui existent entre leur base et leur 
objectif. 

Le premier principe assure le salut de toute attaque mul- 
tiple ; il est souverainement déraisonnable, et par suite géné- 
ralement funeste, que des colonnes séparées agissent en se 
préoccupant l'une de l'autre, alors que leur situation rend si 
difficile, pour ne pas dire impossible, qu'elles se donnent de 
leurs nouvelles. 

L'unité d'action ne réside que dans la communauté d'objec- 
tif. Cet objectif, il faut que chacune d'elles le poursuive par 
son chemin propre, non pas follement, aveuglément, sans 
réflexion, car il ne faut jamais agir ainsi à la guerre, mais, du 
moins, avec cette persistance dans l'effort qu'exige toute 
action une fois lancée, et dont on n'est plus maître. Que 
chaque général fasse ainsi, de son côté, tout ce que sa situa- 
tion lui permet; il est, certes, par le fait même que l'attaque 
est multiple, en grand danger d'être battu à plates coutures ; 
mais Tinfluence de chaque défaite sera aussi faible que pos- 
sible sur le résultat général, et, ce qu'on aura perdu d'un 
côté, on le retrouvera très probablement de l'autre. Nous 
disons « très probablement » parce que nous avons supposé 
que la tâche entreprise convenait surtout à une attaque en 
plusieurs colonnes. 

Pour satisfaire plus facilement à ce premier principe, nous 
demandons, au nom du second, la plus grande distance pos- 
sible entre les deux colonnes ; il est clair que chacune d'elles 
sera d'autant plus indépendante qu'elle sera plus éloignée de 
l'autre et de son ennemi; de plus, le défenseur ne peut 
manœuvrer en lignes intérieures par une navette vertigineuse 
de sa masse centrale, que si les dislances n'en sont pas par 
trop grandes. 



CONSIDÉRATIONS . 237 

Essayons d'appliquer ces principes à l'attaque contre Bona- 
parte sur TAdige, et nous trouverons que les circonstances 
particulières s'opposaient à l'une et à Tautre. 

D'abord, la zone de manœuvre des Français est d'une force 
tout exceptionnelle. Elle n'est nullement enveloppée par la 
base de l'assaillant; si nous faisons abstraction, pour un 
instant, de la route qui longe le lac de Garde à l'ouest, son 
développement de Peschiera par Vérone et Legnago n'est que 
de neuf milles, c'est-à-dire bien peu de chose. On ne peut 
pousser une attaque en aval de Legnago, parce que de nom- 
breux cours d'eau viendraient l'embarrasser et rendraient sa 
retraite sur le Frioul très précaire. Sur ce front, déjà étroit, 
se trouvent encore les places fortes de Vérone et Legnago qui 
ne peuvent pas être assiégées tant qu'il y a un corps ennemi 
derrière elles. L'accès de l'Adige est gêné en partie par des 
marais, comme en amont de l'Alpon; le fleuve lui-même ne 
peut être franchi sans ponts de bateaux. On trouve encore, 
entre l'Adige et le Mincio, 5 ou 6 petits cours d'eau parallèles, 
comme le Tartaro, le Tione, la Molinella, dont les bords sont 
en partie marécageux et qui peuvent être facilement défendus. 
La route qui descend du Tyrol, le long de l'Adige, est barrée 
d^un côté par la Chiusa, de l'autre, par la position de Rivoli ; 
et ces points, môme après avoir été enlevés, constituent tou- 
jours un défilé qui peut être intercepté par une troupe déta- 
chée de Vérone, en arrière de l'assaillant ; la retraite de celui- 
ci se trouve alors coupée, ou peu s'en faut. 

Ainsi, une colonne autrichienne qui aurait enlevé la position 
de Rivoli ne peut guère s'aventurer que jusqu'à Castelnovo, 
tant qu'elle court le risque de rencontrer des forces supé- 
rieures; qu'elle soit battue par celles-ci en continuant son 
mouvement sur Mantoue, et l'ennemi aura eu le temps de se 
porter de Vérone sur le haut Adige ; comme on ne peut pas 
se retirer par le Monte Baldo avec de l'artillerie et qu'il faut 
ramener l'infanterie elle-même sur l'Adige par un détour, un 
corps à qui on a coupé la route de la vallée sera facilement 
contraint à poser les armes. Si donc une colonne autrichienne 



238 CHAPITRE LX. 

continue sa marche sur Mantoue tant que rien ne Tarrête, elle 
s'expose à de grands dangers. 

Nous voyons, en outre, que le second principe n'est pas 
applicable, car le passage sur TAdige ne peut avoir lieu qu'en 
amont de Legnago ; or on y serait tellement près de la gauche 
française, si elle s'était retirée sur Casteinovo ou Villafranca, 
que le général français pouvait y aller et en revenir avec sa 
masse centrale avant que la colonne dirigée sur Legnago n'eût 
ie temps de passer, de se frayer un chemin jusqu'à Mantoue 
en franchissant tous les autres petits cours d'eau, et de battre 
le corps d'investissement. 

On peut avoir l'idée de faire passer la colonne du Tyrol non 
par la vallée de l'Adige, mais par la rive occidentale du lac 
de Garde ; mais alors, de deux choses l'une : ou bien on 
tiendra en même temps la vallée de l'Adige, ce qui laisse une 
partie des forces inutilisées pour l'attaque, ou bien la retraite 
de cette colonne sera très compromise, et, de toute façon, la 
séparation par le Mincio ne sera réalisée qu'au profit de la 
défense. 

Ces considérations font donc écarter toute idée d'attaque 
en plusieurs colonnes; elles amènent à rassembler les forces 
le plus possible, et cela d'autant mieux qu'on tiendra plus à la 
seconde partie de la tâche, a la victoire décisive. 

Prenons en considération, en outre, les qualités des deux 
armées et de leurs chefs, l'habileté et la résolution du général 
français, la rapidité foudroyante de ses mouvements, l'endu- 
rance inouïe de la troupe, l'habitude de la victoire, la con- 
fiance en soi et dans la fortune qu'avaient l'armée et son 
chef; on n'en sera que plus convaincu que les Autrichiens 
auraient dû adopter les dispositions les plus simples, car 
celles-ci ne visent guère que le succès dans la bataille déci- 
sive, et il est clair que si: les troupes autrichiennes pouvaient 
équilibrer dans une certaine mesure les avantages de toute 
sorte qu'avaient les Français par d'autres qui leur fussent 
propres, ce ne pouvait être que dans une grande bataille où 
de grandes maisses de troupes auraient été engagées. 



CONSIDÉRATIONS. 239 

' L'auteur du plan d'opérations autrichien pouvait faire toutes 
ces réflexions ; il n'aurait pas Compté simplement sur la com- 
plication du plan et l'agencement de ses parties pour aug- 
menter ses forces ; c'est un résultat qui ne se produit jamais, 
à moins de circonstances très particulières; son plan aurait 
alors consisté à rassembler une armée de 40,000 hommes 
dans la plaine d'Italie, pour se porter contre Bonaparte ; il lui 
aurait arraché la victoire dans une bataille simple mais vigou- 
reuse et soutenue jusqu'au dernier homme. Nous disons une 
bataille simple, parce que nous tenons cette appellation pojr 
éminemment stratégique. Nous entendons par là une bataille 
qui n'a en vue que la victoire pure et simple, qui ne cherche 
pas à augmenter le succès par des combinaisons, par de 
grands mouvements tournants, etc.; cette augmentation du 
succès n'a jamais lieu qu'aux dépens do sa certitude ; et celle- 
ci n'était déjà pas trop grande ici. 

Du reste, dans ce cas, une victoire simple remplissait par- 
faitement tous les objets, car Bonaparte, une fois battu, on ne 
pouvait manquer, en apportant l'énergie voulue à exploiter 
le succès, de délivrer Mantoue et de reconquérir le Milanais. 

Nous n'entendons point ici que la bataille aurait dû être à 
fronts parallèles, car, à notre avis, ce n'est pas la forme qui 
donne le plus de chances de vaincre. Nous nous perdrions ici 
dans une discussion tactique qui sort de notre sujet, si nous 
voulions nous expliquer davantage sur ce point; tenons-nous- 
en à cette remarque, faite simplement pour écarter toute 
fausse interprétation. 

Les Autrichiens ayant résolu de descendre du Tyrol dans 
la plaine en deux colonnes, voyons comment ils ont compris 
l'exécution, pour la comparer avec celle qui fût résultée de 
nos principes. 

Ils ont agi manifestement à l'encontre de ceux-ci. 

Âlvinzi cherche à se rapprocher le plus vile possible de 
Davidovitfh, et, quand il arrive près de lui, il est à bout de 
forces. Vérone, l'Adige et l'armée française les séparent; 
chacun d'eux attend l'autre, et personne ne comprend com- 



240 CHAPITRE LX. 

ment ils auraient pu se tirer d'affaire. On voit parfois de 
petits insectes, qui, inquiets, font quelques pas en courant, 
puis restent immobiles quelques instants, et dont la faible et 
confuse intelligence ne pourrait pas expliquer le pourquoi 
de l'un ni de l'autre: telle fut la marche hésitante de Davido- 
vitch et d'Alvinzi. Enfin, Alvinzi passe de son offensive à une 
espèce d'hésitation, qui ne pouvait rien donner de bon. Il est 
réduit à la défensive ; sûr de son sort comme le spadassin 
vaincu sur qui le glaive est suspendu et va infailliblement 
s'abattre, il reste indécis et laisse son adversaire tourner 
autour de lui jusqu'à ce qu'il ait trouvé le défaut de la cui- 
rasse. 

D'après nos principes, Alvinzi aurait dû se porter sur 
Legnago par Padoue et il aurait fallu que son arrivée à 
Legnago coïncidât à peu près avec la prise de Rivoli par 
Davidovitch. Tous deux devaient prendre Mantoue pour but 
de leurs opérations et avancer avec la dernière énergie tant 
qu'il leur resterait un espoir de vaincre. Cette prescription 
bien simple était la seule pratique, et, si elle faisait courir des 
dangers, elle donnait du moins en échange quelques chances 
de réussite qu'on n'avait pas autrement. 

Supposons d'abord que la masse centrale de Bonaparte fût 
victorieuse quoi qu'on Rt ; il pouvait se présenter les cas sui- 
vants: 

1® Les deux colonnes auraient été battues l'une après 
l'autre par le gros des forces françaises. 

Dans ce cas, l'opération était manquée. Pourtant, il était 
bien différent que le premier battu fût Alvinzi ou Davi- 
dovitch. 

m 

Etait-ce Alvinzi et se trouvait-il hors d'état de faire quelque 
chose pour aider à la retraite de Davidovitch, celui-ci se 
trouvait, nous l'avons déjà montré, dans une très mauvaise 
situation, et pouvait être contraint de poser les armes. 

Au contraire, si Davidovitch était le premier battg, le corps 
d'Alvinzi, intact, suffisait à assurer la retraite, car Bonaparte 
n'avait pas de temps à perdre pour se porter contre Alvinzi. 



CONSIDÉRATIONS. 24i 

2^ L'un des généraux pouvait être battu, pendant que 
l'autre délivrait Mantoue. 

Il y a encore ici une distinction assez importante à faire. 

Supposons Alvinzi battu et Davidovitch à Mantoue, ce der- 
nier n'avait d'autre ressource, après avoir rallié Wurmser, et 
porté ainsi son effectif à 30,000 hommes, que de se retirer 
par Governolo, soit pour rejoindre Alvinzi à Castel Baldo, soit 
pour se tourner, comme pis aller, vers Ferrare, comme l'em- 
pereur lui-même le prescrivit ultérieurement à Wurmser. 

Était-ce, au contraire, Davidovitch qui essuyait la défaite, 
Alvinzi réuni à Wurmser pouvait attaquer le gros des forces 
françaises engagé contre Davidovitch, et livrer une seconde 
bataille, entre TAdige et le Mincio, dans des circonstances 
favorables. 

Nous voyons donc que, dans l'un ou l'autre cas, il était tou- 
jours plus avantageux pour les Autrichiens que Bonaparte 
portât d'abord sa masse centrale sur Davidovitch : celui-ci fai- 
sait une espèce de diversion ; il ne fallait cependant pas que 
cela conduisît à lui donner trop d'avance sur Alvinzi ou à 
ralentir ce dernier ; l'essentiel, quand on marche en plusieurs 
colonnes, est d'agir constamment rf'accorrf(l). 

Nous voyons donc qu'avec nos dispositions, il pouvait se 
présenter deux cas principaux : il y en avait un où les Autri- 
chiens manquaient leur but, mais il en restait un, du moins, 
où ils arrivaient à délivrer Wurmser ; et, même si les Français 
étaient vainqueurs, il restait aux Autrichiens une chance 
d'atteindre la première partie de leur desideratum. 

II reste bien trois cas qui ne rentrent pas dans la discussion 
que nous venons de faire : 1® d'abord, une des colonnes pouvait 
dégager Wurmser, pendant que l'autre avait la chance d'être 
assez habile pour éviter la bataille ; 2* le gros de l'armée fran- 
çaise pouvait être battu; 3® Bonaparte pouvait empêcher 



(1) C'est assez difficile à concilier avec le principe fondamental énoncé 
plus haut, que les diverses colonnes doivent agir d'une manière absolu- 
ment indt^pendante, et sans se préoccuper Tune de l'autre. 

16 



942 CHAPITRE LX. 

Tune et l'autre colonne de rallier Wurnaser, mais sans s'op- 
poser à leur jonction avant la bataille décisive. 

De ces trois cas, le premier augmente les chances de succès ; 
on atteint le premier objectif sans le payer d'une défaite, et on 
a le moyen d'atteindre ensuite le second : la victoire sur 
Bonaparte. 

Le second cas est plus avantageux encore ; il revient à 
atteindre les deux buts. 

Le troisième cas est tout au moins un très bon achemine- 
ment vers le succès complet; il comporte une bataille que les 
Autrichiens livreraient à Bonaparte avec toutes leulrs forces 
réunies sous les murs de Mantoue. 

Nous concédons volontiers que ces trois derniers cas étaient 
peu probables ; pourtant, on ne peut pas les exclure complè- 
tement de la discussion. 

En résumé, nous croyons avoir montré que, s'il fallait abso- 
lument que l'offensive des Autrichiens se fît en deux colonnes, 
les dispositions déduites de nos principes auraient toujours 
donné la perspective d'un succès plus ou moins grand ; au 
contraire, celles qu'adoptèrent les Autrichiens étaient sans 
issue. 

. Nous avons supposé dans cette discussion que Bonaparte 
resterait dans sa zone de manœuvre entre l'Adige etleMincio, 
parce que nous pensons que c'était la meilleure conduite à 
tenir. Mais, que Bonaparte commit la faute (qu'il commit en 
réalité) d'aller assez loin au-devant des Autrichiens, jusqu'à 
la Brenta, par exemple, Alvinzi n'avait aucun avantage à le 
pousser énergiquement ; son intérêt était, au contraire, de 
rester le plus longtemps possible loin de Mantoue, car Davi- 
dovitch pouvait alors dégager la place sans grand danger; 
Alvinzi pouvait perdre une bataille contre Bonaparte sans 
empêcher Davidovitch de délivrer Wurmser et de rentrer 
ensuite dans le Tyrol. Bonaparte se porta en réalité le 5 jus- 
qu'à Bassano, au-devant des Aulrichiens, mais, le 6, il reconnut 
son erreur et revint vivement à Vérone. 



CON SIDÈRATION S . 243 

La direction de Vérone paraît avoir été choisie par le 
général autrichien dans la conviction que Bonaparte se Telirait 
tout à fait, ou s'était porté en masse contre Davidovitch. Dans 
le premier cas, Alvinzi voulait se réunir le plus tôt possible à 
Davidovitch, ce qui était alors assez indifférent; dans le cas 
contraire^ il espérait amener Bonaparte à se retirer en enle- 
vant Vérone ou en passant TAdige près de cette ville. Quelle 
folle espérance ! Mais les Autrichiens ont toujours commis la 
même faute dans cette guerre; ils ont été plus préoccupés 
d'exploiter que d'acquérir ; leur plan était conçu eo vue de ce 
qu'ils entreprendraient à la suite de la victoire, plutôt que de 
la victoire même. L'enveloppement complet d'un général, 
c'est sa perte s'il est vaincu ; mais, tant qu'il ne l'est pas, il 
n'en résulte rien, si ce n'est peut-être quelque avantage pour 
lui ; ou bien alors, c'est que son armée est d'un tempéra- 
ment particulièrement faible, ou déjà ébranlée par quelque 
terreur panique. Les Autrichiens ne saisissaient pas cette dif- 
férence et ne reconnaissaient pas l'influence du facteur 
moral ; aussi visaient-ils toujours au delà du but avec aussi 
peu de mesure. 

Combien il eût été plus naturel qu'Ai vinzi, arrivé à Villanova, 
au lieu de marcher sur Vérone, tournât à gauche, sur Alba- 
redo, pour franchir brusquement l'Adige. Le voyant sur la 
rive droite de l'Adige, Bonaparte ne pouvait guère s'en éloi- 
gner; Davidovitch pouvait pousserjusqu'auprès de Villafranca, 
et c'est là plutôt qu'à Vérone qu'on pouvait songer à se 
réunir avant la bataille. 

La conduite de Bonaparte nous paraît beaucoup moins 
admirable dans ce 4* acte que dans les trois précédents. 

La marche sur Bassano était une erreur complète, l'attaque 
du 6 une demi-mesure; celle du 12, àCaldiero, ne valut guère 
mieux, car il est peu admissible que l'on ne pût prendre la 
position autrichienne, en flanc, d'aucun côté ; la marche sur 
Ronco aurait pu être quelque chose de sublime, et elle entraîna 
Bonaparte dans les difTicultés les plus graves. Quant à la 
bataille d'Arcole, nous en avons déjà parlé. 



244 CHAPITRE LX. 

Si, malgré tout, il sortit encore vainqueur de la lutte, il le 
dut au plan et aux dispositions compliquées des Autrichiens, 
puis à son courage et à son opiniâtreté, mais point à son 
habileté. Aussi, la victoire fut-elle simplement négative et ne 
procura-t-elle aucun trophée ; les Autrichiens renoncèrent à 
leur projet, mais prirent position derrière la Brenta. 



CHAPITRE LXI 



Deuxième offensive d'Alvinzi 
Situation politique. 



La bataille d'Arcole flnit le 17 novembre; la victoire de 
Rivoli, qui termina le S* acte de la campagne, eut lieu le 
14 janvier ; il y eut donc, entre elles, un intervalle de deux 
mois environ, pendant lequel la paix régna dans le théâtre 
d'opérations d'Italie. 

Ce repos s'explique aisément de la part de Bonaparte. Il à 
les mêmes raisons qu'après la bataille de Bassano pour ne 
rien entreprendre en dehors du blocus de Mantoue, Les Autri- 
chiens employèrent ce repos à renforcer encore leur armée. Ce 
n'est qu'après ce laps de temps qu'ils eurent achevé leurs pré- 
paratifs; leur armée fut remise sur le pied de 40,000 hommes 
environ, comme dans la première offensive d'Alvinzi, de sorte 
que les renforts n'ont guère dû dépasser les pertes, et furent 
de 8,000 à 10,000 hommes. 

La tranquillité du théâtre d'opérations le lui permettant, 
Bonaparte se remit à s'occuper de la situation politique de 
l'Italie. 

D'une façon générale, le Directoire désirait vivement la 
paix, car la nation la voulait, et lui-même avait besoin de 
consolider son gouvernement. Il montrait par conséquent 
beaucoup d'appréhension a s'engager le moins du monde 
envers les provinces italiennes au sujet de leur indépendance ; 
il pensait à les rendre à l'Empereur en échange de la Bel- 



246 CHAPITRE LXI. 

gique. Il ne pouvait pas davantage en offrir d'avance une 
partie à la Sardaigne pour prix d'un contingent, ou au duché 
de Parme, pour conclure une alliance offensive avec TEspagne. 

Bonaparte pensait là-dessus plus hardiment. Il ne croyait 
pas la paix si nécessaire ; il souhaitait que Tarmée française 
fût renforcée de 10,000 Espagnols et 10,000 Piémontais, et 
croyait aussi qu*on pouvait avoir les 10,000 Albanais levés 
par Venise. On pourrait dès lors faire la paix dans des condi- 
tions bien plus favorables. Il pensait, du reste, qu'il n'y avait 
pas besoin de concessions pour acheter l'alliance des deux 
royaumes ; il suffisait largement de garantir le maintien ulté- 
rieur des gouvernements de Turin et de Parme, qui n'avaient 
de recours qu'en l'alliance française, et de calmer les intrigues 
révolutionnaires. D'ailleurs, il répondait à ceux qui voulaient 
républicaniser toute l'Italie, et aux yeux de qui une alliance 
monarchique était un acte rétrograde, que la Sardaigne ne 
tiendrait pas longtemps entre les répubUques ligurienne, cis- 
padane, lombarde et française, et qu'on pouvait laisser sa 
chute se produire parla force des choses, sans en faire un acte 
politique de la France. « L*jalliance de la France avec la Sar- 
daigne, c'^st un géant qui embrasse un pygmée ; s'il l'étouffé, 
c'est contre sa volonté, et par le seul effet de la différence 
extrême de leurs organes. » Mémoires de Napoléon^ tome III, 
page 348. 

C'est en pensant à continuer la guerre qu'il favorisait l'essor 
de la Cispadane, et qu'il eût favorisé volontiers celui de la 
République lombarde, si le Directoire n'avait pas fait trop 
d'opposition sur ce point. Les Français, en occupant Bologne 
et Fen^are, et en restant maîtres de ces provinces pendant la 
trêve avec le pape, y avaient institué des gouvernements pro- 
visoires, par lesquels il semblait qu'on eût formé des États 
provisoires, Reggio, qui appartenait au duc de Modène, s'était 
mis dans la môme situation par une véritable révolution, et 
l'armée française l'avait toléré. Restait Modène, où se produi- 
saient quelques troubles, vraisemblablement imputables aux 
Français. Le duc se tenant à Venise, Bonaparte, qui lui était 



DEUXIÈME OFFENSIVE D^ALVINZI. 247 

particulièrement hostile (i), décida de rompre l'armistice sous 
prétexte que la régence avait fourni des vivres à Mantoue. 
Les députés de ces quatre provinces se réunirent en un con- 
grès où Ton devait former, du tout, la République cispadane. 

Le Directoire n'était peut-être pas tout à fait d'accord avec 
Bonaparte pour agir de la sorte, mais il n'avait pas le courage 
de résister a ce général et aux démocrates exaltés qui l'entou- 
raient. Milan dut se contenter, il est vrai, de son gouverne- 
ment provisoire, mais Bonaparte en eût fait volontiers, dès 
lors, une République lombarde. 

Les négociations avec le pape semblaient sur le point de 
prendre fin. Le saint-père continuait à armer et faisait 
rebrousser sur Rome les voitures portant la contribution 
de quinze millions de francs. Bonaparte réunit 3,000 hommes 
de troupes françaises et 4,000 Italiens, avec lesquels il voulait 
menacer et au besoin prendre Rome, s'il ne pouvait obtenir 
la paix autrement. 

Pendant que Bonaparte s'occupe ainsi à Bologne de la 
situation des États italiens, le Directoire envoie en Italie le 
général Clarke, pour aller de là à Vienne proposer un armis- 
tice à l'empereur et entamer les négociations préliminaires en 
vue de la paix. 

La cour de Vienne refuse les passeports à cet ambassadeur, 
en se basant sur ce que le gouvernement anglais a envoyé à 
Paris lord Malmesbury pour traiter de la paix, et que l'Au- 
triche présente ses conditions avec celles de l'Angleterre par 
l'intermédiaire de ce dernier. L'empereur envoie cependant 
son aide de camp le baron Vincent à Vicence, pour y traiter 
d'un armistice avec le général Clarke. 

Bonaparte s'oppose a tout armistice qui ne comporte pas la 
reddition de Mantoue ; mais Clarke, dans l'esprit du Directoire, 



(1) L'hostililé apparente de Bonaparte vis-à-vis du duc de Modène 
s'explique naturellement parce que l'État de Modène était nécessaire à la 
future république italienne pour séparer le Piémont de Tltalle centrale et 
avoir un port dans la mer tyrrhénienne. 



248 CHAPITRE LSI. 

croit pouvoir prendre pour base le statu quo. Auquel des deux 
adversaires eût proQté un pareil armistice ? c'est une question 
qui nous regarde d'autant plus qu'elle a un caractère bien 
stratégique, et il est impossible de ne pas répondre avec Bona- 
parte : aux alliés, 

La tête de pont de Kehl fut prise dans les premiers jours 
de janvier, au moment où commençaient les négociations de 
Vicence ; il était donc très douteux qu'un armistice, sur la base 
du statu quo, laiss&t ce passage aux Français. Un apport 
journalier de vivres à Mantoue, inévitable pendant Tarmistice, 
pouvait, si ce dernier durait plusieurs mois, être mis à proQt 
pour reconstituer les approvisionnements de la place pour un 
temps beaucoup plus long. En général, un armistice est favo- 
rable à celui qui a les blessures les plus profondes à panser, et 
ici c'étaient les Autrichiens. L'heureuse issue de la campagne 
n'avait pas sufG à les ramener sur leurs emplacements du 
début en Allemagne, et en Italie ils avaient perdu toute la 
Lombardie ; dès que Manloue aurait capitulé, il faudrait s'at- 
tendre à voir Tennemi aux portes des États héréditaires. Les 
blessures de Gastiglione, Bassano et Arcole saignaient encore ; 
joints à de nouveaux succès des Français, les effets des pre- 
mières victoires formeraient un total énorme. Enfin, un armis- 
tice de trois à quatre mois faisait gagner aux Autrichiens le 
temps de se renforcer par de nouvelles alliances ; les négocia- 
tions avec les États italiens, aussi bien qu'avec la Russie, en 
donnaient l'espérance. 

Le gouvernement français n'avait donc d'autre intérêt à 
conclure l'armistice que la perspective de la paix ; mais cette 
paix, l'Autriche et l'Angleterre n'en voulaient pas à cette 
époque ; le sacrifice par lequel l'Autriche l'aurait achetée leur 
semblait trop lourd ; la possession de la Lombardie reposait, 
pour ainsi dire, sur la pointe d'une épée, car une seule vic- 
toire suffisait à la reprendre ; dès lors, en se procurant de 
nouvelles alliances, on pouvait nourrir Tespoir de reconquérir, 
en continuant la guerre, tout ce qui avait été perdu. 

L'épuisement visible de la force d'expansion révolutionnaire, 



DEUXIÈME OFFENSIVE D'ALVINZI. 249 

rinstabUité du gouvernement français, ne contribuaient pas peu 
à entretenir ces dispositions. Ils avaient eu, sans aucun doute, 
une part prépondérante dans les considérations qui avaient 
motivé l'envoi de lord Malmesbury. Le gouveraement anglais 
voulait connaître la situation des partis en France ; il voulait 
avoir des nouvelles fraîches des expéditions en Irlande pro- 
jetées parle gouvernement français ; ces dispositions paciBques 
apparentes devaient surtout nuire au Directoire aux yeux des 
Français désireux de la paix, et servir en même temps de jus- 
tification aux yeux du Parlement anglais, de manière à le 
décider au vote des subsides. 

Ni les démarches de lord Malmesbury, ni celles du général 
Clarke n'aboutirent. Le premier fut renvoyé le 19 décembre 
par le Directoire, et les négociations de Vicence furent rompues 
par la nouvelle offensive des Autrichiens. 

L'expédition en Irlande consistait à débarquer 15,000 
hommes sous le commandement du général Hoche, pour sou- 
tenir la révolte des catholiques qui était prête à éclater. 

Cette expédition mit à la voile au milieu de décembre, et 
fut en peu de jours si bien dispersée par les vents, qu'il fallut 
y renoncer complètement. 

Le gouvernement français aurait bien mieux fait d'envoyer 
ces 15,000 hommes en Italie, où ils auraient procuré des résul- 
tats certains, que de les gaspiller pour une entreprise aussi 
aléatoire ; même en cas de succès, elle n'aurait pu avoir d'in- 
fluence sur la situation du continent, où les Anglais n'avaient 
pas de troupes. 

Cette expédition appartient évidemment à la catégorie des 
diversions ; l'attrait qu'ont les diversions pour la plupart des 
hommes d'État provient de ce qu'elles ne rentrent pas dans la 
catégorie des opérations simples et naturelles, mais dans celle 
des plans compliqués dont on se promet sans raison bien plus 
d'avantages. Au contraire, les diversions ne sont utiles que 
dans certaines circonstances très particulières, hors desquelles 
elles sont toujours funestes; d'abord, parce qu'elles font faire 
un détour à des forces qui auraient pu agir par le plus court 



250 CHAPITRE LXI. 

chemin, et deuxièmement parce qu'elles ne servent qu'à 
réveiller chez Tennemi des forces qui dormaient. On pouvait 
peut-être juger que Tlrlande catholique était mûre pour la 
révolte, et qu'elle se trouvait dans le cas où une diversion est 
avantageuse ; mais la France n'y gagnait rien que de tenir les 
forces de l'Angleterre plus occupées ; au contraire, les Français 
auraient été très embarrassés si l'Irlande était devenue réelle- 
ment indépendante ; ils ne pouvaient y trouver l'équivalent de 
leurs colonies perdues, ni la séparer complètement de l'Angle- 
terre, parce que c'était rendre toute paix impossible. 



CHAPITRE LXII 



Plan d'opérations des Autrichiens. 



Bonaparte avait reçu quelques renforts ; il avait non seule- 
ment réparé ses pertes, mais atteint l'effectif de 47,000 hommes. 

Les emplacements occupés par ses troupes pendant cette 
période de repos étaient les suivants : 

Division Joubert, à Rivoli 10,000 hommes. 

— Masséna, à Vérone 9,000 — 

— Sérurier, devant Mantoue 10,0u0 — 

— Augereau à Legnago et environs. 9,000 — 

— Rey, à Desenzano 4,000 — 

— Victor (réserve), à Goïto 2,000 — 

— Réserve de cavalerie 700 — 

— Lannes, à Bologno 2,000 — 

Total 46,700 hommes. 

Les Autrichiens avaient ramené leur effectif à 45,000 hommes, 
dont 42,000 seulement étaient disponibles ; ils avaient peut-être 
consacré 3,000 hommes à une couverture quelconque, ce qui 
faisait autant de moins à Tarmée d'opérations. 

Le plan qu'ils allaient suivre était en quelque sorte l'inverse 
du précédent. Ils voulaient encore s'avancer en deux colonnes 
distinctes, par l'Adige et par la plaine ; mais, celte fois, 
l'armée principale, sous le commandement du général Alvinzi, 
attaquerait les positions françaises de la Corona et de Rivoli, 
et se porterait par la vallée de TAdige sur Mantoue ; un corps 
plus faible, de 14,000 hommes, s'avancerait dans la plaine, 
divisé lui-même en deux colonnes : Tune de 5,000 hommes, 
sous le général Bayalitsch, marchant sur Vérone; l'autre de 



252 CHAPITRE LXII. 

9,000 hommes, soas Provera, marchant par Padoae sur 
Legnago. 

La colonne qui opérait dans la plaine devait sorlout attirer 
sur elle Tattention de Tennemi, et le retenir autant que pos* 
sible sur TAdige inférieur, tandis que le gros des forces autri- 
chiennes battrait et détruirait la division firançaise établie daos 
la montagne. Les deux colonnes principales devaient, du reste, 
marcher indépendamment Tune de Tautre et sans trêve sur 
Mantoue, pour y rallier le général Wurmser. On avait envoyé 
à ce général, par un courrier (qui tomba aux mains des Fran- 
çais), un ordre de Tempereur prescrivant de prendre comme 
pis aller la direction de Ferrare et des États de TÉglise, où il 
serait bien accueilli. 

Nous renverrons nos observations sur ce plan à la fin de 
celte période ; contentons-nous de remarquer qu'on espérait 
occuper une partie des forces françaises au moyen des troupes 
pontificales, auxquelles on avait envoyé des généraux et des 
officiers autrichiens. Les troupes levées par le pape se mon- 
taient à 1S,000 hommes; si elles avaient tenu 5,000 à 
6,000 Français éloignés du théâtre d'opérations de TAdige, 
c'eût été déjà d'une certaine importance. Mais Bonaparte, 
plein du mépris le plus complet pour tous ces armements, ne 
parait avoir laissé que 1000 hommes du côté de Bologne, avec 
les 4,000 Italiens tirés du Milanais. Jamais personne n'a 
mieux su faire abstraction des objectifs secondaires pour por- 
ter le plus de forces possible au point essentiel. 



CHAPITRE LXIII 



Bataille de Rivoli, les 14 et 15 Janvier. 



Les Autrichiens réglèrent leurs mouvements de manière 
que la colonne de Provera arriva le 9 devant Legnago ; son 
avant-garde, commandée par Hohenzollern, avait eu, le 7 et 
le 8, un combat assez vif avec celle d'Âugereau à Bevilacqua ; 
d'autre part, Ja colonne de Bayalitsch n'arriva que le 12 de- 
vant Vérone, et c'est le 12 aussi que devait avoir lieu l'attaque 
des positions de Joubert. Cette avance de l'aile gauche était 
sans doute calculée pour lui faire mieux remplir son rôle de 
diversion ; mais elle eut naturellement le résultat contraire ; 
car plus Provera resta en contact avec Augereau, et mieux on 
put connaître sa véritable force et ses intentions. 

Le choc principal eut donc lieu sur la position de Joubert, 
à La Corona et Rivoli. 

On peut considérer la position de La Corona, nous l'avons 
déjà dit, comme l'avant-ligne naturelle de celle de Rivoli. 

La position de Rivoli est une partie du Monte Magnone 
sorte de terrasse par laquelle le Monte Baldo s'étend vers 
l'Adige. La position de La Corona est une coupure abrupte 
où coule un torrent qui, descendant du Monte Baldo, se jette 
dans l'Adige à Ferrara, près de Brentino. La rive droite de ce 
ruisseau a un commandement sérieux sur l'autre ; elle présente 
une berge élevée et à pic, et, entre Ferrara et Brentino, on ne 
peut la gravir que par un sentier â gradins. 

Comme nous l'avons déjà dit, la position de Rivoli elle- 
même est un plateau séparé du Monte Baldo par la vallée de 
Caprino, qui a une largeur d'environ 2,000 pas ; elle se relie 



254 CHAPITRE LX11I. 

à la crête du Monte Magnone près de TAdige, et celte crête, 
se prolongeant au delà de San-Marco, où se fait la liaison, 
jusqu'à Osteria, marque le revers de la position. A Osteria, 
elle s'arrête brusquement sur TAdige ; la route de la rive 
droite cesse alors de descendre la vallée et gravit le plateau 
près d'Osteria ; c'est donc TAdige seulement qui longe les 
derrières de la position à partir de là. La position elle-même 
•est constituée par un double demi-cercle de hauteurs assez 
insignifiantes. Le cercle extérieur prend à San-Marco, où se 
trouve l'aile droite de la position, et il revient sur TAdige, en 
aval de Rivoli, en formant le Monte Pipolo. 

Ce demi-cercle a un développement de trois lieues, avec 
une lieue de diamètre ; le village de Rivoli est situé juste au 
centre. 

Un deuxième bourrelet, séparé du premier par une étroite 
dépression, forme un autre demi-cercle ; celui-ci se relie par 
sa droite à la crête du Monte Magnone, entre San-Marco et 
rOsteria, tandis que sa gauche court vers Rivoli. 11 a environ 
une lieue de développement. 

Ces deux bourrelets ne sont rien moins que réguliers, mais 
brisés et parfois dédoublés en plusieurs autres; ils ont, en 
général, une crête étroite et une pente plus raide vers Tinté- 
rieur que vers l'ennemi; cette position ressemble par là, 
comme par bien d'autres côtés, à celle de Landshut. Dans le 
bourrelet extérieur, c'est la partie comprise entre San-Marco 
et le village de Trombalore, qui forme le véritable front pen- 
dant une grande demi-lieue. C'est la, en effet, que viennent 
aboutir la plupart des petits chemins et sentiers venant de la 
Corona et du Monte-Baldo. San-Marco en forme l'aile droite; 
rOsteria fournit un solide point d'appui en retour. Le reste de 
ce cercle extérieur, depuis Trombalore jusqu'au Monte Pipolo 
ne peut être considéré que comme un emplacement pour les 
réserves, si nous pouvons nous exprimer ainsi, sur lequel on 
placerait ses troupes aux points où l'ennemi chercherait à 
tourner la position principale. Le cercle intérieur est une posi- 
tion de repli ; mais, situé à 1000 pas en arrière du premier, 



BATAILLÉ DE RlVOLt, LES i4 ET 15 JANVIER. 255 

et dominé par lui, il ne paraît pas être dans de bonnes condi- 
tions de défense. 

Les voies par lesquelles le défenseur peut venir de Vérone 
et Caslelnovo convergent sur Rivoli par Orza et Colombaro, 
laissant le Monte Pipolo à leur droite. Juste en face du Monte 
Pipolo, sur la rive gauche de TAdige, se trouve la Chiusa, 
qui, comme nous l'avons dit, ferme hermétiquement la route 
pirincipale qui suit la rive gauche du fleuve. 

La force de cette position de Rivoli consiste surtout en ce 
que Je défenseur peut y accéder par Orza et Colombaro avec 
des colonnes de toutes armes, et, par conséquent, faire usage 
des trois armes ; l'assaillant, au contraire, ne peut pas en 
approcher avec de l'artillerie de campagne par les quatre oii 
cinq chemins de la Corona et du Monte Baido ; il ne peut donc 
se munir que d'artillerie de montagne, qui ne comporte jamais 
qu'un petit nombre de pièces, et de petit calibre ; il ne peut 
pas non plus avoir beaucoup de cavalerie, et il ne reste à ces 
deux armes que la route de la vallée avec la montée de l'Os- 
teria qu'il est à peu près impossible de forcer. 

Il faut donc engager le combat presque uniquement avec de 
l'infanterie ; il faut que celle-ci soit très supérieure en nombre 
à son adversaire pour compter sur un bon résultat. Joubert, dis- 
posant de 10,000 hommes, n'avait d'abord occupé la Corona 
qu'avec deux milliers d'hommes, et gardé le reste de sa division 
cantonné dans la vallée de Caprino. Quoique le général Jomini 
raconte le combat de la Corona comme si Joubert ne s'y était 
trouvé qu'avec son avant-garde, il semble pourtant résulter 
des relations originales qu'il a rassemblé toute sa division à 
la Corona dès l'arrivée des Autrichiens, afin de défendre 
d'abord cette position et de se battre une seconde fois à Rivoli ; 
mais les grands mouvements tournants des Autrichiens l'obli- 
gent, dès le 12, à renvoyer une partie de sa division à Rivoli 
pour garder cette dernière position. 

Alvinzi savait Bonaparte à Bologne, occupé de l'organisa- 
tion de la république cispadane; il croyait, en outre, que les 
colonnes engagées dans la plaine Axeraient exclusivement son 



256 CHAPITRE LXIII. 

attention et rindniraient en erreur sur le véritable point d*at- 
taque ; il espérait donc avoir le temps non seulement de bat- 
tre, mais d'envelopper si bien le général Joubert dans ses 
positions de la Corona et de Rivoli, qu'il l'obligerait à poser 
les armes. C'est dans cet ordre d'idées qu*il régla ses disposi- 
tions pour l'attaque. 

Alvinzi partagea ses 28,000 hommes en 6 colonnes ; la pre- 
mière, de 5,000 hommes sous le colonel Lusignan, passerait 
sur le versant occidental du Monte Baldo et par Lumini, pour 
prendre a revers non seulement la Corona, mais encore plus 
loin, par Pezzena, la position même de Rivoli. 

La 2* colonne, de 4,700 hommes sous le général Liptay, et 
la 3*, de 4,000 hommes sous le général Koblos, devaient péné- 
trer dans la montagne par les vallées latérales venant de 
Belluno et Avio, et attaquer la Corona, en partie de front, en 
partie sur le ilanc gauche. 

La 4* colonne, de 3,400 hommes, sous le général Otscbkay, 
devait suivre la 5* dans la vallée de TAdige en formant ré- 
serve, pour soutenir soit celle-là, soit les deux précédentes. 

La 5* colonne, sous le général Quasdanowitch, avançait par 
la rive droite de TAdige et devait attaquer la position de 
Rivoli par le défilé de rOsteria,'où la route grimpe sur le 
plateau. 

La 6« colonne, sous le général Wukassovitch, devait se 
porter par la grande route, c'est-à-dire par la rive gauche 
de TAdige, contre la Chiusa, tant pour enlever ce poste, que 
pour canonner la position de Rivoli par derrière. 

Les deux dernières colonnes comptaient, à elles deux, une 
dizaine de raille hommes, dont, sans doute, quelques milliers 
à peine à la sixième colonne; Quasdanowitch devait avoir 
7,000 à 8,000 hommes. 

Les trois premières colonnes n'avaient comme artillerie que 
2 pièces de montagne, et, en fait de cavalerie, que 20l) che- 
vaux, car elles s'avançaient par de simples sentiers ou che- 
mins forestiers, qui, à cette époque, étaient presque partout 
couverts de neige. 



BATAILLE DE RIVOLI, LES 14 ET IS JANVIER. 257 

La plus graade partie de rartillerie et les 1700 chevaux se 
trouvaient donc dans la vallée de TAdige avec les 5^ et 6® 
colonnes. 

Les colonnes se mirent en marche le 11 ; l'attaque devait 
être donnée le {2 à la Corona. 

Elle se produisit en effet le 12 de bonne heure. Les 2® et 
3* colonnes se trouvaient opposées aux Français du côté de 
Ferrara ; le générd Kôblôs attaqua, mais le général Liptay 
ne le soutint pas, parce qu'il voulait rester disponible en atten- 
dant la coopération de la l'® colonne. Or la l'« colonne, 
ralentie par les neiges, n'était pas aussi avancée qu'on l'avait 
espéré et sa coopération Ht défaut le 12 ; le général Joubert 
put ainsi se maintenir toute la journée sur sa position de la 
Corona ; il était encore à même de continuer la résistance le 13, 
lorsqu'il apprit pendant la nuit que la 1''* colonne était en train 
de tourner sa gauche ; il se décida donc, le 13 à quatre heures 
du matin, à se retirer sur Rivoli. Il fit cette retraite sans subir 
de pertes sensibles. 

Il reprit position à Rivoli, et y resta toute la journée, en 
attendant les ordres de Bonaparte, car les Autrichiens le sui- 
virent très lentement ; ils ne l'attaquèrent même pas, à pro- 
prement parler, de tout le jour. 

Alvinzi se voyait quelque peu déçu dans les espérances 
qu'il avait fondées sur ses dispositions du 12 ; il lui fallut 
toute la journée du 43 pour disposer ses troupes en vue de 
l'attaque du 14 contre la position de Rivoli. A cet effet, il 
poussa les 2" et 3* colonnes jusqu'au pied du Monte Baldo, 
près des villages de Caprino et S. Martine. La 1^^ colonne était 
arrivée à Lumini ; on ne dit nulle part où étaient arrivées les 
trois colonnes de la vallée de l'Adige. 

Joubert n'avait reçu dans le courant du 13 ni ordres ni 
renforts, et, pendant la nuit, il avait vu toutes les montagnes 
qui l'entouraient illuminées par les feux des Autrichiens ; il 
craignit donc d'être écrasé et peut-être complètement cerné le 
lendemain par des forces supérieures ; il résolut donc, à dix 
heures du soir, de commencer sa retraite par Campara sur 

17 



258 CHAPITRE LXUI. 

Castelnovo. Elle veDait de commencer quaud il reçat la nou- 
velle que BoDaparte allait arriver, ainsi que Tordre de se tenir 
en avant de Rivoli. Il revint aussitôt sur ses pas, et prit 
immédiatement en avant de Rivoli une position bien rassem- 
blée, tout en occupant avec son infanterie légère le bourrelet 
de hauteurs le plus voisin. 

Les colonnes autrichienpes avaient poussé leurs pointes jus- 
qu'au bourrelet extérieur, sur lequel on tirailla toute la nuit. 

Bonaparte était encore a Bologne quand il apprit, le 10, 
Toflensive des Autrichiens. Il court à Rouerbella, y donne ses 
ordres au corps d'investissement pour le cas où les AutrichieDs 
marcheraient sur la place, puis il se porte à Vérone, où il 
arrive le 12 dans Taprès-midi. Il trouve la division Masséna 
engagée dans un combat d'avant-postes avec Bayalitscb. II 
porte toute la division sur le général autrichien, le culbute 
avec des pertes considérables, et se convainct . ainsi aisément 
qu'il n*a pas affaire là à la masse principale de l'ennemi. 

D'autre part, il sait qu'Augereau est attaqué aussi, et ce 
n'est qu'a dix heures du soir qu'un rapport de Joubert lui 
donne la certitude que le gros des Autrichiens arrive par la 
montagne. Il ordonne à Augereau de ne se laisser entraîner 
dans aucun engagement décisif, porte la réserve de Victor à 
Villafranca, et part avec la division Masséna pour Rivoli, le 
13 au soir. 

La division Masséna comprend 5 demi^brigades ; mais, i! 
n'en emmène que 3 : les 75% 32* et;i8« (1) ; la 25* reste en 
face de Bayalitscb ; la mission de la 18« (2) n'est pas bien 
expliquée ; peut-être reste-t-elle aussi contre Bayalitscb. La 
réserve du général Rey, qui est a Desenzano, a reçu, le 12, 
l'ordre de se porter à Castelnovo, par où la division Masséna 
doit passer également. Le général Murât, partant de Salo, doit 
traverser le lac de Garde avec une demi-brigade de 600 



(1) 18« de bataille. 

(2) 18« légère. 



BATAILLE DB RIVOLI, LES H ET 15 JANVIER. 2S0 

hommes, débarquer à Torre, et prend1r«e les Autrichiens à 
revers. 

Bonaparte arrive ainsi dans la nuit du 43 au 14, avec envi- 
ron 12,000 hommes de renforts, ce qui, d'après lui-même, 
porte refTeclif des Français à 22,000 homme.s et 60 canons. 
Pendant ce temps, Alvinzi prend de nouvelles dispositions 
pour l'attaque du 14. 

Lusignan continuerait son mouvement tournant par Pezzena 
sur la rive droite du ruisseau appelé Tasso, qui sort de la 
vallée de Caprino; il marcherait ensuite dans la direction 
d'Affi, ce qui lui ferait, en effet, tourner la position, l'amène- 
rait près de la route par laquelle les renforts pouvaient venir 
de Vérone et Castelnovo. De la, il pourrait assaillir le plateau 
par son revers méridional, c'est-à-dire de manière à prendre 
à dos la position principale. 

Les 2« et 3* colonnes devaient se porter vers la partie sep- 
tentrionale du plateau ; Liptay par Caprino contre les hauteurs 
de Trombalore, c'est-à-dire contre la gauche de la position 
principale ; Kôblôs contre son aile droite, c'est-à-dire surtout 
contre San-Marco. Cette localité a des vues sur la vallée de 
TAdige, et sa possession assure tant bien que mal le débouché 
du déQlé de l'Osteria. 

La 4« colonne rebrousserait dans la vallée de l'Adige, et pas- 
serait par Belluno pour gravir aussi les pentes de la montagne, 
et appuyer les 2* et 3®. 

La S®, sous Quasdanowitch, attaquerait le défilé de l'Osteria; 
la 6* marcherait sur la Chiusa. 

Bonaparte a devancé les troupes qu'il amenait et est arrivé 
«à deux heures du matin auprès de Joubert. Il ordonne à ce 
général d'attaquer les Autrichiens avec toute sa division dès 
le point du jour, sans attendre Masséna, et en ne laissant que 
la 39® demi-brigade au défilé de TOsteria. Les Autrichiens 
n'ayant occupé qu'avec quelques troupes avancée$ les hau- 
teurs qui forment la véritable position, Joubert les reprend 
sans difficulté, ainsi que le poste important de San-Marco ; il 
pénètre oième dans le vallon de Caprino jusqu'au gros de^ 



260 CHAPITRE LXni. 

AutrichieDs. Ceux-ci attaquent; il s^eogage doue un combat 
violent entre les 2*, 3^ et 4* colonnes autrichiennes, comptant 
ensemble une douzaine de miUe hommes, sous le commande- 
ment personnel d'Alvinzi, et la division Joubert, forte d'euviron 
8,000 hommes. Ce combat pouvait avoir duré quelques heures, 
quand il parut tourner au désavantage des Français. L'aile 
droite de Joubert ne pouvait plus avancer, et se voyait même 
à chaque instant menacée de reperdre San-Marco. L'aile 
gauche, qui était parvenue au pied du Monte Baido, y fut en 
grande partie mise en déroule par Liptay ; un seul bataillon 
put se jeter dans le village de San-Giovanni, et éviter ainsi 
d'être écrasé immédiatement. 

C'est à ce moment (vers 40 heures du matin) qu'arrive 
Masséna. Il a envoyé la i8« demi-brigade vers Garda pour 
couvrir son flanc gauche ; la 32* marche en tête de la colonne. 
Bonaparte se jette avec celle-ci, comptant 2,000 hommes, au 
secours de Taile gauche de Joubert, pendant que la 75*, forte 
de 3,000 hommes, reste en réserve près de Rivoli. 

Bonaparte parvient, grâce à ces renforts, à rétablir le com- 
bat à l'aile gauche de Joubert, et à rejeter Liptay jusqu'au 
pied du Monte Baldo. 

Cependant les colonnes des Autrichiens, entourant le général 
français d'un cercle plus vaste, font des progrès et atteignent 
le théâtre du combat Lusignan, à l'aile droite, arrive devant 
Affi. Bonaparte a fait rappeler deux bataillons de la demi-bri- 
gade envoyée a Garda ; ils sont opposés à Lusignan, près 
de Costerman, et ralentissent sa marche, mais sans l'arrêter. 
A l'aile gauche des Autrichiens, Wukassovitch a atteint les 
abords de Somano, sur la rive gauche de l'Adige ; il y établit 
son artillerie et canonne la 39*, chargée de défendre l'Osteria. 
Quasdanowitch lui-même a poussé jusque-là et gravit, avec 
des groupes de tirailleurs, la pente abrupte du plateau, au 
moment où l'aile droite de Joubert, vivement pressée, est 
obligée d'évacuer San-Marco. Dans ces conditions, la 39* est 
obligée d'évacuer l'Osteria, et déjà un bataillon et un escadron 
de Quasdanowitch ont pris pied sur le plateau de Rivoli, pen- 



Bataille db rivoli, les 14 et i S janvier. 261. 

dant que tout le reste avance encore en colonne sur la route. 
L'aile droite de Joubert est donc battue, le débouché de TOs- 
teria semble assuré, et, à l'aile gauche, Masséna contient 
l'^P^^y» à grand'peine, sur la position principale de Tromba- 
lore. 

Cette instant de la bataille, qui est présenté dans les relations 
françaises comme celui de la détressse suprême, de la véritable 
crise, où, selon toute apparence, Bonaparte résiste avec 
15,000 hommes contre 20,000 qui l'enveloppent, où les points 
essentiels de TOsteria et de San-Marco sont perdus, où Lusi- 
gnan menace de couper la retraite, où il n'y a plus en réserve 
qu'une demi-brigade de 3,000 hommes et 600 cavaliers; cet 
instant, disons-nous, n'était nullement aussi critique qu'on le 
dit pour servir à l'effet dramatique. Ce qu'il y avait réelle- 
ment d'engagé contre Bonaparte, c'étaient les 12,000 hommes 
des 2®, 3® et 4^ colonnes autrichiennes. Ils étaient absolument 
rompus par le combat et si fatigués, si épuisés par les efforts 
qu'ils avaient fournis, qu'ils se traînaient lentement et péni- 
blement en grandes lignes de tirailleurs éparpillés sur la neige ; 
ils n'avaient plus assez de nerf pjpur une vigoureuse attaque 
décisive. C'est la colonne de Quàsdanowitch qui traversait 
alors la crise suprême. Elle était encore enfoncée dans le défilé 
formé par cette route, grimpant à pic sur le plateau ; la pointe 
seule, peu nombreuse, avait débouché, et, grâce à 1 échec de 
l'aile droite de Joubert, se trouvait tout près de l'ennemi. 
Nous verrons bientôt comme la colonne de Quàsdanowitch était 
peu en état de combattre. Lusignan était a une lieue (2,000 
toises) de l'endroit qui était alors le point décisif, l'aile droite 
de la position de Rivoli, et on attendait d'un moment à Tautre 
Je général Rey avec sa réserve d'environ 3,000 hommes. Lusi- 
gnan arrivait sur la ligne de retraite de Bonaparte, mais il 
était lui-même pris à revers par Rey. Bonaparte sentait ces 
côtés avantageux de sa situation au milieu du désordre et du 
fracas de la bataille, et, dans sa sérénité, il apparaissait à ses 
généraux et à ses soldats comme un demi-dieu. Il ordonne 
que la 75% qui se trouvait derrière Rivoli, trop loin pour 



Sfô 



CHAPITRE LXin. 



secourir I aile droite dans sa détresse, occupe les hauteurs de 
Tifaro sur la face occidentale du plateau, pour recueillir les 
deux bataillons de la 18® et résister à Lusignan. De Tepdroit 
même où il se trouve, il jette une partie de la division Joubert, 
les 600 hommes de la cavalerie de réserve, et la 39®, en for* 
mation massée, sur la pointé dé la colonne de Quasdanowitch ; 
cette pointe est rejetée sans peine du plateau sur la colonne 
même, entassée en masses profondes d'infanterie, de cava- 
lerie et d*artillerie, qui se pressent les unes sur les autres ; un 
feu violent d*artillerie est dirigé sur elle, pour la forcer à se 
retirer, el, pour comble, deux caissons y font explosion et la 
mettent dans un tel désordre, que ce seul coup inDige à Quas- 
danowitch la défaite la plus complète. 

Cependant, Masséna tenait sur les hauteurs de Trombalore 
avec la 32® et laile gauche de Joubert. Aussitôt le coup décisif 
porté à Quasdanowitch, Joubert se retourna avec son aile 
droite et la cavalerie contre Otchkay et Kôbiôs. Ceux*ci 
s'étaient déjà avancés assez loin pour que Masséna, qui s'était 
maintenu sur ses positions, menaçât leur flanc droit ; les masses 
de la droite française se rabattant sur eux, ils se virent expo- 
sés, très en Tair, sans cavalerie ni artillerie, et furent pris d'une 
. terreur panique, surtout a la vue de ces deux armes; tous 
les efforts d'Alvinzi furent inutiles, et il ne fut pas difficile aux 
Français de les repousser jusqu'au pied du Monte Baldo, en 
leur prenant un millier de prisonniers. Liptay ne crut pas 
pouvoir continuer le combat contre Masséna dans de pareilles 
conditions, et il se retira aussi sur Caprino. 

L*aile gauche et le centre d'Alvinzi étaient donc complète- 
ment battus avant que laile droite, sous Lusignan, eût pu 
exercer sur le combat une influence décisive. Dès lors, cette 
aile se trouva menacée elle-même d'une perte complète, et, 
comme il arrive en pareil cas par la force des choses, Lusi- 
gnan ne sut pas assez tôt la défaite d'Alvinzi, et poussa tou- 
jours plus avant, comme le lui prescrivaient ses instructions, 
se jetant inconsciemment dans le gouffre. Il avait peu à peu 
repoussé les cinq bataillons qu'il avait devant lui et occupé le 



BATAILLE DE RIVOLI, LES 14 ET 15 JANVIER. 263 

Monte Pi polo, quand Bonaparte en personne se tourna contre 
lui. Ce dernier ne renforça les troupes engagées contre Lusi- 
gnan que d'une batterie de 12 (1), mais ce renfort était d'une 
grande importance contre un corps entièrement dénué d'ar- 
tillerie. 

Le colonel Lusignan vit les autres colonnes écrasées par le 
feu, et défaites; il se vit lui-même complètement perdu, et 
menacé par un corps qui tombait sur ses derrières. C'était le 
général Rey qui arrivait justement par Orza avec ses 3,000 
hommes. Dans ces conditions, il sufQsait de la moindre pres- 
sion sur le corps de Lusignan pour le faire reculer ; pourtant 
il essaya encore de résister, mais ne parvint qu'à augmenter 
ses pertes ; tout fut détruit, mis hors de combat ou pris. Le 
noyau de ce détachement, comptant environ 1200 hommes, 
essayait de se sauver sur Garda avec son chef, quand il ren- 
contra quelques compagnies du bataillon que les Français 
avaient laissé là; les fuyards ne purent juger , dans ce terrain 
accidenté, de la force de leurs adversaires ; ils se crurent, 
comme il arrive si souvent, entourés de tous côtés par des 
forces très supérieures, et posèrent les armes en rase cam- 
pagne, à la première sommation ; de ces 5,000 hommes, il 
n'échappa que leur chef et quelques isolés, qui se sauvèrent 
en traversant le lac de Garde. 

Tel fut le sort de l'aile droite ; revenons aux autres colonnes. 

Le 14, Quasdanowitch s'était retiré dans la vallée de l'Adige 
jusqu'à Rivalta, c'est-à-dire, à deux lieues et demie ; il était 
donc hors d'état, par la suite, d'agir en liaison avec le centre. 
Alvinzi avait réuni, au pied de Monte Baldo, les trois corps 
de ce centre qui avaient été battus ; il était abandonné de ses 
deux ailes, livré aux attaques des forces ennemies réunies, 
dans une position dont il ne pouvait sortir que par des sen- 
tiers cachés sous la neige, et tracés sur des pentes très raides. 



(1) Dans ses Mémoires, Bonaparte lui attribue 15 pièces, mais c'est peu 
vraisemblable, car les autres rapports ne parlent que de quelques pièces. 

(Note de l*auteur,) 



Bataille de rivoli, les 14 et 1S janvier. 265 

des Autrichiens, Baraguey d'Hilliers se portait avec le centre 
contre leur front à San-Martino. Alvinzi se rendit bientôt 
compte que l'attaque résolue par lui serait sans résultat ; les 
troupes montraient peu de vigueur et de courage, et le combat 
n'avait pas duré une heure qu'il fallut ordonner la retraite. 
Elle dégénéra bientôt en une véritable débâcle ; on s'aperce- 
vait que, sur la droite et la gauche, les Français se hâtaient de 
gagner le défllé de la Corona ; la crainte d'être coupé s'em- 
para peu à peu de tout le monde, et bientôt on se précipita 
sur ce sentier dans une fuite désordonnée. Tout s'y entassait 
et s'y pressait, et avant que cette masse épouvantée de fuyards 
eût pu s'échapper sur ce chemin étroit et escarpé, les infati- 
gables Français étaient déjà là. Il s'ensuivit qu'une grande 
partie de l'armée fut coupée et que sur ce seul point on fît 
5,000 prisonniers. 

La bataille de Rivoli aboutit ainsi à une défaite des plus 
complètes : sur 28,000 hommes, on en avait perdu 14,000, 
dont 10,000 ou 12,000 prisonniers. 



CHAPITRE LXIV 

Bataille de La Favorite devant Hantoue, 

le 16 janvier. 



Le général Provera avait, comme on Ta vu, battu le 8 et 
le 9 l'avant-garde d'Augereau à Bevilacqua. Il arriva ainsi 
le 9 devant Legnago, et resta inactif les 10, 11 et 12. Aucune 
relation ne donne les causes de ce retard ; il semble assez 
naturel de Tattribuer à ce que Provera aura craint d'arriver 
trop tôt et de se faire prendre par le gros des forces françaises 
sans avoir fait une diversion utile à Alvinzi. Si son pont avait 
été jeté dès le 10, il aurait pu livrer, le 11 , un combat décisif; 
or, le 11, Alvinzi ne faisait que se mettre en mouvement, et 
il était à prévoir que ses opérations contre Joubert lui deman- 
deraient deux ou trois jours; ce laps de temps sufGsait large- 
ment aux Français pour porter leur masse centrale de Pro- 
vera contre Alvinzi. En somme, le calcul le plus élémentaire 
aurait fait prévoir que Provera arriveraitdeux jours trop tôt sur 
TAdige. En réalité, Tavance fut plus grande encore, car la 
bataille de Rivoli, qui aurait pu être livrée dès le 12 ou du 
moins le 13, n'eut lieu que le 14 ; il se serait donc écoulé 
quatre jours entre les engagements des deux armées, et mal- 
gré la distance de neuf milles qui séparait les champs de 
bataille, c'était encore un trop long intervalle, avec la rapidité 
de mouvement des Français, pour que l'une des colonnes pût 
faire une diversion utile à l'autre. 

Est-ce par hasard que Provera déboucha aussi prématuré- 
ment? Il est difficile d'admettre que cette avance fût imprévue; 



BATAILLE DE LA FAVORITE DEVANT MANTOUE. 267 

il semble bien plutôt que le général en chef autrichien ait cru 
qu'il attirerait mieux l'attention de ce côté et serait plus sûr 
de ne pas avoir affaire au gros des Français dans la montagne ; 
mais il manqua complètement ce but (1), parce que le temps 
d'arrêt marqué par Provera au contact de l'aile droite fran- 
çaise fit naturellement découvrir, sans peine, ses forces et son 
rôle secondaire. 

En s'arretant pendant trois jours, Provera laissa s'écouler 
trop de temps. S'il avait effectué son passage le 12, il aurait 
paru devant Mantoue le 13 ; alors de deux choses l'une : ou 
bien Bonaparte se portait contre lui et ne pouvait accourir au 
secours de Joubert ; ou bien il allait à Rivoli et ne pouvait se 
porter contre Provera le 13 et le 14. Celui-ci serait-il parvenu 
à rallier Wurmser? On pouvait encore en douter, mais, enfin, 
c'était la seule Tâamère d'y réussir. 

On voit par là comme il est difficile à une colonne séparée 
de deviner l'instant précis où il faut agir, et c'est indispen- 
sable quand on a affaire à un adversaire comme Bonaparte. 
Du reste, il est possible que certaines circonstances se soient 
opposées au passage de Provera. 

Reprenons le récit des événements. 

Augereau était sur l'Adige avec sa division, forte de 9,000 
hommes, et la cavalerie de réserve du général Dugua, forte 
de 700 chevaux; il défendait le fleuve depuis Vérone jus- 
qu'en aval de Legnago. Un ennemi qui veut se porter sur 
Mantoue ne pouvant guère passer en aval de Legnago, le 
front à garder était d'environ six milles. Aussi Augereau dit- 
il, dans une lettre à Bonaparte, du 9 janvier, qu'il avait ras- 
semblé la majeure partie de sa division à Zevio, Ronco et 
Legnago. Au contraire il dit, dans sa lettre du 26, comme 
pour se justifier : a Quand une division est disséminée sur une 
ce étendue de plus de 30 lieues, il faut plus d'un quart d'heure 



(I) Bonaparte déclare cependant être resté dans Tincertitude jusqu'au 
dernier moment sur la répartition des forces autrichiennes. 



368 CHAPITRE LXIV. 

« pour la rassembler ». Impossible de rien comprendre à 
cette phrase, si elle ne fait allusion au général Lannes, que 
Bonaparte avait rappelé de Bologne pour renforcer Augereau . 
Cependant, à tout prendre, il faut croire qu'Augereau s'éteu- 
dit notablement au delà de Legnago, car il parle d'une tête de 
pont à Castagnaro (confluent du Castagnara); d'ailleurs, il 
craint que les Autrichiens n'aient l'intention de se porter sur 
Ferrare (I), 

Le 13 au soir, Provera s'avança jusqu'au fleuve, en face 
d'Anghiari (à une lieue en amont de Legnago) en faisant des 
démonstrations sur quelques autres points. 

Il réussit à jeter un pont avant que le général Guyeux, qui 
commandait l'aile gauche d'Augereau, ne fût accouru avec 
1200 ou ITiOO hommes. Ceux-ci s'opposèrent au passage 
le 14, mais durent céder au nombre. Provera laissa iSOO hom- 
mes et 14 pièces pour couvrir le pont et poursuivit sa marche 
sur Manfoue, avec 7,000 hommes, par Cerea et Sanguinetto 
jusqu'à Nogara, où il passa la nuit. 

Il est incompréhensible que ce soit l'aile gauche d'Auge- 
reau, commandée par le général Guyeux, qui ait été la pre- 
mière à s'opposer aux Autrichiens à Anghiari, pendant que 
lui-même se trouvait à une lieue de là, à Legnago, avec l'aile 
droite (2) ; et pourtant, si loin qu'il ait étendu sa droite, il lui 
restait bien deux milliers d'hommes. Augereau a dû penser 
qu'il valait mieux ne pas se faire battre en détail, qu'il impor- 
tait peu d'attaquer l'ennemi quelques heures plus tôt ou plus 
tard, puisqu'il avait déjà passé le fleuve ; il préférait d'abord 
rassembler la plus grande partie de son aile droite. Peut être 
aussi l'opinion exprimée dans sa lettre du 9, que Provera 
pourrait vouloir se diriger sur Ferrare, l'a-t-elle un peu égaré. 



(1) Bonaparte craignait très sérieusement que Provera, apn>s avoir fait 
une démonstration devant Legnago, ne se portât par Ferrare en Romagne. 
Il avait réuni 6,000 hommes à Badia et Castagnaro, dont 3,000 environ 
de la division Augereau. Celle-ci s'étendait donc bien de Zevio à Badia. 

(2) L'aile droite d'Augereau était à Badia ; Legnago n'était guère occupé 
que par la garnison strictement nécessaire. 



BATAILLE DE LA FAVORITE DEVANT MANTOUE. 269 

Le général Guyeux se replia sur Ronco et le mouvement de 
Provera eut pour résultat de séparer Augereau de quelque 
4,000 hommes de sa division. Avec les 5,000 qui lui restaient 
et le renfort amené par Lannes, il eut 7,000 hommes pour se 
porter sur Anghiari. Il n'y trouva plus Provera, qui était déjà 
passé, mais seulement les ISOO hommes que celui-ci avait 
laissés. Ceux-ci ne paraissent pas avoir en le temps de se 
retourner ; ils prirent le parti de suivre Provera. Mais le che- 
min leur fut coupé par une colonne d'Augereau sur une digue 
qu'il fallait franchir ; ils se virent entourés d'ennemis de tous 
côtés et mirent bas les armes sans grande résistance. Auge- 
reau brûla le pont, prit des mesures pour s'opposer à Provera, 
s'il revenait de Mantoue, et résister à ce qui pourrait venir 
encore de Padoue. C'est à cela qu'il consacra toute la journée 
comme en témoigne une lettre qu'il écrivit à Bonaparte, de 
Legnago, le 15. 

Les quelques détachements autrichiens restés sur la rive 
gauche de l'Adige, qui ne pouvaient pas être bien nombreux, 
paraissent l'avoir absolument tenu en échec pendant quelque 
temps. Telles sont les causes pour lesquelles Augereau n'arrive 
pas devant Mantoue le 15, mais seulement le 16, et même ce 
jour-là après le véritable combat. 

Provera était arrivé le i 5 à midi devant le faubourg Saint- 
Georges, que le général Miollis occupait avec 1200 hommes, 
et qui était retranché de tous les côtés. Provera le fit sommer, 
mais reçut une réponse négative. 

Après quelques coups de canon inutiles, il se décida à rom- 
pre à droite et à se rapprocher de la citadelle. La citadelle 
et le faubourg Saint-Georges sont les deux têtes de pont de 
Mantoue; ils sont séparés par un meurais impraticable; les 
avenues de la citadelle sont commandées par les deux localités 
de Montado et de La Favorite ; Provera s'y heurta en arrivant 
de Saint-Georges. Il s'en approcha dans la nuit du 15 au 16, 
et attendit la sortie dont il était convenu avec Wurmser. 

Bonaparte était arrivé à Castelnovo dans la nuit du 14 au 
15 ; il y avait reçu de Sérurier la nouvelle que Provera était 



270 CHAPITRE LXIV. 

en marche sur Mantoue. Il ordonna au général Sérurier de 
défendre Saint-Georges jusqu^à la dernière extrémité, et de 
s'établir de sa personne à La Favorite. 

N*ayant aucune nouvelle d*Augereau, il en conclut que ce 
général était sur le flanc gauche de Provera, et trouverait 
peut-être encore une occasion pour lui interdire le passage de 
la Molinella à Castellaro. Il employa la journée du 15 à ras- 
sembler la division Masséna, la brigade Victor et la cavalerie 
de réserve de Dugua à Roverbella, où il se rendit lui-même. 
Guyeux reçut l'ordre de se rendre à Castelbelforte ; Augereau 
celui de talonner du moins Tennemif s'il ne pouvait pas lui 
barrer la roule. 

Il résulte de ces dispositions que Provera ne trouva le 15 
devant Mantoue que la partie de la division Sérurier qui se 
trouvait sur la rive gauche du Mincio. Elle pouvait compter 
7,000 hommes dont 1200 tenaient le faubourg Saint-Georges; 
on ne pouvait donc engager le 15 devant les débouchés de la 
citadelle que 5,000 à 6,000 hommes. C'était à peu près aussi 
la force de Provera. Si Wurmser avait tenté le 14 une sortie, 
avec 8,000 ou 40,000 hommes, on ne voit guère comment le 
général Sérurier aurait résisté à cette attaque combinée. Par 
conséquent, en y mettant une certaine activité, les deux géné- 
raux autrichiens pouvaient battre complètement Sérurier, 
puis, leur jonction opérée, se porter sur Governolo et Ferrare. 
Mais, comme il arrive le plus souvent en pareil cas, il se pro- 
duisit des pertes de temps de toute espèce. L'entente avec 
Wurmser ne s'était pas faite assez vite pour que celui-ci crût 
pouvoir tenter sa sortie le jour même ; il la remit au lende- 
main. Ce fut incontestablement une très grosse faute. Les 
généraux autrichiens ne craignaient peut-être pas que Bona- 
parte arrivât le 16 au matin ; car ils savaient qu'il s*était 
engagé le 14 a Rivoli^ à huit mille de Mantoue; peut-être 
même entendaient-ils encore le canon de ce côté le 15; mais 
ils devaient penser, en revanche, qu'Augereau arriverait très 
probablement derrière Provera, que d'autres troupes de 
réserve afflueraient des environs et que, par suite, ce qui était 



BATAILLE DE LA FAVORITE DEVANT MANTOUE. 871 

encore aisé le IS au soir pouvait devenir impossible le 16 au 
matin, ou du moins très hasardeux; dès que les Français 
avaient rassemblé des forces égales à celles des Autrichiens, 
il ne fallait plus compter réussir. Dans ces conditions, les 
généraux autrichiens n'auraient même pas dû reculer devant 
une opération de nuit. 

Mais tout se passa autrement qu'on n*aurait pu s'y attendre. 
Wurmser, nous l'avons dit, remit son attaque au lendemain. 
Augereau perdit son temps en dispositions inutiles et ne prit 
aucune part à l'engagement décisif. Au contraire, Bonaparte, 
que les généraux autrichiens croyaient encore à Rivoli ou tout 
au plus en marche, apparut dès le 16 au matin en position 
près de La Favorite. Il était arrivé avec ses troupes dans la 
nuit du 15 au 16. En les évaluant à 8,000 hommes, il s'en- 
suit que les Autrichiens avaient affaire dès lors à des forces 
égales . 

Les Français avaient pris position principalement à Mon- 
tada, à La Favorite et à Sant' Antonio, qui se trouve sur la 
route de Vérone. Ils se trouvaient donc entre Provera et la 
Citadelle. 

Dès six heures du matin, Wurmser exécuta sa sortie et atta- 
qua La Favorite et Sant' Antonio. Il s'empara, en effet, de cette 
dernière localité, mais fut obligé de l'évacuer devant quel- 
ques bataillons de renfort envoyés par Bonaparte. 

Les relations sont muettes en ce qui concerne l'engagement 
de Provera lui-même ; ce général se porta probablement en 
même temps sur La Favorite et Montada, mais il fut tenu à 
telle distance par les troupes de Victor et de Masséna, qu'il ne 
put avoir aucune influence sur le résultat de la sortie de 
Wurmser. 

Après quelques heures de combat, les généraux autrichiens 
furent convaincus qu'ils ne pourraient pas percer. Wurmser 
rentra dans la place ou du moins se maintint avec peine. Peu 
à peu les troupes d'Augereau s'approchèrent par les routes de 
Ronco et Legnago ; les Français se trouvèrent devenus trois 
ou quati*e fois plus forts que Provera seul ; la route de l'Adige 



272 .CHAPITRE LXIV. 

était coupée à Wurmser, et, vu les nombreux cours d*eau 
qu'il avait à franchir, il n'avait plus d'espoir de se frayer un 
chemin. On ne voit pas nettement s'il pouvait encore se retirer 
sur Govemolo, car la position d'Augereau n'eât pas très bien 
indiquée ; on ne sait pas s'il était déjà parvenu sur la route 
de Legnago à Stradella, et s'il était en état de se relier au 
faubourg de Saint-Georges. Mais, vraiment, une retraite à la 
barbe d'un ennemi aussi supérieur, et en plein jour, était une 
chose presque irréalisable. Elle le parut au général Provera, 
et, dès dix heures du matin, il posa les armes avec 6,700 
hommes*. 



(1) Il est très remarquable que le général de brigade Miollis, qui com- 
mandait à Saint-Georges, réclame pour lui Thonneur de cette journée 
dans une lettre du 29 janvier i797 à Bonaparte (Correspondance inéditt^ 
Italie, tome 2, page 466) ; il prétend que le général Provera s'adressa 
d'abord à lui et lui envoya les propositions pour la capitulation sur un 
billet au crayon ; qu'il en changea quelques-unes, et que la capitulation 
fut signée de cette façon. Cette réclamation même montre que Tarmée ne 
jugeait pas la chose ainsi ; il n*en est pas moins remarquable que Provera 
se soit adressé d*abord à ce général, qui n'avait selon Jomini que 
1200 hommes pour tenir le faubourg de Saint-Georges, et ne pouvait 
faire, par conséquent, que de très faibles sorties contre Provera. 

Le rapport du général Miollis est singulièrement naïf ; il a Tair de dire 
qu'il a cerné et fait capituler Provera à lui tout seul. 

(Note de t auteur,) 



CHAPITRE LXV 



Résultats du cinquième acte. 



Bonaparte avait donc déjoué la quatrième tentative faite 
pour dégager Mantoue, ou plutôt la seconde pour délivrer 
Wurmser. Il avait obtenu ce résultat sans précédent d'avoir 
fait 20,000 prisonniers et mis 5,000 à 6,000 hommes hors de 
combat à une armée de 42,000. Ce résultat obtenu avec une 
armée moins forte et la perte insignifiante de quelques mil- 
liers d'hommes, est un des traits lès plus merveilleux qu'offre 
l'histoire militaire, et on peut dire que Bonaparte s'était sur- 
passé lui-même. 

Ce succès colossal, cet anéantissement des forces ennemies, 
assuraient le général français qu'il ne serait pas fait de sitôt 
de nouvelle tentative, et l'autorisaient à compter que la capi- 
tulation de Mantoue ne tarderait plus longtemps. On ne pou- 
vait préciser à quelques jours près combien la place tiendrait 
encore, mais on pouvait bien prévoir que la reddition serait 
chose accomplie dans la première moitié de février. 

Il fallait donc ajournera cette époque l'offensive stratégique 
contre la frontière de TAutriche allemande, car il est clair 
qu'avec les quelque 20,000 hommes qui lui restaient dispo- 
nibles, le général français ne pouvait entreprendre une pa- 
reille opération. 

Ajoutez à cela qu'il fallait absolument régler la situation 
vîs-à-vis de Rome. Les coups épouvantables frappés sur les 
Autrichiens étaient une excellente entrée en matière, et le 
temps pendant lequel il fallait attendre la reddition de Man- 
toue en donnerait le loisir. 

18 



274 CHAPITRE LXV. 

EnQn, deux divisions envoyées du Rhin étaient en marche 
pour venir renforcer Tarmée d'Italie ; il fallait retarder les 
opérations contre rAutriche jusqu'à leur arrivée. 

Cependant, quoique cette victoire éclatante parût pour le 
moment ne donner que des résultats négatifs platôt que posi- 
tifs, il ne faut pas croire qu*elle fut sans influence sur Tissue 
de la campagne de 1797, qui s'ouvrit, au mois de mars du côté 
de ritalie. L'Autriche n'eut pas comblé ses pertes de sitôt, et 
reflet moral s*étendit bien au delà des premiers événements 
de la campagne, jusqu'aux négociations de Leoben et de 
Campo-Formio. 

Bonaparte se contenta, pour le moment, de pousser ses 
trois divisions assez loin pour être maître de la Brenta. 

Alvinzi s'était retiré sur Trente, où il voulait rassembler ses 
troupes, pour les conduire sur la Piave, par la vallée de la 
Brenta. Le général Laudon avait pris position près de Rove- 
redo avec 8,000 hommes, en grande partie de milices locales, 
et Bayalitsch, renforcé par l'armée principale, était à Bassano. 
Mais ni l'un ni l'autre ne put conserver ses positions. 

Joubert se porta le 24 janvier contre Laudon, l'obligea à 
évacuer sa position, le suivit jusque sur l'Avis ; le 26, il lui 
fit évacuer celte seconde ligne ; l'entrée de la vallée de la 
Brenta tomba ainsi aux mains des Français. 

Masséna se porta sur Bassano et en chassa les Autrichiens 
le 24. Bayalitsch se retira sur Conegliano. Les Français 
balayèrent alors la vallée de la Brenta et les divisions Masséna 
et Joubert y firent leur liaison. 

Augereau s'était porté par Padoue sur Trévise, que son 
avant-garde occupa. 

Ces circonstances obligèrent Alvinzi à retirer jusqu'à Villach 
par le Puslerthal les troupes chargées de couvrir la Carynthie, 
puis de les ramener en avant sur le Tagliamento. 



CHAPITRE LXVl 



Considérations. 



Nous avons à faire les remarques suivantes sur la bataille 
de Rivoli, qui est un des événements les plus remarquables 
de Thistoire militaire, tant par ses détails que par ses résultats : 

I. — La position de Rivoli est une des rares positions de 
montagne où le défenseur, outre l'avantage que lui donnent 
des obstacles naturels très forts et en partie insurmontables, a 
aussi celui de pouvoir employer toutes les armes et tenir ses 
forces parfaitement rassemblées. Pour faire ressortir ses pro- 
priétés actives, on peut la déGnir un plateau horizontal, dont 
l'ennemi gravit péniblement les pentes abruptes, tandis que 
nous nous mouvons à Taise sur sa surface, avec des troupes 
de toutes armes ; c'est la disposition la plus forte qu'on puisse 
imaginer. Il est vrai que le Monte Baldo et le Monte Magnone, 
qui entourent la position de Rivoli et constituent les obstacles 
qui en gênent l'abord, sont bien plus élevés que la position 
même et n'en forment pas les talus ; mais c'est sans aucune 
importance, car ils sont trop loin pour la commander et sont 
si peu praticables que l'assaillant ne peut y engager que de l'in- 
fanterie (il en est du moins ainsi au mois de janvier); on 
trouve, au contraire, un avantage décisif dans ce fait que 
Tennemi ne peut employer que cette seule arme, et se trouve 
privé de Télément destructif par excellence, de l'artillerie. 
Tout le revers de la position, le long de l'Adige, est inatta- 
quable ; il est accessible par l'unique défilé de l'Osteria, qu'on 
peut tenir facilement. Dans ces conditions, peu importe que 



276 CHAPTTBB LXTI. 

Jes hauteurs qui forment la position principale niaient pas une 
force intrinsèque considérable, et n'opposent pas de sérieux 
obstacles i Tassaillant. Passons maintenant à la valeor strate^ 
gique de la position : la vallée de TAdige forme, entre le lac 
de Garde et Bassano, sur une étendue de 12 milles, la seule 
voie qui traverse les avant-chaînes des Alpes, et que Ton 
puisse suivre avec de Tartillerie et des colonnes importantes ; 
la position est près de TAdige, très élevée, U est vrai, mais elle 
barre cependant la vallée, car elle est traversée, à partir de 
rOsteria, par la route de la rive droite de l'Adige ; la route 
de la rive gauche est barrée une première fois par la Chiusa, 
puis, à son débouché en plaine, par Vérone. II y a plus ; la 
position de Rivoli est située entre TAdige et le lac de Garde. 
L'Adige forme une ligne de défense très forte ; il a d^autant 
plus d^ valeur que la position de Rivoli couvre l'intervalle 
entre lui et le lac de Garde, intervalle qui n'est que de deux 
milles. Toutes ces circonstances font que le défenseur n'est 
nullement tenté de disperser ses forces, et, lorsqu'il a jeté 
quelque douze cents hommes à la Chiusa, il peut garder tout 
le reste dans la position même et sous ses yeux. Enfin, cette 
position ne présente pas l'inconvénient, habituel en montagne, 
que les bois et les crêtes empêchent de distinguer les disposi- 
tions de l'ennemi. L'assaillant s'avance bien à couvert, mais 
seulement jusqu'à la vallée de Caprino. Or cette vallée a 
3,000 pas de largeur, et permet, par conséquent, de voir l'en- 
semble de l'attaque assez à temps pour prendre toutes les dis- 
positions préventives en conséquence. 

L'attaque d'une semblable position n'est admissible qu'avec 
une grande supériorité, car on finit toujours alors par venir à 
bout de toutes les difficultés. C'est ainsi que Masséna et Vau- 
bois en ont été chassés par un ennemi deux ou trois fois plus 
nombreux, et au moment où la montagne était le plus prati- 
cable. On pouvait porter l'armée principale des Autrichiens 
contre cette position et compter sur son enlèvement pour 
décider de la campagne, mais à condition de n'avoir affaire 
qu'à la seule division Joubert. Bonaparte était à Bologne, à 



CONSIDÉRATIONS. 277 

vingt milles du champ de bataille ; les colonnes engagées dans 
la plaine pouvaient le tenir quelque temps dans l'incertitude ; 
l'espoir de livrer un combat décisif à la division Joubert avant 
que Bonaparte ne pût venir à son secours n'était donc pas sans 
fondement ; mais il est clair que l'essentiel était d'agir avec 
une extrême rapidité. Si Alvinzi avait attaqué Joubert énergi- 
quement le 12 ou au moins le 13, il le refoulait jusqu'à Cas- 
telnovo avant que Bonaparte pût intervenir, et c'était déjà un 
grand point de gagné. 

Alvinzi ne voulait pas seulement battre Joubert, mais 
prendre la plus grande partie de sa division ; on ne lui en fera 
pas un reproche, car il était assez supérieur en nombre pour 
y être autorisé ; seulement, il ne fallait pas faire de cette prise 
le point essentiel, ni s'y prendre de manière à perdre tant de 
temps ; ce qui importait par-dessus tout, c'était d'aller vite. 
Alvinzi perdit deux jours par les dispositions qu'il prit, par son 
peu de décision, et faute d'être naturellement enclin à se hâter. 
Ce fut son plus grand malheur dans cette bataille. 

IL — La force des colonnes laissées dans la vallée de l'Adige 
n'était nullement motivée. Ces colonnes n'avaient d'autre but 
que d'attaquer en tout cas la Chiusa ; comme, au fond, c'était 
parfaitement irréalisable, on ne pouvait y voir qu'une démon- 
stration ; elles avaient aussi à protéger l'artillerie et la cava- 
lerie; 4,000 à 5,000 hommes y auraient largement sufG ; or 
Alvinzi avait envoyé, le 13, 14,000 hommes, et, le 14, 10,000 
hommes dans la vallée de l'Adige. S*il avait eu 24,000 hommes 
au lieu de 14,000 contre Joubert dans les deux premiers 
jours, il l'eût probablement délogé dès ce moment, et peut- 
être à moitié anéanti. 

III. — Le 12, Alvinzi fit faire un mouvement tournant très 
large autour de l'aile gauche de la position delà Corona; cette 
mesure a pu être suffisamment justifiée par quelque détail 
topographique qu'on n'aperçoit pas assez nettement aujour- 
d'hui sur les cartes pour en juger ; mais la formation débor- 
dante des 13 et 14 était un déploiement bien inutile, qui lui 
a tout fait perdre. S'il avait porté toutes ses forces le 13 dans 



CONSIDÉRATIONS. 279 

enfin les grands dangers qui menaçaient la retraite, toutes 
choses ayant un rôle ou des effets de nature évidemment 
défensive ; or c'est grâce à elles que Bonaparte put lancer 
ses attaques contre le centre ennemi de la manière dont il le 
fit, et obtenir de tels résultats. 

Nous ferons une autre remarque sur la réserve venant de 
Desenzano avec le général Rey. Des réserves peuvent ainsi 
être très éloignées, s'engager très tard ; elles surviennent 
alors comme des corps d'armée qui arriveraient pour la fin de 
la bataille. Nous pensons que, de nos jours, dans les batailles 
défensives, de pareilles réserves ou, si l'on veut, des corps 
intervenant ainsi seront très avantageux. Plus les réserves 
sont éloignées, moins elles peuvent être cernées par les 
colonnes enveloppantes de l'ennemi ; il y a peu de batailles où 
l'assaillant se soit abstenu de tout mouvement enveloppant ; 
les colonnes qui débordent le défenseur sont enveloppées à 
leur tour par le simple mouvement en avant de semblables 
réserves. Du reste, nos batailles actuelles ont rarement des 
crises à proprement parler; si elles en ont, ce n'est guère que 
quand les deux adversaires se sont déjà usés réciproquement; 
iL s'ensuit qu'on peut toujours rétablir le combat avec une 
réserve ou un corps qui survient, tant qu'on n'a pas évacué 
le champ de bataille. 

Les deux réflexions que nous faisons ici sur les réserves 
s'appliquent à celle que commandait le général Rey. Elle 
tomba sur le dos du colonel Lusignan, qui lui-même avait 
tourné Bonaparte, et elle ne faisait que d'arriver, semble-t-il, 
quand fut livré à Lusignan l'engagement décisif, c'est-à-dire 
dans l'après-midi, soit six à huit heures après le commence- 
ment de la bataille. Il s'était produit quelque chose d'analo- 
gue pour la colonne d'aile droite autrichienne dans la bataille 
de Caldiero, comme nous l'avons vu. 

II nous reste peu de chose à dire sur le plan stratégique de 
cette quatrième attaque, car en développant nos opinions à 
propos de la troisième, au chapitre 60, nous avons à peu près 
donné implicitement la critique de ce plan. 



280 CHAPITRE LXVI. 

• D'après cette opinioD, nous eussions encore préféréy cette 
fois, une attaque dans la plaine. Le fractionnement lui-môme 
se rapproche un peu de nos principes, puisque Tune des 
colonnes principales s'avance par Padoue sur Legnago, et 
paraît avoir reçu Tordre de pousser jusqu'à Mantoue, quoi 
qu'il arrivât, et sans souci de ce qui aurait lieu sur le haut 
Adige. Aussi, cette colonne a-t-elle réussi à pénétrer ; il est 
vrai qu'elle n'a pu remplir son but, et même qu'elle a subi 
l'obligation désastreuse de capituler; mais cela tient d^abord 
à la mollesse de la tentative de sortie de Wurmser, puis au 
temps perdu, enGn à ce qu'elle était trop faible et s'était 
encore affaiblie en faisant un détachement inutile au peut 
d'Anghiari ; inutile, car si l'on était vainqueur de Bonaparte 
dans l'ensemble, le pont d'Anghiari était une chose insigni- 
fiante, et si l'on n'arrivait à Mantoue qu'en détresse, comme 
Provera, il n'y avait plus à penser à faire sa retraite par ce 
même pont. 

La faute capitale, dans cette attaque multiple, fut de diriger 
l'armée principale par la vallée de l' Adige; il est contre 
nature de s'engager avec le gros de ses forces dans uue 
région où l'on ne peut employer ni l'artillerie ni la cavalerie, 
et surtout c'est faire un mauvais calcul que de porter reffort 
décisif sur un point où la résistance de l'adversaire s*accroît 
de celle d'un terrain extrêmement fort. 

Si l'armée principale s'était avancée par Legnago, ou bien 
elle atteignait Mantoue et dégageait. Wurmser, ou bien 
elle était battue par le gros des forces françaises. Dans ce der- 
nier cas, la colonne du Tyrol, si elle parvenait à pénétrer 
jusqu'à Mantoue, pourrait courir le danger de se voir couper 
la retraite comme nous l'avons dit dans le chapitre 60 ; mais, 
même après une défaite, l'armée principale n'était nullement 
hors d'état de faciliter la retraite de l'autre et de l'assurer ; du 
moins elle pouvait faire plus qu'Alvinzi n'a pu faire de Rivoli 
pour Provera. 

Enfin le fractionnement en trois colonnes est une autre 
grosse faute. La colonne du général Bayalitsch ne pouvait 



CONSIDÉRATIONS. 381 

avoir d'autre but qu'une démonstration; employer à cela 
5,000 hommes qui n'en immobiliseraient pas moitié autant 
chez l'adversaire, est une mauvaise économie des forces. 

Gardons-nous, du reste, d'attacher trop d'importance à 
tout cela. Les dispositions stratégiques ont bien leur valeur, 
mais elles sont loin d'être seules à déterminer le résultat ; 
c'est l'exécution qui fait la plus forte part du succès, et les 
20,000 prisonniers faits en trois jours par Bonaparte sont dus 
bien plutôt à l'exécution qu'au plan même. 



CHAPITRE LXVII 

Fin de la campagne.— Chute de Mantoue.— Le pape 
est contraint de signer la paix de Tolentino. 



Peu après la bataille de la Favorite, Bonaparte avait mis ea 
mouvement les généraux Victor et Lannes, ayant ensemble 
5,000 hommes, vers les États romains. Victor entrait à Imoia 
dès le 2 février. 

Ce même jour, par conséquent une quinzaine de jours après 
la bataille de la Favorite, Wurmser capitulait à Mantoue. Il 
obtint, en témoignage de considération personnelle, libre pas- 
sage pour lui avec 500 hommes et six pièces de canon; la 
garnison posa les armes. On l'évaluait encore à 15,000 hom- 
mes, et le dénombrement des malades laissés dans les hôpitaux 
en donna 6,000 ^ Par conséquent, des 28,000 hommes que la 
place avait contenus en tout après la seconde attaque de 
Wurmser, 7,000 étaient morts ou disparus. 

La défense de la place avait duré huit mois en tout ; celle 
que cette garnison avait soutenue, un peu plus de six mois. 

Bonaparte pouvait désormais se consacrer tout entier aux 
affaires de Rome. 

Quoi qu'il n'eût destiné que peu de monde à cette entre- 
prise, il crut cependant qu'il y aurait peut être lieu de pousser 
jusqu'à Ronae ; il entretient le Directoire, dans une lettre du 
jer février, du projet suivant : non seulement Ferrare et la 



(1) D*après le rapport du général Sérurier à Bonaparte, du 3 février. 
Correspondance inédite, Italie, tome II, page 471 . (Note de fauteur.) 



FIN DE LA CAMPAÔNE. — CHUTE DE MANTOUE. 283 

Romagne seraient réunis à Modène pour former la République 
cispadane, mais on promettrait les autres possessions de 
rÉglise à l'Espagne en échange de Parme, pour pouvoir offrir 
celle-ci à TAutriche à la paix. 

Le Directoire, dans sa réponse du 12 février, paraît entrer 
quelque peu dans ses vues. Bonaparte avait donc Tintention, 
en entreprenant les opérations contre Rome, de se lancer dans 
un bouleversement politique complet. Les forces qu'il y consa- 
crait comprenaient les 5,000 hommes de Victor et Lannes, 
une colonne mobile, commandée par Marmont, qui se portait 
sur Sienne ; elle ne semble pas avoir été prélevée sur l'armée 
active d'Italie, et ne comptait peut-être pas plus de 4000 hom- 
mes ; enfin quelques milliers d'hommes de la Répubhque cis- 
padane déjà constituée; le tout pouvait faire 8,000 à 9,000 
hommes, ce qui montre le mépris de Bonaparte non seulement 
pour les troupes pontificales, mais surtout pour les Romains. 
Le Directoire manifesta à ce sujet une légère inquiétude : si 
cette force minime était suffisante, moyennant de nouvelles 
victoires qu'on remporterait sur les Autrichiens, pour réaliser 
un pareil bouleversement, il était fâcheux de se priver de ces 
6,000 hommes au moment de tenter une attaque dans le 
cœur des États autrichiens. 

Enfin, ce bouleversement de l'Italie rendait plus difficile et 
retardait évidemment la paix avec l'Autriche. Il nous semble 
que ce plan de bouleversement n'avait pas été mûrement 
réfléchi, et l'on est d'autant plus fondé à le prétendre que 
Bonaparte lui-même l'abandonna subitement, sans motif appré- 
ciable, semble-t-il ; entre sa lettre au Directoire et la paix de 
Tolentino, il ne s'écoula qu'une quinzaine de jours. 

Bonaparte était parti pour Bologne dans les derniers jours 
de janvier. 

Dans les premiers jours de février, Lannes rencontre 3,000 
à 4,000 hommes de troupes pontificales postées derrière le 
Sennio ; ils sont immédiatement culbutés et on leur prend 
i4 canons. Les Français se portent à Faenza. 

Le 9 février, Victor bat 1200 hommes qui avaient pris posi- 



FIN DE LA CAMPAGNE. — CHUTE DE MANTOUE. 285 

six semaines, parce qu'elle ne peut pas attendre pour faire 
valoir ses droits à la victoire. C'est manifestement une force 
accélératrice acquise qui a motivé cette conduite exceptionnelle 
et l'a rendue possible. Ce seul élan sufQt à atteindre le but ; 
les grandes masses n'en vinrent plus aux mains et ne modi- 
Gèrent point la situation, de sorte que cette campagne de 1797 
ne peut être considérée que comme une partie, un sixième 
acte de la précédente. 

Le lecteur nous comprendrait mal, s'il croyait qu'il nous 
faut tant de paroles pour nous excuser de traiter la campagne 
de 1797 comme un appendice de celle de 1796; il est à peine 
nécessaire de s'en expliquer ; il se tromperait également s'il 
croyait que nous attachons une valeur pédantesque à savoir 
ce qu'on peut appeler une nouvelle campagne ; le droit de 
définir n'a pas à entrer dans une histoire militaire ; seulement, 
nous trouvons la caractéristique de la campagne de 1797 
dans le fait qu'elle ne comprend que la fin d'un mouvement 
déjà entamé, qui se continue presque involontairement jusqu'à 
ce qu'il soit éteint par le frottement et les résistances passives ; 
ce n'est qu'en l'envisageant à ce point de vue qu'elle devient 
tout à fait intelligible, comme nous le montrerons de plus près 
en faisant nos réflexions sur elle (1). 

Avant d'en venir à cette partie, nous avons encore à jeter 
un coup d'œil critique sur l'ensemble de la campagne de 1796. 



(1) Ces considérations manquent absolument de justesse. La campagne ' 
de 1797 est caractérisée par le fait que Bonaparte a reçu des forces suffi- 
santes pour garder la roule d'Innsbrûck tout en marchant sur Vienne. D 
n'y a pas de « force vive acquise » qui eût permis à 30,U00 hommes de 
marcher sur Vienne, et, toutes les fois que deux campagnes se succèdent 
sans être séparées par une période de paix, la seconde est la suite natu- 
relle de la première. 



CHAPITRE LXVIII 



Considérations sur Tensemble de la campagne 



L'offensive des Français les conduisait jusqu à la frontière 
alpine des États autrichiens. C'était assez naturel, étant données 
la séparation des Sardes et de l'Autriche, l'énergie de Bona- 
parte et la supériorité morale de son armée, et il n'y a là aucun 
phénomène qui ait besoin d'explication. Sur le chemin des 
États autrichiens, le général vainqueur rencontre la grande 
place de Mantoue, fortement occupée ; il s'y arrête. Cette for- 
teresse et la nature de la frontière des Alpes ne lui permettent 
pas de se joindre aux deux armées qui opéraient en Alle- 
magne. Quatre grandes victoires collectives, remportées coup 
sur coup, ne lui donnent que des résultats négatifs ; mais une 
seule victoire de son adversaire lui aurait fait perdre toute la 
Lombardie et l'aurait vraisemblablement rejeté jusqu'aux 
Alpes maritimes. Ces propriétés inéluctables de la situation 
tiennent-elles à quelque influence magique, à quelque élément 
stratégique particulièrement efQcace ? Sont-ce certaines lignes 
ou certains angles? Est-ce l'action de certains points ou la 
puissance d'une certaine position qui imposent ces résultats? 
Si nous faisons cette question, c'est que la stratégie,, depuis 
qu'elle a voulu s'ériger en science, ne se contente pas volon- 
tiers des propriétés les plus simples et les plus évidentes pour 
expliquer les succès dont la grandeur l'étonné ; elle éprouve 
le besoin de découvrir des forces secrètes dans des choses 
invisibles, qui échappent à l'œil du profane. En tous cas, on 
est bien forcé de voir clair quand il s'agit du résultat final 
d'une campagne. En effet, on ne va pas, pour l'expliquer. 



CONSIDÉRATIONS SUR L'ENSBMBLE DE LA CAMPAGNE. 387 

accumuler toutes les causes accidentelles imputables aux 
actions particulières dont il est la résultante générale ; un 
coup d'œil d'ensemble sur ces causes élémentaires en fera 
toujours reconnaître une ou plusieurs d'un caractère général, 
dont rinfluence s'exerce d'un bout à l'autre de la guerre, et 
autour desquelles les autres viennent se grouper. Analysons 
ces causes aussi clairement que possible ; nous verrons qu'il 
suffit de déterminer avec exactitude les grands traits de la 
situation pour que tout s'en déduise très simplement. 

C*était sa faiblesse qui empêchait Bonaparte de franchir les 
Alpes tant que Mantoue n'avait pas succombé. Pour investir 
12,000 hommes, il en fallait bien 20,000 ; s'il réalisait l'inves- 
tissement avec iO,000, c'était à condition que les autres res- 
tassent dans le voisinage (i). S'il avait eu 20,000 hommes de 
plus, rien ne l'aurait arrêté devant les Alpes, aucune des con- 
ditions stratégiques exigibles n'eût fait défaut ; ce sont très 
probablement les Alpes Noriques qu'il aurait franchies sur la 
roule directe de Vienne. L'armée du Rhin étant déjà à cette 
époque près du Tyrol, les Autrichiens auraient sans doute 
retiré de là une grande partie de leurs forces, tant pour courir 
au secours de leur capitale que pour ne pas s'exposer à une 
perte complète. 

Ainsi Mantoue, les Alpes, la saillie formée par le Tyrol 
étaient autant de boulets aux pieds des Français, mais sans 
l'ombre de magie ; et il serait grotesque de tirer une fois pour 
toutes de cet exemple la conclusion suivante : tant que les 
Français ne possèdent pas Mantoue, ils ne peuvent pénétrer 
en Allemagne, ou tant qu'ils ne tiennent pas les Alpes du Tyrol, 
ils ne peuvent franchir les Alpes Noriques (2). 



(1) On ne voit pas comment la présence de 20,000 hommes à Vérone et 
Legnago diminuait la force de résistance de la garnison de Mantoue. 
Glausevvitz est obligé de chercher des explications obscures pour donner 
à Mantoue une importance prépondérante, et au moment où il se moque 
des forces secrètes, il invente une action de présence tout à fait mysté- 
rieuse. 

(2) Il faut cependant afiirmer qu'une armée française ne peut marcher 



CONSIDÉRATIONS SUR l'eNSEMBLE DE LA CAMPAGNE. S89 

n'en est pas moins désavantageuse ; s'il y avait moyen de faire 
autrement, c'était, on peut bien le dire, une faute stratégique 
dans le choix de la solution générale que de rester six mois 
dans cette situation et de tenter la fortune en quatre batailles 
décisives, à chacune desquelles le sort de toute la campagne 
était remis en question. 

Cette situation n'était cependant inévitable ni pour le gou- 
vernement, ni pour le général français. 

Le premier pouvait dispenser Bonaparte de cette longue 
quarantaine en Italie, en le renforçant de 20,000 à 30,000 
hommes dès sa première victoire ; personne ne soutiendra 
qu'un pareil renfort fût introuvable, puisqu'il y avait une 
quantité de troupes à l'intérieur, et notamment toute une 
armée sur les côtes de l'Océan. Il suffisait d'abandonner l'ex- 
pédition d'Irlande pour se mettre à même de le fournir. Mais 
le Directoire ne pouvait pas encore apprécier suffisamment la 
valeur d'un mouvement au delà des Alpes et ne savedt pas, 
comme Bonaparte le fit plus tard, rechercher en un point 
unique la solution d'une question complexe, chercher le 
centre de gravité de toutes les résistances, et y frapper le coup 
décisif. 

Les partis de l'intérieur auraient été vaincus avec l'Autriche. 
Bonaparte lui fit sentir assez souvent cette négligence. 

Il y avait peut-être, pour abréger cette campagne, un autre 
moyen qui dépendait du général. 

Un général du temps de Louis XIV eût assiégé Mantoue, 
et couvert le siège par une ligne de circonvallation (1). 

De nos jours, on a pris ces lignes absolument en horreur ; les 
généraux ont toujours préféré se porter au-devant de l'armée 



(1) A condition que sa communication avec les magasins ne fût pas 
menacée. L'apparition de l'ennemi sur ses derrières lui aurait fait éva- 
cuer ses lignes. Bonaparte a essayé de couvrir le siège de Mantoue sur la 
circonvallation naturelle formée par le Mlncio et la Molinella, jusqu'au 
moment où il a su que Quasdanowitch avait un corps d'armée capable de 
lui couper la retraite. 

49 



Î90 CHAPITRE LXTin. 

de secours en rase campagne avec une armée réduite de moi- 
tié. Nous sommes loin de vouloir condamner ce procédé, mais 
il n'est admissible qu'à la condition de bien remplir le bat. Or, 
dans le cas présent, il en était incapable. Les Aulrichieos 
pouvant venir parles deux rives du lac de Garde et, par suite, 
du Mincio, Bonaparte aurait dû former deux armées d^obser- 
vation, ce qui était naturellement impossible. II ne lui restait 
donc rien à faire que d'abandonner le siège, comme il le fit, 
ou de s'enfermer dans une ligne de circonvallation. 

Était-il vraiment si invraisemblable de résister avec succès 
dans une ligne de ce genre? Quiconque se sera formé une 
opinion, non d'après les préjugés courants mais d'après Tbis- 
toire militaire, ne sera pas de cet avis. Des innombrables 
sièges du temps de Louis XIY, que l'on couvrit par des lignes 
de circonvallation, il n'y en a que trois où ces lignes aient été 
forcées par les armées de secours, ceux d'Arras en 1654 
(Turenne contre Condé), Valenciennes 1656 (Condé contre 
Turenne), Denain 1712 (Villars contre Eugène). Mais, on peut 
juger combien ces lignes étaient faiblement occupées, quand 
on sait qu'à Arras et Valenciennes le défenseur n'avait que 
12,000 hommes d'infanterie, tandis que les lignes avaient, à 
Arras, trois milles et demi, à Valenciennes, deux milles 
de développement. 11 ressort de là que, dans un nombre 
considérable de cas, les généraux les plus entreprenants, 
Condé, Turenne, Villars, Vendôme et Eugène, tinrent ces 
lignes pour inattaquables (1). 

Si Bonaparte avait voulu employer ce moyen devant Man- 
toue, il aurait eu à fortifier une circonférence de 5,000 à 
6,000 toises, ou un mille et demi, où il pouvait disposer de 



(1) Turenne considère qu*il est presque impossible d*einpècher Tassail- 
lant de forcer les lignes. Bonaparte a longuement discuté la question, et 
il admet parfaitement Tusage des circonvallations ; il considère comme 
une faute de n*en pas établir; mais, en 1796, il ne pouvait y attendre nn 
ennemi supérieur en lui abandonnant sa ligne de retraite. La thèse de 
Clausewitz n'est même pas spécieuse. 



CONSIDÉRATIONS SUR L'eNSEMBLB DE LA CAMPAGNE. 291 

40,000 hommes de la meilleure infanterie. Le grand Frédéric 
tenait à Bunzelwitz une circonférence de deux milles avec 
S0,000 hommes d'infanterie. Les forces avec lesquelles 
Tennemi de Bonaparte pouvait l'attaquer dans ses lignes 
étaient de 43,000 hommes; celles que Frédéric avait contre 
lui à Bunzelwitz, de 160,000 hommes. Nous tenons pour émi- 
nemment invraisemblable que Wurmser, ou Alvinzi, ou qui 
que ce fût, eût entrepris une attaque contre les lignes fran- 
çaises. ^ 

On dira que les Autrichiens seraient devenus maîtres du plat 
pays et auraient coupé les vivres aux Français. Mais il ne s'agis- 
sait là que d'une durée de quelques semaines, et le général 
Chasseloup avait promis à Bonaparte de prendre la place en 
quinze jours ; on pouvait prévoir que la majeure partie de ce 
temps serait écoulée avant l'arrivée de l'armée de secours ; 
Bonaparte dit effectivement dans son rapport qu'au moment 
de la première attaque de Wurmser, il ne fallait plus que 
quelques jours pour faire tomber la place ; si donc Bonaparte 
pouvait emmagasiner un mois de vivres dans son camp, ce 
qui n'est pas douteux, il pouvait laisser les Autrichiens courir 
les champs à leur gré. 

Bonaparte aurait échappé ainsi à cette fatale nécessité, dans 
laquelle Ta mis le genre de résistance qu'il a adopté, de pro- 
voquer toujours lui-même la bataille décisive ; il n'y en aurait 
d'ailleurs probablement pas eu. 

Mais Bonaparte ne voulut pas s'imposer la tâche pénible de 
faire et de couvrir en même temps un siège ; il lui semblait 
beaucoup plus facile de battre les Autrichien^ sans tant d'em- 
barras. Nous ne rechercherons pas s'il en avait complètement 
pesé les suites et si la légèreté de la jeunesse n'entre pas ici 
pour quelque chose ; le monde entier a hautement vanté sa 
conduite ; personne n'a pensé que cette conduite même a 
retardé de cinq mois la prise de Mantoue, et empêché l'ar- 
mée d'appuyer les progrès des armées d'Allemagne. Compa- 
rez, et, malgré toute la préférence que vous pouvez avoir 
pour les victoires brillantes, vous serez ramené impérieuse- 



292 CHAPITRE LXYIII. 

ment à vous demander si ce que Turenne ou Eugène auraient 
fait à sa place n'eût pas mieux valu (1). 

Nous voyons, en tout cas, que c^est au prix de cette perte 
de temps, de cette levée du siège, que Bonaparte a acheté la 
possibilité de remporter cette série de victoires éclatantes; 
tout bien pesé, il ne luttait donc pas, malgré tout son génie, 
contre les exigences d*une situation inouïe, mais il avait fait 
son choix entre deux solutions, dont il n'a pas pris la plus 
courte ; si cette série de belles victoires doit Je faire priser très 
haut, il ne faut pas oublier, pour apprécier leur valeur straté- 
gique, de mettre en balance les avantages sacrifiés pour elles. 

Il nous reste à faire une remarque très importante sur les 
Autrichiens. Ils ont fait quatre tentatives Tune après l'autre 
pour délivrer Mantoue : 

La première au commencement d'août ; elle dure jusqu'au 
milieu d'août ; 

La seconde au commencement de septembre; elle dure 
jusqu'au milieu de septembre ; 

La troisième au commencement de novembre; elle dure 
jusqu'au milieu de novembre ; 

La quatrième au milieu de janvier. 

La force de leur armée était toujours, à peu de chose près, 
de 45,000 hommes^ 

Dans les trois premières tentatives, ils ont perdu en tout 
environ 20,000 hommes ; Wurmser s'est jeté dans Mantoue 
avec 16,000 hommes ; ce sont donc 36,000 hommes qu'il a 
fallu remplacer peu à peu jusqu'à la quatrième tentative, pour 
ramener l'armée à l'effectif qu'elle avait d'abord. Il est donc 
très naturel de se demander : Que serait-il arrivé si les Autri- 
chiens avaient attendu pour faire leur première tentative 
d'avoir rassemblé ces 36,000 hommes? On pouvait les mettre 
sur pied, comme la suite l'a montré, et on aurait faitlapre- 



(i) Eugène a évacué les lignes de Landrecies parce que la victoire de 
Denain menaçait sa communication et ses magasins. 



CONSIDÉRATIONS SUR L'ENSBMBLB DE LA CAMPAGNE. 293 

mière attaque avec 80,000 hommes. II n'est pas douteux 
qu'avec de tels effectifs on aurait reconquis du coup la Lom- 
bardie. 

On s'est hâté, il est vrai, de faire la première tentative 
parce que Mantoue était assiégée et pouvait tomber d'un jour 
à l'autre ; il était donc parfaitement justifié de faire cette ten- 
tative avec ce qu'on avait sous la main ; mais les deux sui- 
vantes n'étaient plus aussi urgentes, et on aurait pu les ajourner 
puisqu'on y trouvait l'avantage de paraître avec 20,000 hom- 
mes de plus. On va dire à cela qu'en septembre (c'est-à-dire au 
moment de la seconde tentative) on ne pouvait pas savoir que 
Mantoue tiendrait jusqu'en janvier (moment de la quatrième 
tentative), mais la crainte qu'elle succombât plus tôt n'était 
nullement motivée ; il n'était pas douteux, du reste, que l'on 
pouvait avoir ces renforts trois mois plus tôt, puisqu'on ne les 
appela qu'à la troisième tentative, en novembre (1). 

En un mot, si la monarchie autrichienne était en mesure 
d'envoyer 36,000 hommes de renfort à son armée d'Italie 
entre le milieu du mois d'août (fin de la première offensive) 
et le milieu de janvier, elle était aussi en état de le faire avant 
le milieu d'octobre : il suffisait que le gouvernement fût péné- 
tré à temps de la nécessité de consentir des efforts aussi con- 
sidérables. 

La faute dans laquelle le gouvernement autrichien est 
tombé ici viole un des principes fondamentaux de la stratégie, 
à savoir : qu'il faut employer en même temps toutes les forces 
disponibles. 

L'apport successif de forces nouvelles pour produire des 
chocs répétés coup sur coup, qui est d'une importance incal- 
culable en tactique, va, au contraire, en stratégie, contre la 



(i) Ce que Clausewitz appelle la seconde tentative, c'est-à-dire le niou- 
vement de Wurmser sur Bassano, était destiné surtout à retenir Bonaparte 
en Italie au moment où Moreau atteignait Tlnn. Ce résultat, autrement 
important que la conservation de Mantoue, a été atteint. Il a empêché les 
Français d*écraser Tarchiduc et de marcher sur Vienne avec 100,000 
hommes. 



294 CHAPITRE LXYUI. 

nalare des choses. Il serait trop long de développer ici ce 
principe, mais il saffit d*y réfléchir sans parti pris pour recon- 
naître à quel point il s'impose. La stratégie prescrit d'amener 
ensemble à la bataille toutes les forces dont on dispose, ou, du 
moins, si Ion n'a pas besoin du tout, ce qui est nécessaire a 
assurer le succès. On ne mettra en réserve, pour une action 
ultérieure, que ce qui n'aura pu être mis sur pied pour Ven- 
trée en campagne. 

Or personne ne prétendra que les Autrichiens eussent 
assuré sufQsamment le succès de leur attaque, en engageant 
une armée à peine aussi nombreuse que celle de rencemi ; ce 
qui venait d'avoir lieu devait les avoir édifiés sur la supério- 
rité morale des Français, qu'ils en fissent remonter la cause 
au général ou aux soldats ; lorsqu'on veut s'assurer le succès, 
et qu'on n'a pas soi-même une supériorité morale suffisante, 
il faut s'assurer une supériorité numérique notable, et quand 
on est obligé de reconnaître la supériorité morale de l'ennemi, 
il faut estimer au double l'excédent d'efiectif nécessaire. Du 
reste, nous l'avons déjà dit, il ne faut pas objecter que les 
Autrichiens, avec plus d'efforts, ne seraient pas arrivés à 
mettre sur pied en trois mois les forces qu'ils ont engagées 
en cinq. De toute façon, le temps ne pressait pas, et nous 
sommes en droit de dire que les Autrichiens ont eu tort de ne 
pas engager simultanément, mais bien successivement, des 
forces que la victoire exigeait et qu'ils pouvaient fournir. 

La cause psychologique de cette faute n'est pas difficile à 
apercevoir. En toute chose, on ne fait pas volontiers ce qui 
exige un efTort, à moins d'en sentir la nécessité immédiate ; il 
faut donc des motifs très puissants pour pousser les hommes à 
faire de grands efforts. L'Autriche en avait de pareils chaque 
fois que les généraux autrichiens avaient été battus en ItaUe ; 
car alors la frayeur et la consternation renaissaient ; on appe- 
lait donc de nouvelles forces ; mais dès que la défaite n'était 
plus présente, les efforts cessaient avec la pression brutale des 
circonstances. En nous plaçant à ce point de vue, nous avons 
eu le droit de dire que si l'on n'eut pas à sa disposition simul- 



CONSIDÉRATIONS SUR L*ENSEMBLE DB LA CAMPAGNE. 395 

tanément les forces que nous aurions voulu voir concentrer en 
temps utile, c^est qu'on n'eut pas Fénergie de les mettre sur 
pied. Mais peut-on s'excuser de n'avoir d'énergie que sous le 
coup de la terreur et de la consternation ? La résolution ne 
devrait-elle pas, à la guerre et surtout en ce qui dépend de la 
stratégie, résulter d'un calcul intelligent, fait à tête reposée ? 
C'est cette prévoyance même qui a manqué . Le gouverne- 
ment autrichien ne s'est pas dit assez carrément : Si nous vou- 
lons rétablir nos affaires en Italie, il nous faut la supériorité 
numérique ; et il ne s'est pas rendu compte que l'emploi simul- 
tané de toutes les forces est un principe fondamental qui 
tient à l'essence même de la stratégie. 



CHAPITRE LXIX 

Campagne de 1797 dans les Alpes. 
Force et emplacements des deux partis. 



L'absence de toute relation autrichienne pour cette cam- 
pagne ne permet pas d'en tracer une esquisse suffisante. Nous 
ne pouvons exposer que les grandes lignes jusqu'aux prélimi- 
naires de Leoben, et nous sommes hors d'état d'analyser com- 
plètement la situation dans les moments les plus graves. Par 
exemple, au lieu de pouvoir donner l'effectif des forces de 
l'archiduc, on sait seulement qu'il était bien plus faible que 
son adversaire ; c'en est assez, du moins, pour comprendre 
l'ensemble, et l'ensemble tient en stratégie une place plus 
importante que la succession des détails ; dans le cas présent, 
ceux-ci ne sont, au fond, que les incidents d'une retraite 
serrée d'un peu près par l'ennemi. • 

Nous n'en pensons pas moins qu'il y aurait eu grand intérêt 
à ce que les Autrichiens voulussent bien nous ofTrir des don- 
nées précises sur leurs troupes et leurs emplacements, per- 
mettant de constituer un exposé complet des détails de cette 
retraite ; la nature alpestre du pays l'aurait rendu particuliè- 
rement intéressant. 

Il s'écoula quatre semaines entre la paix de Tolentino et le 
commencement de la campagne de 1797; Bonaparte attendait 
l'arrivée des divisions Delmas et Bernadotte, qu'on lui en- 
voyait des armées du Rhin et de Sambre-et-Meuse. Toutes 
deux étaient en marche par le mont Cenis et devaient arriver 
à la un de février. Le renfort que son armée recevait ainsi 



FORCE ET EMPLACEMENTS DES DEUX PARTIS. 297 

n'est pas facile à évaluer, car Bonaparte dit 18,000 hommes, 
et le Directoire et le général Kellermann, qui commandait 
dans les Alpes, disent 30,000. II y avait probablement une 
vingtaine de mille hommes ; Bonaparte se trouvait ainsi avoir 
une armée d'environ 80,000 hommes. 

La composition de cette armée vers le 1 mars, au début 
de la campagne, était à peu près la suivante : 

!• Armée principale sous Bonaparte ; 

Division Masséna 1 1 ,SO0 

— Guyeux 10,500 

— Sérurier 10,500} 44,000 

— Bernadette 10,500 

Réserve de cavalerie Dugua i , 100 

63,500 
2® Le corps du Tyrol, sous Joubert : 

Division Joubert 7,500 \ 

— Baraguey d'Hiiliers... 6,500 J 19,500 ) 

— Dèlmas 5,500 J 

Victor, en marche d*Anc6ne sur Ferrare . . 6,500 j - « ^^ 
Garnisons en Lombardie 9,000 } ' 

Total général 79,000 

Les emplacements de ces forces étaient à la fin de février : 

Masséna, à Bassano ; 
Sérurier, à Gastel Franco ; 
Guyeux (ci-devant Augereau), à Trévise ; 
Bernadette, à Padoue; 

Joubert, Baraguey d*Hilliers et Delmas, dans le Tyrol, aux 
environs de Trente. 

Nous manquons de données précises sur les forces et empla- 
cements des Autrichiens ; nous n'avons que les renseigne- 
ments généraux qui suivent : 

Laudon et Kerpen commandaient dans le Tyrol ; le premier 
avait pris position derrière le Lavis, l'autre derrière la Nos ; 
tous deux paraissent s'être formés en cordon. Les milices 
tyroliennes avaient été levées partout et groupées en forma- 
tions régulières ; ces troupes, très faibles séparément, arri- 
vaient à fournir un renfort très important. Alvinzi avait con- 



CHAPITRE LXX 



Plan d'opérations. 



On ne trouve rien de satisfaisant sur le plan d'opérations du 
Directoire. Il serait d'autant plus nécessaire de savoir les 
intentions de ce gouvernement que Bonaparte commence sa 
campagne le iO mars, tandis que Hoche ne passe le Rhin 
avec l'armée de Sambre-et-Meuse que le 18 avril, Moreau 
avec l'armée du Rhin que le 21. Il y a là un intervalle d'en- 
viron six semaines pendant lesquelles Bonaparte est deux fois 
plus près que ses collègues du cœur de l'Autriche. Tout ce 
qu'on trouve pour élucider cette situation est contenu dans 
une lettre du Directoire à Bonaparte du 12 février {Corres- 
pondance inédite^ Italie, tome II, page 439). 

« Nous espérons, dit-il, que le renfort de douze demi- 
ce brigades et de trois régiments de troupes à cheval, qui se 
« rendent à l'armée d'Italie, vous mettra en état, après Texpé- 
« dition de Rome, de déboucher du Tyrol avec supériorité, et 
« nous ordonnerons à cette époque au général Moreau de 
« passer le Rhin et de combiner ses mouvements avec les 
w vôtres. Le général Hoche, à la tête de l'armée de Sambre- 
« et-Meuse, occupera, vers la Franconie, une partie des 
c( ennemis et bloquera les places du Rhin. » 

Cette lettre ne nous précise pas grand'chose, et il est très 
probable qu'on ne mit pas la moindre unité dans les opérations 
des trois armées, mais que les trois généraux les commencèrent 
dès que leurs dispositions eurent été prises. 

Bonaparte, dont les renforts arrivaient a la Qu de février, et 



300 CHAPITRE LXX. 

qui savait combien son adversaire était faible à ce moment, ne 
voulut pas tarder à profiter de sa supériorité. Il calcula que 
les renforts autrichiens qu'on enverrait de Tarmée du Rhin à 
celle d'Italie devaient déjà être en marche, qu'il n'aurait pas 
affaire, par conséquent, à un ennemi bien inférieur s*il atten- 
dait le mouvement de Tarmée française du Rhin ; qu*il avait 
au contraire, au début, l'avantage inappréciable de se battre 
avec Tarchiduc avant l'arrivée des renforts destinés à ce der- 
nier, par conséquent de neutraliser cette partie des forces 
autrichiennes. Toute troupe qui se trouve en route au moment 
de la bataille peut, en effet, être considérée comme neutralisée. 
Bonaparte comptait donc sur une supériorité décisive dans les 
premiers moments ; il s'en remettait à sa fortune pour le choix 
du but ultérieur et la manière de terminer la campagne ; il 
n'aurait qu'à se laisser conduire par elle. La justesse de ce 
calcul n'est pas douteuse, et Bonaparte en était si convaincu 
qu'il n'a probablement pas demandé de plus amples instructions 
à son gouvernement, mais s'est lui-même fait la loi. Sa longue 
suite de victoires avait rendu le Directoire non seulement 
timide, mais même soumis vis-à-vis de lui, de sorte qu'il n'y 
avait guère d'opposition à attendre. Nous réservons Texamen 
plus approfondi de cette situation pour la conclusion. 

Le passage cité plus haut parle d'une attaque que Bonaparte 
devait prononcer en débouchant du Tyrol. Nous devons cepen- 
dant remarquer qu'une lettre antérieure mentionne aussi l'oc- 
cupation des cols des Âlpes du Frioul, ainsi que la division de 
l'armée en deux corps, un dans le Tyrol, l'autre en Carynthie. 
La pensée du Directoire n'en paraît pas moins avoir été que 
Bonaparte devait traverser le Tyrol avec le gros (1). 

Au contraire, Bonaparte croyait encpre, au milieu de février, 



(1) Remarque juste et importante. Tout donnait à penser que le gros des 
forces autrichiennes se réunirait dans le Tyrol et qu*il y aurait lieu d*at- 
taquer de ce côté. Un corps d*armée français serait dirigé sur la route 
de Trieste pour couvrir la ligne d'opérations de Bonaparte de ce côté. 
Ce premier projet fut renversé au dernier moment par suite de la répar- 
tition des forces ennemies. 



PLAN d'opérations. 301 

que l'archiduc pouvait réunir une partie de ses renforts pour 
pénétrer dans le Tyrol, et de là dans la plaine d'Italie. Son 
intention était, dans ce cas, que Joubert tint une dizaine de 
jours entre Trente et Mori, de façon à lui donner le temps de 
tomber par la Brenta dans le flanc gauche des Autrichiens ; 
l'instruction qu'il donna à Joubert le fait voir. 

Les troupes autrichiennes s'étant retirées fort avant dans le 
Frioul, Bonaparte vit qu'il n'y avait plus à s'attendre à une offen- 
sive parle Tyrol. Habitué à frapper toujours le centre de gra- 
vité des forces ennemies, et convaincu que chaque pas dans la 
direction même de Vienne serait plus décisif que des opérations 
contre la Souabe par le Tyrol, il ne paraît pas avoir hésité un 
instant à rechercher l'archiduc dans le Frioul avec le gros de 
ses forces, pour le battre et pousser sur la route de Vienne 
aussi loin que les circonstances le permettraient. Il avait cer- 
tainement la fière espérance d'être le premier, entre tous les 
généraux français, à porter ses drapeaux sous les murs de 
Vienne. 

Dans ces conditions, Joubert était très supérieur aux troupes 
autrichiennes du Tyrol, du moins dans le premier moment, 
avant que la levée en masse eût produit tout son effet. Il fallait 
utiliser cette supériorité pour refouler les généraux autrichiens 
Kerpen et Laudon, autant que possible au pied du Brenner ; 
Joubert pourrait alors prendre la vallée de la Rienz derrière 
lui et rejoindre Bonaparte parle Pusterthal, si ce dernier avait 
besoin de lui en Carynthie, ou si sa propre situation dans le 
Tyrol devenait trop critique. 

En voilà assez sur le plan de Bonaparte ; passons à l'archiduc. 

On sait que les montagnes de Carynthie et de Carniole, 
appelées aussi Alpes juliennes, ne sont traversées que par 
deux routes. La première mène en Autriche par le col de Tar- 
vis, où elle franchit la ligne de partage des eaux, et par Vil- 
lach, dans la vallée de la Drave ; la seconde mène plus spé- 
cialement en Hongrie, par Laybach sur la Save, puis, en 
faisant un angle droit, par le col de Loibel sur Klagenfurt 
dans la vallée de la Drave, ou, avec un détour plus grand 



302 CHAPITRE LXX. 

encore, par la vallée de la Mur, sur Bruck. Les deux premiers 
itinéraires se rejoignent donc à Klagenfurt, et la distance de 
ce point au Taglîamento est à peu près d'un tiers plus grande 
par le second que par le premier. 

On gagne le col de Tarvis, en parlant de Valvasone sur le 
Tagliamento, par deux routes. La grande route, qui est la plus 
courte, longe le Tagliamento et la Fella, et traverse les déGlés 
de Chiusa-Veneta et de Pontebba. L'autre passe par Udine, 
Cividale, Canale sur l'Isonzo, puis, remontant ce fleuve, fran- 
chit les gorges de la Chiusa di Plez. 

L'archiduc avait résolu de rassembler son armée à Valva- 
sone, derrière le Tagliamenlo, couvrant son front par ce 
cours d'eau. Il se trouvait à cheval sur la route de Laibach, 
avait aussi derrière lui la route de Tarvis par Tlsonzo, et la 
route de la vallée de la Fella passait juste devant lui, sur 
l'autre rive du Tagliamento. Il les couvrait donc tous les trois, 
car l'ennemi ne pouvait évidemment s'engager sur la troi- 
sième sans avoir repoussé l'archiduc. Ce prince était forcé, au 
contraire, de renoncer a la retraite par Tarvis, car il n'en 
couvrait qu'indirectement la route la plus courte, l'avait 
devant lui et non derrière; il ne pouvait donc en faire usage, 
et ne pouvait aussi se servir que difficilement de celle de 
l'Isonzo. Sa véritable ligne de retraite était donc sur Laibach, 
et la position de Valvasone n'était qu'une position de flanc. 
L'archiduc tenait les deux avenues du col de Tarvis par les 
détachements d'Otschkay et KoblOs, et comptait sur l'arrivée 
des divisions envoyées du Rhin dans la vallée de la Drave, 
de sorte qu'elles pouvaient déboucher par Tarvis si elles sur- 
venaient assez tôt ; il pensait donc que cette position de flanc 
remplissait mieux le but qu'une position de barrage. Par le 
fait, celle-ci aurait eu ce gros inconvénient qu'il aurait fallu 
diviser ses forces et occuper les deux routes qui allaient à 
Tarvis ; étant données la supériorité de l'ennemi et les monta- 
gnes que l'archiduc avait derrière lui, il ne pouvait à aucun 
prix s'exposer au danger d'être tourné. Du reste, il aurait 
sacrifié complètement, en prenant une position de ce genre, le 



PLAN d'opérations. 303 

chemin de Gradizca, de Trieste et de Laibacb, alors qu'il avait 
sans doute la majeure partie de ses magasins de ce côté. 
EnGn, l'archiduc espérait peut-être encore utiliser le chemin 
de Valvasone à Tarvis par l'Isonzo, qui n'allonge pas beau- 
coup ; nous avons vu qu'il avait, du reste, fait garder la route 
directe. L'ennemi pouvait, il est* vrai, envoyer un corps par la 
Fella avant même d'avoir combattu sur le Tagliamento ; 
cependant ce n'était guère à craindre, étant donnée la manière 
de faire de Bonaparte. 



CHAPITRE LXXI 



Bonaparte franchit les Alpes Juliennes. 



Les divisions françaises quittèrent leurs cantonnements le 
10. Bonaparte s'ébranla avec trois d'entre elles, Sérurier, 
Guyeux et Bernadotte, et la réserve de cavalerie, le tout for- 
mant deux colonnes, et se porta, par Sacile et Porto-Bufole, 
sur Valvasone, où ces 35,000 hommes se rassemblèrent le 
16 mars, après avoir refoulé Tavant-garde de l'archiduc, 
commandée par le général Hohenzollern. 

Masséna avait reçu une mission qui n'est expliquée bien 
clairement nulle part, et que ses mouvements même ne font 
pas concevoir suffisamment. Il s'ébranla aussi le 10 pour atta- 
quer Lusignan; il était le 11 à Feltre, et, Lusignan se 
retirant dans la vallée de la Piave, il le suivit le 13 jusqu'à 
Bellune, le 14 à Longarone, où il atteignit son arrière-garde, 
la cerna, et lui prit 500 hommes, dont le général Lusignan 
lui-même, Masséna s'avança encore jusqu'à Pieve di Cadorc, 
puis rebroussa pour franchir la chaîne qui sépare la Piave du 
Tagliamento aux gorges de la Colline. Il se serait trouvé dès 
le 14 à Spilimbergo, à deux lieues en amont de Valvasone, 
y aurait franchi le Tagliamento, et serait parvenu le 15 à 
Gemona, à cinq milles de Valvasone, sur le chemin de Tarvis. 
Il serait donc arrivé sur celui-ci avec deux jours d'avance sur 
l'archiduc, en admettant que ce dernier prît par Tlsonzo. 
Seulement les mouvements de Masséna, racontés par Bâcler 
d'Âlbe et Jomini de la façon dont nous venons de le faire» ont 
dû avoir lieu autrement ; d'abord, de Longarone à Pieve di 



BONAPARTE FRANCHIT LES ALPES JULIENNES. SOS 

Cadore puis à Spilimbergo, il y a douze milles à faire en tra-^ 
versant une chaîne élevée, et Masséna ne put les parcourir en 
un jour ; en outre, il est peu croyable que, deux jours avant 
la bataille du Tagliamento, Tarchiduc ait permis à ce général 
de franchir isolément ce fleuve, à un mille de sa position ; troi- 
sièmement, Masséna n'a attaqué le général Otchkay que le 20 
dans la position de Casa Sola ; s^il s'était trouvé dès le 15 à 
Gemona, à trois milles de là, il serait donc resté cinq jours 
inactif. Il est très probable que Masséna ne parut à Spilim- 
bergo qu'après la bataille, c'est-à-dire le 17 au plus tôt ; qu'il 
fut îe 18 à San Daniele, le 19 à Gemona, enleva le 20 la Chiusa 
Veneta et chassa Otchkay de sa position de Casa Sola, au sud 
de Pontebba (1). 

Quant à l'objet de ce mouvement de Masséna dans la vallée 
de la Piave, il ne ressort d'aucun récit ni d'aucun rapport. On 
l'appelle un mouvement tournant autour de la droite ennemie ; 
mais ce ne peut être qu'à Spilimbergo qu'elle agit ainsi ; le 
trajet elliptique sur la Piave et retour n'en fait pas partie. Il 
semble bien plutôt que Masséna ait eu tout d'abord pour des- 
tination de pénétrer jusqu'à la Drave par la vallée de la Piave, 
en se portant de Pieve di Cadore sur Toblach. Ce pouvait être 
un mouvement débordant autour de l'aile droite des positions 
de la Fella et de l'Isonzo, ou comme une liaison entre l'armée 
principale et Joubert ; mais il n'y a là aucune relation bien 
suivie avec ce que fît Masséna dans la suite. Les deux desti- 
nations qu'on lui attribue auraient été mauvaises, plus dans 
l'esprit d'une stratégie autrichienne que napoléonienne. Le 
retour de Masséna par le Zellino sur le Tagliamento est un 
véritable demi-tour sur place, ce qui suppose une disposition 
changée, décommandée ; il nous semble très probable que 
Bonaparte s'est laissé entraîner d'abord à une mesure qui lui 



(I) Ce calcul de Glausewitz est exact. Ayant dû poursuivre Lusigna» 
jusqu*à Cadore, Masséna revint sur ses pas pour rejoindre par Serra valle. 
Les montagnes étaient infranchissables à cause des neiges, et la rout^ 
même de Longarone à Serravalle présenta de grandes difficultés. 



306 CHAPITRE LXXI. 

parut vicieuse par la suite, et qu'il ordonna au général Mas- 
séna de marcher sur le Tagliamento par le chemin le plus 
court, et d'agir en liaison plus étroite avec Tarmée prin- 
cipale (1). 

Combat du TagliAmento, le 16 mars. 

L'archiduc avait, nous Tavons vu, réuni les 15,000 à 
20,000 hommes de son armée à Valvasone, dierrière le Taglia- 
mento, dans l'intention d'accepter la bataille, mais de ne pas 
tenir trop obstinément, de manière à ne pas s^exposer a un 
véritable désastre. L'infanterie occupait surtout les villages» la 
cavalerie était en arrière pour être employée à charger. Si 
l'afTaire ne paraissait pas bien tourner, il la mènerait comme 
un simple combat dé retraite, dans lequel on disputerait le 
terrain à l'ennemi, pied a pied, en ayant soin de se dégager. 

Le Tagliamento avait très peu d'eau ; les Français passèrent 
en amont et en aval de Valvasone sans difficulté, et presque 
en formations régulières. 

II était midi, et la résistance ne dura que jusqu'à la tombée 
de la nuit ; ce fut donc au bout de quelques heures seulement 
que l'archiduc se retira, perdant 500 hommes et six canons. 

L'archiduc ne décida pas de se replier sur Laybach avec 
toutes ses forces, mais son aile droite, sous Bayalitsch et Gon- 
treuil, se retira excentriquement par Udine, Cividale, Capo- 
retto et la vallée de l'Isonzo, sur Tarvis ; Tarchiduc se porta 
avec HohenzoUern et Reuss par la roule de Gradisca et Gorz 
sur Laibach. Ce qui lui faisait prendre cette disposition au 
moins risquée, c'est qu'il croyait les forces laissées sur la 



(1) La vérité est beaucoup plus simple que toutes ces suppositions. 
Masséna est chargé de détruire le corps de Lusignan, de manière à empê- 
cher les deux armées ennemies de communiquer autrement que par Tob- 
lach. Cela fait, il rejoint Tarmée, où il forme la seconde ligne à la place 
de Bemadotte, poussé en première ligne. Bonaparte avait espéré que Mas- 
séna arriverait sur le Tagliamento avec les antres divisions de l*armée> 
mais le mauvais état des chemins s'y opposa. 



BONAPARTE FRANCHIT LES ALPES JULIENNES, 307 

route de Villach trop faibles et les divisions venant du Rhin 
trop éloignées encore pour résister aux Français. Il courait 
donc le danger de voir les troupes qui arrivaient par le Pu- 
sterthal coupées de Villach, où elle devaient rejoindre; en 
même temps, les Français le devanceraient lui-même à Kla- 
genfurt, puisque son aile gauche faisait un grand détour par 
Laibach et Krainbourg avant d'y arriver. Ainsi coupé de Kla- 
genfurt, il se trouverait obligé de porter son aile gauche par 
Grâtz sur la Mur, et de n'arriver ainsi à réunir ses forces qu'à 
Bruck, à vingt-cinq milles plus en arrière sur la grande route 
de Vienne. 

On ne peut juger à quel point cette retraite de l'aile droite 
devait déjà sembler risquée, car on ne sait pas ce que l'archiduc 
avait appris du mouvement de Masséna. D'après la supposi- 
tion que nous avons faite plus haut, ce général n'atteignit le 
Tagliamento que le 17, et il serait alors assez naturel que 
Tarchiduc eût été sans inquiétude pour Otchkay le 16. De 
Valvasone à Tarvis, par Udine et Tlsonzo, il y a quinze milles; 
l'aile droite pouvait les faire en quatre jours, car la moitié de 
la route est en plaine, et elle eût ainsi atteint Tarvis le 20 ; 
elle devançait donc Masséna, qui n'y arriva que le 21. 

Bonaparte suivit par la route de Gradizka avec trois divi- 
sions. Palmanova avait été évacué par les Autrichiens, mais 
Gradizka était occupée par 2,000 hommes avec 10 pièces de 
canon; on avait donc fait quelque chose pour défendre 
l'Isonzo. Mais, dès le 19, cette place tomba entre les mains 
des divisions Bernadette et Sérurier avec sa garnison, et 
l'archiduc dut se retirer sur Gôrz. 

Pendant que Bernadette et Sérurier s'occupaient de prendre 
Gradizka, Guyeux était venu à Cormons, où il reçut l'ordre de 
gagner Caporetto par Cividale, pour y poursuivre l'aile 
droite des Autrichiens. Bernadette fut chargé de suivre l'ar- 
chiduc sur Laibach, et Bonaparte se porta lui-même le 22 
par Canale sur Caporetto, avec Sérurier, pour soutenir 
Guyeux, le cas échéant. 

Masséna, nous l'avons dit plus haut, avait attaqué et refoulé 



308 CHAPITRE LXXI. 

le général Otchkay, le 20, au pont de Casa Sola; le 21, il 
Tattaqua encore à Pontebba et le rejeta au delà de Tarvis 
dans la vallée de la Save, jusqu'à Wurzen, avec une perte de 
600 hommes. 

L*aile droite autrichienne, qui aurait pu être dès le 2i a 
Tarvis, ne poussait ce jour-là son gros qu*à Caporetto, à 
six milles de là ; son arrière-garde avait été chassée de Bnf- 
fero par Guyeux. Le 21, c'est «à-dire, comme nous Tavous 
vu, le jour même où Masséna se rend maître du col de Tarvis, 
Gontreuil, qui commande sans doute Tavant-garde de cette 
aile droite, arrive à Oberpret, à deux lieues de Tarvis. Il ne 
trouve que Tavant-garde de Masséna installée à Tarvis, ce qui 
Semble indiquer que le gros n'avait pas encore atteint Tarvis 
ce jour-là. Gontreuil attaque cette avant-garde et la rejette 
vers Safnitz, sur le gros de la division. Mais le 22, de bonne 
heure, il est attaqué par Masséna et rejeté avec pertes par 
Tarvis sur la route de Villach. En somme, Gontreuil s'était 
fait jour avec peine et non sans pertes. Masséna se rabattit 
sur Kaibl contre Bayalitsch. Le 22, celui-ci devait marcher 
sur Oberpret par la Cbiusa di Plez que Kôblôs tenait encore ; 
il allait donc au-devant de Masséna. Bayalitsch avait à peine 
dépassé le déQlé de la Chiusa que Kôblôs était attaqué par la 
division Guyeux. La force de la position ne put prévaloir 
longtemps contre le nombre ; les bataillons français escala- 
dèrent les hauteurs escarpées qui entouraient le déQIé, et, 
après une courte résistance, Kôblôs posa les armes. Bayalitsch 
se trouvait dès lors complètement cerné. Par un bout de cette 
étroite vallée, qui n'offrait pas d'issue latérale, Masséna 
arrive au-devant de lui; à l'autre extrémité, Guyeux et Séru- 
rier le poursuivent ; ce général pose donc ainsi les armes le 
23 avec 3,000 à 4,000 hommes, 26 pièces de canon et 
500 voitures. 

Les relations nous laissent encore dans l'incertitude sur les 
opérations qui suivent. Nous apprenons, à notre grande sur- 
prise, que Bonaparte n'arrive à Villach avec les trois divisions 
Masséna, Sérurier et Guyeux, que le 28, tandis qu'il eAt pu, 



BONAPARTE FRANCHIT LES ALPES JULIENNES. 309 

semble-t-il, y être le 25. Comme il s'agissait de chasser Var- 
chiduc de Klagenfurt, c'est-à-dire de la route directe de 
Vienne, il semble qu'il y avait sérieusement lieu de se hâter. 
Il est vrai que l'archiduc, qui pouvait aisément quitter Gôrz 
vers le 20, a dû parvenir à Klagenfurt le 25 par Laibach et 
Krainburg, puisqu'il n'avait que 24 milles à faire; Bonaparte 
serait donc arrivé trop tard, étant données les pertes de temps 
dues à la prise de Gradiska, à la capitulation de Kôblôs et 
Bayalitsch, et aux difficultés du terrain. Seulement, on ne 
pouvait prévoir ces retards, et il aurait pu arriver, au con- 
traire, que l'archiduc parvînt quelques jours plus tard à Kla- 
genfurt. 

Bonaparte pouvant y être aisément le 25, la perspective de 
couper son adversaire n'était pas si invraisemblable et valait 
qu'on essayât. Il y a ici une sorte de lacune dans le dévelop- 
pement logique des opérations, et l'on ne peut se l'expliquer 
que par le désir de rassembler les nombreux traînards des 
divisions françaises ou la nécessité d'attendre des ravitaille- 
ments (l). 

On a moins de données encore sur les mouvements de l'ar- 
chiduc. Nous savons seulement que, quand Bonaparte se porte 
sur Klagenfurt le 29, l'archiduc y laisse la division Mercantin, 
arrivée d'Allemagne, et se retire avec le reste sur Saint-Veit. 
On peut alors estimer l'effectif de son armée à30,000 hommes. 

Le 30, Bonaparte, qui a chassé Mercantin de Klagenfurt, 
marche sur Saint-Veit. Il fait descendre la Drave par un déta- 
chement vers Marbourg, tandis qu'un autre, sous Zayon- 
tchek, la remonte pour donner la main à Joubert. Ce dernier 



(1) Glausewitz ne tient jamais compte, en recherchant les intentions 
de Bonaparte, de la ligne d'opérations, qui joue un rôle essentiel. Ici, 
Bonaparte poursuit Tarchiduc vers Tlsonzo avec tontes ses forces, mais il 
fait garder sa ligne d'opérations par Masséna d'abord, et, dès qu'il dépasse 
la route de Caporetto, par Guyeux ; il s'arrête ensuite sur l'Isonzo jusqu'à 
ce qu'il soit renseigné sur les mouvements de l'archiduc ; il ne veut pas 
s'engager en Carinthie en laissant la route de Gamiole ouverte à l'ennemi. 



310 CHAPITRE LXXI. 

avait été, paraît-il, non seulement repoussé, mais encore for- 
tement étrillé par les milices tyroliennes. 

La division Bernadette a fait occuper Trieste par la réserve 
de cavalerie et un détachement dlnfanterie, et elle est en 
marche vers Krainburg. 

Avant d'aller jusqu*à la fin de la campagne, occupons-nous 
du Tyrol ; il faut savoir ce qui s'y était passé pour embrasser 
l'ensemble de la situation. 



CHAPITRE LXXII 



Opérations de Joubert dans le Tsrrol. 



Pendant ^ue Bonaparte avait ainsi franchi les Âlpes ju- 
liennes, Joubert était parvenu au pied du Brenner. 

Ce général attendit le passage du Tagliamento par Bona- 
parte, sans doute parce qu'il n'était pas bien sûr, jusque-là, 
que le gros des forces ennemies fût dans le Frioul (1). A ce 
moment, il attaqua avec son corps d'armée, bien rassemblé, 
le cordon formé par le général Kerpen derrière l'Avis, le rejeta 
avec une perte de iOOO hommes et quelques canons sur Saint- 
Michel, et de là sur Botzen. 

Le 21 mars, Joubert avait ses trois divisions à Neumarkt. 
Le général Laudon, qui était resté dans la vallée de la Nos, 
parut le 21 devant Neumarkt, et tenta de l'enlever; mais ren- 
contrant trop de résistance, il resta sur la rive droite de TAdige 
et se retira sur Meran. Joubert entra ce même jour à Botzen. 

Mais ici la route d'Inspruck s'engageait dans la vallée de 
l'Eisach, tandis que Laudon s'était retiré sur l'Adige, où s'é- 
taient rassemblées la plupart des milices tyroliennes ; la situa- 
tion de Joubert devenait donc difficile. Il se décida à aller de 



(1) La mission de Joubert consiste à couvrir la ligne d'opérations de 
Tarmée en s'en éloignant le moins possible. Tant que les magasins sont à 
Vérone, et l'armée en Yénétie, il suffit que Joubert occupe Trente et les 
débouchés du val Pergine. Quand Bonaparte prendra Palmanova ou 
Osoppo pour centre d'opérations, il appellera Joubert au débouché du col 
d'Ampezzo, etc. Quand il atteindra Klagenfurt, il ordonnera & Joubert de 
rejoindre cette place. 



m CHAPITRE LXXII. 

l'avaDt, mais eu laissant Delmas à BoLzea avec S.OOO hommes. 

Le 22, il arrive avec son gros devant Klausen, où Kerpen 
avait pris une forte positioa au milieu du village ; il l'attaqae ; 
le combat est longtemps indécis ; ei>fia, les Français ayant 
tourné la positioa par les hauteurs, Kerpen est contraint de 
l'évacuer. • . • 

Ce général prit alors position à Mittenwald, dans la vallée 
de l'Eisach, à quelques lieues en amont de Brocen, ce qui 
dégagea l'entrée du Pusterthal. 

Joubert l'attaqua le 28 mars et le rejeta encore jusqu'au 
delà de Sterzing. Ce point n'est plus qu'à seize lieues d'Ians- 
ppuck ; mais, à la vérité, il en est séparé par le prenner, que 
franchit la route. 

Joubert, dans l'ignorance de ce qui pouvait se passer à 
l'armée de Bonaporte, et ne sachant pas davantage si l'armée 
du Rhin était déjà en situation d'agir en liaison avec lui, en- 
touré d'un peuple belliqueux en pleine insurrection, ne se 
hasarda pas à pousser plus avant ; il décida de s'établir i 
Brixen avec les deux divisions qui lui restaient, et il s'y rabattit 
en conséquence. 

Les généraux autrichiens passèrent alors à une espèce d'of- 
fensive. Le 31 mars et le 2 avril, des combats violents furent 
livrés à Unterane contre les avant-postes de Brixen. Le 2 éga- 
lement, Laudon parut devant Botzen et y retint les Français 
pendant qu'il envoyait un détachement s'étabhr sur la route 
de Neumarkt. Botzen se trouvait sérieusement menacé, car 
l'effectif de Laudon avait atteint 12,000 hommes. 

Dans celte situation, qui devait conduire Joubert à sa perte 
en peu de jours, il eut le bonheur inouï, le 3 avril, d'ap- 
prendre à n'en pas douter, par un colonel déguisé en paysan 
(Ëberle, cependant un Tyrolien, selon toute apparence), lequel 
put pénétrer dans la vallée de ta Drave, que Bonaparte avait 
heureusement franchi les Alpes. Il résolut aussitôt de marcher 
i par le Pusterthal, c'est-à-dire de faire sa retraite dans 
direction où il aurait au moins l'avantage de ne pas ren- 
rer de troupes réguhères ennemies. En même temps, sa 



OPÉRATIONS DE JOUBERT DANS LE TYROL. 313 

réunion avec l'armée principale, dans la situation critique où 
celle-ci devait se trouver, rendrait à Bonaparte un service dé- 
cisif. Le 4, Delmas évacua Botzen. Le 5, le corps tout entier 
se porta de Brîxen à Briinecken, en rompant les ponts en 
amont de Brixen. Cette précaution et la conduite remarquable 
de son arrière-garde en face de Laudon lui donnèrent le 
temps d'échapper à ses deux adversaires. Il continua donc sa 
marche sans s'arrêter par le col de Toblach et Lienz sur Vil- 
lach ; dans cette marche de vingt-quatre milles, il n'eut plus à 
combattre qu'une fois : ce fut à Spital, à cinq milles de Villach, 
où il rencontra des milices, auxquelles il flt encore quelques 
prisonniers. Il arriva à Villach le 8, à ce qu'il semble, aussitôt 
après la signature des préliminaires de Leoben. 

On ne dit pas les pertes que Qt Joubert dans cette marche. 
Bonaparte dit, dans ses Mémoires, qu'il le rejoignit avec 
12,000 hommes, ce qui porterait ses pertes à 6,000 ou 8,000 
hommes, si tant est, comme Bonaparte le prétend, qu'il avait 
laissé exprès 1200 hommes sur TAdige. 

Ces 1200 hommes étaient peut-être un détachement coupé 
du gros. 



FIN DE LA CAMPAGNE. 315 

et Victor étaient en marche pour revenir des Etats romains ; 
mais on ne pouvait mettre en balance un renfort de 7,000 à 
8,000 hommes avec tant de difQcuItés. L'archiduc disposait 
alors d'un effectif presque égal à celui de Bonaparte, et on ne 
pouvait évaluer ce qu'il allait retrouver en arrière de ces Alpes 
styriennes, qui se dressaient devant son adversaire. Que Bo- 
naparte perdit une bataille en Styrie ou au delà du Semme- 
ring, et il lui serait difficile de sauver de son armée des débris 
de quelque importance ; le désastre serait si immense que l'I- 
talie serait perdue du coup pour les Français et qu'ils seraient 
balayés jusqu'à cent milles en arrière. Bonaparte sentait cette 
suprême gravité de sa situation , qui ne pouvait durer long- 
temps, et devait le conduire à sa perte s'il n'en sortait pas par 
un triomphe prodigieux. Reculer était moralement impossible; 
c'était peut-être sauver son armée, mais c'était faire peser sur 
elle tout le poids d'un échec stratégique ; c'était la campagne 
des trois armées gâtée, sa propre gloire anéantie, la situation 
qu*il avait acquise perdue, son existence politique supprimée 
et sa personne jetée en proie aux factions I Comment une pa- 
reille idée se serait-elle fait jour chez un homme trempé comme 
Bonaparte? Il pouvait encore s'arrêter tout simplement pour 
attendre les autres armées, mais c'était permettre aux Autri- 
chiens d'utiliser tous les éléments hostiles entre lesquels il 
était enserré, c'était déchaîner mille dangers contre lesquels 
il n'était pas de force. C'était l'équivalent d'une bataille 
perdue. 

En allant de l'avant, il pouvait encore obtenir une solution 
favorable : une victoire brillante remportée sous les murs de 
Vienne et dont l'influence morale arrêterait partout, sur les 
flancs et en arrière, les bras levés pour la défense du pays, et 
qui pouvait coïncider avec l'entrée en campagne de l'armée 
du Rhin. C'était là, toutefois, une chance sur laquelle on ne 
pouvait pas tabler et qu^il fallait abandonner avant tout au 
grand Peut-Être. Si résolu, si hardi que fût Bonaparte, il 
sentait trop le danger de jouer un tel jeu pour ne pas prendre 
l'autre issue qui s'offrait, la solution diplomatique, soit qu'il 



316 Chapitre lxxiu. 

fût muDÎ des pleins pouvoirs de son gouvernement, ou qu^il les 
prît de lui-même ; il se contenta donc des avantages qu'elle 
pouvait lui donner. Il savait de quelle urgence la paix était 
pour le Directoire, ce qu'il pouvait offrir aux Autrichiens. 
Arrivant ainsi aux portes de Vienne, précédé d'un renom qui 
jetait Teffroi et la consternation, U pouvait compter qu'on l'é- 
couterait volontiers. 

Le 31, il écrivit de Saint-Veit à l'archiduc pour lui faire les 
premières ouvertures. Ce général répondit, selon Tusage, qu'il 
n'avait aucun pouvoir, mais qu'il allait en référer a Vienne. 
Pour contrebalancer l'effet de cette démarche, il fallait en 
même temps marcher sans trêve et sans hésitation. Bonaparte 
arriva donc le 1^ avril à Friesach. Immédiatement en arrière 
de cette localité se trouve le col de Dirnstein, où la route fran- 
chit la crête principale des Alpes de Styrie, avant de redes- 
cendre à Hundsmarkt, dans la vallée de la Mur. C'est là que 
l'archiduc s'était établi. 

Pendant que Bonaparte marchait sur Friesach, l'archiduc 
lui demanda un ar^nistice de vingt-quatre heures. La brièveté 
de ce délai inspira de la méfiance au vainqueur : il pensa que 
des renforts étaient en marche dans la vallée de la Mur et que 
l'archiduc désirait prendre le temps de les rallier; il refusa 
l'armistice. 

Le 2, il attaqua l'arrière-garde de l'archiduc à Dirnstein et 
l'en chassa, sur quoi l'archiduc se retira à Hundsmarkt. 

Le 3, Bonaparte l'y suivit et il y eut encore un. combat 
d'arrière-garde. 

A Scheiflingen, où la route de Villach atteint la Mur, Bona- 
parte apprit que la division autrichienne Sporken se trouvait 
encore dans la vallée de la Mur. Il détacha contre elle le 
général Guyeux, mais sans résultat, Sporken s'étant retiré 
par la route de Salzbourg, par laquelle il put rallier l'archi- 
duc. 

Le 5, Bonaparte se porte à Judenburg, où il veut rassem- 
bler ses forces. U sait que Bernadette l'aïu^a rejoint dans quel- 
ques jours ; mais quoique Joubert soit aussi à quelques étapes 



FIN DE LA CAMPAQNE. 



317 



de lai, il n'en a pas de nouvelles. Tandis qu'il est plein d'in- 
quiétude à ce sujet, arrivent les généraux Bellegrarde et Meer- 
feldt ; ils viennent conclure un armistice, qui commence 
immédiatement et que suivent, a dix jours de la, le 17 avril, 
les préliminaires de Leoben. 



CHAPITRE LXXIV 



Considérations. 



La marche rapide de Tarmée d'Italie jusqu'à dix-huit milles 
de Vienne, alors que le général autrichien n'avait rien à lui 
opposer qui pût livrer bataille sous les murs de la capitale, fît 
signer l'armistice de Leoben et la paix de Campo-Formio. 
L'un et l'autre semblent dictés par la crainte des armes fran- 
çaises, ce qui nous engage naturellement à jeter un coup d^œil 
sur la situation militaire à ce moment. Cette étude ne peut se 
borner à ce qui concerne l'armée d'Italie ; elle s'étendra for- 
cément aux armées du Rhin. 

Mais, avant tout, il nous faut jeter un regard sur les opé- 
rations de l'armée d'Italie elle-même. 

Nous avons déjà dit ce qui poussa Bonaparte à ouvrir la 
campagne, pour sa part, dès les premiers jours de mars. 
D'après ses mémoires, il aurait cru pouvoir donner la main 
sur l'Enns à l'armée du Rhin. Il admettait que celle-ci avec 
ses 120,000 hommes, commandée par un chef unique, pouvait 
franchir le Rhin et traverser la Bavière tout d'un trait. C'est 
avec 200,000 hommes, pensait-il, que nous marcherions 
ensuite sur Vienne pour faire la loi à l'Empereur. 

Nous doutons que cet exposé après coup de ses préoccu- 
pations d'alors soit tout à fait vrai. Il n'est pas probable qu'il 
ait cru à la possibilité d'avoir, à la fin de février, rassemblés 
à Strasbourg, pour passer le Rhin, les 120,000 hommes dont 
la France disposait près de ce fleuve, alors que, six semaines 



CONSIDÉRATIONS. 319 

plus tard, ils formaient encore deux armées distantes de qua- 
rante milles (1). 

Un désir brûlant d'être le premier sous les murs de Vienne, 
d'élever son nom bien haut au-dessus de ceux de ses émules 
en dictant la paix à l'Empereur sans le concours de personne, 
le sentiment de sa valeur personnelle, la foi en son étoile : voilà 
ce qui entraîna Bonaparte sur ce chemin de la victoire, qui 
s'était ouvert devant lui, et ce fut sans trop calculer ni redou- 
ter les dangers. Il joua gros jeu, parce que c'était dans son 
caractère et dans son intérêt. 

A tout prendre, il n'avait pas vu la situation aussi péril- 
leuse qu'elle le parut quelques semaines après l'entrée en 
campagne. Il devait bien savoir qu'il n'arriverait jamais 
devant Vienne en même temps que l'armée du Rhin; la diffé- 
rence entre les distances le faisait bien voir; mais il ne pou- 
vait se douter que, au moment où il en serait à descendre du 
Semmering, l'armée du Rhin ne se serait pas encore mise en 
mouvement. Il n'avait pas cru que Joubert dût rencontrer 
tant de difficultés dans le Tyrol, ni que les populations de la 
Carynthie et de la Carniole se soulèveraient. Tout cela se 
produisit peu a peu, tandis qu'il devenait plus dangereux 
peut-être de s'arrêter que d'aller de l'avant. 

Qu'un général audacieux, dédaigneux de son adversaire, 
comme Bonaparte l'a toujours été, se laisse entraîner dans 
une voie incertaine par la perspective des succès les plus bril- 
lants, la critique ne peut pas lui en faire un reproche ; mais 
nous ne pouvons pas ne pas nous étonner de la légèreté d'un 
gouvernement comme le Directe içe, qui ouvre ainsi une cam- 
pagne sans le moindre plan. Comment a-t-il pu laisser l'armée 
d'Italie, et, qui plus est, une armée réduite aux deux tiers de 
son effectif, marcher seule sur Vienne, pendant que les autres 



(I) L'armée de Rhin-et-Moselle s'ébranla le 19 avril, exaspérée des len- 
teurs de son chef. Rien n'avait modifié sérieusement sa situation depuis 
un mois. Elle aurait pu passer le Rhin dans les derniers jours de mars si 
Horeau avait compris l'importance d'une offensive rapide en Bavière. 



320 CHAPITRE LXXIV. 

traînaient encore six semaines sur les bords da Rbia ? Que 
rarchiduc Charles trouvât une réserve de 20,000 hommes 
derrière les Alpes de Styrie, et Tarmée d'Italie était très pro- 
bablement battue, à moitié ruinée par une longue retraite à 
travers des montagnes et des populations insurgées ; la cam- 
pagne entière était perdue. Le Directoire n'en montre jamais 
la moindre préoccupation, ce qui prouve surabondamment 
qu'il n*a pas conçu du tout l'importance capitale qu^a 
l'action simultanée et concourante de toutes les forces dispo- 
nibles. 

Il n'y a pas de contradiction à absoudre le général en incri- 
minant le Directoire. Ils n'étaient pas placés de la même ma- 
nière pour apprécier la situation ; Bonaparte ne pouvait savoir 
où en était l'armée du Rhin; il n'y pouvait rien, et, d'ail- 
leurs, il subissait l'influence de l'intérêt personnel, de Tambi- 
tion ; ce sont des sentiments toujours permis chez un général, 
car ce sont des leviers puissants sans lesquels il ne se fait 
rien de grand à la guerre. 

Ce n'est pas une raison parce que l'offensive isolée de l'ar- 
mée d'Italie s*est terminée heureusement par la paix de 
Campo-Formio, pour que nous l'approuvions ; ce résultat eût 
été atteint bien plus sûrement par l'offensive simultanée des 
trois armées. L'unique motif pour lequel Bonaparte se mit en 
mouvement le premier fut que les divisions Mercantin et 
Kaim, détachées de l'armée d'Allemagne, n'avaient pas encore 
rejoint l'archiduc; on ne peut lui accorder une importance 
pareille quand on examine la situation générale. 

Cependant, il est un point sur lequel on peut blâmer le gé- 
néral français ; c'est de n'avoir marché sur les Alpes Juliennes 
qu'avec 44,000 hommes, en en laissant 20,000 sur TAdige. 
Ce détachement n'était pas de force à conquérir le Tyrol, en 
chassant les troupes régulières et en désarmant les milices ; 
mais alors, il ne pouvait se trouver que dans une situation 
critique. 10,000 hommes laissés dans la plaine, à Vérone, 
eussent été plus à même d'assurer les communications de l'ar- 
mée, d*intimider les Vénitiens et de se garantir eux-mêmes de 



CONSIDÉRATIONS. 321 

toute catastrophe; Tarmée principale s'en fût trouvée plus 
forte de 10,000 hommes. 

Cette pointe dans le Tyrol eût-elle môme coïncidé avec une 
offensive de l'armée du Rhin en Souabe, qu'elle était encore 
à blâmer ; en effet, le corps de Joubert n'eût été détaché dans 
ce cas que pour assurer la liaison. Or une pareille disposition, 
tant que les armées principales sont dans l'attente de la 
bataille, n'est pas strictement nécessaire ; elle ne constitue 
qu'un éparpillement funeste. 

Le généml Joubert se trouva dans la situation la plus péril- 
leuse, et dut s'estimer heureux de rejoindre Bonaparte au 
bout de quatre semaines avec son armée réduite d'un tiers. 
Cela prouve simplement que sa place était avec le gros et non 
dans le Tyrol. 

Bonaparte, il est vrai, expose la chose dans ses Mémoires 
comme si le mouvement de Joubert par Toblach avait été le 
but même de sa mission ; mais il en est de cela comme de la 
direction donnée à Ney après la bataille de Ligny, qu'il vou- 
lut par la suite avoir conçue comme concourante et non comme 
divergente. Quelle idée étonnante c'eût été que d'envoyer 
d'abord ce général jusqu'au pied du Brenner, avec ordre de 
se rabattre ensuite sur Toblach en faisant un détour de plus 
de trente milles 1 

Aussi, cette idée n'apparaît-elle pas dans les discussions du 
temps ; Jomini, dans son histoire de cette campagne, donne la 
marche de Joubert par le Pusterthal comme un expédient que 
ce général prit sur lui d'adopter (1). 

En ce qui concerne les Autrichiens, nous avons à poser une 
question d'un grand intérêt stratégique et qui se présente 
souvent. 



(!) Joubert eut, en effet, à prendre Tinitiative de cette marche, puis- 
qu'il ne reçut pas les ordres de Bonaparte ; mais il était dans ses instruc- 
tions de rester à Trente jusqu'à ce que l'armée passât le Tagliamento, de 
se porter alors sur Toblach, et de gagner enfin Klagenfurt quand cette 
ville deviendrait le centre d'opérations de Bonaparte. 

21 



sa CHAPITRE LXXIY. 

Si les Autrichiens avaient constitué Tarmée de Tarchiduc 
Charles dans le Tyrol au lieu du Frioul, laissant la Carniole et 
laCarynthie déôoa vertes, ils pouvaient aisément rassembler là 
une armée de 40,000 hommes avant que Bonaparte ne rou* 
vrit la campagne, car les divisions venues du Rhin auraient 
rejoint bien plus vite. Ces 40,000 hommes, soutenus par les 
milices tyroliennes, constituaient une masse autrement res- 
pectable que ne Ta été le corps réuni par Tarchidnc sur le 
Tagliamento. 

Examinons les avantages et les inconvénients de cette 
solution. 

En se plaçant ainsi dans le Tyrol, il prenait une position de 
flanc par rapport à la route de Vienne par le Frioul et la 
Carynthie, qui, comme telle, était incontestablement très forte 
à divers points de vue. En effet : 

1» Les communications de cette région avec les magasins, 
avec la zone de Tarrière, et, par elle avec toute la monarchie 
ne pouvaient guère être coupées ni menacées ; 

2^ Au contraire, celles de Tennemi seraient menacées de la 
manière la plus dangereuse s*il doublait cette position et 
s'avançait sur la route du Frioul; Bonaparte lui-même ne 
se serait pas risqué à marcher sur Vienne par la route laissée 
libre; 

3* L'objectif de l'ennemi, qu'on peut considérer comme 
étant Vienne, est si éloigné qu'il peut être aussi bien couvert 
par une position de flanc que directement. 

Pour tous ces motifs, il était hors de doute que, si Tarchi- 
duc était resté dans le Tyrol, les Français auraient été forcés 
d'y pénétrer aussi. 

D'autre part, quand bien même l'archiduc eût rassemblé 
40,000 hommes et tiré des milices une force de résistance 
considérable, il ne faut pas oublier que : 

1" Bonaparte n'aurait certainement jamais divisé ses forces 
dans de pareilles circonstances : il aurait pénétré dans le Tyrol 
avec 70,000 hommes ; 

2^ Les montagnes favorisent bien la défense quand elle 



CONSIDERATIONS . 323 

veut, avec des effectifs restreints, fournir une résistance d'une 
durée proportionnée à ses forces ; au contraire, quand il s'agit 
d'une lutte décisive entre les armées principales des deux par- 
tis, elles nuisent au défenseur : toutes les ressources qu'offre 
en plaine le jeu des ripostes, l'avantage de voir venir, n'existent 
pas en montagne. 

On pouvait donc mettre en fait que Bonaparte avait une 
supériorité de plus d'un tiers, qu'il fallait livrer bataille sur 
une position étendue, en montagne ; il n'était guère douteux 
que Farchiduc serait battu par Bonaparte et chassé du Tyrol 
avec de grosses pertes. A cette probabilité venait se joindre 
un autre inconvénient : grâce au coude que fait dans le 
Tyrol la route de Vienne, l'armée de l'archiduc courait grand 
danger d'être coupée de cette capitale et du bas Danube, et 
s'exposait à toutes les difficultés d'une retraite des plus péril- 
leuses. 

Il faut se dire également que l'archiduc ne pouvait guère 
compter que les Autrichiens résisteraient victorieusement sur 
le Rhin, ni savoir dans combien de temps une armée française 
pouvait arriver au Danube de ce côté. Dès lors, se porter dans 
le Tyrol avec le gros de ses forces pour y défendre la monar- 
chie autrichienne devenait quelque chose de très risqué ; on 
conçoit aisément que ni le gouvernement ni l'archiduc n'en 
aient eu le courage. Ils auraient paru s'exposer à une épou- 
vantable catastrophe pour se faciliter les premiers moments de 

résistance. 

Cette solution eût été parfaitement satisfaisante si les Autri- 
chiens avaient pu opposer à leurs adversaires des forces équi- 
valentes, tant au point de vue moral qu'au point de vue maté- 
riel, qui leur auraient permis d'assurer l'inviolabilité de leurs 
frontières ; mais quand on n'est plus à égalité de forces avec 
son adversaire, on ne peut rétablir l'équilibre qu'en laissant 
venir l'invasion ennemie, où plutôt en se retirant au cœur du 
pays. 

Bonaparte, dans ses Mémoires, fait un reproche à l'ar^ 
chiduc Charles de ne pas s'être retiré dans le Tyrol ; il est vrai 



324 CHAPITRE LXXIV. 

qu'il dit ailleurs qu'il n'attendait que cela pour lui tomber 
dessus. 

Occupons-nous maintenant des circonstances qui ont amené 
l'armistice de Leoben et la paix de Campo-Formio. 

En premier lieu» c'est manifestement l'armée de Bonaparte 
qui a décidé l'Autriche à signer, sous la pression exercée par 
sa marche sur Vienne. 

De son côté, cette armée paraissait aussi dans une situation 
périlleuse. La masse de l'Empire autrichien était encore in- 
tacte ; cette petite armée s'y était frayé un sentier étroit et n'y 
paraissait que comme une faible avant-garde, éloignée du 
gros. Aussi a-t-on cru souvent que Bonaparte avait été sauvé, 
au bord même du précipice, par la faiblesse et Fétourderie du 
gouvernement de Vienne. Nous-même, nous avons considéré 
la solution qu'adoptait Bonaparte comme un moyen ingénieux 
de se tirer de sa situation, et, en faisant ressortir très vivement 
les dangers de celle-ci, nous avons paru insinuer que son 
adversaire n'avait pas su les voir. Il n'en est pas ainsi. La si- 
tuation de Bonaparte était très critique s'il se heurtait, dans sa 
marche ultérieure sur Vienne, à des forces supérieures; on lui 
eût demandé raison de son audace, et la victoire eût été diffi- 
cile ou impossible à remporter; mais du moment où ces masses 
n'existaient pas, sa situation cessait d'être dangereuse ; c'est 
seulement parce qu'il n'en pouvait rien savoir et que la marche 
de Joubert dans le Pusterthal lui était également inconnue, 
qu'il devait tenir sa situation pour plus mauvaise qu'elle n'é- 
tait et que son adversaire ne la jugeait. Mais, ici, il nous faut j 
ouvrir une parenthèse pour justifier notre appréciation. 

Bonaparte a prétendu, dans ses Mémoires, que sa situation, 
à la veille de l'armistice de Leoben, ne lui avait pas paru pé- 
rilleuse; il n'avait demandé à conclure cet armistice qu'en 
apprenant du Directoire qu'il ne fallait plus compter sur la 
coopération de l'armée du Rhin. 

Nous sommes f&ché de ne pouvoir accepter le jugement du 
général lui-même sur ce qui le concerne personnellement ; ce- 
pendant, quand on cherche la vérité, il s'agit de se faire une 



CONSIDÉRATIONS. 325 

conviction ; si on la trouve plutôt dans l'analyse immédiate 
des faits que dans la relation du général , on ne peut pas la 
sacrifier à l'autorité de celui-ci. 

Bonaparte a écrit ses Mémoires quinze ou vingt ans après 
les événements et, pour ainsi dire, à propos des critiques qu'on 
lui avait adressées sur certaines de ses actions, car il s'occupe 
d'y répondre. Dans ces conditions, il n'est plus impartial ; il 
l'est d'autant moins qu'il ne peut tolérer aucune critique et 
qu'il lui est impossible d'avouer aucune de ses fautes, comme 
d'autres grands généraux l'ont fait si souvent. Aussi faut-il se 
tenir sur ses gardes quand on se sert de ses Mémoires ; il faut 
accorder plus de crédit aux relations des contemporains, ainsi 
qu'aux conséquences qu'on peut tirer des événements mêmes 
et de leur succession. 

Nous repoussons l'affirmation de Bonaparte quand il prétend 
que sa situation, en avril 1797, ne lui parut nullement dan- 
gereuse ; nous nous en tenons à l'opinion qui résulte de toutes 
les discussions que nous venons de faire. Et, franchement, quel 
motif pouvait bien amener ce grand orgueilleux à faire les 
premières démarches pour obtenir un armistice et entamer les 
négociations de paix? Le Directoire le prévenait qu'il n'y avait 
plus à compter sur la coopération des armées du Rhin ; mais 
cet avis, lors même qu'il eût produit un effet aussi dramatique 
et frappé son esprit comme un éclair, ne pouvait se com- 
prendre que d'une seule manière : c'est que les armées du 
Rhin entreraient trop tard en campagne pour donner à celle 
d'Italie l'appui d'une victoire décisive ; cela ne pouvait nulle- 
ment signifier qu'elles ne lui seraient d'aucun secours: l'ofi'en- 
sive sur le Rhin était décidée et les effectifs en présence ne 
laissaient aucun doute sur son issue. Il n'y avait donc que l'in- 
quiétude de ne pouvoir attendre cette coopération dans les 
circonstances où il se trouvait, qui pût lui faire engager les né- 
gociations. Encore est-il obligé, pour faire paraître son affir- 
mation plus exacte, d'évaluer ses forces disponibles en Caryn- 
thie et Carniole à 60,000 hommes, alors qu'elles n'en 
comptaient que 45,000. 



3S6 CHAPITRE LXXIY. 

Telles soDt les raisons pour lesquelles nous nous sommes 
tenu, dans notre exposé, & notre première opinion : que Bona- 
parte avait proposé un armistice à Tarchiduc pour sortir d'une 
situation que chaque pas rendait plus dangereuse. Ce n'est 
que le désir d'être aussi véridique que possible qui nous y a 
conduit; dans la suite de notre discussion, le souci où nous 
supposons le général français ne jouera aucun rôle. 

Fermons la parenthèse et revenons à notre sujet. 

L'archiduc s'étant réuni dans les Alpes juliennes aux divi- 
sions Kaym et Mercantin, qui compensaient à peine les pertes 
qu'il avait faites en quinze jours, ne trouva plus, avant d'at- 
teindre Vienne, que la division Sporcken, arrivée du Rhin; il 
restait donc toujours si faible, que Bonaparte pouvait lui offrir 
la bataille sous les murs de Vienne avec des forces supérieures, 
et la victoire n'eût pas été douteuse. Les armées du Rhin 
étaient encore sur ce fleuve, à quatre-vingts et cent vingt milles 
de Vienne ; il n'y avait donc pas à compter sur l'arrivée pro- 
chaine de renforts pour écraser Bonaparte. 

De la sorte, Bonaparte, tout en se trouvant dans une situa- 
tion extrêmement grave, était en mesure de menacer Vienne. 

Si les Autrichiens avaient pu tirer parti de la situation où 
se trouvait le général français, l'écraser avec des forces supé- 
rieures, détruire cette armée isolée, ils auraient pris une telle 
avance, qu'ils n'auraient pu la reperdre dans le reste de la 
campagne. Vraiment, s'ils avaient été en état d'agir ainsi, ils 
seraient inexcusables d'avoir traité. 

Mais, n'étant pas en mesure de prononcer une contre-offen- 
sive efficace contre Bonaparte, ils n'auraient pu que continuer 
leur retraite et retarder la solution définitive. Cela pouvait se 
produire si l'archiduc s'était jeté dans Vienne sans livrer 
bataille, pour s'y défendre; il pouvait même évacuer Vienne, 
se retirer plus loin, en Moravie ; il aurait pu encore se retirer 
de Bruck non sur Vienne, mais sur la Hongrie, et mis ainsi 
la capitale hors de cause. 

Chacune de ces trois solutions exige le concours des autres 
armées ; il ne s'agit donc plus de la situation de l'Autriche en 



. CONSIDERATIONS. 327 

face de l'armée de Bonaparte, mais en face des trois armées 
françaises. Il' nous faut donc jeter un coup d'œil sur Ten- 
semble de celles-ci. 

L'armée du Rhin, sous Moreau, comptait 70,000 hommes ; 
celle de Sambre-et-Meuse, sous Hoche, 60,000 ; au total, 
130,000. Elles avaient respectivement devant elles, Latour, 
avec S0,000 hommes; Verneck, avec 30,000; au total, 
80,000. Il résulte de la comparaison de ces chiffres que les 
deux armées ennemies venant du Rhin s'avanceraient sans 
subir de retard sensible, et pourraient faire leur jonction avec 
l'armée d'Ilahe. 

Il n'y avait donc pas à espérer que l'Autriche regagnât en 
Allemagne ce qu'elle avait perdu en Italie ; d'un côté 
comme de l'autre, elle aurait le dessous. Puisqu'il n'y avait 
pas moyen de détruire l'armée d'Italie isolément en profitant 
de ce qu'il y avait de critique dans sa situation, il fallait traî* 
ner les choses en longueur et chercher la solution en tenant 
compte des forces engagées sur le Rhin. La perte du Tyrol, 
de l'Autriche, de la Styrie, de la Carynthie et de la Carniole, 
n'était pas douteuse ; celle de Vienne était probable. 

Cependant l'empire d'Autriche n'eût pas été réduit pour 
cela à la dernière extrémité ; la Bohême, la Moravie et la Hon- 
grie, avec 120,000 hommes sous les drapeaux, formaient pour 
la résistance un noyau qui rendait encore l'issue de la guerre 
très incertaine. Les Français auraient eu à choisir entre deux 
solutions, s'ils avaient voulu faire reconnaître à toute force 
leurs conquêtes par la monarchie autrichienne, et être libres 
de lui imposer une paix à leur guise. Ils pouvaient continuer 
leur offensive, aller jusqu'à l'anéantissement des forces enne- 
mies, les acculer aux frontières extrêmes de l'empire, et leur 
faire poser les armes, comme on le fit en 1806 pour les Prus- 
siens. S'ils jugeaient la chose impossible, ils pouvaient s'ar- 
rêter sur une ligne quelconque, se mettre en possession com- 
plète de la zone envahie et y affirmer leur autorité ; ils eussent 
compté alors, pour mettre fin à la guerre, sur l'affaiblissement 
de l'ennemi et la ruine qui devait s'ensuivre. 



328 CHAPITRE LXXIV. 

Si Ton envisage la première des deux solutions, il faut son- 
ger à toutes les lignes de retraite qu'avaient les Autrichiens 
par la Bohême et la Moravie jusqu'en Hongrie, à la quantité 
de provinces qui leur étaient restées sur les flancs et les der- 
rières de Tennemi, les unes déjà en armes, les autres près de 
l'être ; il faut songer enfin que les trois armées françaises, 
bien que comptant 200,000 hommes au début, auraient à blo- 
quer Mannheim, Mayence, Ehrenbreistein, à surveiller le 
Tyrol, à subir les pertes et les déchets habituels, inévitables 
même au cours d'une offensive ininterrompue à travers des 
espaces immenses ; elles ne pouvaient arriver que très affai- 
blies. 

Qu'on pèse tout cela, et l'on ne verra plus, dans cette offen- 
sive à outrance, qu'une fiction, tout au plus qu'une possibi- 
lité très lointaine, qu*il faut mentionner pour que la discussion 
soit complète logiquement. Pour traverser de part en part 
une monarchie de 23 millions d'habitants, pour assurer une 
ligne de communication de 150 milles de développement, il 
faut autre chose qu'une armée de 150,000 hommes. Les posi- 
tions de flanc du Tyrol, de la Hongrie, de la Bohême, la masse 
des Alpes étaient autant de circonstances aggravantes. Une 
pareille entreprise exige de plus gros effectifs, un afflux de 
réserves, choses qui manquaient aux Français ; elle exige 
aussi un gouvernement solide, conséquent avec lui-même, ce 
que n'était pas le Directoire ; enfin, le fonctionnement régu- 
lier et sûr d'une bonne administration, ce qui manquait aussi. 
Nous pensons donc que les Français ne se seraient pas laissé 
entraînera une invasion aussi lointaine; nous sommes con- 
vaincu que s'ils l'avaient fait, ils auraient été obligés de céder 
tôt ou tard à la force des choses, et qu'ils auraient battu 
en retraite sans qu'aucune bataille vînt les y contraindre. 
Cette retraite se serait effectuée avec de grosses pertes et 
aurait reporté la guerre sur le Rhin et sur le Mincio. Le gou- 
vernement autrichien pouvait donc, si son intérêt l'avait exigé 
impérieusement, laisser les choses aller plus loin. 

La seconde solution était moins impraticable pour les Fran- 



CONSIDÉRATIONS. 329 

çais. Mais, si rassemblées que fussent leurs troupes sur la 
ligne où les généraux auraient voulu tenir, ce qu'ils avaient 
amené de forces n^auraient pas suffi à se maintenir indéfini- 
ment dans une position aussi avancée; ici encore, il fallait un 
apport de réserves. La différence était que l'intervention de 
ces réserves n'était pas aussi urgente ; cette solution, en effet, 
ne précipitait pas comme l'autre la décision finale, et Ton 
pouvait rassembler des ressources importantes en attendant 
l'automne ou l'hiver, époque où l'armée risquait d'être acca- 
blée ; de plus, dans le cas précédent, il suffisait que l'Empe- 
reur montrât de l'obstination, car la catastrophe devait se 
produire par la force môme des choses ; avec la seconde solu- 
tion, au contraire, il fallait que les Autrichiens fissent des 
efforts positifs, et une direction habile leur était nécessaire. 

Ainsi, nous ne trouvons pas que les Français auraient pu 
adopter sans danger l'une ou l'autre de ces deux solutions. 
Avec une patience et des efforts suffisants du côté du vaincu, 
nous pensons que le résultat final devait tourner plutôt contre 
que pour le vainqueur. Le lecteur est donc conduit à se 
demander d'où vient cet évanouissement d'une puissance bien 
réelle, et il est en droit de mettre la critique en demeure de 
lui expliquer ce que cette puissance est devenue, Voilà les 
Français en possession de la victoire et de la supériorité nu- 
mérique, et ils finissent comme ils auraient pu commencer, 
par un résultat défavorable. Il semble qu'il y ait là une con- 
tradiction. 

L'explication de cette énigme est dans l'affaiblissement 
qu'une offensive stratégique éprouve toujours, eo ipsOj par le 
seul fait qu'elle avance, affaiblissement qui va croissant, jus- 
qu'à ce que le défenseur soit désarmé. Il faut alors que la 
supériorité du vainqueur reste en rapport avec la grandeur 
de l'empire ennemi, si celui-ci ne peut pas retrouver bientôt 
des forces équivalentes et même reprendre la supériorité 
numérique. Ce n'était pas le cas ici, car un Empire comme 
l'Autriche n'est pas embarrassé pour rattraper rapidement 
une différence de 50,000 à 60,000 hommes. 



330 CHAPITRE LXXIV. 

Nous pensons donc qu^en 4797 les Français, malgré la 
grande supériorité morale qu'ils avaient conquise, n^auraient 
probablement pas été en état, par quelque moyen que ce fût, 
de désarmer la monarchie autrichienne et de lui imposer tontes 
leurs volontés. 

Il s'ensuit que le gouvernement autrichien n'avait besoin 
que de constance, d*énergie, d'habileté pour sortir de cette 
crise et se retrouver de pair avec la France. 

S'ensuit-il que les Autrichiens ont agi en étourdis en signant 
la paix de Leoben ? Nous ne le croyons pas. i^ question qui 
se posait était la suivante : le sacriBce qu'entraînerait l'obsti- 
nation & prolonger la crise, les nouveaux dangers qu'elle ferait 
courir, valaient-ils le résultat qu'on eût atteint de la sorte? 
Que l'Autriche sortît victorieuse de la crise finale à force 
d'eiTorts et de constance, que les Français fussent obligés 
d'évacuer les provinces allemandes, et la guerre reprenait sur 
le Rhin et le Mincio ; la réaction ne pouvait porter plus loin. 

Il n'y a pas ici de contradiction avec ce que nous avons dit 
autrefois, qu'un revers pouvait rejeter l'armée de Bonaparte 
dans les Alpes maritimes. Il s'agissait 1& d'écraser et de cul- 
buter cette armée isolée avant l'arrivée des autres. Les mêmes 
résultats ne pouvaient se produire si les trois armées se reti- 
raient ensemble en se donnant la main. 

Jetons maintenant un regard sur les conditions fixées à 
Leoben ; les Autrichiens n'y ont sacrifié que des territoires 
qu'il était, à tout prendre, bien difficile de sauver : les Pays- 
Bas, le Milanais au delà de TOglio ; ou des territoires qui 
avaient peu de valeur pour eux, Nice, Modène, la Savoie. Les 
Français ne réclamaient pas encore toute la rive gauche du 
Rhin. Qu'on revînt sur le Rhin et le Mincio, et l'on ne serait 
pas encore en situation de sauver rien de tout cela ; les Fran- 
çais en restaient maîtres et on n'avait pas le moyen de les en 
chasser. 

Il est donc naturel que les Autrichiens aient accueilli très 
volontiers des propositions de paix dans un moment où l'en- 
nemi menaçait pour le moins très sérieusement de leur asséner 



CONSIDÉRATIONS . 331 

un coup à bout portant, où une série de batailles malheu- 
reuses était présente à leur esprit et déprimait leur moral ; 
surtout étant donné qu'en persistant et en se tirant de cette 
crise, on ne pouvait pas compter obtenir de meilleures con- 
ditions. 

C'est ainsi que se justifie la décision prise par les Autri- 
chiens en avril 1797, en tant qu'elle résulte de la situation 
militaire. Les négociations poursuivies dans le courant de 
Tannée, Jes concessions plus grandes faites au système fran- 
çais (rive gauche du Rhin et rive droite de TAdige) n'ont plus 
été la conséquence de la pression exercée par les armes ; 
c'était un acte purement politique, car l'Autriche reçut des 
compensations aux dépens de Venise et de l'Allemagne. Le 
gouvernement autrichien avait été abandonné par tous ses 
alliés sur le continent, il n'en avait pas d'autres à espérer; il 
se décida donc à chercher son salut dans une politique mes- 
quine et à courtes vues ; ce ne sont plus là, nous l'avons dit* 
les effets de la nécessité, les' conséquences de la situation mili- 
taire ; nous n'avons rien à y voir. 

Nous accordons qu'il eût été plus chevaleresque et plus 
grandiose de soutenir la lutte jusqu'aux bornes de la lice, pour 
retrouver ensuite, à force de constance et d'énergie, l'équi- 
libre primitif des forces militaires; peut-être pouvait-il sur- 
venir alors des événements politiques favorables que cette 
conduite même rendait possibles et vraisemblables ; peut-être 
eût-il été sage d'agir ainsi, car on avait laissé rompre l'équi- 
libre politique au profit de la France, et Ton pouvait prévoir 
que le conflit avec cette puissance en viendrait tôt ou tard à 
l'état aigu. Mais quels politiques vit-on jamais pousser du pre- 
mier coup la réflexion à ses dernières limites? Il y a cependant 
une grande différence entre un gouvernement qui ne juge pas 
à propos de tenter tout ce qui serait possible et celui qui com- 
met une faute aveugle, une folie, par faiblesse et par légèreté. 

Du reste, n'oublions pas que le raisonnement stratégique, 
tel que nous pouvons et tel que nous devons le faire mainte- 
nant, ne semblait pas, à beaucoup près, aussi naturel à cette 



332 CHAPITRB LXXIY. 

époque. La force croissante qu'offre la résistance des grands 
États poussée à ses dernières limites, la difficulté qu'on 
éprouve i asseoir d'emblée son autorité sur de vastes régions^ 
n'avaient pas été mises en évidence par les faits aussi nette- 
ment qu'elles l'ont été depuis ; il fallait d'abord que la force 
colossale de Bonaparte vînt se briser sur des frontières où la 
nature des choses, plus que ses adversaires, l'a enfin ta*- 
rassée. 



CONCLUSION 



Eq terminaot ces remarques sur la campagne de 1797, et 
en voyant converger toutes les lignes de notre tableau en un 
point unique, nous constatons combien la manière de juger 
une situation stratégique varie avec le point de vue. 

La situation de Bonaparte, quand il passa les Alpes ju- 
liennes, paraît très dangereuse si Ton peut supposer que les 
Autrichiens rassemblent des forces supérieures pour l'écraser; 
mais l'horizon s'élargit ; on sait que ces forces n'existent pas ; 
alors c'est l'armée autrichienne qui est menacée d'une défaite 
sous les murs de Vienne, si elle veut risquer une bataille pour 
sauver cette capitale. L'armée française d'Italie semble à son 
tour une nuée d'orage prête à crever. Qu'on élargisse encore 
l'horizon, qu'on ne songe plus au salut de la capitale, mais à 
celui de l'Empire, l'armée française d'Italie paraît incapable 
à elle seule, et pour elle seule, d'éviter sa propre ruine en 
évitant la bataille. Qu'on ne s'en tienne pas à cette seule 
armée, mais qu'on étende son horizon jusqu'à celles qui 
opèrent sur le Rhin, on voit alors une telle supériorité du 
côté des Français qu'il faut renoncer à la lutte depuis le Rhin 
jusqu'à l'Autriche, et l'infériorité de l'armée d'Italie est. plus 
que compensée par la supériorité des autres. Une invasion des 
trois armées jusqu'au cœur de la monarchie autrichienne 
n'est plus hors de proportion avec leurs forces, et, cette fois, 
cette invasion constitue un danger qui menace l'Autriche. 
Mais on peut encore considérer que cette invasion n'est pas 



334 CONCLUSION. 

en soi et pour soi un mal qu'il est urgent d'écarter par une 
paix précipitée ; on n'y voit plus alors pour les Français qu'un 
moyen d'atteindre des objets plus éloignés. Le but qu'ils 
poursuivent peut être le renversement de la monarchie autri- 
chienne, c'est-à-dire la poursuite de l'invasion jusqu'aux 
frontières les plus reculées, aQn d'y écraser les derniers 
bataillons ennemis ; mais alors le succès, ou du moins la pro- 
babilité du succès Qnal, va encore changer de parti. D'après 
tous nos calculs, pour peu que les peuples de la monarchie 
autrichienne montrent quelque fidélité à leur souverain, les 
forces françaises seront insuffisantes pour atteindre un résultat 
pareil; les progrès de l'invasion ramèneront d'eux-mêmes 
aux revers. Ne laissons pas nos regards s'arrêter définitive- 
ment sur cette solution, mais examinons encore l'autre cas 
possible, celui où les Français, au lieu de pousser jusqu'aux 
frontières opposées, s'arrêteraient sur une ligne donnée. Il ne 
faut plus compter cette fois que l'Autriche bénéficie d'un 
retour de fortune par la force même des choses ; les Français 
auront le temps de recevoir des renforts. Néanmoins, l'Au- 
triche a encore pour elle la probabilité de remporter un pre- 
mier succès, mais cette chance est déjà bien moindre et com- 
porte des sacrifices, des efforts, une activité énorme. 

Entre tous ces points de vue, les circonstances indiquent 
celui où il faut se placer pour juger la situation stratégique : 
tantôt le regard ne pourra dépasser une ligne déterminée, 
comme c'était le cas pour Bonaparte au moment où il fran- 
chissait les Alpes juliennes ; tantôt un but que fixe le regard, 
que toutes les pensées prennent pour objectif, acquiert une 
importance prépondérante : tels furent souvent, aux yeux des 
Autrichiens, le salut de Vienne, l'expulsion d'une armée fran- 
çaise. En 1814 et 1815, la prise de Paris présentait un intérêt 
si exceptionnel que les grandes lignes des raisonnements stra- 
tégiques tendaient forcément toutes vers elle. 

Si l'importance d'un pareil objectif est telle que les condi- 
tions auxquelles on peut traiter et écarter le mal ne sauraient 
être trop chères, la paix s'ensuit forcément. 



CONCLUSION. 338 

Que cette importance soit appréciée ou mécoûDue, ou jugée 
diversement, on portera encore un jugement différent en rai- 
son du dernier élément capable d'exercer une influence géné- 
rale : le caractère, la tournure d'esprit, qui jouent un si grand 
rôle à la guerre, auront encore une influence énorme sur le 
jugement dans ces régions supérieures, et, pour un acte qui 
est une simple afi'aire de réflexion, c'est naturel. L'homme 
ferme et énergique jugera sa situation autrement qu'un esprit 
léger. Ce sera surtout le cas s'il faut qu'ils agissent. D'autres 
n'ont qu'à juger : tels les écrivains, qui sont tous fermes et 
énergiques ; ils apprécient les situations d'après certaines cir- 
constances dont l'influence l'a emporté; c'est souvent faute de 
données suffisantes, plus souvent encore faute d'un véritable 
esprit critique. 



TABLE DES MATIÈRES 



La campagne de 1796 en Italie. 

Pages. 

Avant-Propos ▼ 

Chapitre P'. Forœs et Emplacements des troupes françaises. . . 3 

— IL LesAUiés 6 

— III. Comparaison des deux armées et des deux géné- 

raux il 

— lY. Les États italiens 14 

— V. Plan d'opérations : 45 

— VL Ouverture de la campagne 22 

— VIL Combat de Voltri, le 10 avril 26 

— YIII. Combat de Montelegino, le 11 avril 28 

— IX. Combat de Montenotte, le 12 avril 30 

— X. Combat de Millésime, le 13 avril 32 

— XL Premier combat de Dego, le 14 avril 34 

— XII. Second combat de Dego, le 15 avril 36 

— XIII. Résultats de ces premières rencontres 39 

— XIY. Considérations sur le changement de front de Bona- 

parte contre Colli 48 

— XV. Combat de Ceva, le 19 avril 51 

— XVI. Combat de la Cursaglia, le 20 avril 53 

— XVII. Combat de Mondovi, le 22 avril 55 

— XVIII. Armistice avec les Sardes 58 

— XIX. Mouvements jusqu'à la signature de l'armistice. . . 60 

— XX. Clauses de l'armistice 62 

— XXI. Situation après l'armistice 63 

— XXIL Le Plan de Bonaparte 66 

— XXIII. Beaulieu passe le Pô 68 

— XXIV. Bonaparte passe le Pô 70 

— XXV. Combat de Fombio, le 8 mai 73 

— XXVL Combat de Lodi, le 10 mai 78 

— XXVn. Considérations. Beaulieu 83 

22 




Campagne de 1! 



A L.A MÊME I^IBRAIItlE 



fitndes sur la campagne de 1706-97 en Italie; par J. C, capit&mf 

d'artillerie. Paris, 1898, 1 vol in-S avec 29 croquis et t cart«s 5 fr. 

Histoire abrégée des campagnes modernes ; par J. Vlal, coIoDel d>ta:- 

msjor en retraite, ancien professeur d'art et d'histoire militaires à l'Ecole d'ap- 
plication d'état-major; complétée et mise à jour par son fils C. Vlal, capiuioe 
d'artillorio. 5* édition. Paris, 189i, 2 vol. in-8 avec atlas de 51 planches.. 13 fr. 

• 

Précis de l'art de la guerre ou Nonvean tableau analytique di^ 

principales combinaisons de la stratégie, de la grande tactique et de la poIitiqa« 
militaire; par le baron de Jomini, général en chef, aide de camp de S. M. l'Em- 
pereur de toutes les Russics. Nouvelle édition^ revue et augmentée d'après les 
appendices et documents du général Jomini ; par F. Liecomte. ancien colonel 
divisionnaire suisse, membre honoraire de l'Académie royale des sciences militaires 
de Suède. Paris, 1894, 2 vol. in-8 avec un Atlas 20 fr. 

Théorie de la grande guerre ; par le général de Clansewttx. Traduction 
du lieutenant-colonel db Yatrt, précédée d'une lettre du général Piebron. Pans, 
1886-89, 4 vol. in-8, y compris l'Introduction 23 fr. 

Stratégie napoléonienne, — Maximes de guerre de Napoléon I"; pv 

A. Ô.. ancien élève de l'Kcole polytechnique. — Nouvelle édition. Paris, 1897, 
1 vol . in-8 avec cartes et croquis 7 fr. 50 

Thèmes tactiques gradués. Application des règlements sur le «iervice en cam- 
pagne et sur les manœuvres à nn détachement de toutes armes ; par le uugof 
Grlepenkerl. Traduit de l'allemand par le capitaine Richbrt, de TEcoIe supé- 
rieure de guerre. Cartes accompagnant le texte : l« 1/80,000% Metz; 2» l/25,000», 
Meta, Verny, Ars, Gravelotte. Paris, 1896, 1 vol. in-8 10 fr. 

Questions de tactique appliquée traitées de 1858 à 1882 au grand état- 
major allemand. — Thèmes, solutions et critiques du maréchal de Moltke, 
publiés par la section historique du grand état-major allemand. Traduit de l'alle- 
inanU par le capitaine Kicheut, professeur à l'Ecole supérieure de guerre. Paris, 
18U5, l vol. in-8 avec Atlas de 27 cartes et de 9 croquis 14 fr. 

Préparation à l'École supérieure de guerre. — Essai sur la tactique. — 
Kxorcicos sur la carte. Rédaction des ordres. Discussions et solutions de seize 
thomos tactiques donnés aux examens d'entrée à l'Ecole de guerre jusqu'en 189& 
inclusivement. Dcuxirme édition. Paris, 1896, 1 vol. in-8 3 fr. 50 

Napoléon chef d*armée ; par le lieutenant-colonel comte Torok de War- 
tenburg. Traduit de lallcmand par le commandant Ricbbrt. Paris, 1898, t vol. 
in-8 {lùi prèpnration). 



Pans — Imprimerie L. Baudoin, 1, nie Chriftine. 



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